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Titre : Journal d'un chirurgien de la Grande-Armée (L.-V. Lagneau), 1803-1815 / Eugène Tattet ; avec une introduction de M. Frédéric Masson,...
Auteur : Lagneau, Louis-Vivant (1781-1867). Auteur du texte
Éditeur : (Paris)
Date d'édition : 1913
Contributeur : Tattet, Eugène. Éditeur scientifique
Contributeur : Masson, Frédéric (1847-1923). Préfacier
Sujet : Lagneau, Louis-Vivant (1781-1867)
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb307185541
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : In-8° , XIV-327 p.
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Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Description : Journaux intimes
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6365531d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-LH3-413
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/11/2012
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EUGÈNE TATTET
JOURNAL
D'UN
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I(.,. LAGNEAU)
1803-1815
AVEC UNE INTRODUCTION
- DE
M. FRÉDÉRIC MASSON de l'Académie française.
ORNÉ D'UN PORTRAIT
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PARIS ÉMILE-PAUL FRÈRES, ÉDITEURS 100, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 100
1913
JOURNAL
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-11 CHIRURGIEN DE LA GRANDE ARMÉE
(IL.- V. LAGNEAU)
1803-1815
EUGÈNE TATTET
JOURNAL
D'UN
CHIRURGIEN DE Ll GRINDE ME
(L.-V. LAGNEAU) 1803-1815
AVEC UNE INTRODUCTION
DE
M. FRÉDÉRIC MASSON de l'Académie française.
ORNÉ D'UN PORTRAIT
PARIS ÉMILE-PAUL FRÈRES, ÉDITEURS 100, rue du Faubourg-Saint-Honoré. 100
1913
INTRODUCTION
* ï:"!\t'-/ Dans la littérature militaire des guerres de la
Révolution et de l'Empire, les chirurgiens et les médecins de l'armée ont imprimé une trace profonde.
Larrey, Percy, Desgenettes ont laissé des ouvrages sans lesquels on ne saurait étudier certaines campagnes et, sur l'Egypte en particulier, où leur dévouement et leur ardeur à s'instruire trouvèrent un si noble champ d'action, ils ont été les premiers à fournir des renseignements et des aperçus dont leurs successeurs ont constamment profité.
Avec une probité qui n'a pas besoin d'être louée, mais qui n'allait pas sans quelque courage, ils ont répondu à des calomnies que la presse anglaise * s'était plue à répandre et dont s'étaient emparés avec leur mauvaise foi coutumière les ennemis de l'Empereur. Sur les champs de bataille où ils avaient accompagné nos soldats, sur les pays où l'insalubrité du climat, les mauvaises conditions d'hygiène et des contagions subitement développées remplis-
saient les hôpitaux devenus insuffisants pour la foule des malades, sur l'Espagne, comme sur l'Allemagne et la Pologne, ils ont relevé des observations précises et fourni d'intéressants témoignages. A la vérité, on interrogerait vainement leurs souvenirs sur les prisons flottantes où cent mille Français ou alliés de la France étaient martyrisés, d'où ils sont sortis à jamais frappés dans les sources de leur vie, lors même qu'ils avaient par miracle échappé à l'effroyable mortalité. Ceux-là ne recevaient la visite que de médecins anglais qui raffinaient sur les autres bourreaux. On ne sait donc presque rien sur les maladies spéciales qui fauchèrent tant de braves gens, soldats, matelots, passagers civils, et il manque sur ce côté de l'histoire des témoignages certains émanant d'hommes de science.
De même est-il pour la plupart des dépôts de prisonniers en Autriche et en Russie. Bien qu'on n'en ait pas de preuve certaine, il semble que les chirurgiens et les médecins ne suivaient point en captivité les corps auxquels ils étaient attachés, peutêtre parce qu'ils étaient considérés comme non combattants et qu'ils étaient à ce titre relâchés par l'ennemi, peut-être parce qu'ils étaient des premiers échangés.
La neutralisation des hôpitaux avait été conclue entre Français et Anglais dès la guerre de la succes-
sion d'Autriche. En 1743, un accord au sujet des blessés, des hôpitaux et des chirurgiens militaires, fut signé entre le duc de Noailles et lord Stair ; en 1759, pareille convention entre le marquis de Barail, , commandant dans la province de Flandre, et Henry Seymour Conway, major général des troupes de Sa Majesté Britannique et, cette fois, l'accord visait les commissaires des guerres, aumôniers, médecins, chirurgiens, garçons infirmiers, servants ou autres personnages propres au service des malades ; la même année, également entre le marquis de Rougé, maréchal des camps et armées du Roi, et le baron de Buddenbroeck, général-major de S. M. le roi de Prusse. Ainsi, dès le XVIIIe siècle s'était répandue cette doctrine généreuse et progressait-elle lorsque la Révolution opéra, au nom même des principes humanitaires, la réaction la plus violente. La Convention décréta l'exécution immédiate des prisonniers, qu'ils fussent français émigrés ou soldats coalisés, blessés ou non blessés ; elle recula ainsi dans la barbarie, mais si elle n'osa point mettre en pratique la dernière de ses injonctions, pour la première, n'y aurait-il que les massacres d'Auray, c'est assez; mais partout, sur le Rhin, comme en Belgique et sur les Alpes, les blessés même ne furent pas épargnés.
On a dit que : « au commencement des guerres de
» la Révolution, il eût été possible de rentrer dans » cette confiance réciproque, et que l'ennemi refusa » la proposition qui en avait été faite ». Cela est d'une grande audace et les décrets de la Législative comme ceux de la Convention en témoignent. Plus tôt le massacre par des Volontaires de déserteurs. et de prisonniers même blessés, plus tard l'exécution par ordre de la Convention des prisonniers, même blessés, voilà la vérité. 11 faut croire qu'on s'adoucit par la suite, mais on ne trouve pas à ma connaissance, dans les récits qui nous sont parvenus, men-. tion des usages observés à l'égard des hôpitaux et des chirurgiens. Certains états de service prouvent que, s'il y avait quelques privilèges en faveur de ceux-ci, il s'écoulait tout de même un temps avant qu'ils pussent l'exercer. Voici Jacques Gerberon, chirurgien aide-major au 3E régiment de Chasseurs à cheval, il est deux mois prisonnier chez les Autrichiens dans la campagne de l'an VIII, et en 1809, au commencement de la campagne, il est cruellement mutilé par les Tyroliens révoltés et retenu ensuite prisonnier par les Autrichiens. Le malheureux Gerberon est retraité à trente-trois ans d'âge : Treize campagnes, vingt-six ans sept mois six jours de service, une blessure d'un coup de feu à la tête lors de la prise de Collioure en l'an II, des actions telles que « d'avoir réuni et traité lui seul avec le plus grand
succès tous les malades et blessés de son régiment au nombre de 194 et de ne les avoir pas quittés avant leur parfaite guérison », tout cela lui vaut six cents francs de pension.
Les Tyroliens valaient les Véronais, l'Egypte valait l'Espagne dès qu'il s'agissait d'insurrection populaire et le début était toujours le massacre des malades, des blessés et de ceux qui les soignaient, mais, de ces tueries, les gouvernements étaient engénéral assez peu responsables; on peut même dire qu'en Autriche, lors de la campagne de 1805 et surtout lors de celle de 1809, les égards qui furent, d'un côté comme de l'autre, témoignés aux médecins et aux chirurgiens chargés du service des blessés furent dignes de deux grandes nations.
Il est permis d'en donner ici une preuve nouvelle.
Le 28 janvier 1811, l'ambassadeur de l'empereur Napoléon adressait la circulaire suivante à quatorze directeurs des hôpitaux de Vienne, chirurgiensmajors, commissaires, commandant de l'économie et de la police, architecte aulique : « Sa Majesté l'Empereur et Roi, Monsieur, m'a donné l'ordre de vous envoyer une tabatière en témoignage de sa satisfaction pour les soins que vous avez donnés aux militaires français restés malades à Vienne.
(( Je me félicite, Monsieur, d'avoir à vous faire part de cet acte de bienveillance de Sa Majesté et je vous prie d'agréer l'assurance de la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur de vous saluer. »
Dans les quatorze boîtes d'or étaient renfermés 1.344 napoléons de 20 francs, achetés le 16 janvier, moyennant un agio de 3 fr. 50 les mille francs, et formant une somme totale de 26.880 francs.
Le 10 mars 1811, M. de Metternich répondit de Vienne : « Le ministre d'État et des Affaires étrangères a fait faire la distribution des cadeaux destinés par Sa Majesté l'Empereur Napoléon aux employés autrichiens à l'administration des hôpitaux français en 1809 et 1810. Les donataires respectifs ont constaté, par leurs signatures en marge de la liste ci-jointe, la réception de ces marques de bienveillance et ils y ont ajouté la prière que le soussigné se rendît interprète de leur reconnaissance pour les marques de bienveillance dont S. M. l'Empereur des Français a daigné les gratifier. Le soussigné s'en acquitte avec empressement par la présente et il a en même temps l'honneur de renouveler à S. E. M. l'Ambassadeur l'assurance de sa haute considération. »
Il serait d'un vif intérêt que, dans leurs souvenirs, des chirurgiens eussent envisagé les rap-
ports entre adversaires sous ce point de vue et qu'ils eussent ainsi tracé en quelque façon l'histoire des origines de la Croix rouge, mais la plupart sont muets à ce sujet.
Ainsi ne trouve-t-on pas beaucoup de détails de ce genre dans le Journal d'un chirurgien de la Grande Armée, que publie, avec un soin méritoire, M. Eugène Tattet, mon jeune collègue de la Sabretache. C'est bien plutôt une promenade amusante à travers l'Europe avec des anecdotes curieuses, pittoresques et juste assez techniques pour qu'on ne puisse se méprendre à la profession de l'auteur.
Louis-Vivant Lagneau, docteur en médecine à vingt-deux ans, allait s'établir à Paris lorsqu'il fut pris par la conscription et il fut aussitôt nommé chirurgien de 3e classe, attaché à l'hôpital de Bruges.
Depuis le 8 octobre 1803 jusqu'au 23 septembre 181o, il resta au service et il gagna de la sorte tous les grades jusqu'à celui de chirurgien-major du 3e régiment de Grenadiers à pied Vieille-garde. Il avait vu la Belgique, l'Italie, la Prusse, la Pologne, l'Espagne, l'Autriche, la Russie, l'Allemagne ; il avait fait la campagne de France, avait eu un cheval tué sous lui à Fère-Champenoise, il ne voulut point servir les Bourbons, mais il s'empressa près du Libérateur à son retour, il le suivit dans la campagne de Belgique jusqu'à Waterloo. Il rentra alors dans la vie
civile, acquit une réputation méritée par ses travaux sur les maladies spéciales et mourut plein de jours en 1868, membre de l'Académie de Médecine.
Lagneau est un excellent exemplaire du médecin d'armée savant et instruit. Beaucoup étaient dans son cas, bien qu'à vrai dire les études médicales fussent alors singulièrement abrégées et'qu^il netût pas rare de voir des médecins de vingt ans ; malgré les facilités données aux étudiants, tel était pourtant le nombre des places qu'il fallait remplir mal que bien qu'on acceptait à peu près tout ce qui se présentait de bonne volonté.
A Essling, le long du Danube, des gagistes musiciens pansent les blessés ; à l'affaire de Saint-Georges-sous - Mantoue, Gourdan, chirurgien de lre classe, chargé en chef de l'ambulance active de l'armée d'Italie, ne trouve comme auxiliaire qu'un nommé Gérard, inspecteur des fourrages : « Sans lui, des secours aussi prompts n'eussent pas été portés, ce qui eût produit la perte inévitable de braves militaires dangereusement blessés. Cette ambulance, ajoute Gourdan, où furent reçus de suite environ douze cents blessés, fut transférée après l'affaire à Due Castelli. Le citoyen Gérard donna encore en cette occasion des preuves de son zèle et son patriotisme en faisant à la fois l'infirmier et l'économe, veillant sur tout et pour-
voyant aux secours de tous nos braves frères d'armes blessés qui étaient alors plus de mille cinq cents. »
Ainsi arrivait-il que ce fût un simple soldat qui, ayant passé par les hôpitaux comme blessé ou comme malade, s'improvisât infirmier et après les pansements travaillât aux opérations. Il se développait ainsi, au profit ou au détriment des uns ou des autres, des vocations expérimentales auxquelles ne manquait qu'un diplôme. Ce fut le cas en particulier au début des guerres de la Révolution pour quantité de séminaristes ou de prêtres nouvellement ordonnés qui, atteints par la réquisition ou venus s'abriter sous le drapeau contre la persécution terroriste, se trouvaient avoir pour soigner plus de disposition que pour frapper, arrivaient assez vite à une connaissance superficielle des cas les plus habituels et se risquaient peu à peu aux opérations. Pour les titulariser dans les emplois qu'ils occupaient, on ne trouva d'autre moyen que de prescrire un examen général à tous les officiers de santé employés aux armées, à commencer par les plus illustres — Percy au premier rang.
Cette étrange situation se prolongea pendant tout l'Empire où il y eut constamment disette d'officiers de santé instruits. Outre qu'on en faisait une grande consommation, ils étaient mal payés et humiliés comme à dessein. A bon droit, le corps
repoussait avec indignation la subordination aux ordonnateurs sur les questions même professionnelles. Les ordonnateurs, surtout les adjoints et les temporaires, au risque de compromettre la vie des blessés exigaient l'application stricte de règlements, contre lesquels à bon droit s'élevaient les médecins, mais qui, aux yeux de l'administration, avaient le prestige de diminuer les dépenses et de maintenir l'ordre. Il faut voir que, dans des régiments très éprouvés, il arrivait assez souvent que, comme Gerberon en Prusse, le chirurgien, avec l'assentiment de son colonel, réunît ses blessés dans un château ou une grande maison à proximité du champ de bataille et qu'au moyen des ressources du pays, il organisât un hôpital régimentaire fort bon au point de vue de l'hygiène et des soins, car parmi les moins atteints, le major choisissait des infirmiers, des aides d'opération au besoin, mais fort mauvais au point de vue de la comptabilité, de la solde, du règlement, de la forme. Cela donne à penser du reste.
Cette subordination aux ordonnateurs lesquels pour des actes professionnels avaient la prétention de punir des arrêts les médecins et les chirurgiens, rebutait d'excellents sujets, mais il était bien d'autres raisons : comme les mesures de licenciement prises vis-à-vis du corps de Santé par le
ministre de la Guerre au moment où la paix paraissait assurée, quitte à mettre en réquisition médecins et chirurgiens si la guerre recommençait.
Congédiés sans le moindre traitement, les médecins s'étaient créé en province une petite position et avaient formé une clientèle. Du jour au lendemain, ils devaient tout quitter et reprendre une existence de périls, sans rétributions, sans honneurs, sans gloire.
Le nombre des médecins et chirurgiens militaires qui furent anoblis par l'Empire est infime. Mieux valait avoir soigné le rhume d'une des princesses de la Famille que d'avoir risqué sa vie sur les champs de bataille. Le Dr Louis de Ribier qui a dressé des listes biographiques des médecins et chirurgiens anoblis par l'Empire n'a pu trouver dans le militaire que le chevalier Bousquet, chirurgien en chef, le baron Boyer, premier chirurgien de l'Empereur qui ne fit que la campagne de Pologne (1807) et au quartier général, le chevalier Cadet-Gassicourt, pharmacien de l'Empereur qui fit la campagne de 1809, le chevalier Chifoliaz, médecin principal des armées, le chevalier Damelincourt, major au 33e d'infanterie, le chevalier Dudanjon, médecin aux Grenadiers à pied, le baron Desgenettes, inspecteur général du service de santé, le chevalier Gorse, chirurgien-major dans un régiment de dragons, le chevalier Gulitz, sous-
aide chirurgien au régiment de la Vistule, le baron Heurteloup, premier chirurgien de l'armée, le chevalier Hoïn, aide-major des Grenadiers de la garde, le chevalier Kitz, major au 1er régiment de la Yistule, le chevalier Lanefranque, médecin du quartier général impérial, le baron Larrey, premier chirurgien de la Garde, le chevalier Paullet, chirurgien-chef en second de la Garde, le baron Percy, chirurgien en chef de l'armée, le chevalier Poussielgue, médecin en chef, le chevalier Renoult, chirurgien-major de la Gendarmerie d'élite, le chevalier Rutscky, major au 2e de la Vistule, le chevalier Sue, médecin en chef de la Garde — le père d'Eugène Sue, filleul du prince Eugène et de l'impératrice Joséphine, — le
chevalier Taillefer, major des Marins de la Garde, le chevalier Varéliaud, chirurgien de l'Empereur par quartier et le baron Yvan, chirurgien de l'Empereur.
Ainsi en prenant tout, même des chirurgiens, qui n'ont jamais paru aux armées, on arrive à six barons : Boyer, Desgenettes, Heurteloup, Larrey, Percy, Yvan : deux portent dans leurs armoiries le franc quartier de baron officier de la Maison de l'Empereur (Boyer, Yvan) , ce qui montre bien qu'on ne les tient pas pour militaires, quatre seulement le franc quartier de baron officier de santé attaché aux armées, qui est : de gueules à l'épée en barre d'argent, la pointe basse (Desgenettes, Heurte-
loup, Larrey, Percy). De tout le corps de santé "- , militaire, en face de cette multitude de généraux, ducs, comtes et barons, quatre seulement, et au bas de l'échelle, de ceux qui s'ingéniaient, sous le feu, à réparer des têtes cassées. Des chevaliers, il ne faut pas parler : leur titre accompagnait la décoration de la Légion d'honneur, ou celle de la Réunion et devenait transmissible, « à la descendance directe et légitime, naturelle ou adopti ve, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, de celui qui en était revêtu, en se retirant devant FArchichancelier de l'Empire, afin d'obtenir à cet effet des lettres patentes et en justifiant d'un revenu net de 3.000 francs au moins ». Ce qui serait intéressant, ce n'est donc pas d'établir quels officiers de santé ont été assez riches pour consolider le titre qu'ils devaient à leur qualité, mais ce serait de rechercher dans les listes des membres de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Réunion, les noms des médecins ou chirurgiens qui avaient obtenu ces décorations et de relever ensuite leur carrière et leurs états de services. L'on trouverait alors sans doute une suite d'actions admirables, dont quelques-unes apparaissent déjà dans les livres de Briot, de Biron et Fournier-Pescay, de Jacob et Marchai (de Calvi) de Begui, de Gama, même dans le poème de Brad, Hygie Militaire on Y Art de
guérir aux armées: les anecdotes abondent, elles enseignent avec quel dévouement ces hommes, dont la plupart n'avaient qu'une préparation scientifique médiocre, ont, sous le feu de l'ennemi, avec des - outils imparfaits, des pansements le plus souvent défectueux, sans aucun des moyens ni des procédés en usage aujourd'hui, opéré, soigné, guéri, et sauvé des milliers et des milliers d'hommes et de Français.
Mais des patients, il faut parler aussi, car, autant que leurs médecins, ils sont dignes d'admiration.
Leur courage, leur résistance, leur impassibilité étonnent autant que leur gaieté et leur espoir en la vie. Il n'existe pour eux ni chloroforme, ni antisepsie, ni hygiène : quantité sont enlevés par la fièvre. Mais quelle habileté, quel sang-froid, quel dévouement chez les opérateurs, quel empire sur soi, quelle éducation de la douleur chez les opérés.
Il me semble que le livre où l'on en rendrait compte serait un des plus beaux qu'on pût écrire, un des plus nobles, un de ceux qui feraient le plus d'honneur, en même temps qu'à l'intelligence et à la
science française, au patriotisancêtres.
Et je souhaite que M. Ej~&~±a.tt~0v consacre
tous ses efforts.
îfrédéVic MASÎTON
14 Juin 1913.
Marengo-Friedland.
JOURNAL D'UN
CHWÉM |)E LA GRANDE ARMÉE
AVANT-PROPOS
Louis-Vivant Lagneau, l'auteur de ce Journal, naquit le 8 novembre 1781 à Chalon-sur-Saône. Il était de famille bourgeoise ; il étudia la médecine à Paris dès la fin de 1799, fut reçu interne des hôpitaux lors de l'oiiverture du premier concours en l'an X, puis docteur en médecine le 14 prairial an XI (3 juin 1803). Six jours plus tard, il passait avec la veuve Bertrand un contrat sur papier timbré pour lui acheter la clientèle de son mari défunt : pendant deux ans, il devait verser à la veuve la moitié de ses honoraires de visites ; passé ce temps, « les malades qui lui auront été cédés seront la propriété du soussigné, chirurgien à l'hospice des Capucins ».
Sa thèse de doctorat était une étude sur le sujet qui devait orienter toutes les recherches de sa vie d'homme de science : Exposé des diverses méthodes de traiter les
maladies vénériennes ; mais il ne devait jamais exécuter la convention quelque peu étrange qu'il venait de signer avec la veuve Bertrand. Le Premier Consul allait en effet, par arrêté du 9 frimaire an XII (1er décembre 1803), organiser définitivement le service de santé de l'armée en nommant six inspecteurs généraux : Coste et Desgenettes pour la médecine, Heurteloup, Percy et Larrey pour la chirurgie et Parmentier pour la pharmacie. Avant même la promulgation de cet arrêté, Lagneau fut pris par la conscription et nommé, le 15 vendémiaire an XII (8 octobre 1803), chirurgien de 3e classe au 3e corps de l'armée des Côtes (commandé par Davout) et attaché à l'hôpital de Bruges. A dater de ce jour, il ne devait plus abandonner la fortune de Napoléon.
Mentionnons rapidement ses états de service comme chirurgien militaire. Il fut nommé sous-aide-major au 1er bataillon du ge régiment d'infanterie de ligne le 14 pluviôse an XII (4 février 1804) : il resta quelque temps à Strasbourg et suivit le régiment en Italie. Le 9 novembre 1806, il était nommé chirurgien aide-major au 12e régiment de dragons, fit avec lui la campagne de Pologne et assista aux batailles d'Eylau et de Friedland. Il fut promu chirurgien major le 29 avril 1809 et incorporé au 2e régiment des conscrits grenadiers de la Garde, fit avec eux la campagne d'Espagne et se trouva à la bataille de Talavera de la Reina, passa ensuite avec le même grade aux fusiliers grenadiers de la Vieille Garde, fit la campagne d'Allemagne en 1809, revint en Espagne en 1810 et 1811, où il prit part à l'affaire de Fuentès de Onoro, suivit l'armée en Russie en 1812 et
assista aux batailles de Smolensk, de la Moskova, de Krasrioié et au passage de la Bérésina.
En 1813, il était chirurgien major du 4e régiment des tirailleurs de la Vieille Garde, grade qui était assimilé à celui de chirurgien principal en vertu du décret du 8 février 1813. Il fit en cette qualité la campagne d'Allemagne, assista aux batailles de Bautzen, Wurt- chen, Dresde, Leipzig et Hanau, prit part ensuite à la campagne de France en 1814, fut blessé à La FèreChampenoise où il eut son cheval tué sous lui au milieu du carré du régiment. Le 1er juillet 1814, il passa au dépôt de l'ancienne Garde à Fontainebleau et fut mis en non-activité le 1er décembre suivant.
Le 15 avril 1815, il. était nommé chirurgien major du 3e régiment de grenadiers à pied de la Vieille Garde et se trouva au désastre de Waterloo, où son ambulance était installée près de l'endroit où se tenait l'Empereur.
Le 23 septembre 1815, lors du licenciement, Lagneau se fixa à Paris et y continua les études médicales qu'il n'avait du reste jamais abandonnées au cours de ses pérégrinations à travers l'Europe, car sa thèse de doctorat, publiée pour la première fois en 1803, avait eu de nouvelles éditions en 1805, 1809 et 1811 ; une cinquième édition, revue et augmentée, avait paru en 1812, d'autres encore en 1815 et 1818. La dernière édition, celle de 1828, constitue un traité pratique en deux volumes in-8° : elle fut traduite en espagnol par Don Lucio Franco de la Selva, Madrid, 1833, et en italien par Pietro Maggi, Brescia, 1834. La quatrième édition avait auparavant été traduite en allemand, Erfurt et Gotha, 1815.
Ce fut l'ouvrage principal de Lagneau : ce ne fut point le seul. Dans les deux éditions du Dictionnaire de médecine en 21 et en 30 volumes, il rédigea quantité d'articles relatifs aux maladies vénériennes et à la médecine militaire. Il a encore à son actif de nombreux rapports et lectures à des sociétés savantes : il était depuis 1816 membre de la Société de médecine du département de la Seine et de la Société médicale d'émulation ; l'Académie de médecine lui ouvrit ses portes en 1823, section de médecine opératoire. Il fut nommémembre de la Légion d'honneur le 18 septembre 1808, chevalier de l'ordre de la Réunion 1 le 28 novembre 1813 et officier de la Légion d'honneur le 26 février 1858. Il avait en outre reçu une médaille lors de l'épidémie de choléra 'de 1832 pour récompenser les services rendus comme médecin en chef de l'hôpital temporaire spécial du 2e arrondissement de Paris.
* * *
Au cours de ses onze années de service, illustrées par vingt-deux campagnes qui constituent la plus brillante épopée qu'ait vue l'histoire, Lagneau eut l'heureuse idée de noter jour par jour ses impressions et les divers incidents de ses rudes étapes. Il écrivait sur de petits cahiers,
1 L'ordre de la Réunion avait été institué par l'Empereur le 18 octobre 1811 lors de son voyage en Hollande. Du 26 mars 1812 au 4 août 1814, il n'accorda que 131 grands-croix, 143 croix de commandeur et 3.658 croix de chevalier. Cet ordre fut aboli par ordonnance du 28 juillet 1815 et les titulaires durent remettre leur décoration au grandchancelier de la Légion d'honneur. Fort heureusement, Lagneau ne se conforma pas à cet ordre, car sa famille possède encore sa décoration. Voir « L'Ordre de la Réunion », dans Petites histoires, par Frédéric Masson, Paris, Ollendorf, 1910, in-18°.
d'une écriture très serrée, renfermés dans une sorte de portefeuille recouvert d'un parchemin jauni. En tournant ces feuilles, on rencontre parfois des esquisses de costumes ou de paysages ou des croquis de monuments. Quelques-uns de ces petits cahiers ont été perdus à Wilna, avec les bagages de Lagneau ; mais à son retour en France il combla les lacunes d'après ses souvenirs.
Plus tard, en septembre 1847, après avoir parcouru de nouveau en compagnie de son fils les pays qu'il avait traversés jadis à la suite de l'Empereur, il recopia et compléta ses cahiers, y ajouta quelques renseignements sur son enfance et ses études, diverses notes historiques, et constitua ainsi un ensemble de 267 pages qui ont été conservées par ses descendants comme un précieux héritage de famille.
C'est cette seconde rédaction que nous publions aujourd'hui, grâce à l'obligeance parfaite du petit-fils du chirurgien major, M. Lagneau, ingénieur civil des mines, qui voudra bien trouver ici l'assurance de notre très vive gratitude et de notre cordiale affection.
Ce journal nous a semblé apporter une contribution réelle à ce qu'on connaît déjà de la vie des officiers et soldats de Napoléon, de l'organisation du service de santé militaire et de la pratique de la chirurgie à cette époque. Les souvenirs d'un homme qui a vécu les divers événements qu'il raconte sont pour l'historien le témoignage le plus précieux; ils deviennent pour lui une véritable bonne fortune quand ce sont les souvenirs d'un parfait honnête homme, cultivé, sincère, écrivant sans prétention, soucieux seulement de l'exactitude, et assez humble pour pouvoir écrire sa propre histoire
d'une manière purement objective. Toutes ces qualités, Lagneau les possédait à un haut degré ; il y faut ajouter ces dons charmants de l'intelligence et du cœur qui, au cours de sa longue carrière, lui ont attiré l'universelle sympathie. Il est gai, bon camarade, obligeant et dévoué envers tous. A l'armée, ses chefs l'aiment, comme l'aimaient ses professeurs dans les années de sa vie d'étudiant. Il est humain et compatissant, doux et affectueux avec les soldats blessés, qu'ils soient Russes, Espagnols, Allemands ou Français.
C'est un esprit cultivé; il goûte les lettres et la musique. Dans sa course à travers l'Europe, il ne perd aucune occasion de lire, de continuer à étudier, de revoir son ouvrage de médecine, d'apprendre la langue du pays, d'assister à des conférences ; il visite les monuments curieux, sait apprécier un objet d'art, vanter les jolies filles ou déguster les bons vins. Il donne sur la toilette des femmes en Allemagne en 1809 des détails que notre érudition française avait été obligée d'emprunter aux ouvrages allemands ; d'un mot il sait décrire la physionomie d'une ville. Et tout cela est écrit simplement, sans chercher l'effet, sans trahir l'effort ; mais c'est la conversation d'un homme du monde, qui a de l'éducation, qui a surtout de belles qualités morales.
C'est aussi la conversation d'un soldat. On raconte que le duc d'Orléans, faisant visiter le Val-de-Grâce au duc de Saxe-Weimar, lui dit : « Je vous présente mes médecins militaires ; ce sont des savants et des soldats. »
Le mot ne saurait s'appliquer à personne mieux qu'à Lagneau. Il ne songeait sans doute guère à la chirurgie militaire le jour où il signait son contrat avec la veuve
Bertrand ; mais, pris bientôt aprè3 par la conscription, il sut assouplir son âme et, par une ferme et énergique discipline, l'amener à aimer sa situation nouvelle, et à s'acquitter avec une sereine résolution de ses devoirs nouveaux.
Lagneau parle en soldat, et parle en homme qui a vécu avec des soldats et qui les aime. Les réflexions qu'il fait sur les diverses manœuvres auxquelles il a assisté, ses remarques sur l'organisation des dragons sont vraiment d'un homme du métier et ne seraient pas désavouées par des tacticiens. Est-ce l'écho des conversations entendues entre généraux et officiers supérieurs, le soir autour d'un feu de bivouac ? N'ont-elles pas plutôt été inspirées par les réflexions d'un esprit curieux, toujours en éveil, merveilleusement souple, s'intéressant à tout ? Lagneau allait soigner les blessés jusque sous le feu de l'ennemi ; pouvait-il ne pas voir les mouvements des divers corps, ne pas entendre les ordres qu'avait donnés le grand Empereur toujours victorieux, ne pas constater avec fierté que partout où Napoléon était présent, la déroute de l'ennemi était assurée ?
Le moyen de suivre pendant onze années cette radieuse étoile guerrière et de ne pas se faire une âme de soldat !
Lagneau dès le premier jour aima l'armée, aima son Empereur, aima sa patrie : il les servit tous trois avec un inlassable dévouement et leur donna sa vie sans.
regarder en arrière. Quand Napoléon fut vaincu, il lui demeura fidèle, refusa d'entrer aux grenadiers royaux, se retira dans la vie civile, recommença courageusement une nouvelle carrière et trouva dans l'intimité de la famille, dans le travail, dans les soins donnés aux
malades, dans les services rendus aux amis, mille occasions de faire admirer par tous son cœur excellent, la noblesse de son caractère et sa douce aménité.
En 1816, il épousa Marie Marin, nièce et héritière de M. Henrion, ancien administrateur général des équipages de l'armée de Sambre-et-Meuse, inspecteur général des charrois des armées de la République. Elle lui apporta une jolie fortune et lui donna plusieurs enfants, dont deux survécurent à leur père : une fille, qui épousa Adrien Bigorgne, fils d'un ancien officier de la Garde, que mentionne le journal de Lagneau en racontant la retraite de Russie, et un fils, Gustave-Simon, né à Paris en 1827, mort en 1896. Lagneau fils suivit lui aussi la carrière médicale, fut reçu docteur en 1851 avec la thèse Des maladies pulmonaires causées ou influencées par la syphilis, et publia dans la suite de nombreux ouvrages sur les maladies vénériennes, ainsi que divers traités de statistique médicale, d'anthropologie et d'hygiène publique. Il fut élu en 1879 membre de l'Académie de médecine, section d'hygiène publique et de médecine légale. Il a laissé la réputation tout à fait justifiée d'un homme très bienfaisant et d'une haute vertu.
Louis-Vivant Lagneau mourut à Paris en 1868, âgé de quatre-vingt-sept ans, doyen de l'Académie de médecine. Il repose au Père-Lachaise, au milieu de nombreux braves qui ont fait avec lui les campagnes du premier Empire, non loin de la tombe de Parmentier, 27e division, 5e ligne, en face de la 19e division, n° 9 du mur de soutènement, derrière le tombeau de Joseph Périer. Lagneau et son fils dorment là, dans un petit monument de
granit, très simple, aux lignes arrêtées, symbole de ce que fut leur vie consacrée à la science, au travail modeste, à la noble droiture.
Ce fut Broca, alors professeur de pathologie chirurgicale et chirurgien de l'hôpital de la Pitié, qui fut chargé, au nom de l'Académie de médecine, d'adresser le dernier adieu à celui qu'il appelle « le vétéran de la chirurgie française». Il le félicita publiquement d'avoir « conservé, jusque dans l'extrême vieillesse, toutes ses facultés physiques et toute la netteté de son intelligence » ; mais il vanta plus haut encore sa bienveillance inaltérable, sa loyauté et sa charité, et il termina son discours par cette note émue : « Adieu, cher et vénéré collègue : vous avez vécu comme un sage, vous êtes mort comme un juste. Le souvenir de vos vertus ne s'effacera point parmi nous. »
* * *
Il nous faut dire quelques mots en terminant de la façon dont nous avons publié le Journal de Lagneau.
Tout en respectant scrupuleusement l'état du document qui nous était confié, nous avons cru devoir supprimer certaines considérations historiques ou géographiques que l'auteur avait ajoutées, dans le silence du cabinet, lors de la seconde rédaction et qui ne se trouvent nullement dans les petits cahiers du premier manuscrit, de celui que Lagneau promena dans son porte-manteau sur tant de champs de bataille. Citons par exemple les détails qu'il donne sur Arras, Lille, Courtrai, etc., ou une longue dissertation historique sur les doges de Venise, que l'auteur a intercalée après coup lorsqu'il
a recopié ce qu'il avait écrit sur son voyage en Vénétie.
Nous indiquerons toutes ces suppressions par des points de suspension.
Nous conserverons par contre les indications que Lagneau a données dans sa seconde rédaction sur divers personnages avec qui il a fait ses campagnes : il en a revu plusieurs après 1815 et, en récrivant son journal, a indiqué en quelques mots ce qu'ils étaient devenus.
Pour ne pas couper le récit, nous imprimerons ces détails complémentaires en bas de la page avec la mention : Note de Lagneau.
Nous avons identifié la plupart des noms géographiques moins connus : on pourra suivre ainsi par le détail les itinéraires des régiments auxquels a appartenu successivement Lagneau dans leurs courses à travers l'Europe. Nous avons fait de même pour les noms des officiers que l'auteur a eu l'occasion de citer dans son récit.
Nous avons enfin donné quelques renseignements biographiques sur les nombreux médecins et chirurgiens, militaires ou civils, qu'a mentionnés Lagneau. Ces renseignements ont été tirés, dans la mesure du possible, des archives administratives de la guerre ou des ouvrages de biographie médicale publiés dans la première moitié du XI Xe siècle, alors que beaucoup de ces personnages vivaient encore et occupaient une situation officielle. Nous avons enfin publié en note quelques lettres inédites de l'inspecteur général Percy adressées à Lagneau, qui nous font connaître toute l'estime qu'il avait su s'attirer de la part de ses chefs ; nous y avons ajouté les notes que lui donnèrent les officiers généraux sous lesquels il a servi et divers documents, ordres du
jour statistiques, rapports officiels, etc., qui nous ont semblé de nature à illustrer le récit de Lagneau. Ces pièces ont été insérées simplement à leur date, et sans commentaires.
Puissions-nous par cette publication nous rendre utile à quelque historien futur qui voudra étudier en détail, d'après les documents contemporains, les itinéraires de la Grande Armée ou l'organisation du service de santé au temps de Napoléon. Mais nous serions plus heureux encore et la peine que nous avons prise nous semblerait trop largement récompensée si, au récit de ces marches héroïques et de ces batailles de géants, la fierté française faisait tressaillir le cœur du lecteur, la fierté de ce que nos pères ont accompli dans le passé, engendrant une ferme et sereine confiance dans l'avenir que demain nous réserve. Quoi qu'il arrive, et en dépit de l'abaissement général des mœurs et des caractères, en dépit des bouleversements politiques ou sociaux, on verra toujours surgir du sol français des légions de héros qui, comme Lagneau, se transformeront du jour au lendemain en de vaillants soldats, admirablement disciplinés, faisant simplement et obscurément tout leur devoir, ce devoir humble et caché qui, aux heures du danger, sauve la patrie et suscite les conquérants.
Nous avons eu Waterloo, et au lendemain de Waterloo nous avons vu des hommes qui, par haine politique, se sont acharnés à désorganiser cette armée devant qui tous nos ennemis avaient tremblé et tremblaient encore, et n'ont pas craint d'envoyer devant les pelotons d'exécution ou d'exiler sur la terre étrangère les plus grands noms de l'épopée impériale. Malgré tout cela, nous
avons eu, depuis, nos victoires d'Afrique, de Crimée et d'Italie. Nous en aurons demain encore, et, selon le joli mot de M. H. Houssaye, « les lauriers repousseront aux bois et l'alouette gauloise n'a pas chanté son dernier chant ».
Qu'il nous soit permis en terminant d'adresser nos très sincères remerciements à celui qui a bien voulu nous servir de guide dans la publication de ces mémoires, à M. Frédéric Masson, l'éminent et infatigable historien à qui la France sera un jour reconnaissante de lui avoir, de sa plume magistrale, tout raconté de la vie du grand Empereur.
E. T.
CHAPITRE PREMIER
Enfance. — Etudes. — Collège des Joséphistes de Chalon-surSaône. — Les grammairiens. — L'hôpital de Chalon-sur Saône. — Paris. — Les études médicales. — Les professeurs.
— Bienveillance, puis amitié de Bichat. — Le premier concours d'internat. — Reçu troisième. — Les internes sous l'ancien régime. — L'hôpital des Capucins. — Michel Cullerier. —
Bertin. — Le certificat de capacité et le doctorat. — Reçu à vingt ans. — Thèse. — La conscription. — Les questions du Conseil de santé aux armées. — Le général Carnot. M. Percy. — Départ pour l'armée des Côtes.
Je suis né à Chalon-sur-Saône, dans le duché de Bourgogne, le 8 novembre 1781. Je fus baptisé à l'église SaintJean de Vieille-Maizelle, paroisse de mes parents, qui étaient Simon Lagneau, de Dracy-le-Fort, et Anne Adenot, de Chagny. Je reçus les prénoms de Louis-Vivant.
J'avais un frère aîné et trois sœurs plus jeunes que moi 1.
1 Le frère de Lagneau, Antoine-Simon, fut pendant vingt ans intendant de la reine de Suède, épouse de Bernadotte, et mourut en 1834.
11 s'était marié en premières noces à l'âge de dix-sept ans à Mlle Gaion, de Chalon, nièce du général Poinsot, dont il eut une fille, mariée à M. Vernant, père d'Ernest Vernant, né en 183-1. Il épousa en secondes noces Mlle Eléonore Boisselet, de Paris, première femme de chambre de la reine douairière de Suède, dont il eut un fils, qui mourut à l'âge de six ans.
Une des sœurs de Lagneau épousa un monsieur Petit, une autre devint Mme Corbel, mère du Dr Jules Corbel (1813-1871), qui devint le beaupère du Dr Gustave Lagneau. Un des oncles de Louis-Vivant, François Lagneau, après avoir vécu trente-cinq ans à Paris, se retira à Chalon pendant la Révolution où il fut élu maire et mourut âgé de quatre-
Je fus élevé, comme mes frères et sœurs, avec la plus grande tendresse. Nos parents, modèles complets de moralité et de la probité la plus scrupuleuse, étaient estimés de tous.
La fortune de mon père était des plus modestes, mais elle permit cependant de faire les sacrifices nécessaires pour mon éducation. Je fus en conséquence, à ma sortie des premières écoles, placé chez un grammairien-latiniste, le respectable M. Briotet 1. Je le quittai en 1790, pour rentrer au collège de ma ville natale, tenu par les Joséphistes, qui avaient remplacé les Jésuites peu après leur expulsion. Ces religieux furent renvoyés eux-mêmes par suite des progrès de la Révolution, avec laquelle ils ne sympathisaient guère. On organisa alors presque à l'improviste un collège laïque, pour remplacer les Joséphistes. Peu de temps après, ce nouvel enseignement fut supprimé. Je tâchai d'y suppléer avec les leçons d'un grammairien nommé M. Moreau 2. Malheureusement
vingt-deux ans. Il existe un curieux portrait de lui en officier de la garde nationale de Paris en 1789. Son autre oncle, Claude Lagneau, vécut à Dracy-le-Fort, avec une sœur nommée Nanon, morte à Chalon dans un âge fort avancé. Claude mourut à Dracy, âgé de quatre-vingts ans, étant devenu aveugle dans ses dernières années.
Le grand-père de Louis-Vivant était propriétaire vigneron. Un ancien militaire de la famille, au commencement du xvu" siècle, s'était retiré dans le canton de Touche, et y avait acheté des vignes qu'il exploita et transmit à ses descendants. On retrouve plusieurs tombes des Lagneau dans l'église de Touche, dont ils furent les bienfaiteurs : la plus ancienne porte le nom d'Aubry Lagneau, 1604.
4 11 y eut aussi un Jacques Briotet (1746-1819), premier chirurgien à l'Hôtel-Dieu, puis directeur de l'hôpital Saint-Louis, à Paris, et qui plus tard organisa la Faculté de médecine de l'Université de Wilna.
* Moreau de Chalon, né à Chalon-sur-Saône en 1752, mort vers 1820.
Il fut élu par ses concitoyens membre de la Convention et y vota la mort du roi. En 1795, il fut nommé l'un des commissaires chargés d'examiner la conduite de Joseph Lebon et se prononça pour sa mise hors de cause.
cet instituteur, assez instruit d'ailleurs, se lança dans les clubs et les affaires politiques, de sorte que ses élèves l'abandonnèrent, ses leçons n'ayant plus aucune suite ni aucun bon résultat. Les élèves furent donc laissés à eux-mêmes et le latin, contre lequel les préjugés de l'époque étaient assez prononcés, fut à peu près abandonné.
Sans y renoncer absolument, je me trouvai dès lors dans une position d'isolement qui me permit seulement de ne pas oublier tout à fait le peu que je savais. En attendant des temps meilleurs, je m'occupai de dessin, d'escrime, de danse et de littérature.
A seize ans, en 97, je fus placé à l'hôpital civil et militaire de Chalon-sur-Saône, sous la direction d'un chirurgien habile, le Dr Gauthey. Il alternait comme chef de service avec M. Robert, plus ancien, mais moins au courant de la science, quoique assez bon praticien pour la chirurgie courante. Il ne faisait, pas plus que M. Gauthey, les grandes opérations pour lesquelles il était d'usage de réclamer les lumières et l'expérience des chirurgiens de Lyon.
Il y avait alors à l'hôpital un assez grand nombre de jeunes gens, qui s'exerçaient aux pansements et étudiaient les éléments de la chirurgie dans Dionis 1, pour l'anatomie, et dans Lafaye 2, pour la chirurgie.
1 Pierre Dionis, chirurgien français, né à Paris et mort dans la même ville, le 11 décembre 1718. Son principal ouvrage a pour titre : Cours d'opérations de chirurgie démontrées au Jardin Royal, Paris, 1707 et 17i4. Une nouvelle édition parut en 1736 avec les remarques de La Faye. Son petit-fils, Charles Dionis, mourut à Paris en 1776 après avoir exercé la médecine et publié quelques ouvrages sur le taenia et le rhumatisme.
! Georges de Lafaye, né à Paris et mort dans la même ville à un âge très avancé, le 17 août 1781, auteur des Principes de chirurgie, publiés à Paris en 1739, et plusieurs fois réédités depuis.
Le but de la plupart était de se soustraire à la conscription en se faisant commissionner chirurgien. On obtenait cela assez facilement alors, en demandant des questions au Conseil supérieur de santé des armées ; elles étaient envoyées à la mairie de la résidence de l'élève.
Ils répondaient aux questions, tout à fait élémentaires, sous la surveillance du maire ou d'un officier municipal.
On était peu difficile alors, parce qu'on avait grand besoin d'officiers de santé pour nos armées K Ce n'était pas le but que je voulais atteindre ; je voulais un état, une position stable, et compléter mes études médicales avant d'entrer au service militaire, si j'y étais obligé un jour. Je reconnus bientôt que je ne pouvais que perdre un temps précieux à panser des blessés, de vieux ulcères ou des vésicatoires, sans avoir
On peut juger, par les pièces suivantes, du faible degré d'instruction qui était alors requis chez les candidats. Ceux qui, comme Lagneau, entraient avec le titre de docteur et surtout après l'internat, étaient l'exception.
A Son Excellence le Ministre de la Guerre.
MON SEIGNEUR Suplie très humblement vautre soumis sujet au près de vautre grandeur; comme c'est un jeune homme qui exerce L'ard médical, depuis en viron six ans, s'étant Distingué, dans l'école de Médeçine; ayant concouru en présence des hommes les plus Expérimentés. dans L'ard De même quend présence des magistrats de cette ville : Et le progrès fait dans la Siance, L'on mis en même de se croire assez de connessances et de capacité, pour aucuper une place dans la seconde ou troisième classe, dans quelque hôpital militaire ou embulence ou à la suites des armées. C'est ce qu'il atand de votre Bontéz et entandent qu'il plaise à votre aiminance de lui a corder sa demende il ne sessera d'adresser des veus vers L'éternel pour la conservation De vos Jours qui luy son chers, Tant à Luy qu'a toute la nation française.
Bordeaux le 26 février 1807.
Salut et respec.
JH. BOUZIGUES.
Si son Excellance daigne m'auhonoré d'un mot de réponce mon
étudié la nature des maladies à une meilleure école et je déterminai mes parents à m'envoyer à Paris, pour y suivre les grands maîtres de l'art.
Je partis donc de mon pays dix-huit mois après mon entrée à l'hôpital, c'est-à-dire en fructidor an VI de la République, correspondant au mois de septembre 1799. C'était un grand sacrifice pour mes père et mère que de m'envoyer à quatre-vingts lieues pour y suivre des cours toujours chers et m'y entretenir pendant plusieurs années. Leur avoir, je l'ai dit, était modeste ; mais ils ne reculèrent devant aucune dépense, pour arriver à donner à leur enfant, alors seulement âgé de dixsept ans et demi, les moyens de suivre une carrière utile autant qu'honorable.
J'allai donc à Paris avec la bénédiction de ma famille.
adresse est au sieur Jean Bousigues hors la port Saint-Eutalie n° 2 à Bordeaux.
Note de la main d'Heurteloup : 5 mars 1807.
713 Malgré l'orthographe pitoyable du pétitionnaire, il lui sera envoyé, « vu l'urgence ». des questions auxquelles il sera invité de répondre; elles seront adressées à la municipalité de Bordeaux.
D'une autre écriture : Les questions ont été envoyées le 13 mars 1807.
Admis et porté sur l'état du 20 mai 1807.
(Ces pièces font partie de la belle colleclion de M. Gabriel Cottreau.) A titre de renseignement statistique, on peut ajouter ici que, d'après le rapport de Fauvel au Conseil des Cinq-Cents du 12 brumaire an VI (2 novembre 1797), l'effectif des officiers de santé était de 1400 en 1792, de 2.570 au début de 1793, de 4.000 dans les six derniers mois de la même année, et de plus de 8.000 au début de 1794.
Une autre statistique, dressée par le médecin inspecteur général Dujardin-Beaumetz, nous renseigne sur la valeur opératoire des chirurgiens militaires à la même époque. Sur 148 amputations pratiquées après les batailles de Valmy, Morstatt et Neubourg, il y eut 135 guérisons et 13 décès. Cas chiffres sont absolus, car n'ont été comptés comme guéris que les malades qui ont reçu une pension.
Ma bourse était médiocrement fournie, mais j'avais l'assurance qu'on m'enverrait ultérieurement tout ce dont je pourrais avoir besoin. On me recommanda de me souvenir de la modicité de l'avoir paternel et d'agir selon les exigences de ma nouvelle position, sans rien me refuser du nécessaire, ne retranchant que sur le superflu.
Cette confiance et la liberté qu'elle me laissait me faisaient un devoir d'être circonspect dans ma manière de vivre et d'être d'une économie stricte. En effet, tout en subvenant à mon modeste entretien, à mes dépenses de logement, aux frais de cours, à l'achat des livres qui étaient indispensables, je ne dépensai pendant la première année de mon séjour à Paris pas plus de 750 à 800 francs. J'étais en cela aidé par l'exemple de mon compatriote et condisciple Tisseyre, qui habitait avec moi rue Saint-Jean-de-Beauvais, n° 2, Hôtel de la Providence l, et qui était encore beaucoup moins fortuné que moi.
Je suivis, dès mon arrivée, les cours d'anatomie et de physiologie de Bichat, qui me témoigna toujours de l'intérêt. Là je me trouvais, au début de mes dissections, à la même table que Roux 2, avec lequel je con-
1 La maison vient d'être reconstruite, c'est toujours un hôtel d'étudiants ; elle porte aujourd'hui le no 1 de la rue Saint-Jean-de-Beauvais et le no 51 du boulevard Saint-Germain.
Voir article de Nothing (Intermédiaire des chercheurs et des curieux du 20 juin 1910).
2 Joseph-Philibert Roux (1780-1854) n'avait que quinze ans lorsqu'il partit avec une commission de sous-aide pour l'armée de Sambre-etMeuse ; il vint ensuite étudier à Paris en 1796 et fut l'un des meilleurs élèves de Bichat. Après la mort du maître (1802), il termina la publication de YAnatomie descriptive, dont il rédigea seul le 58 volume. Il fut nommé en 1806 chirurgien de l'hôpital Beaujon. Dès 1810, il était à
tractai une amitié qui ne s'est jamais démentie. Nous nous réunissions tous les soirs, avec notre camarade Bouvenot ', soit chez l'un, soit chez l'autre, pour y rédiger en commun la leçon de physiologie du jour, ce qui durait souvent jusqu'à deux heures du matin. Des réunions semblables avaient aussi lieu pour la mise au net des notes prises aux cours de chirurgie que le professeur Boyer faisait à la Charité.
Bichat avait alors pour répétiteurs son cousin Buisson et son ami Hay, de Joigny près d'Auxerre, et par conséquent compatriote de Roux, qui était de cette dernière ville, où son père était chirurgien de l'hôpital civil.
Par suite de ces rapports, Hay ayant été, à la 2e année de nos études, obligé de retourner respirer l'air natal, pour raison de santé, Roux lui succéda comme prosecteur de Bichat. Cette circonstance le mettant dans la nécessité de lire, au commencement de chaque leçon, la rédaction de celle qui avait précédé, engagea Roux à
l'hôpital de la Charité, adjoint à Boyer dont il avait épousé la fille. En 1820, il succéda à Percy dans la chaire de pathologie externe à l'Ecole de médecine eL professa en outre la clinique à la Charité. Ce fut lui qui imagina l'opération de la staphyloraphie. En 1835, il remplaça Dupuytren à l'Hôtel-Dieu. Il était membre de l'Académie de médecine depuis 1821 et de l'Académie des sciences depuis 1834. L'Almanach impérial pour l'an XIII le mentionne comme associé adjoint de la Société de médecine de Paris, demeurant rue Christine, 5. Malgaigne dit de lui : « Sous la toge du professeur, sous les palmes de l'Institut, il triomphait toujours d'avoir porté l'habit militaire. »
1 Louis-Pierre Bouvenot, frère de l'avocat Pierre Bouvenot, membre de l'Assemblée législative (1746-1833), naquit à Arbois en 1756. 11 fut d'abord soldat, puis embrassa l'état ecclésiastique et devint au commencement de la Révolution l'un des grands vicaires de l'évêque métropolitain de l'Est. Arrêté en 1796, lors d'un complot pour livrer Besançon au prince de Condé, il put s'échapper et se réfugia à Paris, où son ami Corvisart l'engagea à étudier la médecine. Il obtint en peu de temps le grade de docteur et alla exercer son art à Sens, où il mourut le 1er juillet 1830. Il était membre honoraire de l'Académie de médecine depuis le 16 août 18^5.
plus d'application, à des études plus sérieuses, et a probablement tracé le plan de ses études. Il leur donna, dès lors, un but plus élevé que celui qu'il s'était sans doute proposé d'abord : retourner à Auxerre pour y exercer l'art de guérir, comme successeur de son.père.
Cette vocation fut encore confirmée par un événement bien inattendu et bien déplorable, la mort de Bichat, qui survint en 1802, au moment où ce célèbre professeur avait acquis, par ses succès en littérature médicale et comme physiologiste expérimentateur, la plus grande et la mieux méritée des réputations de l'Europe.
Il avait donné la seule édition que nous ayons des œuvres chirurgicales de Dusault, dont il avait été l'élève de prédilection et l'ami. Son premier ouvrage était celui sur la vie et la mort, qui contient les germes de tout ce qu'il a fait depuis d'important en anatomie, en physiologie transcendante. Son anatomie générale n'était même pas terminée au moment où nous avons perdu cet illustre professeur.
Quel serait le successeur d'un homme aussi haut placé dans l'estime des médecins et des élèves ? Telle était la demande que chacun se faisait. Deux personnes, placées près de lui, pouvaient seules prétendre, avec chance de succès, continuer son enseignement, qui était si goûté par les étudiants.
L'un, Buisson, homme très savant, de l'âge de Bichat au moins (il était son cousin), mais dont la timidité naturelle était encore augmentée par certains scrupules, tenant à une éducation religieuse trop puritaine, qui lui faisaient répugner, par exemple, à faire aux élèves
la description des organes de la génération et d'en expliquer physiologiquement les fonctions. Aussi la jeunesse des écoles l'aimait peu, parce qu'elle le regardait comme un homme superstitieux et dépourvu de cette philosophie qui doit distinguer le vrai médecin.
Il n'y avait donc que Philibert Roux qui pût, avec succès, continuer l'enseignement de Bichat. Il était, à vrai dire, encore bien jeune et il eût sans doute désiré lui-même qu'une semblable nécessité ne se fût présentée que quelques années plus tard. Cependant il ne fallait pas hésiter et il se résigna avec courage.
Bichat eut un successeur.
La deuxième année d'études, je me présentai au concours de l'école pratique et j'eus le bonheur d'être admis l'un des premiers. Comme indépendamment de toute la première classe, qui sortait cette année, il y avait encore quelques places restantes dans la deuxième, soit par décès, soit à cause du départ de quelques-uns des titulaires pour l'armée, je fus admis d'emblée à la 2e classe. Ce petit succès m'encouragea.
J'avais, indépendamment de l'anatomie, de la physiologie et de la chirurgie, suivi les cours de chimie et de pharmacie de Fouriron et Deyeux 1 à la Faculté, les cliniques de médecine de Corvisart, à la Charité, de Pinel2 à la Salpêtrière, et celle de chirurgie, tant à l'Hô-
1 Nicolas Deyeux, né à Paris en mars 1745, mort le 25 avril 1837, célèbre par ses études de botanique et de pharmacie.
2 Philippe Pinel, né dans le département du Tarn le 20 avril 1745, mort à Paris le 26 octobre 1826. Il était fils et petit-fils de médecins. Il publia en 1791 le Traité médico-philosophique de Valiénation mentale et fut nommé en 1793 médecin en chef de l'hospice de Bicêtre, puis en 1795 de celui de la Salpêtrière; c'est là qu'il fit paraître, en 1798, sa Nosographie philosophique. Il fut nommé membre de l'Institut en 1803.
tel-Dieu (sous Pelletan1) qu'à la Charité (sous Boyer) et à l'hospice de l'école sous Antoine Dubois 2. J'avais encore suivi le cours de médecine opératoire de Bichat lui-même. C'était une excellente école de bonne chirurgie.
J'avais appris les accouchements au cours particulier du professeur Gardieu 3 Les cours de l'école, excepté ceux de chimie et de pharmacie, étaient peu fréquentés. C'était les profes-
Bichat lui est redevable de plusieurs idées fécondes, ainsi qu'il l'avoue dans la préface de son Traité des membranes.
4 Pelletan (Philippe-Jean), né à-Paris le 5 mai 1747, mort à Bourgla-Reine le 26 septembre 1829. Membre de l'Académie de chirurgie. Chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu. professeur de clinique chirurgicale en 1795. Membre de l'Institut la même année. Chirurgien consultant de l'Empereur. En 1815, professeur de médecine opératoire; en 1818, professeur d'accouchements. Destitué en 1823. C'est lui qui pratiqua l'autopsie de Louis XVII. Il fut adjoint au doyen de la Faculté de médecine pour porter, le 14 avril 1814, l'adresse des professeurs « spontanément réunis à l'occasion du retour en France de la famille auguste de leur ancien souverain ».
* Dubois (Antoine), célèbre accoucheur. Né à Gramat (Lot) le 18 juin 1756, mort à Paris le 30 mars 1837. Il fit ses études à Paris, fut reçu maître en chirurgie en 1791 et succéda à Sue comme professeur au Collège royal de chirurgie. En 1792 il fut nommé aide-major à l'armée des Pyrénées, mais il n'accepta pas « étant employé à l'enseignement de l'anatomie ». En juillet 1793, il était aide-major à Melun et trois mois après fut nommé membre du Conseil de santé. Chirurgien en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales en 1794, il prit part à l'expédition d'Egypte, mais rentra en France avant la fin de la campagne, sur sa demande. En 1802, il fut chirurgien de la maison de santé qui porte son nom. Nommé médecin consultant de l'Empereur, la notification lui en fut faite par une lettre de Daru, datée de Berlin le 17 juin 1808.
En 1810, il succéda à Baudelocque dans la maison d'accouchements, Il était baron de l'Empire. Professeur à la Faculté de médecine de Paris, il fut destitué en 1822, rappelé en 1829 et nommé doyen l'année suivante. Il était membre de l'Académie de médecine dès sa fondation.
3 Gardieu (Claude-Martin), docteur en médecine et accoucheur, rue Montmartre, 137, division du Mail, déclara à la mairie du 30 arrondissement de Paris, le 22 octobre 1811, la naissance d'un enfant né chez lui : Charles-Auguste-Louis-Joseph Demorny, qui fut plus tard le duc de Morny.
seurs particuliers d'anatomie, de physiologie, de médecine opératoire et d'accouchement dont l'enseignement médical était le plus efficace.
J'avais travaillé en conscience pendant trois ans, forçant ma mémoire, assez paresseuse, à retenir tout ce que j'avais à lui confier, lorsque je pris le parti de passer un hiver tout entier dans ma famille. Je voulais me préparer aux examens de réception, au certificat de capacité, le titre de docteur n'ayant pas encore été établi. J'avais aussi en vue d'épargner à mes parents les dépenses d'une demi-année de séjour à Paris. Je partis pour Chalon dans l'automne de 1801, emportant mes livres et les cahiers de mes cours. Ce fut alors que je vis M. Guénau de Mussy, qui exerçait la médecine dans ma ville natale, d'où il fut peu après appelé à Paris par son oncle, le professeur Hallé 1, chargé des cours d'hygiène et de physique médicale à la Faculté. Il a fait un fort beau chemin comme médecin d'hôpital, comme académicien et comme homme honnête et consciencieux. Il était lié avec Tisseyre, mon condisciple et camarade de lit de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, qui revenait de Paris pour prendre un rang distingué parmi les praticiens de Chalon. Il se livra avec succès à la chirurgie, plus particulièrement, comme émule de notre
* Hallé (Jean-Noël), né à Paris en 1754, mort à Paris en 4822. Fils et petit-fils de peintre, il commença ses études à Rome, où son père était directeur de l'Ecole française de peinture.
Docteur régent, il fut professeur d'hygiène publique et de physique médicale. Très lié avec Lavoisier, il sollicita sa grâce.
Médecin ordinaire de l'Empereur, médecin particulier de la princesse Pauline, qu'il accompagna en Italie, il introduisit dans ce pays la pratique de la vaccine. Aussi charitable qu'érudit, il fut toujours le médecin des pauvres.
premier maître Gauthey et plus tard comme son unique successeur.
Revenu à Paris après six mois, je me remis à suivre les cours et surtout les cliniques. Un peu enhardi par mon petit succès au concours de l'école pratique, je me hasardai à me porter candidat à celui d'interne aux hôpitaux, qui, pour la première fois, était ouvert à la rentrée de l'an X (1801) pour entrer en fonctions le 1er brumaire de cette année.
Depuis longtemps on réclamait l'établissement des concours pour l'obtention de ces places très recherchées avec raison. Elles avaient toujours été données à la faveur et souvent aux plus hautes sollicitations, sans avoir trop égard aux droits des anciens internes, ni au degré d'aptitude et d'instruction de ceux auxquels on les accordait. Il résultait de là qu'on n'avait pas, à beaucoup près, l'élite des jeunes médecins pour remplir ces fonctions, et que la plupart de ces sujets,.. bien ordinaires, les considéraient comme leur bâton de maréchal. Ces places n'avaient pas de durée fixe, il en résultait qu'elles devenaient à vie. Celui qui en était pourvu faisait de la chirurgie dans Paris, avec le seul titre de chirurgien de l'Hôtel-Dieu, ou de tel ou tel autre hôpital. Le nouvel ordre de choses présentait, au contraire, un but honorable d'émulation pour les étudiants laborieux, qui avaient dès lors la perspective de pratiquer dans les hôpitaux, pendant au moins quatre ans, sous la direction des plus grands maîtres.
L'ordonnance ministérielle qui établit le concours pour l'internat en institua aussi pour l'externat et arrêta, en principe, que les externes ainsi reçus par un concours
de 1er degré seraient seuls en droit de se présenter à l'internat. Mais comme cette première année il n'y avait pas encore eu de concours pour les externes, on avait décidé que, pour cette fois seulement, tous les étudiants indistinctement auraient la faculté de concourir. C'était une ère nouvelle pour la carrière des élèves laborieux.
Je me fis donc inscrire pour ce concours, quoique je n'eusse jamais appartenu à aucun hôpital de Paris, comme externe. Un de mes compatriotes, Alin, qui était depuis sept ans en possession du tablier d'externe à l'Hôtel-Dieu et que de cruels passe-droits avaient déjà bien découragé, se présenta aussi comme un nouveau venu. Il ne pouvait plus rien attendre de la faveur qui l'avait leurré pendant si longtemps ; il ne compta plus que sur lui-même ; et il avait bien raison, car il était très instruit et capable sous tous les rapports.
J'avais encore à ce concours, comme condisciple courant la même chance, Bayle 1, qui s'est fait remarquer si honorablement depuis comme savant praticien, surtout dans ses travaux pour les affections de poitrine.
Nous étions ensemble à la clinique interne de la Charité, et faisions partie de la Société d'instruction médicale, qui était patronnée par Corvisart et dirigée par le professeur Leroux2. Laënnec était aussi membre de la
I Bayle (Gaspard-Laurent), né au Vernet (Basses-Alpes) en 1774, mort en 1816. Etudia d'abord la théologie, puis le droit et fut reçu avocat. Il commença la médecine à Montpellier et entra au service de santé sous Desgenettes à l'armée du Midi.
Il reprit ensuite ses études à Paris, fut médecin titulaire à la Charité en 1807 et médecin par quartier de l'Empereur. En 1810, il avait écrit un remarquable ouvrage intitulé : « Recherches sur la phtysie pulmonaire ». Dans l'Almanach impérial pour l'an XIII, il figure avec la mention : aide d'anatomie à l'Ecole de médecine, rue de l'Observance.
2 Dans Y Almanach impérial pour l'an XIII, Leroux figure parmi les
même société, qui avait pour objet d'exercer les élèves à interroger les malades, à suivre leur traitement et à faire des mémoires à consulter, qu'on lisait en séance, et l'on chargeait un membre d'y répondre.
Le concours fut ouvert à l'administration des hôpitaux, au parvis Notre-Dame. Il y avait 125 concurrents, mais seulement 24 places à donner.
Je me présentai et répondis avec assez d'aplomb et de sang-froid. J'étais bien frais émoulu et bien au courant de toutes les matières sur lesquelles on devait nous interroger, et l'on ne parut pas mécontent. Je fus nommé troisième sur la liste des candidats heureux
Cette place, en effet, n'était pas mauvaise, car elle indiquait la valeur relative des candidats reçus. Le jury avait déclaré, conformément à l'arrêté du ministre, que la liste les présenterait par ordre de mérite, et que, d'après elle, les nouveaux internes seraient placés, les six premiers à l'Hôtel-Dieu, l'hôpital le plus envié ; les quatre suivants, à l'hôpital de la Charité, et les autres dans les établissements plus éloignés du centre de la ville, ou les moins importants sous le rapport de l'instruction qu'on pouvait y acquérir.
Le premier en tête de la liste était mon compatriote et ami Alin, dont j'ai parlé plus haut; le deuxième était Hay, reconnu comme un des plus grands piocheurs et des meilleurs élèves de l'École de médecine. Ma position
médecins de l'ancienne Faculté de médecine de Paris et demeure rue de Verneuil, faubourg Saint-Germain, au coin de la rue Sainte-Marie.
1 Les divers annuaires publiés très ultérieurement portent Lagneau quatrième et non troisième comme il le dit. Malgré de longues recherches à l'Assistance publique, il n'a pas été possible de trouver la liste officielle.
n'était donc pas mauvaise, et je me trouvais forcément appelé à l'Hôtel-Dieu. Chacun m'en faisait compliment.
Je fus particulièrement félicité par Giraud 1, le chirurgien au service de Pelletan (qui depuis a été chirurgien du roi de Hollande), un jour que je dînais avec lui chez Bichat. Fort d'un droit si bien acquis, je ne fis aucune démarche et attendis le moment d'entrer en fonctions.
Je devais être averti par un ordre de service venant du conseil général des hôpitaux.
Je reçus la pièce officielle, mais, ô surprise! mon ordre était pour les Capucins.
Une petite intrigue avait été ourdie pour faire mettre à ma place un jeune homme (je crois le vingt-quatrième et dernier de la liste) ; ses parents avaient agi auprès de M. le Dr Lepreux, récemment nommé 1er médecin de l'Hôtel-Dieu2. Ils désiraient que leur fils fût placé sous ses yeux. Le Dr Lepreux se refusa d'abord à faire une injustice au détriment d'un élève quelconque, tous ayant obtenu leur place au concours, et les premiers ayant toujours le droit de revendiquer les avantages qui leur étaient assurés par leur numéro de classement. Enfin on revint
1 Bruno Giraud, chirurgien, élève de Desault, né à Dompierre (Mayenne), étudia la chirurgie à Paris et se rendit célèbre par ses opérations des yeux. En 1806, il devint premier chirurgien du roi LouisNapoléon en Hollande et enseigna l'anatomie et la chirurgie à l'Académie d'Amsterdam. Il revint ensuite à Paris et devint médecin de l'HôtelDieu. Il mourut le 15 janvier 1811, après avoir publié des ouvrages sur l'opération césarienne et la chirurgie clinique. Dans l'Almanach impérial pour l'an XIII, il figure comme chirurgien adjoint de l'Hôtel-Dieu.
! Dans le Dictionnaire des médecins, chirurgiens et pharmaciens français, légalement reçus, avant et depuis la fondation de la République française, publié sous les av-spices du gouvernement, Paris, Moreau, an X. 610 + 32 + 36 p. in-8o, Lepreux est signalé comme membre de la Société de l'Ecole de médecine. Dans l'Almanach impérial pour l'an XIII, il est mentionné comme médecin en chef de l'Hôtel-Dieu.
si souvent à la charge (les parents étaient de ses amis) qu'il consentit à voir si, sur la bienheureuse liste, il n'y aurait pas quelque nom bien obscur qu'on pût déplacer pour y substituer celui de son protégé.
Les uns étaient d'anciens externes, connus de l'administration, il ne fallait pas y songer ; d'autres s'étaient fait appuyer et étaient, de plus, recommandés par de gros bonnets, professeurs en médecine haut placés.
J'aurais pu facilement me prévaloir de la protection de Corvisart, de Leroux et de quelques autres notabilités, mais je m'en étais abstenu, croyant la chose inutile, à raison des preuves dont faisait foi le concours. J'eus tort, et lorsque je réclamai, il n'était plus temps. Le vieux Duchanoy 1, l'un des administrateurs qui s'occupait le plus de ce qui avait rapport au personnel du service de santé, me dit que le Conseil étant en vacance, il ne pourrait être rien décidé sur cette affaire, dans laquelle j'avais tout droit, mais qu'il m'engageait à me rendre aux Capucins, se faisant fort, dès qu'un des anciens internes sortirait (ce qui devait être pour quelques-uns après six mois seulement), de me faire réintégrer à l'HôtelDieu, pour peu que je le désirasse encore.
Il était effrayé du projet que J'avais d'adresser une pétition au ministre lui-même, pour réclamer mon droit, en lui faisant connaître le cas qu'on se permettait de faire, dans le Conseil, des arrêtés qu'il jugeait à propos
1 Duchanoy (Claude-François), né à Vauvilliers (Haute-Saône) en 1742, mort à Paris en 1827. Docteur régent de l'ancienne Faculté de médecine de Paris, il fut, à la fin du XVIII" siècle, nommé administrateur des hôpitaux civils de Paris et se consacra entièrement à son nouvel emploi auquel il apporta de très grandes améliorations. Président du Comité de vaccine qu'il contribua beaucoup à propager en France.
de prendre. C'était l'intérêt des élèves, dont ces injustices pouvaient tuer l'émulation.
Il m'expliqua comment le Dr Lepreux avait obtenu du chef de bureau des hospices le changement dont je me plaignais. N'ayant pas donné signe de vie depuis le jour du concours jusqu'à celui de l'expédition des lettres de service et mon nom n'ayant pas encore figuré sur les registres, ni comme externe, ni à aucun autre titre, il avait cru que le changement ne tirerait pas à conséquence.
Je me résignai donc, tout en me proposant de ne pas m'en tenir là pour longtemps, et fus me présenter au bon Michel Cullerier 1 dont j'avais déjà suivi un cours, et qui me reçut avec beaucoup de bienveillance, et m'annonça qu'il avait eu connaissance du tour qui m'avait été joué, mais qu'il ferait tout son possible pour me faire oublier cet ennui.
En effet, je n'eus qu'à me louer de ses procédés pendant tout le temps de mon séjour dans l'hôpital. Après
1 Cuillerier (Michel), connu sous le nom de Cullerier oncle.
Né à Angers en 1758, mort à Paris en 1827. Membre de l'Académie de médecine en 1821. Etait chirurgien en chef de l'hôpital de Bicètre lorsqu'on vint y faire, sur des cadavres humains et sur des moutons vivants, des expériences sur la guillotine, que le chirurgien Louis venait de faire construire par le menuisier Clairin. A ce sujet Louis écrivit à Cullerier, le 12 avril 1792 : « Le mécanicien, Monsieur, chargé de la construction de la machine à décapiter ne sera prêt à en faire l'expérience que mardi. Je viens d'écrire, à M. le Procureur général syndic, afin qu'il enjoigne à la personne qui doit opérer en public et en réalité, de se rendre mardi à dix heures, au lieu désigné pour l'essai.
J'ai fait connaître au Directoire du département, avec quel zèle vous avez saisi le vœu général sur cette triste affaire. Ainsi donc à mardi, pour l'efficacité de la chute du couperet ou tranchoir; la machine doit avoir quatorze pieds d'élévation. D'après cette notion vous verrez si l'expérience peut être faite dans l'amphithéâtre, dans la petite cour.
Je suis de tout cœur, Monsieur, le plus dévoué de vos obéissants servileurs. Louis. »
deux mois, je fus obligé de passer comme interne en médecine dans le service des nourrices et des infirmeries, alors confié au médecin de la maison, le Dr Bertin qui m'avait réclamé.
Je n'en continuais pas moins à être au mieux avec M. Cullerier et à fréquenter ses salles et même sa maison, où j'étais parfaitement accueilli, étant en outre souvent convié à dîner et à jouir de sa campagne de Soulin, près Brunoy.Le service des infirmeries et des nourrices me convenait du reste à merveille ; car mon chef Bertin, hypocondriaque et valétudinaire, étant souvent retenu chez lui, je me trouvais seul chargé des visites.
J'avais l'occasion de voir, avec les affections syphilitiques, les maladies aiguës ou chroniques qui venaient les compliquer, d.e sorte que je ne perdais pas l'habitude de faire de la médecine générale tout en faisant la spécialité de l'hospice. J'avais aussi la faculté de faire beaucoup d'accouchements dans le département des nourrices, ce qui ajoutait encore aux moyens d'instruction que je recherchais par-dessus tout. Avec cela, j'étais presque chef de service et ce n'était pas mal débuter dans la carrière.
1 L'anatomiste Exupère-Joseph Bertin (1712-1781), médecin à Rennes, puis docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1741, fut élu membre associé de l'Académie des sciences en 1744. Il publia en 1754 son Traité d'ostéologie et laissa inachevé un Traité d'anatomie. Son fils, René-Joseph-Hyacinthe Bertin (1757-182?), servit en 1792 dans l'armée des côtes de Brest, puis dans celle d'Italie. En 1798, il fut chargé, en qualité d'inspecteur général, du service de santé des prisonniers français en Angleterre : puis il fut nommé médecin en chef de l'hôpital Cochin et de celui des vénériens, à Paris. Il figure en cette qualité dans l'Almanach impérial pour l'an XIII et demeure rue Saint-HyacintheSaint-Michel, no 19. En 1807, il fut médecin des armées françaises en Prusse et en Pologne.
Bertin, d'ailleurs, était un très excellent homme et nous nous accommodions fort bien ensemble ; il m'aidait de ses conseils d'une manière très bienveillante, surtout pour la manière de me conduire dans les complications de la syphilis avec des affections intermittentes, aiguës ou chroniques.
Ma position était aussi excellente avec le bon M. Cullerier. Il était plus fort et plus expert encore que son collègue, et ne me refusait aucun renseignement, aucune communication d'auteurs dont je pouvais avoir besoin ; ce qui m'arrivait à chaque instant.
En effet, désireux de m'instruire, je l'étais tout particulièrement de connaître les maladies vénériennes, et cela pour un motif bien naturel. A peine arrivé dans mon service, livré souvent à moi-même, j'avais consulté tous les écrivains sur la matière, et je ne trouvais dans aucun tout ce que je désirais ; pas même dans les plus modernes, tels que Swidianer, Astruc, Clare, Lombard, Hunter, etc.
Les traitements les plus usuels manquaient de détails, de précision, de clarté. C'était de mauvais guides, des guides incomplets tout au moins. Il résulta de là que, loin de songer à retourner à l'Hôtel-Dieu, je préférais rester à l'Hospice du Midi, où je voyais la faculté de faire moi-même un nouveau traité élémentaire, bien simple et bien pratique, de la maladie vénérienne et de son traitement, tant dans son état simple, que dans ses complications. C'était un vade-mecum que je destinais à mon propre usage et que peut-être je pourrais présenter comme thèse pro doctoratu rite obtinendo, car je songeais déjà à passer mes examens pour obtenir ce grade.
J'en avais subi plusieurs, et au moment où fut promulguée la loi du 11 ventôse an XI, qui établissait le nouveau mode de réception, j'étais inscrit à l'Ecole pour une thèse, déjà présentée et acceptée; aussi le 14 prairial an XI (3 juin 1803), quoique sous la nouvelle loi, je soutins ma thèse conformément à l'ancienne mode, comme Richerand Caillot, Noël, Roux, Husson2, Fouquier, sous format in-8°.
Je travaillais donc avec ardeur et, pour le faire avec plus de facilité et de loisir, je mis en tête à mes collègues, les internes de la maison, de demander à l'administration des hôpitaux de consentir à ce que nous fussions nourris dans l'hôpital, afin de pouvoir y faire un service plus régulier. Le centre de la ville, où nous pouvions aller prendre nos repas, nous forçait à une perte de temps très grande. Notre demande fut accordée, moyennant
1 Richerand (Anthelme-Balthazar), né à Belley (Ain) en 1779, mort à Paris en 1840, fils d'un notaire. Professeur de pathologie chirurgicale à la Faculté de Paris. Transforma l'hôpital Saint-Louis en ambulance et, aidé de Béclar, soigna les blessés _en 18J4. Anobli en 1815.
chevalier de Saint-Louis en 1819, baron à titre personnel en 1829, titre qui fut confirmé à ses descendants par Napoléon III en 1864.
4 Henri-Marie Husson, né à Reims le 25 mai 1772, fit ses études au collège de Laon, puis au collège Louis-le-Grand à Paris, étudia la chirurgie sous Desault, devint en 1792 chirurgien sous-aide à l'armée française de Hollande, fut nommé aide-major l'année suivante, quitta le service en 1794 et revint à Paris. Il fut nommé en 1799 sous-bibliothécaire de l'Ecole de santé, en 1800 secrétaire du Comité de vaccine et médecin à l'hôpital de vaccination et des dispensaires. (11 figure en cette triple qualité dans l'Almanach impérial pour l'an XIII.) En 1806, il fut nommé médecin à l'Hôtel-Dieu, en 1809 médecin au lycée impérial. Ce fut lui qui vaccina en 1811 le Roi de Rome. Il se signala en 1814 par sa belle conduite durant une épidémie de typhus qui sévissait parmi les soldats malades à l'hôpital de la Pitié. Il mourut en 1853, après avoir édité quelques ouvrages de Broussais, publié des rapports et notices sur la vaccine, ainsi qu'une Notice historique sur la vie et les ouvrages de F.-X. Bichat, Paris, 1802.
la retenue annuelle de 300 francs sur les 500 francs auxquels nous avions droit.
Je me pressais d'autant plus à me faire recevoir docteur, que je voyais approcher le moment de la conscription, et je ne savais comment je m'en tirerais. Il me semblait qu'il serait toujours avantageux pour moi d'avoir un titre et ma position faite. Ce ne pouvait que m'être un bon motif de recommandation partout où les événements pourraient me conduire.
Le bon Cullerier avait mis sa bibliothèque à ma disposition ; il ne m'épargnait pas les conseils que je pouvais lui demander. J'avais, du reste, pour me distraire du travail du cabinet, une position doublement avantageuse, tant sous le rapport de l'instruction pratique et professionnelle, que sous celui des intérêts pécuniaires.
Son neveu *, alors encore occupé d'études de latinité, n'était, quoique interne, pas encore avancé en médecine ni assez libre de son temps pour aider et suppléer son oncle auprès des malades qu'il avait en ville.
Cette mission me fut proposée, et je l'acceptai avec reconnaissance. J'y joignis bientôt celle de remplacer Cullerier dans son propre cabinet toutes les fois qu'il s'absentait pour aller à sa campagne, dont il s'occupait beaucoup, ou bien lorsqu'il était indisposé. Dans ces conditions, il me donnait la liste des malades à aller voir et mettait son cabriolet à ma disposition. Cette marque
4 Cullerier (François-Guillaume-Aimé), né à Angers en 1782, mort à Paris en 1841. Chirurgien aide-major au 22e chasseurs, fut réformé pour infirmité en 1805, et vint rejoindre son oncle, attaché à l'hôpital des vénériens. Il devint membre associé résident à l'Académie de médecine.
de confiance me flattait et m'encourageait au travail; elle n'a probablement pas peu contribué à me faire prendre des allures graves, ne voulant pas que ma jeunesse présentât trop de disparate avec la figure bonne, mais assez sérieuse du maître que je remplaçais. Je désirais qu'on me supposât l'âge que paraissaient réclamer les fonctions que j'étais appelé à remplir auprès de malades de toutes classes, mais surtout auprès de gens de la haute société, dont je voulais mériter la confiance, ne fût-ce que temporairement.
J'obtins enfin mon certificat de capacité après avoir soutenu ma thèse, ayant pour titre : Exposé des différentes méthodes de traitement de la maladie vénérienne, le 14 prairial an XI (3 juin 1803).
Ce certificat de capacité, qui était le seul titre légal qui eût été donné depuis la suppression de l'ancienne Faculté de médecine et du Collège de chirurgie, devait, d'après la nouvelle loi qui venait d'être publiée sur l'enseignement médical, être échangé contre un diplôme de docteur en médecine ou de docteur en chirurgie, ad libitum.
Les examens subis, ainsi que les études exigées depuis la suppression des anciennes facultés, n'avaient fait aucune distinction sous ce rapport. On obtint la faculté d'exercer l'art de guérir en général (médecine, chirurgie et accouchements), dans toute la République. Les examens étaient aussi rigoureux pour une de ces branches de notre art que pour les autres.
Comme j'avais déjà commencé à subir mes examens au moment où la nouvelle loi parut, l'échange de mon titre contre celui de docteur n'était plus que facultatif,
et on y avait ajouté seulement une condition fiscale, le payement de 500 francs.
J'avais atteint mes vingt ans le 8 novembre 1802, et par conséquent j'étais susceptible d'être appelé comme conscrit. Cette année-là, qui correspondait à l'an XI de la République, le contingent ne fut pas demandé.
Je m'en félicitais bien vivement, espérant, avec toute l'inexpérience de mon âge, qu'on ne songerait pas à nous appeler quand l'année serait écoulée. Cependant il n'en fut rien, et en 1803 (an XII), nous fûmes tous avertis, ceux des deux années, de nous tenir prêts à partir.
Ma position devenait difficile; si je partais, adieu mes rêves d'avancement dans la carrière des hôpitaux de Paris, puisque mon titre d'interne et bien plus encore celui de docteur ne pouvaient me dispenser d'obéir à la loi.
D'un autre côté, la fortune de mes parents ne leur permettait guère de me faire remplacer comme soldat, moyennant 5 à 6.000 francs, et peut-être 10.000 et plus, ainsi que cela se voyait faire tous les jours. Je pris donc le parti de tâcher de me faire admettre dans l'armée en qualité de chirurgien de 3e classe (sous-aide-major).
J'avais depuis longtemps déjà répondu, au Conseil de santé des armées, à des questions que j'avais demandées, pour, en cas de besoin, être en mesure de me faire commissionner. Plusieurs fois même, j'avais vu le général Carnot, frère du ministre de la guerre, auquel son frère, le président du tribunal de Chalon, m'avait recommandé ; mais rien ne m'arrivait et le temps devenait pressant, et je ne voulais pas partir comme soldat, dans la crainte de perdre mon état et le fruit de quatre années
d'études. Force me fut donc d'aviser à un autre expédient, Je me présentai avec mon diplôme et ma thèse à M. Percy 1, inspecteur général du service de santé, que je savais assez disposé à favoriser l'admission dans l'armée des jeunes gens ayant quelque instruction. Il m'accueillit fort bien et me promit de s'occuper de ma demande sans aucun retard, vu l'urgence.
D'autre part, Michel Cullerier, dont le neveu, mon collègue à l'hôpital, était aussi conscrit, nous adressa l'un et l'autre, avec des lettres très pressantes, à Heurteloup 2 et à Larrey, les deux autres inspecteurs, lesquels promirent de ne pas oublier notre affaire. Et en
1 Le baron Pierre-François Percy, né à Montagney en Franche-Comté, le 28 octobre 1754, mort à Paris le 18 février 18255, était fils d'un chirurgien militaire. D'abord aide-chirurgien à la gendarmerie de Lunéville, il fut nommé en 1782 chirurgien dans le régiment de Berri-cavalerie. Dès 1790, l'Académie lui donna le titre d'associé. Placé en 1792 à la tête du service de santé aux armées de la Moselle, de Sambre-etMeuse et du Rhin, il établit les hôpitaux militaires de Mayence, et organisa, de concert avec Larrey, ce corps mobile de chirurgiens qui pansaient les blessés sous le feu même de l'ennemi. Attaché à la Grande Armée, il fit toutes les campagnes de l'Empire, sauf celles de Russie et de Saxe, pendant lesquelles il souffrait gravement d'une ophtalmie. En 1814, après l'entrée des alliés à Paris, il se mU à la tête du service des malades et blessés étrangers, dont douze mille étaient sans asile. Après Waterloo, il perdit sa place d'inspecteur général du service de santé et celle de professeur à la Faculté de médecine de Paris. Il était membre des Académies de médecine et des sciences et avait reçu en 1809 le titre de baron de l'Empire.
Nous publierons en note et à leur date quelques lettres de lui à Lagneau qui témoignent de la très grande estime qu'il avait pour son subordonné.
* Heurteloup (Nicolas), né à Tours le 26 novembre 1750, mort en 1812.
Débuta en Corse le lor avril 1768 comme élève ou sous-aide chirurgien.
Chirurgien major de l'hôpital militaire de Bastia en 1781. Fut nommé chirurgien major en chef de l'hôpital d'instruction de Toulon et par brevet du 7 avril 1792 chirurgien consultant de l'armée du Midi.
Un brevet du quatrième jour complémentaire de l'an VIII était conçu en ces termes : « Bonaparte, Premier Consul de la République, prenant entière confiance dans la capacité et la bonne conduite du citoyen Nicolas Heurteloup, l'a nommé à l'emploi de premier chirurgien des
effet, soit de leur fait ou de celui de Percy, nos commissions furent expédiées en date du 17 vendémiaire an XII (10 octobre 1803) pour les ambulances de l'armée des Côtes, destinée à opérer une descente en Angleterre.
Notre destination était pour Ostende, où se trouvaient deux divisions, faisant la droite du camp de Boulogne.
J'étais donc sauvé de porter le mousquet ; mais quel triste regard je portais en arrière ! Forcé d'abandonner une place des hôpitaux, ma position si douce, si encourageante pour mon avenir, auprès de M. Cullerier ; de renoncer aux rêves que j'avais faits, de conquérir, à force de travail et de bonne conduite, une position indépendante ! Je ne m'apprêtais pas à quitter tout ce que j'avais déjà et toutes mes illusions d'avenir sans un chagrin profond.
armées, membre du conseil de santé, pour en remplir les fonctions sous les ordres direcLs du Ministre de la guerre. »
Par décret semblable du même jour, Coste était nommé premier médecin.
De septembre 1806 à juillet 1807, Heurteloup examine les candidats chirurgiens sous-aides et en admet 402.
En 1808, il remplace Percy à la Grande Armée, mais demande à rentrer pour cause de santé. Baron de l'Empire. Officier de la Légion d'honneur.
Au moment de sa mort, il avait 10.000 francs d'appointements. Sa veuve, née Delagrange-Desbois, obtint une pension de retraite de 2.000 francs, dont elle se déclara très satisfaite.
CHAPITRE II
L'hôpital. — Détaché pour faire fonctions de chirurgien major au 21e léger, au camp d'Ostende. — Physionomie du camp — Les Egyptiens, les Coptes et les Abyssins au 21e léger.
— Organisation d'une société d'instruction médicale.
Je pars de Paris pour Ostende 1, le 25 vendémiaire an XII (18 octobre 1803) et y arrive le 30 (23 octobre), après avoir passé par Arras, Lille, Bruxelles 2, Gand 3 et Bruges 1..
A Arras, qui était la première ville que je voyais où l'on brûlât du charbon de terre, je fus frappé par une odeur alliacée répandue partout. Je crus devoir l'attribuer à ce que le charbon dont on faisait usage contenait de l'arsenic'
De Gand à Bruges, nous allons en barque sur un grand canal.
A une demi-lieue dans les terres, se trouve le sas de Schliken, écluse qui préserve le pays de la submersion pendant les grandes marées. Au commencement du
1 Ostende faisait alors partie du département français de la Lys.
2 Chef-lieu du département de la Dyle.
3 Chef-lieu du département de l'Escaut.
4 Chef-lieu du département de la Lys.
Il Lagneau insère ici une foule de détails géographiques sur Arras, Lille, Courtrai, Bruxelles, Gand, Bruges, Ostende, etc.
séjour des Français à Ostende, en 1793, les Anglais vinrent à la pointe du jour pour détruire cette écluse, ce qui eût été une mauvaise action dont ils ne pouvaient tirer aucun profit, militairement parlant. Dès que les habitants s'aperçurent de leur intention, ils en prévinrent la garnison d'Ostende, composée seulement d'à peu près 400 Français (infanterie) ; ils courent sus aux Anglais, qui étaient au nombre de 1.600, y compris un fortbataillon de la garde royale, les repoussent, en forcent une partie à se rembarquer et ramènent les autres, au nombre de 800, comme prisonniers. Les Ostendiens étaient émerveillés de ce fait d'armes et rougissaient pour les Anglais du résultat de leur tentative.
Le port d'Ostende s'ensable de jour en jour par le fait des marées, ainsi que la plupart de nos ports de la Manche, tandis que ceux d'Angleterre restent toujours libres et très profonds. Le Premier Consul, qui vient de se faire proclamer Empereur, ou qui s'est proclamé lui-
même, a donné des ordres pour contruire une écluse de chasse au fond du port, afin de repousser en pleine mer le sable qui l'encombre, en retenant, dans cette écluse, les eaux de la mer pendant les grandes marées. On ne les lâchera qu'aux marées bassesl.
Il est de fait que le port s'ensable bien promptement, et la preuve, c'est que les habitants nous ont assuré que, lors de l'arrivée première des Français dans leur ville, il y avait une frégate anglaise retenue par les vents contraires
Quelques jours avant, Bonaparte écrivait à Davoust, commandant le camp de Bruges : « Je vous recommande par-dessus tout la santé des troupes. Si on les place dans des lieux malsains, l'armée se fondra et se réduira à rien. C'est la première des conditions militaires. » 5 vendémiaire an XII. (Corresp. IX, n° 7.139.)
et les basses marées et qu'elle y fut prise ; or cette frégate tirait 24 pieds d'eau, et à présent les vaisseaux qui tirent plus de 10 pieds ne peuvent entrer dans le bassin.
Il y a surtout au delà du goulet du port, un peu plus loin que le fort du Mussoire, qui avance assez en mer, une barre de sable qui est très forte et pourrait bien même n'être pas entraînée par les efforts des eaux lancées de l'écluse de chasse qu'on se propose d'établir.
Je suis logé chez un honnête homme nommé M. Hulman, Danois de naissance et capitaine du port, c'est-àdire chef du pilotage. Il a une femme et deux enfants, un fils de mon âge, qui regrette les Anglais et le commerce qu'ils faisaient avec son pays, et une fille de trente ans, qui ne regrette, je crois, que de ne pas avoir un mari. C'est, du reste, une excellente personne et ses parents de bien bonnes gens. Je suis resté six mois chez eux, toujours bien content de leurs procédés envers moi.
Je loge avec Cullerier.
Nous mangeons dans une pension, à l'Hôtel de VAigle impérial, chez M. Van Hus. Nous y sommes bien traités et pas trop cher. Notre table est le point de réunion de beaucoup d'officiers de santé, d'employés de l'administration militaire, d'officiers d'état-major. Parmi les premiers, dont plusieurs sont venus de Paris en même temps que moi, sortant également des hôpitaux, se trouvent mon ami Cullerier, Moizin t, Barbarin, etc. Nous avons
Moizin (Claude-Joseph), né à Bagé-le-Chàtel (Ain) le 21 octobre 1782.
Fils d'un maître en chirurgie, fut reçu huitième à la première promotion de l'internat en 1803. Sa thèse était : Observations et réflexions sur les effets d'un coup de pistolet tiré dans la bouche. Débuta comme chirurgien de 3* classe aux établissements hospitaliers de la 16" et 24* division en 1803. Il était aide-major au 94* de ligne, lorsqu'en 1807 il fut nommé médecin ordinaire de la Grande Armée. Il se signala en Espagne
avec nous aussi le chirurgien de lre classe Gouraud i, chargé du service de l'hôpital, auquel nous sommes attachés pour la plupart, Duri pour aide-major, et médecin, le Dr Sotira 2 de l'Université de Catane, servant en France depuis bien des années; Le chirurgien principal est M. Lacoste, dont Moizin est le secrétaire, le médecin principal M. Chambon et le pharmacien M. Boudet3, père de notre collègue de l'Académie impériale de médecine.
Après un mois passé, pendant lequel j'étais très assidu
par son dévouement dans les épidémies de typhus. Il était au Comité de visite de Bayonne en 1814 et, pendant les Cent-Jours, fut nommé médecin principal au 8° corps. A la Restauration il eut à souffrir de dénonciations politiques, pour propos qu'il aurait tenus au retour de l'Empereur. Nommé médecin ordinaire adjoint aux professeurs de clinique médicale à l'hôpital militaire de Metz, il y resta jusqu'en 1839; il était alors médecin principal premier professeur. Il fut ensuite appelé au Conseil de santé des armées. Il fut retraité en 1848 étant commandeur de la Légion d'honneur. Il mourut à Metz le 2 septembre 1849. On a de lui un Eloge de M. Rampont, 1S3;2, et un Discours prononcé aux obsèques du baron Larrey, 1842.
1 Gouraud (Vincent-Olivier), né à Cholet (Vendée) en 1772, mort en 1848.
Professeur d'anatomie à l'hôpital d'instruction militaire de Milan en 1802, chirurgien major au 9° régiment d'infanterie légère en 1804, fut nommé cette même année chirurgien en chef de l'hospice général de Tours, en remplacement de Herpin. Son fils et son petit-fils devinrent des médecins remarquables.
- Sotira Gaétan, médecin au camp de Bruges, « chassé de l'armée par M. l'Intendant général Petiet, en messidor an XIII ».
(Seule note relative à lui aux archives administratives de la Guerre.)
a Boudet (Jean-Pierre), né à Reims en 1748, d'abord pharmacien à Reims, il remplaça pendant quelque temps Pilâtre des Roziers dans une chaire de « Chimie appliquée aux arts ». Chargé, sur la présentation de Berthollet, de missions dans les départements pour inspecter et suivre l'extraction du salpêtre et la fabrication de la poudre. Fit la campagne d'Egypte comme pharmacien en chef de la marine. A son retour devint pharmacien principal et fit les campagnes d'Autriche, de Prusse et de Pologne. Chevalier de la Légion d'honneur, membre de l'Institut d'Egypte et de l'Académie de médecine ; mort à Paris en 1829.
Son neveu, même nom et mêmes prénoms, né à Paris en 1778, membre de l'Académie de médecine, chevalier de la Légion d'honneur, chimiste, mourut à Groslay du choléra en 1849.
à l'hôpital, je suis désigné par le chirurgien en chef, Lacoste, pour faire provisoirement le service comme chirurgien major du 21e léger, campé au camp de droite.
Le titulaire de ce régiment, M. Lozes *, homme très instruit, mais non docteur encore, avait obtenu de son colonel, M. Tarraire, qui avait fait la campagne d'Egypte avec son corps, et du ministre lui-même, de se rendre à Paris pour y soutenir sa thèse, seul acte auquel il fût astreint, comme officier de santé de première classe.
J'ai fait ce service pendant trois mois 2. Mme Lozes
1 Lozes (Pierre), né à Saramon (Gers) en 1761. Débuta comme chirurgien aux gardes françaises, et en 89 fut choisi comme chirurgien major de la troupe soldée de la-section des Théatins où il resta jusqu'en 1792. Il partit de là pour devenir aide-major au 104» régiment d'infanterie et le 5 mars suivant devint chirurgien de fre classe, professeur à l'hôpital militaire d'instruction de Lille; il y resta quelques mois, et fut nommé au 11° de cavalerie, où il ne demeura que cinq mois ; il passa au 21° léger, d'où il fut envoyé par le Ministre Directeur au 7° cuirassiers. Admis à la retraite (900 francs) après la campagne de Russie, pour paralysie du cerveau, suite de ses fatigues. Le colonel baron Dubois écrit à son sujet : « C'est un docteur très distingué, tant par ses talents que par sa conduite irréprochable et par son activité à remplir ses devoirs. Le corps le regrettera toujours et il ne pourra jamais être remplacé. »
* Le 3 mars 1804, Percy lui écrivait : Saint-Omer, le 12 ventôse an XII.
Je n'ai pu, mon cher monsieur, faire consentir mes collègues de Paris à vous proposer au ministre pour le grade et l'emploi de chirurgien aide-major; non qu'ils ne vous rendent pas, comme moi. la plus grande justice et qu'ils ne vous estiment autant pour votre bonne conduite que pour votre instruction ; mais ils ont craint de violer les principes, en portant trop promptement au second rang un jeune serviteur qui ne compte encore que cinq ou six mois au dernier, si toutefois il est un dernier rang pour des hommes comme vous. J'ai essuyé le même désagrément par rapport aux C. Cens Laveville et Cullerier ; mais j'avoue que j'avais beaucoup moins insisté en faveur de celui-ci que pour son camarade et pour vous. parce que je crois le Cen Cullerier plus jeune que vous et non encore docteur. Notez bien ceci, votre titre de docteur et d'auteur d'une thèse très intéressante me semblait sans réplique.
Cependant tout s'est tu à ces terribles mots : ne violons pas les principes. Camus, espèce de sot, ignorant à l'excès, mais ayant traîné sa bêtise dans les hôpitaux pendant douze ans, a obtenu le titre que bon-
avait un fils, et je jouais souvent le whist chez elle avec Mme Van. jeune Anglaise, pas belle, mais fort aimable qui avait été mariée à un bon flamand, dont elle vivait séparée. Elle habitait chez une vieille femme anglaise et j'allais fréquemment la voir pour prendre quelques leçons d'anglais, mais je ne pus guère en profiter, n'ayant pas de livres et étant aussi très
occupé au camp et à l'hôpital régimentaire que j'avais été obligé d'établir pour le corps où j'étais provisoirement attaché. C'est là que j'ai eu un soldat affecté d'une her-
nement j'avais cru décent et équitable de demander pour vous. C'est une belle chose que les principes ! Ne croyez pourtant pas que je veuille verser le moindre ridicule sur mes collègues; je les considère et les affectionne trop pour cela. Ils n'ont pas pensé comme moi, voilà tout; et si je m'égaie un moment sur leur opinion, c'est pour me consoler d'avoir vu rejeter la mienne et adoucir un peu votre petite tribùlation.
Au reste il y a encore un remède : il m'arrivera sûrement des démissions de chirurgiens aides-majors, je les garderai par devers moi, et ne les enverrai au ministre que pour demander qu'il vous subroge au démissionnaire. J'ai déjà invité le Cen Laveville à s'adresser à M. Delacépède; un mot que le savant et illustre personnage écrirait au général Dejean terminerait l'affaire, puisque j'ai itérativement demandé le grade pour lui. Quant à vous, priez mon bon ami Le Roux de faire quelques reproches fraternels à notre camarade Desgenettes et, si le cas y échet, au Cen Larrey, de ce qu'ils ne se sont pas rangés de mon côté pour violer les principes en votre faveur, péché dont j'eusse si volontiers consenti à porter la peine dans ce monde et dans l'autre. Priez-le d'ajourner à quinzaine sa mercuriale, afin que mes austères camarades l'aient encore toute présente à la mémoire, lorsque je recommencerai mon plaidoyer pour le docteur Lagneau que j'aime et estime beaucoup : bien sûr, d'après le témoignage de mon bon collègue et ami Le Roux, qu'il est très aimable et très estimable.
Comment va la Société ? La nouvelle organisation lui fera tort. Les C. Cens Monnau, Gouraud, Dury et autres membres vont être forcés de s'en éloigner. Exprimez-lui bien toute la part que je prends à son sort, à ses progrès et à sa prospérité, et assurez-la du plaisir et de l'empressement que j'aurai à assister à ses séances, lorsque je pourrai aller passer quelques jours à Ostende.
Tout à vous et bien cordialement.
Signé : PERCY.
Au citoyen Lagneau, docteur de l'Ecole de médecine de Paris et chirurgien au camp de Bruges. Ostende.
nie brusquement étranglée, dont je jugeai le cas assez grave, après huit heures d'étranglement seulement, pour me disposer à l'opérer. Cependant je ne voulus pas le faire sans en prévenir le chirurgien en chef, qui vint confirmer l'urgence du débridement, et comme je lui fis la politesse de lui présenter le bistouri, il opéra, me laissant la mission d'aide intelligent ; du reste l'opération réussit à merveille.
A peu près dans ce temps-là, j'eus l'occasion, à l'hôpital, de réduire successivement deux luxations de l'humérus, l'une sur un gendarme d'élite, l'autre sur un palefrenier de la maison de l'Empereur.
C'étaient des hommes forts, dont les muscles vigoureux avaient résisté aux manœuvres les plus intelligentes et les plus vigoureuses, assis et étendus sur une table.
Pour l'un et pour l'autre, pendant qu'on préparait de nouveaux moyens de réduction, je l'opérai avec une grande facilité, avec mes pouces placés sur l'acromion, les autres doigts croisés sous l'aisselle, sous la tête, l'huméral déplacé en bas, et en faisant coïncider, avec mes efforts à la partie supérieure, un mouvement de bascule imprimé au thorax, au moyen de mes genoux rapprochés, qui pressaient et abaissaient l'extrémité inférieure de l'os.
Ce moyen m'avait déjà réussi à Chalon, étant encore simple étudiant, sur un porte-faix du port, qui vint chez mon père réclamer mes faibles conseils.
Nous avons vers la même époque plusieurs blessés fort gravement, qui nous étaient amenés par la flottille de Flessingue, qui avait reçu l'ordre de venir en Hol-
lande rejoindre notre flottille, qui se prépare à descendre en Angleterre.
La flottille hollandaise a suivi la côte assez heureusement jusqu'à la pointe du Griné, où les Anglais l'ont attaquée, mais ils ne purent l'empêcher de continuer la route. Les Anglais eux-mêmes eurent passablement de morts et de blessés. Un de nos Hollandais, qui avait eu le crâne brisé par un boulet et une partie considérable du cerveau sortie de la cavité, était cependant encore vivant lors du débarquement, quoiqu'il y eût alors plus de quinze heures qu'il avait été atteint.
Il ne mourut que lorsqu'il fut arrivé à l'hôpital militaire.
Les troupes campées à droite et à gauche de la ville sont placées sur un terrain sablonneux, mais humide qui, dans un temps froid comme en hiver, nous donne beaucoup de malades.
Ce sont surtout des catarrhes pulmonaires, des dysenteries et des péritonites, qui sont d'autant plus dangereux au 21e léger l, ce régiment se composant, en assez grande partie, d'hommes venant d'Egypte et même d'Egyptiens, Cophtes, Abyssins et de nègres.
Le 21° léger est devenu, en 1855, 960 régiment de ligne. Kléber remplit les vides de la 21° demi-brigade légère au moyen de nègres éthiopiens qu'il avait achetés et émancipés. On avait formé aussi une légion copte qui avait comme uniforme : « Un chapeau à trois cornes, un habit-veste vert clair, taillé sur le modèle de celui de l'infanterie légère, un collet jaune, liseré jaune, passepoil vert, pantalon jaunâtre et guêtres grises». Bonaparte, par décret de l'an XI, forma un « bataillon de pionniers noirs » qui furent employés en Italie. En 1806 ils passèrent au service du roi de Naples. Là ils prirent le nom de Régiment royal africain et portèrent comme tenue un habit blanc avec col, parements et revers jonquille, pantalon blanc. Leurs grenadiers avaient un bonnet à poil blanc.
J'ai beaucoup à me louer des procédés du colonel Tarraire 1, commandant ce régiment2 Après six mois de séjour à Ostende 3, nous avions organisé une société parmi les chirurgiens et médecins du camp et de la flotte, sous le nom d'instruction médicale. Elle est grandement approuvée par M. Percy.
Nous discutons là les points de science et de pratique, et nous autres nouvellement échappés des bancs de l'école, nous y avons beaucoup de succès.
1 Tarraire (Jean-Joseph), né en 1770,àSolsac (Aveyron) mort à Rodez en 1855. Il entra au service comme capitaine au 28 bataillon de volontaires nationaux de l'Aveyron en 1792. Commandant de Suez en 1800.
A Saint-Jean-d'Acre il planta le drapeau et le maintint jusqu'à ce que lui et presque tous ses éclaireurs fussent hors de combat. Il décida de la victoire à Héliopolis. Commandant au 218 léger en 1801, il fut autorisé, en 1806, à passer au service de Louis, roi de Hollande, où il fut nommé général-major et deux ans après lieutenant général. « Démissionnaire du service de Hollande, sans l'avoir demandé, pour s'être conduit d'une manière favorable aux Français » (Clarke).
Réintégré général de brigade en 1812, il fut chargé en 1814 d'organiser en bataillon les gardes champêtres réunis à Versailles. D'abord en non-activité à la Restauration, puis employé pendant les Cent-Jours, il fut remis en non-activité en août 1815. Député de la Charente en 1818, il siégea à gauche et en 1820, le ministre de la guerre, La Tour-Maubourg, demanda au roi sa mise à la réforme : « parce qu'il professe hautement les sentiments d'opposition au gouvernement de Votre Majesté; il vient de les manifester hautement encore par l'impression et la publication du discours qu'il a prononcé à la tribune de la Chambre des députés ». La réforme fut prononcée le jour même. Retraité en 1825, il fut relevé de sa retraite en 1831 et retraité de nouveau en 1835.
* Je l'ai revu beaucoup plus tard à Paris, où il était lieutenant général en demi-solde. Il était alors, en 1820, je crois, député de son département et siégeait sur les bancs de gauche. (Note de Lagneau.)
3 Lagneau décrit ici une excursion qu'il fit à Dunkerque avec ses collègues, Devilliers, Cullerier et Barbarin.
CHAPITRE III
Nommé au 9e de ligne, d'abord au bataillon d'élite à Arras, puis au 1er bataillon à Strasbourg. — Le chirurgien major Welker. — L'hôpital de Strasbourg. — M. Lombard. — La vie à Strasbourg. — Ordre de départ du régiment pour Genève. — Les étapes. — Genève. — Le Valais. — Le Simplon.
Je reçois enfin l'ordre de quitter Ostende pour me rendre à Arras, au bataillon d'élite du ge régiment de ligne, venant aussi d'Egypte 1. Il faisait partie du corps de 10.000 hommes, grenadiers et voltigeurs, commandés 1 L'ordre qui envoyait Lagneau à sa nouvelle destination était daté du 9 avril 1804 efcainsi conçu :
CAMP DE BRUGES ARMÉE DES COTES
SERVICE MILITAIRE DE SANTÉ
N° 152.
Au quartier général d'Ostende, 19 germinal an XIILe chirurgien en chef d'armée et principal du camp de Bruges.
Au citoyen Lagneau, chirurgien de 30 classe du camp de Bruges remplissant provisoirement les fonctions de chirurgien major près le 21° régiment d'infanterie légère.
Le retour, citoyen, du chirurgien major du 2ie régiment d'infanterie légère à son poste ne rend plus nécessaire votre présence à ce corps, en conséquence je vous autorise à vous rendre au 1er bataillon du 9e régiment d'infanterie de ligne, votre nouvelle destination.
Recevez le témoignage de ma satisfaction pour le zèle et l'intelligence que vous avez apportée dans le service qui vous a été confié pendant l'espace de trois mois. 11, Je vous salue.
par le général Oudinot. C'était encore une bonne et active réserve préparée pour l'expédition d'Angleterre.
Ce bataillon d'élite était commandé par le major du régiment Brayer 1 qui est devenu général pendant la Restauration, et est passé au service du Chili lors de son émancipation de la domination espagnole.
Arras est une ancienne ville dont l'aspect rappelle encore l'Espagne ; car on voit autour des places publiques, principalement autour de la place d'armes, des portiques comme on en voit dans presque toutes les villes d'Espagne.
J'étais à peine installé avec mes nouveaux commensaux, les officiers du bataillon, que le colonel du corps, le colonel Pépin 2 qui était en garnison à Strasbourg 3,
1 Brayer (Michel-Sylvestre), né « au régiment de Courten-Suisse » à Douai, le 31 décembre 1769, mort à Paris en 1840. Il est soldat au régiment suisse de Renach le 20 avril 1782 à 13 ans, appointé en 1787. Il est licencié avec son corps à Dunkerque en 1792, devient peu après adjudant-major au 3e bataillon du Puy-de-Dôme, où il est chef de bataillon en 1800. Major au 9° de ligne le 22 décembre 1803, il passe colonel du 20 léger en 1805. Général de brigade en 1809 à l'armée d'Espagne. En 1813, il est à Mayence et va de là à la Grande Armée, où il est nommé général de division. Il est mis en non activité à la première Restauration, commande aux Cent-Jouxs une des divisions de la Jeune Garde, est compris dans l'ordonnance du 24 juillet 1815 et condamné à mort par contumace le 15 septembre 1816. Gracié et rappelé à la demi-solde en 1821, puis retraité, il est replacé à la tête d'une division en 1830 et chargé d'inspections générales d'infanterie jusqu'en 1836, où il est « admis dans le cadre de vétôrance ». En l'an II, il était noté : « Cet officier supérieur est instruit à fond sur la théorie et sur la pratique de son état, excellent militaire. La tenue de son bataillon est meilleure que celle des autres, il a de l'éducation et un beau physique militaire ».
Il Pépin (Joseph), né à Pont-Saint-Esprit (Gard) en 1765, tué à Albuféra en 1811. Sous-lieutenant au 2" bataillon de grenadiers du Gard en 1792, il fut l'année suivante lieutenant, capitaine et chef de bataillon.
Il passa en 1797 à la 140 domi-brigade, qui devint plus tard 98 de ligne. Genéral de brigade en 1808 et baron de l'Empire. Au Caire, il avait été blessé de sept coups de sabre et d'un coup de pistolet à la jambe droite.
3 Strasbourg était chef-lieu du département du Bas-Rhin.
me réclama auprès de son major parce que j'étais nommé, non pour le bataillon d'élite, mais bien pour le 1er bataillon de ce régiment.
Aussitôt je reçus mon ordre de départ pour l'Alsace.
J'arrivai à Strasbourg le 30 floréal an XII (20 mai 1804), après avoir traversé entre autres cités SaintQuentin, Reims, Châlons, Sainte-Ménehould, Verdun, Villeforte, près de laquelle était le camp de la Lune, Metz, Nancy l, Lunéville. A Nancy réside mon cousin le général Boussin 2, qui préside le conseil de guerre de la 4e division militaire. Malheureusement je ne puis le voir, ne me souvenant que je suis près de lui qu'au moment de monter en voiture.
A Nancy et à Lunéville, les deux régiments de carabiniers à cheval tiennent habituellement garnison.
Avant d'arriver à Strasbourg, nous traversons Saverne, remarquable par le château de l'évêque de cette première ville, c'est-à-dire de l'ancien évêque, M. le prince de Rohan, qui était un homme de cour assez dissolu de moeurs, qui entretenait les filles d'opéra, faisait la cour aux grandes dames, et disait qu'il ne savait pas
1 Metz était chef-lieu du département de la Moselle et Nancy de celui de la Meurthe.
! Boussin (Claude-Christophe), né à Savigny (Saône-et-Loire) en 1761, mort en 1840, à Saint-Genjoux-le-Royal.
Enrôlé en 1778 au régiment de Blaison devenu Provence, il devint caporal trois ans après et fut « congédié par grâce en 1783 ». Il entra l'année suivante aux gardes françaises, était sergent en 1788. A la réforme du corps, il devint sous-lieutenant au 26 bataillon de la garde nationale soldée, puis lieutenant au lOis d'infanterie en 1791 et fut chef de bataillon à l'état-major de l'armée, devant Lyon en 1793. Adjudant-géné-
ral, chef de brigade en 1794. Adjudant-commandant (1801) près le corps employé dans la République Cisalpine. Chef d'état-major de diverses divisions, il fut retraité en 1810. Il était légionnaire de février 1804 et officier du 14 juin de la même année. En 1808, il avait obtenu une dotation de 500 francs de rente sur le mont de Milan.
comment un honnête homme pouvait vivre avec 400.000 francs qui représentaient le revenu annuel de son évêché, dont le diocèse s'étendait assez loin au delà du Rhin.
Je rejoins mon régiment et suis logé au quartiar de Finck-matt, dans un pavillon destiné aux officiers ; mes fenêtres donnent sur les remparts et la vue s'étend agréablement sur les fortifications.
Un mois après mon arrivée au régiment, je suis mis en réquisition pour l'hôpital militaire, où je fais le service, sans pour cela cesser de me rendre utile à mon corps, où je me trouve fort bien ; ayant pour chirurgienmajor un excellent homme, M. Welker ', Saxon des environs de Dresde, que les événements de la Révolution avaient trouvé à Paris, où il étudiait sous Desault. Il avait adopté les changements qui se préparaient avec une ardeur telle qu'il partit avec les volontaires de Paris,
t Welcker (Jean-Chrétien-Danckegott), né le 24 mai 1760 à Tondorff (Saxe), nommé par le Comité de salut public chirurgien-major de la cavalerie de la légion germanique, 19 mars 1793.
Agréé par le comité de santé comme chirurgien-major à la 34° division-de gendarmerie à pied, 9 octobre 1793.
Nommé par le commissaire ordonnateur en chef et le chirurgien en chef de l'armée de 6ambre-et-Meuse, chirurgien à la 161e demi-brigade, 10 pluviôse an IV. Chirurgien de lro classe à la 9° demi-brigade (devenue 9e de ligne) 26 fructidor an VIII. Chirurgien-major au 9e régiment de ligne, 14 pluviôse an XII. Présumé mort ou prisonnier à Kowno (Russie) et sans renseignements ultérieurs, décembre 1812. Campagnes de 1792-93, ans II, III, IV, V, armées du Nord, an V en Allemagne, an VI, VII, VIII, IX en Italie, Egypte et Syrie 1806, Italie 1809, Russie 1812.
Membre de la Légion d'honneur 9 messidor an XIII.
En 1791 il avait épousé Marguerite Gobert dont il eut plusieurs enfants. Il exerçait alors lachirurgie rue Beaubourg, paroisse Saint-Merry.
En 1815 sa veuve obtint une pension de 450 francs et pendant 10 ans elle dut justifier que son mari n'avait pas reparu.
Il était noté : « Homme de probité, ayant une conduite réglée, plein demérites et de talents, serait un excellent chirurgien en chef d'armée.
Il n'a laissé aucune fortune, sa famille vivait de sa solde. »
pour défendre, sur les frontières, la France menacée par la coalition.
Il m'aime beaucoup, est instruit et fait quelque cas du peu que je sais.
[Il est mort pendant notre retraite de Russie, où je le rencontrai au bivouac de son régiment, qu'il n'avait jamais voulu quitter, pendant notre marche sur Moscou.] A l'hôpital de Strasbourg, je suis sous les ordres d'un ancien chirurgien en chef des armées du Rhin et de Sambre-et-Meuse, le vénérable Lombard 1, âgé de près de 80 ans alors. Homme dur à la manière des anciens chirurgiens, mais juste et savant. Il a fait la campagne d'Amérique et il a laissé un traité sur la maladie vénér.ienne, un sur les plaies d'armes à feu et un sur l'art des pansements.
Il a toujours eu pour moi beaucoup d'amitié. Il a, à l'hôpital, pour adjoint, M. Dubor 2, homme très ordinaire sous tous les rapports, lequel est chargé du ser-
1 Claude-Antoine Lombard, né à Dôle en 1741, mort le 15 avril 1811, près Paris. En 1776. il obtenait le titre de correspondant de l'Académie de chirurgie ; il devint ensuite chirurgien en chef des troupes rassemblées sur les côtes de Normandie, et passa avec le même grade à l'hôpital militaire de Strasbourg. A la différence de Lagneau, il était d'un caractère irascible, intolérant et rude, se fit beaucoup d'ennemis et eut à soutenir de nombreuses querelles avec ses confrères, notamment avec De Horne, le rédacteur des Mémoires de médecine militaire.
x Dubor (François), né à la Romieu (Gers) en 1756 ; mort à MartignyBriant (Maine-et-Loire) en 1817. Fils d'un chirurgien, il commença ses études de chirurgie à seize ans à Bordeaux. Maître ès arts en 1773. Il entra comme élève à l'hôpital militaire des gardes françaises : au bout de six ans, il fut chirurgien-major au régiment des dragons d'Artois, et passa l'année suivante au régiment de Bourbonnais. En 1793, il est à l'hôpital de Phalsbourg, en 94 à celui de Landau et enfin en 1804, il fut nommé chirurgien en chef adjoint de l'hôpital de Strasbourg où il resta jusqu'en 1815.
Chevalier de la Légion d'honneur, le 7 août 1814, au bout de 41 ans de services. Il avait été en Amérique avec Rochambeau.
vice des vénériens et des galeux. Je puis, dans cette première portion de son service, me livrer à mes études de prédilection.
Cette facilité, qui m'a été donnée de très bonne grâce par le chirurgien en chef, m'est précieuse, et je me mets à l'œuvre pour préparer une seconde édition de mon traité. J'ai aussi fait dans le même hôpital une connaissance qui peut m'être utile, c'est celle de M. le Dr Martin aîné, de Nancy, professeur de l'hôpital d'instruction. Il ne fait plus que le service de
médecin ordinaire, depuis que l'enseignement a été transféré à Metz.
Il me reçoit amicalement, nous faisons ensemble de longues promenades au Contade ou à la Robertsau.
Il a avec lui à Strasbourg, dans l'hôpital même où il loge, sa fille, la plus jeune je crois. Il en a une autre mariée, qui est bien élevée et aimable.
Cet excellent homme, en quittant Strasbourg pour retourner à Nancy, m'installe dans son appartement, dans sa bibliothèque et me donne ainsi les moyens de travailler avec plus de fruit et plus de promptitude que je ne pourrais faire sans cette ressource1.
Je fis quelques connaissances dans ce pays, entre autres celle du Dr Stahl, qui venait de publier une dissertation latine sur la syphilis (de syphilide). C'est un homme bon, capable et plein de vraie érudition.
L'Ecole de médecine de Strasbourg, dont les élèves sont assez peu nombreux, a des professeurs fort distin-
1 Il m'a été permis de lui en témoigner ma vive reconnaissance en 1836, lorsque je passai à Nancy, en revenant de Suisse par Colmar et Strasbourg, étant alors accompagné de ma femme. (Note de Lagneau.)
gués, Lauth *, Caillot, l'Allemant2, Cose 3, etc. Lobstein * est chef des travaux anatomiques. Depuis, il est devenu un professeur renommé de cette Faculté.
J'ai là pour client et pour ami un ingénieur des digues du Rhin, M. Robin, qui fait le plan de la salle de spectacle qui doit être construite sous sa direction.
t Thomas Lautb, professeur à l'Ecole de médecine de Strasbourg, est cité dans le Dictionnaire des médecins publié en l'an X. Né à Strasbourg le 29 août 17.18, il fut reçu docteur à la Faculté de sa ville natale en 1781, étudia à Paris sous Desault et à Londres sous Hunter, parcourut les universités d'Allemagne, revint à Strasbourg en 1782, fut adjoint de Roederer et d'Ostertag, et nommé en 1785 professeur d'anatomie et de chirurgie, puis médecin en chef de l'hôpital de Strasbourg.
Il mourut le 19 septembre 1826. Il avait eu deux fils, ànatomistes comme lui.
Ernest-Alexandre Lauth, né à Strasbourg, le 14 mai 1803, mort dans la même ville en 1837, étant professeur de physiologie à la Faculté.
Son frère, Gustave Lauth, né le 9 mai 1793 à Strasbourg, et mort le 13 avril 1817, fut prosecteur à la Faculté de médecine de Strasbourg et a publié quelques ouvrages de botanique et de médecine.
Il André-Marie Lallement, né en 1750, étudia la chirurgie à Paris sous Dasault, l'exerça ensuite à l'hôpital militaire de Calais, puis succéda à Boyer comme chirurgien-adjoint à la clinique de perfectionnement de Paris. Plus tard, il devint chirurgien en chef de la Salpêtrière, puis professeur de chirurgie à la Faculté de médecine. 11 mourut vers 1830.
3 Pierre Coze est cité, lui aussi, dans le Dictionnaire des médecins de l'an X. Né à Ambleteuse en 17.54, il fit de sérieuses études à Boulogne, puis à Paris, fut nommé en 1779 chirurgien-major d'un régiment de cavalerie, puis à l'armée des Alpes, et à l'hôpital militaire de Lyon où il était pendant le siège. Il quitta le service, devint professeur de clinique interne à la Faculté de Strasbourg, puis en 1815 doyen jusqu'à sa mort en 1821. Auteur de nombreux ouvrages, dont plusieurs sur la médecine vétérinaire et l'agriculture. Son fils, Jean-Baptiste-Rozier (17951875) fut aussi doyen de la Faculté de Strasbourg et y fit adjoindre l'école de santé militaire.
* Jean-Georges-Christian-Frédéric-Martin Lobstein, né le 8 mai 1777 à Giessen, mort le 7 mars 1835 à Strasbourg, s'est rendu célèbre comme anatomiste. Il était fils d'un professeur de théologie de Strasbourg, et neveu de l'anatomiste Jean-Frédéric Lobstein (1736-1784). Il fut élève en chirurgie à l'armée du Rhin en 1793, puis chef des travaux anatomiques à Strasbourg en 1799, plus tard médecin en chef et professeur de l'école départementale d'accouchement, et enfin, en 1819, professeur d'anatomie pathologique.
Il a une femme et des enfants charmants 1 Tout le monde parle l'allemand dans cette ville, quoiqu'il y ait 150 ans qu'elle appartienne à la France.
Cependant la langue française y est généralement comprise et parlée, surtout par la classe aisée.
L'arsenal de Strasbourg est considérable et renferme un immense approvisionnement de canons, de fusils, d'armes blanches et de projectiles.
Strasbourg est une ville de garnison importante et partant ville de plaisir. Pendant l'hiver, beaucoup de bals, soit dans la haute société, soit dans les différents poêles, c'est-à-dire dans des lieux où l'on boit force bière (bierhausen), où quelquefois les gens bien placés se réunissent.
Il y a le poêle des pêcheurs, celui des cordonniers, etc.
Pendant l'été, on se répand hors la ville, au Contade, à la Robertsau surtout, où, pour la première fois, je mange des bretzels, en buvant de la bonne bière blanche, avec le Dr Martin, qui aime bien ces sortes d'excursions.
Il y a aussi de beaux cafés dans Strasbourg.
Nous allions habituellement à celui dit « de la Commune », sur la place ou marché aux herbes 2.
On voit beaucoup de femmes portant le costume allemand, avec une coiffe à fond d'étoffe d'or ou d'argent pour les jeunes filles et les jeunes femmes, en velours ou en broderies de jais pour les veuves et les vieilles femmes. Les paysans des environs portent presque tous
Lagneau décrit ici la cathédrale de Strasbourg, qu'il revit plus tard, en 1842, en voyageant avec sa famille.
* Au milieu de laquelle on a placé, depuis mon premier voyage, la statue en bronze de Gutenberg. (Note de Lagneau.)
des. grandes et larges bretelles sur leur gilet, comme de l'autre côté du Rhin.
Après treize mois de séjour à Strasbourg, mon régiment eut ordre de partir pour Genève. Je fus obligé de le suivre, ce qui ne me déplaisait nullement1 Nous partons de Strasbourg, le 27 ventôse an XIII (18 mars 1805), nous passons à Tarm, première étape.
Nous allons à Schlettstadt, petite ville forte, ayant toujours garnison, et où beaucoup d'anciens militaires de tous grades se retirent en sortant du service, parce que les vivres y sont fort bon marché, abondants et faciles à se procurer. C'est, du reste, un avantage dont jouit toute l'Alsace. Mais les vieux soldats ont, dans les villes de guerre, de plus l'agrément d'entendre souvent le tambour ou la trompette et d'y voir des revues, des manœuvres, des soldats enfin, qui leur rappellent leur jeunesse.
Nous arrivons à Colmar, capitale ou chef-lieu duHautRhin, où les officiers disent qu'on passe gaiement la vie.
Belfort 2. Le sexe y est joli; c'est la dernière ville d'Alsace.
1 Lagneau décrit ici le tombeau du maréchal de Saxe. Au cours d'une inspection faite à Strasbourg par le général Levai, Lagneau avait mérité la note suivante : « Homme de mérite promettant beaucoup. Instruit et jouissant de l'estime de ses chefs. » Un autre inspecteur le notait en ces termes : « Zélé, actif, belle tenue, bonne conduite, sujet distingué. »
Le colonel Pépin écrivait à son sujet le 21 vendémiaire an XIII (13 octobre 1804) « Le colonel du 9° régiment d'infanterie de ligne a l'honneur d'assurer Son Excellence le Directeur de l'administration de la guerre que M. Louis-Vivant Lagneau est un sujet distingué sous tous les rapports ; sa moralité, sa bonne conduite, son exactitude et ses talents en médecine et en chirurgie lui ont mérité l'estime et la confiance de tout le régiment. Il demande pour M. Lagneau l'emploi de chirurgien aide-major au 2° bataillon, vacant par l'abandon du sieur Bertaud. »
2 Belfort faisait alors partie du département du Mont-Terrible.
Lisle-sur-Doubs (ancienne Franche-Comté). Beaumeles-Dames Besançon, ancienne capitale de la Franche-Comté.
C'est dans la citadelle de cette ville que fut d'abord enfermé le général noir, Toussaint-Louverture 1, qui s'était insurgé, à Saint-Domingue, contre la France.
Fait prisonnier lors de l'expédition du général Leclerc, beau-frère du Premier Consul d'alors, le général Bonaparte, il fut envoyé en France. Il a été depuis transféré au fort de Joux, non loin de Pontarlier et il y est mort peu de temps après.
Cet homme était né esclave, il a fait preuve, pendant sa révolte, d'intelligence et de courage. Pendant que je faisais mes études à Paris, il m'est arrivé souvent de voir ses deux fils, jeunes nègres d'un beau noir bien luisant, et qui- avaient vraiment bonne apparence. Ils étaient élevés au Prytanée français, aujourd'hui lycée Louis-le-Grand, aux frais de l'Etat.
Le bruit a couru que lorsque l'expédition française partit pour Saint-Domingue, ces enfants furent embarqués pour être remis à leur père, auprès duquel ils pourraient, supposait-on, être un moyen de ramener le général haïtien à de meilleurs sentiments, mais le Premier Consul fut trompé dans son attente.
A Besançon, je suis très bien accueilli par un jeune collègue, sous-aide au 81e régiment de ligne, M. Louiset2 ; nous avons là un séjour.
1 Toussaint-Louverture figure sur les contrats de l'an III comme général de brigade, et sur ceux de l'an IV comme général de division.
! Louiset (Jean-François-Marie), né à Besançon en 1783, mort en acti-
De cette ville, nous allons à Salins, en passant par le village de Quingey 1 De Salins pour arriver à Poligny, nous déjeunons à Arbois 2, autre petite ville aussi, célèbre par la réputation que lui ont faite ses vins blancs, mousseux comme le vin de Champagne; ils ont sur ces derniers l'avantage d'être plus spiritueux, plus généreux et infiniment plus sucrés. Ils sont en conséquence bien plus agréables à boire, mais on leur trouve le grave inconvénient d'être beaucoup plus capiteux. Il coûte sur place trente sous la bouteille.
Nos soldats ne s'en font faute malgré sa cherté, et surtout nos tambours, auxquels le colonel Pépin en fait la galanterie. Aussi ces braves tapins, excités par le doux breuvage, enlèvent tout le régiment au pas de charge, lorsque, après la halte, il s'agit de monter la rapide montagne qui est à la sortie d'Arbois.
Arbois est la patrie de mon ami et condisciple Bouvenot, qui a également des parents à Poligny.
Poligny, petite ville aussi, est également célèbre en Franche-Comté pour son vin mousseux, rivalisant avec celui d'Arbois. On vit à très bon compte dans ce pays.
Lons-le-Saulnier, ville un peu plus grande que les deux précédentes. Elle est remarquable par ses salines, et c'est probablement à cette abondance de sources sa-
vité de service en 1813. Fils d'un médecin, il entra à 17 ans à l'hôpital de Besançon comme chirurgien de 3- classe. Sous-aide-major au 81e de ligne quatre ans après, il fut nommé en 1808 aide-major au 5e d'artillerie. Il est noté : « Exact, zélé, instruit, bonne volonté ».
1 Quingey, chef-lieu de canton du département du Doubs, arrondissement de Besançon, à 20 kilomètres de cette ville.
! Arbois, chef-lieu de canton du Jura, à 12 kilomètres de Poligny, situé sur la Cuisance.
lées que les Bourguignons (la Franche-Comté dépendait du royaume, puis du duché de Bourgogne) ont reçu le surnom de Bourguignons salés 1.
Bourg (en Bresse). Là je trouve mon ami et ancien camarade d'études, Hendelets, qui exerce la médecine avec beaucoup de succès. Nous nous voyons avec un bien grand plaisir. Il me reçoit avec une grande cordialité et nous déjeunons aux dépens d'une bonne poularde de Bresse, qui ne dément pas la haute réputation que se sont faites les ménagères bressiennes dans l'élevage des volailles. Pendant que le régiment prend les devants pour aller sur Pont-d'Ain, il me fait visiter son bel hôpital.
Bro u.
Pont d'Ain. A partir de cette étape, nous prenons la direction de gauche et entrons dans les montagnes pour gagner Genève.
Nantua. En venant de Pont-d'Ain à Nantua, on voit, sur la gauche de la route, le village de Poncin, patrie de mon ancien professeur, le célèbre et à jamais regrettable Bichat, mort à 32 ans 2.
4 Longue digression sur les sources salines de Lons-le-Saulnier.
2 Cet excellent homme me portait quelque amitié. Un jour que nous nous rencontrâmes — c'était lors de mes examens pour le doctorat — il me prit sous le bras et me dit: « Vous ne devez pas vous borner à faire une thèse comme tout le monde ; composez un travail qui vous fasse honneur et préférez un sujet de physiologie médicale, nous en causerons quand vous voudrez. » Je le lui promis, mais sa mort prématurée m'a empêché de donner suite à ce projet, d'autant que j'avais trouvé dans le service que je faisais un sujet, qui, s'il n'était pas neuf, avait au moins le mérite de n'avoir été traité par aucun des auteurs modernes d'après les données de la science.
J'avais aussi à cœur d'établir et de fixer les règles des praticiens dans le cas de complication de la syphilis, avec d'autres maladies, tant aiguës que chroniques, ce qui n'avait été fait par les meilleurs
Chatillon.
Collonge, petit bourg assez joli. A une demi-lieue en avant, sur la gauche de la route, on nous fait visiter un site, nommé par les habitants le pont des Oules t, c'est-àdire le pont des marmites.
Genève, chef-lieu du département du Léman. Nous y faisons séjour. Elle est bâtie en amphithéâtre sur une montagne où s'élèvent les maisons et hôtels qu'habitent les familles aristocratiques de l'ancienne république.
Toutes riches par le commerce, mais pleines de morgue et de dédain à l'endroit des citoyens de la ville basse.
Dans les quartiers bas, les maisons de cette ville sont très élevées, et ont des espèces d'auvents en bois, soutenus par de grands poteaux, supportant un avanttoit à la hauteur de la corniche, ce qui donne à quelques rues l'aspect d'une vraie forêt.
On remarque, sur une grande place située au haut de la ville, le palais ou grand hôtel de M. Necker, ministre des finances de la France au commencement de la Révolution française, dont le nom était chansomié à cette époque dans des couplets que je me rappelle et qui finissaient tous ainsi : « Vive Necker et Mirabeau. »
Les habitants de Genève parlent tous français, mais un français réformé, comme on le dit, dans lequel il y a d'anciennes locutions et d'anciens mots, qui n'ont plus
auteurs, que pour le scorbut, la scrofule, la gale et un très petit nombre d'affections. (Note de Lagneau.)
1 Oules ou ouilles, vient probablement d'un mot espagnol : olla, qui veut dire pot, et s'applique surtout au pot-au-feu, d'où olla podrida, étymologie qui est d'autant plus probable que ce pays, ainsi que la Franche-Comté, a été possédé par les Espagnols jusqu'au moment où Louis XIV en fit la conquête. (Noie de Lagneau.)
guère cours chez nous. Ils emploient, par exemple, les noms de nombre septante, nonante, comme le font quelquefois les Lyonnais, avec le langage desquels le leur conserve beaucoup d'analogie.
Nous apprenons ici que la destination du régiment est pour Sion, capitale du Valais, où les troupes seront distribuées et réparties pour l'exécution des travaux de la route du Simplon.
Après deux jours de repos, nous partons pour cette destination. Notre première étape est Thonon. A une portée de fusil de Thonon, on voit Ripaille, ermitage célèbre où le duc Amédée VI de Savoie, ayant abdiqué en faveur de son fils, se retira en 1439 et y mena, selon les uns, une vie très simple et, selon les autres, il vécut d'une manière dissolue dans des fêtes continuelles et des plaisirs de tous genres, ce qui a donné naissance à l'expression « faire ripaille ».
A moitié chemin de Thonon, à Saint-Gingolph, on traverse une petite, mais assez jolie ville, celle d'Evian.
Elle est également située sur le lac et jouit de quelque réputation, à cause des eaux minérales qu'on y trouve, lesquelles sont assez fréquentées.
Tous nos équipages et les malades du régiment se sont embarqués à Genève, sur le lac, et doivent arriver à son extrémité orientale, à Villeneuve.
Mouthey, un peu sur la droite, en quittant le fleuve.
Les femmes y sont jolies, elles portent, comme en Bresse et dans le reste du Valais, de ces très petits chapeaux, garnis de rubans noirs, qui accompagnent agréablement la figure. Une seule chose peut déplaire chez ces femmes, c'est que beaucoup d'elles ont la gale.
Martigny, lieu d'étape.
Sion. Capitale de la république du Valais.
Lorsque les Français ont envahi le pays, en même temps que la Savoie (Mouthey, Martigny, Saint-Maurice, etc.) les habitants, qui étaient tous roturiers, appelèrent nos troupes à leur aide, pour secouer le joug des hauts Valaisans, qui, étant tous ou à peu près tous nobles, avaient certains privilèges ou droits féodaux à exercer sur leurs concitoyens du bas pays et ils en usaient avec dureté.
Ces nobles, dont le territoire s'étendait depuis Sion jusqu'au Simplon, tandis que ceux du Bas-Valais habitent depuis le territoire de Sion jusqu'au lac de Genève, appelèrent, de leur côté, les Autrichiens pour résister à nos troupes. Ce pays devait ainsi être le théâtre d'une guerre civile, avec des auxiliaires tirés des deux armées opposées.
Les Français restèrent vainqueurs, secondés d'ailleurs par ceux du Bas-Valais, qui, ayant parmi eux beaucoup d'anciens soldats qui avaient servi dans les régiments suisses capitulés, tant en France qu'en Italie, étaient braves et plus ou moins exercés, tandis que ceux du Haut-Valais, parmi lesquels il y avait beaucoup de crétins et de paresseux, étrangers aux habitudes militaires, ne pouvaient être d'un grand secours pour les troupes autrichiennes.
Le gouvernement français organisa ou facilita l'établissement d'un gouvernement républicain dans le Valais, à la tête duquel se trouve placé un Président qui est nommé par l'assemblée générale. Il y a, de plus, quelques assesseurs. Par cette constitution, les habitants
du Haut et du Bas-Valais jouissent de droits égaux.
Tous les citoyens en état de porter les armes doivent être prêts à marcher au premier signal. Les habitants sont très sujets aux écrouelles, au rachitisme et au goitre, ceux du Haut surtout, parmi lesquels on voit grand nombre de crétins et d'idiots qui vous regardent d'un air stupide et ne vous répondent pas, quelque demande que vous leur fassiez. Ceux du Bas-Valais sont en général de beaux hommes.
Ce peuple qui est presque toujours au milieu des neiges, dans un pays aride et peu fécond, est cependant extraordinairement jaloux de sa liberté. Il voit avec peine l'établissement de la route du Saint-Pion (ou Simplon) qui parcourt toute la longueur de leur vallée, « parce que, disent-ils; nous ne serons plus maîtres chez nous ». On a beau leur faire comprendre qu'ils en deviendront plus riches, par la facilité plus grande qu'ils auront pour la vente de leurs denrées ainsi que par les dépenses des voyageurs, ils répondent : « Nous savons bien nous contenter de peu, et nous aimons mieux notre indépendance ».
Voici une anecdote qui prouvera combien l'amour de la liberté a sur eux d'empire. Un riche particulier du pays, qui possède presque la moitié du Valais et beaucoup d'autres propriétés en Italie, leur a proposé de diguer à ses frais le Rhône, ce qui aurait rendu à l'agriculture le tiers de la surface du pays, périodiquement ravagé par les débordements de ce fleuve, qui enlève toute la terre végétale et met à découvert une surface caillouteuse tout à fait improductive. Il ne demandait, comme compensation, que le droit de faire
payer passage sur certains ponts ou écluses, ce qui assurément lui aurait représenté l'intérêt des sommes qu'il aurait employées pour cette belle et utile entreprise.
Hé bien ! ces braves gens ont nettement refusé, en disant que cette prérogative de péages lui donnerait trop d'influence sur le peuple et que, par là, la liberté publique pourrait être compromise.
Il y a dans le Valais un usage bien ancien, que depuis j'ai aussi vu établi dans l'Italie, surtout dans l'Italie septentrionale, c'est que les nobles avaient seuls le droit de vendre du vin en détail. Les roturiers ont aujourd'hui la même faculté, mais ce sont encore presque toujours les anciens nobles qui tiennent cabaret ouvert, parce que probablement il y a parmi eux un plus grand nombre de propriétaires.
Le Président de la République lui-même n'a pas voulu, déroger à cette ancienne coutume ; car il a un bouchon à sa porte et vend au premier venu, soit au pot renversé, soit pour consommer sur place.
Ils ont de grandes salles à ça destinées, situées au rez-de-chaussée, et dans lesquelles on voit, au-dessus de grandes cheminées, les armoiries de la maison accompagnées de portraits de famille quelquefois en grand nombre. Cet usage m'a fort surpris. Il s'explique cependant par une loi ancienne de ce petit Etat, laquelle défend aux habitants d'exporter leur vin, qui doit être consommé dans le pays.
Une fois à Sion, nous pensions, ainsi qu'il avait été annoncé avec une intention facile à deviner, que le régiment était réellement destiné à exécuter les travaux du Simplon. Mais nous recevons aussitôt l'ordre de
pousser jusqu'à Brigg ou Brigue, pour nous rendre en Italie. A Sion, on commence à parler allemand, mais on connaît pourtant le français, qui est la langue naturelle du Bas-Valais.
Le Valais compte, d'après le dernier voyage de M. Echassereau, envoyé français à Sion, 70.000 âmes.
Le pays a quarante-deux lieues de longueur sur une de large.
Nous voyons à Sion force capucins très sales; il paraît qu'ils ont une grande autorité morale sur la population qui est, en général, très bigote. On trouve aussi beaucoup de crétins et de goitreux.
Après un séjour, nous partons pour Tortmann, mauvais petit bourg, où nous avons de la peine à coucher.
C'est dans ce pays que j'ai une petite querelle avec un officier du régiment, qui n'était peut-être pas fâché de me voir l'épée à la main, et qui, depuis quelque temps, n'était pas aussi poli avec moi que je pouvais le désirer ; or, pour lui donner occasion de s'expliquer, en arrivant le premier à notre logement commun, je choisis le lit dans lequel je veux coucher et le désigne en y plaçant mon épée. Cela devait le contrarier, car il s'arrogeait ordinairement le droit de choisir le premier, peutêtre parce qu'il'est adjudant-major et que je ne suis que chirurgien aide-major, ce qui n'est pas, selon moi, une raison suffisante.
A son arrivée, il ôte mon épée de dessus le lit où je l'ai placée ; mais dès que je m'en suis aperçu, je la replace où elle était d'abord et je lui défends d'y toucher ; il s'ensuit des paroles assez vives de part et d'autre ; mais
malgré la jactance de l'adjudant-major Roust 1, les choses en restent là (et depuis nous avons fort bien vécu ensemble).
Au fait, c'est un excellent homme, un peu parleur, mais fort brave. Il avait un préjugé assez répandu parmi les officiers de troupe, c'est qu'ils se croyaient bien supérieurs aux officiers de santé du grade correspondant et cela, parce qu'ils ne portaient pas l'épaulette.
L'assimilation des chirurgiens avec le corps d'officiers des corps de troupe n'était, il est vrai, indiquée qu'au point de vue des appointements. Ce n'est qu'en 1847 que l'assimilation des officiers de santé avec les officiers de troupe a été définitivement décrétée.
Brigue. C'est à peu près à la hauteur de Tortmann, dans la montagne à gauche de la vallée, que se trouve Leuck (ou Louïches), renommée pour ses eaux minérales, lesquelles, quoique presque exclusivement salines, car il y a peu de principe sulfureux, sont cependant très employées contre les affections cutanées. Leur mode d'administration paraît leur donner cet avantage, les malades y restent plongés des huit à dix heures par jour et quelquefois plus encore. Les malades se baignent en commun, dans une grande piscine, sans distinction ni séparation de sexe.
Simplon, village à six ou sept lieues de Brigue d'où nous avons commencé à gravir, presque toujours par
1 Roust (Benoit-Alexis), né à Toulon en 1773, décédé en 1845. Soldat au régiment d'infanterie, devenu 9°, il ne devint caporal qu'en l'an III.
Sous-lieutenant en l'an VIII, il était chef de bataillon en 1809. En nonactivité en 1815, il fut retraité l'année suivante.
Légionnaire en l'an XIII, officier en 1813. Il avait été en Egypte, il fut blessé à la Moskova. Il dut changer d'opinion sur les chirurgiens militaires, car il épousa une fille du chirurgien-major Welker.
l'ancienne route, qui est rude et difficile à parcourir.
Nous avons bientôt atteint les neiges, qui ont encore cinq ou six pieds d'épaisseur, en passant sur des ponts de pierre, sur des ponts de bois, tous d'une légèreté et d'une hardiesse surprenantes. La plupart sont jetés sur des torrents ou des précipices effrayants.
A trois lieues de Brigue, nous arrivons à une maison isolée, où l'on distribue du pain, du fromage de gruyère et du vin à la troupe. On l'appelle la Tavernette. Nous continuons notre route, en montant toujours à travers les neiges, par des sentiers frayés par des mulets.
Les femmes, car nous en avons au régiment, sont placées sur les bâts des mulets, et les enfants portés dans des hottes par des gens du pays qui sont très habitués à ce genre de transport. Ces hommes nous font remarquer, le long de cette route, plusieurs chevaux tombés dans des précipices. Ils appartenaient à des cuirassiers, qui ont fait le même trajet que nous, quelques jours auparavant. Il est de fait bien constaté dans le pays des montagnes, que les chevaux sont d'un usage bien moins sûr que les mulets, parce qu'ils s'effrayent facilement et qu'ils ont le pied beaucoup moins sûr et moins ferme que ces derniers.
Enfin, après une route assez fatigante, nous arrivons à Simplon, village situé au milieu des neiges, où nous trouvons encore de quoi vivre fort convenablement, grâce aux précautions prises par les autorités. Pendant toute notre ascension, nous suivons presque toujours l'ancienne route. La nouvelle, par ce que nous en voyons, me paraît devoir être large et a une pente très douce.
Elle n'est pas encore très avancée du côté du Valais.
Lorsqu'il arrive que la neige a tombé la nuit avec abondance, de manière à effacer les traces de la route, les voyageurs, qui pourraient se jeter dans des précipices, se font précéder par des chiens qu'on a élevés à découvrir le sentier frayé, par le seul odorat. Ils ne se trompent jamais ; ils servent aussi, comme au passage de SaintBernard, d'où les religieux qui nous reçoivent à Simplon sont une succursale, un détachement, à la recherche des voyageurs, qui auraient pu être engloutis dans les fondrières de neige, ou enfouis sous des avalanches. Ils sont alors conduits par un des moines, qui porte du vin, de l'eau-de-vie, du pain et des spiritueux pour réchauffer les malheureux qu'ils trouvent engourdis par le froid ou à demi asphyxiés.
CHAPITRE IV
Italie. — Revue de l'Empereur. — L'Impératrice. — Le théâtre.
— Les assassinats en plein jour. — Mœurs de la population.
— Mantoue. — Porto-Legnano. — Venise. — Padoue. —
Vérone. — Conegliano. — Palma. — Udine. — Le général Foy.
Domodosola 1. Première ville de l'Italie en descendant le Simplon. En sortant du village de ce nom, nous descendons et montons encore beaucoup, pour arriver jusqu'à l'hôpital de ce nom. C'est une grande maison habitée par deux moines et trois domestiques. Elle est destinée à servir d'asile aux voyageurs. On leur donne à manger et on les loge gratuitement.
Ces bons moines ont distribué à la troupe du vin et du fromage. Chaque soldat a un grand verre plein et un fort morceau de fromage pour manger avec son pain. Les officiers qui veulent s'arrêter là, car cet hôpital est à moitié chemin, sont parfaitement accueillis.
Les voyageurs aisés peuvent faire, en sortant, un cadeau à cet utile établissement, mais ils n'y sont pas tenus. Le gouvernement français accorde trente mille francs par an pour ce pieux emploi. Comme la nouvelle route doit passer beaucoup plus haut, on doit construire
Domodossola, ville du Piémont, à 80 kilomètres N.-N.-O. de Novare, sur la grande route du Simplon.
un nouvel hôpital en remplacement de celui-ci, qui était autrefois un château appartenant à un seigneur italien.
Passé l'hôpital, nous ne faisons plus que descendre et presque toujours sur la nouvelle route qui est à peu près complètement terminée, ayant été mise à la charge de l'Italie supérieure, les autorités locales se sont empressées de montrer leur dévouement par une prompte exécution des volontés de l'Empereur. Il a fallu faire des travaux immenses, percer d'énormes rochers et construire un grand nombre de ponts dont plusieurs sont d'une grande hardiesse.
Ici, comme dans tous les pays de montagnes escarpées, l'exploitation des bois étant impossible par le manque.
de routes suffisamment larges et à pentes rapides, on a l'habitude de couper les sapins en tronçons de trois pieds de longueur, qu'on fait rouler dans les précipices, d'où le courant des eaux les conduit jusque dans les plaines, où l'on pratique des barrages pour les arrêter.
Là, on les tire de l'eau.
Domodosola est une petite ville qui conserve des restes d'anciennes fortifications, c'est le premier endroit où nous entendons parler italien, car dans tout le Valais on parle français, excepté à Sion et à Brigue, où la langue allemande est la seule en usage. Cet allemand, du reste, est assez mauvais, comme en Suisse. Quand on descend le Simplon, lorsqu'on commence à voir la vallée de Domodosola, son aspect vous offre un avant-goût de l'Italie qui vous émerveille.
C'est une végétation, une verdure admirable, qui se présente tout émaillée de maisons de campagne, d'un blanc éclatant et couvertes de tuiles d'un rouge assez vif.
Ornavassol. A mesure qu'on pénètre dans le pays plat, on découvre de nouvelles beautés, qui sont d'autant plus appréciables qu'on vient de quitter un pays couvert de neige et de rochers entremêlés de noirs sapins. La campagne est verte et bien peuplée. Nous y faisons séjour. Nous atteignons bientôt la côte occidentale du lac Majeur et nous arrivons à Varèse.
Nous continuons à marcher vers l'est et nous arrivons à Como, le 6 floréal an XIII.
Le pays est parsemé de magnifiques maisons de cam- - pagne, entre autres celle de Pline le Jeune. Je m'em-
barquai un jour sur le lac de Como avec une nombreuse ■ société, pour aller visiter la maison de Pline le Jeune, que tous les curieux s'empressent de voir ; mais il survint inopinément un orage qui nous força à mettre pied à terre, à moitié chemin, car ce lac est sujet à de grandes tempêtes et sa navigation est alors assez dangereuse.
Nous descendîmes donc par prudence dans la villa du marquis Pallavicini2, qui' est de notre partie de plaisir, ainsi que son fils. L'un et l'autre sont grands amis des Français. Il y a aussi avec nous plusieurs belles dames très aimables.
Ces messieurs, pendant notre séjour à Como, nous accueillent très cordialement et font tout leur possible pour nous rendre le pays agréable. Déjeuners, parties de campagne en bateau, en voiture et à cheval, ils n'é-
Ornavasso, village de la province de Novare, en Piémont, à 12 kilomètres O.-N.-O de Pallanza.
! Rospigliosi-Pallavicini. Fainille originaire de Pistoïe en Toscane, où elle paraît en 1330. Patriciens de Venise par collation de Giulio Rospiglioso. depuis 1667; titre de Reichsftïrst (prince du Saint-Empire romain) pour toute sa descendance.
pargnent rien et réunissent habituellement une société très agréable des deux sexes.
Après quinze jours de résidence, pendant lesquels nous jouissons de bien agréables distractions, nous recevons l'ordre de partir.
Etant aussi près de Milan, j'ai un grand désir de voir cette ville et cependant je ne me presse pas de m'y rendre, parce que nous regardons comme certain que le régiment doit s'y rendre pour assister au couronnement de l'Empereur, comme roi d'Italie.
Cependant, après être resté dans l'attente pendant dix jours, je demande au colonel Pépin la permission de prendre les devants, ce qu'il m'accorde sans difficulté.
Je fais donc mes préparatifs pour ce court voyage, lorsque je suis arrêté par un ordre que reçoit le colonel, pendant que nous sommes à dîner, et qui lui prescrit de se tenir prêt à partir au premier avis. Il est tellement persuadé que c'est pour la destination de Milan, qu'il me dit en me montrant la lettre du général : « Vous pouvez ne pas vous presser, puisque nous partirons tous ensemble. »
Nous restons ainsi trois jours à attendre le bienheureux ordre pour Milan, mais tout à coup et pendant la nuit, nous recevons l'ordre de départ pour Bergamo; nous sommes tous bien désappointés, moi surtout qui ne connais pas Milan, tandis que le colonel et presque tous les officiers, qui ont fait les premières guerres d'Italie, y ont passé et séjourné plusieurs fois.
Nous partons de Como, le 21 floréal (11 mai 1805) pour aller coucher à Lecco, petite ville située à l'extrémité de la branche orientale du lac de Como, qui se bi-
furque à Bellagio, comme Como est à l'extrémité de l'autre branche.
De Lecco, nous arrivons à l'étape suivante, qui est Bergamo, grande ville, capitale du Bergamasco. Elle est située sur le penchant occidental d'une assez haute montagne.
Cette ville est le pays des arlequins, qui figurent si plaisamment dans les comédies de Goldoni 1 et par suite de Florian Brescia. La ville et son territoire, ainsi que le Bergamasco, dépendaient de la République de Venise. Quand les Français y sont venus, lors de la première campagne d'Italie, de concert avec Bergamo, elle s'est déclarée libre du joug vénitien, sous la protection de la République française, et on les a incorporées dans la République Cisalpine, qui vient d'être convertie en royaume.
A Brescia, on parle encore de Bayard qui, ayant sauvé la vie et l'honneur à toute une famille chez laquelle on le soignait de ses blessures, ne voulut pas recevoir de la mère une somme de 2.500 ducats, au moment de son départ, comme témoignage de reconnaissance. Mais cette dame ayant fait de vives et persévérantes instances, il prit la somme et en fit don à ses deux filles, pour leur servir de dot. Ce fait arriva en 1512, à l'occasion d'une révolte des habitants de Brescia en faveur des Vénitiens, leurs anciens patrons.
Carpenedolo 2
1 Charles Goldoni, le premier auteur comique de l'Italie, né à Venise en 1707, mort à Paris en 1793. -
- Carpenedolo, bourg de Lombardie, à 34 kilomètres S.-E. de Brescia, sur la Chiese, affluent de l'Oglio.
Nous y restons en cantonnement pendant six jours, après quoi nous recevons l'ordre de nous rendre à Calimato.
On réunit en ce moment, autour de l'immense plaine de Montechiari 1, 20 à 25.000 hommes de troupes, tant infanterie que cavalerie et artillerie, pour former un camp d'exercice qui doit manœuvrer sous les yeux de l'Empereur. Nous y allons tous les jours pour répéter les évolutions.
Après vingt jours de ces exercices assez fatigants, revue du maréchal Jourdan ; nous sommes sous les ordres immédiats du général de brigade Digonet2 et du général de division Zayoucheck3, Polonais, ancien frère d'armes de Koschiusko
Montechiaro, bourg de Lombardie, à 18 kilomètres S.-E. de Brescia, sur un sous-affluent gauche du Pô.
1 Antoine Digonet, né dans la Drôme le 23 janvier 1763. D'abord soldat à l'armée du général Rochambeau, puis adjudant-major au 2e bataillon des Landes en octobre 1792, il se distingua dans l'armée des Pyrénées-Orientales, fut nommé commandant le 1er mai 1793, puis servit comme général de brigade dans la division Marbot. Il se rendit à l'armée de Vendée, où il battit Charette et Stofflet. Hoche fit le plus grand éloge de lui dans son rapport au Comité de salut public.
Digonet servit ensuite sous Moreau à l'armée du Rhin, sous Lapoype à l'armée d'Italie, puis sous le maréchal Brune, et enfin à l'armée d'Allemagne jusqu'en 1810. Il mourut à Modène le 17 mars 1811.
3 Zayouchek (Joseph). Au service en Pologne en 1768, général majoren 1792et lieutenant général en 1799. Il entra au service de la France en 1801 comme général de brigade et devint général de division l'année suivante. Partit en Italie et en Egypte. Il fit les campagnes contre les Russes de 1805, 1807 et 1812, où il commanda la 28 légion polonaise. Blessé par un boulet et amputé d'une jambe à la Bérésina, il fut fait prisonnier.
Commandant de la Légion d'honneur en 1804, l'Empereur l'avait fait comte de l'Empire avec une dotation de 50.000 francs de rente sur le grand-duché de Varsovie. Il devint lieutenant de roi dans le nouveau royaume de Pologne (Collection de M. le général Rebora.)
* Thadé Kosciuszko, le célèbre dictateur polonais (1746-1817).
Le lendemain, 26 prairial, revue de l'Empereur luimême. Grandes manœuvres et petite guerre. Napoléon est bivouaqué dans de superbes tentes dressées dans la plaine même, sur un tertre un peu élevé, d'où il voit et dirige tous les mouvements des troupes.
Après cette belle revue, le 27 prairial an XIII, nous nous mettons en route dans la direction de Bologne, pendant la nuit et par une pluie battante.
lre étape. Marmirola 2e étape. Concordia i. A une lieue (3 milles) de Concordia, on trouve San Benedetto, petit bourg remarquable par l'abbaye, dont la volonté de l'Empereur a fait un hôpital militaire remarquablement beau.
3e étape. Mirandola2 4e étape. Cinto 3 5e étape. Bologna, département du Rheno. Nous y arrivons le 1er messidor (20 juin 1805), le même jour que l'Impératrice Joséphine, à qui nous allons rendre visite en corps ; elle reçoit fort gracieusement.
Je remarque surtout une petite dame bossue, Mme de Larochefoucault, qui me paraît fort spirituelle, comme le sont la plupart des personnes qui ont cette conformation4. Et en effet, il m'a été rapporté depuis qu'elle jouit, dans le monde, de cette réputation à un haut degré.
1 Concordia, bourg de la province de Modène, en Emilie, à 8 kilomètres N.-O. de Mirandole, sur la Secchia.
* Mirandola, village de l'Emilie, dans l'Italie septentrionale, à 30 kilomètres N.-N.-E. de Modène.
3 Cinto, village de la province de Venise, à 9 kilomètres N.-O. de Portoguraro, sur la Ragogna, affluent droit du Lemene.
1 Les Italiens ont aussi la même opinion sur les gobbi et les gobbe (bossus et bossues) ; ce qui se conçoit bien, la chose tenant. à une dis-
L'Impératrice est logée au palais Caprara, qui est remarquable, ainsi que le palais Bentivoglio.
Le portail de la municipalité est surmonté par une statue colossale de Grégoire XIII donnant sa bénédiction urbi et orbi ; mais lorsque les Français arrivèrent à Bologne pour la première fois, au commencement du généralat de Bonaparte, dans la crainte de voir la populace détruire ce monument, qui est en bronze, on le métamorphosa en un saint Pétronius, patron et ancien évêque de la ville.
Les théâtres de Bologne sont grands et beaux. Celui del Corso et celui de la commune sont les plus remarquables. C'est sur le premier que Vestris 1 le fils fait les délices des habitants dans Persée et Andromède, et là aussi, j'entends chanter la célèbre Banti2. Elle s'est enrichie en Angleterre, où elle était magnifiquement entretenue et rémunérée par un des grands seigneurs du pays. De retour en Italie, elle continue son premier métier, tout à fait par goût. On distingue sur le grand théâtre Marchesi3, l'un des premiers chanteurs et acteurs d'Italie, Parlamagni, très excellent bouffe, Magdalena Grassi, autre prima dona, etc.
Tout le corps d'officiers du régiment est abonné à
position anatomique, qui doit avoir son influence sous toutes les latitudes. (Note de Lagneau.)
1 Vestris (Marie-Auguste), né en 1760 et mort à Paris, fils du grand danseur italien et de la danseuse Allart; il débuta à l'Opéra en 1772.
Ce fut lui qui inventa les pirouettes.
1 Georgina-Brigida Banti ou Bandi, née à Créma en 1757, morte à Bologne le 18 février 1806. Elle débuta en 1778 à Paris, dans un café des boulevards, et fut ensuite engagée à l'Opéra, puis à Londres, où elle demeura neuf ans. Sa voix était d'une étendue prodigieuse.
3 Luigi Marchesi ou Marchesini, l'excellent acteur et chanteur italien, né à Milan en 1741, mort à Bologne en 1826.
ce théâtre, où nous nous réunissons presque tous les jours, ordinairement à l'orchestre. Pour moi j'y manque rarement, parce que j'y trouve un moyen de me familiariser avec la prononciation. de la langue italienne, ce qui est d'autant plus facile qu'on joue pendant un mois de suite le même opéra.
Madona di Luca. Je visite toutes les curiosités avec mon confrère Husson, médecin de la princesse Elisa Bacciochi, sœur de Napoléon.
[Il l'avait accompagnée dans son gouvernement de Lucques et Piombino, mais n'avait pas voulu rester toujours avec elle, quoiqu'elle eût toujours été pour lui d'une amabilité et d'une obligeance très grandes. Il retournait à Paris, où il était médecin du lycée impérial Louis-le-Grand, et où il avait laissé une clientèle qu'il ne voulait pas abandonner. Mais avant de rentrer en France, il visitait encore Gênes, Rome, Naples, Florence et Venise. Je l'avais rencontré par hasard au théâtre, où nous étions placés coude à coude sur la même banquette.] Le peuple de Bologne 1 est en général beaucoup trop
1 C'est pendant son séjour à Bologne que Lagneau reçut de Percy la lettre suivante, datée du 29 juillet 1805 : A Calais, le 10 thermidor an XIII.
Le chirurgien-consultant de Leurs Majestés Impériales et Royales, inspecteur général du service de santé des armées près de celle des Côtes de l'Océan, à M. Lagneau, docteur de Paris et chirurgien s.-a.
au 9° régiment d'infanterie de ligne, à Bologne, Italie.
Votre lettre du 18 messidor, mon cher monsieur, ne m'est parvenue que ce matin, parce qu'elle a été arrêtée à Paris, où vous me l'aviez adressée.
J'ignorais la faveur très particulière que S. M. a faite à M. Baudry, en le nommant chirurgien-major au 78 régiment de cuirassiers, où il me semble qu'on a envoyé M. Lozes, parti depuis peu du 218 régiment d'infanterie légère. Quelle est donc la place d'aide-major que M. Baudry
oisif ; aussi travaillant peu, ils se querellent et il en résulte des conflits et voies de faits qui se terminent souvent par des meurtres. Toutefois ce triste résultat est infiniment moins fréquent à présent qu'il ne l'était avant l'invasion des armées françaises et la mise en pratique de nos codes. Aujourd'hui on n'a plus à déplorer que sept ou huit assassinats par mois tandis qu'auparavant on trouvait chaque jour un pareil nombre de cadavres dans les rues, provenant d'attaques faites par des malfaiteurs embusqués derrière les piliers des arcades ou portiques, qui ne sont que médiocrement éclairés, et là seulement dans les enfoncements où se trouvent des madones. Il y avait aussi un certain nombre de ces crimes qui se commettaient dans des habitations, mais desquelles on transportait les cadavres dans la rue.
Ces assassinats s'exécutent toujours par le moyen du stylet, ou poignard très aigu, fort en usage dans toute l'Italie. C'est encore aujourd'hui le même instrument qui sert aux assassins, mais on ne les porte pas ostensiblement comme autrefois, parce qu'il y a des peines prononcées contre les personnes qui en ont. Ils portent ces stylets enfermés dans une gaine, le long de l'une des cuisses, dans une poche placée dans la direction de la couture, ou derrière la ceinture de la culotte. On a
laisse vacante ? Je vous conseille de la solliciter auprès de S. E. le ministre directeur. Vous êtes du nombre des chirurgiens s.-a. qui lui ont été présentés comme ayant le plus de droits à l'avancement. Je serais charmé que vous obtinssiez le succès et la justice que vous méritez si bien. Je vous garantis qu'aucun de vos compétiteurs ne m'intéresse plus que vous, et qu'il existe sur votre compte, au bureau de M. le conseiller d'Etat Bérenger, les notes les plus favorables. Demandez donc et faites demander.
Tout à vous et bien affectueusement.
PERCY.
même défendu, dans les ménages, l'usage des couteaux de table à pointe aiguë. Il faut qu'ils soient arrondis comme les couteaux allemands dont on commence à se servir en France, quoique ce ne soit pas par ordre de l'autorité.
J'ai vu moi-même, un jour, sur la place San Petronio, à la porte d'une taverne, commettre un de ces meurtres: c'était en plein midi. L'assassin s'est aussitôt échappé, sans aucun empêchement de la part des assistants, qui n'ont mis d'empressement qu'à entourer le blessé pour s'assurer de son état et ensuite pour aller chercher un prêtre pour le confesser, car il était mourant ; le coup lui avait été porté dans le ventre.
C'est à Bologne où, pour la première fois, j'ai vu des prêtres établis à la porte des églises, pendant la journée d'été, prêcher le peuple, un crucifix à la main et gesticulant comme des baladins un jour de foire. On dit que cet usage est général en Italie, et qu'à Rome particulièrement on voit ces prédicateurs remplissant leur ministère à côté des opérateurs et des marchands de chansons, et que la foule va des uns aux autres en guise de récréation sans qu'on puisse y reconnaître pour lequel est sa prédilection. On m'a même assuré avoir entendu un de ces prédicants du coin de la rue qui était contrarié de ce que son auditoire était bien moins nombreux que celui de ses voisins, s'écrier : « venite qua ; ecco il vero pulcinello », en leur montrant le Christ. Cela me paraît bien étrange.
[Je me souviens toujours avec plaisir des leçons de prononciation italienne que j'ai fort souvent prises, sur le milieu de la place Saint-Pétrone, vis-à-vis le petit théâtre de fantonini qui y donnait ses repré-
sentations. Là, grands et petits se réunissaient pour entendre les lazzis et les spirituelles plaisanteries de Pulcinello. Ces petits comédiens de bois avaient, et ont par toute l'Italie ce mérite bien appréciable, surtout pour les étrangers, c'est qu'on ne les fait pas parler, comme en France, en contrefaisant la voix au moyen d'une espèce de sifflet ou anche formée de deux morceaux de fer-blanc entourés d'un ruban étroit.
Leur interprète parle comme tout le monde, en modifiant seulement la voix pour les différents personnages, mais cette voix est toujours pure et les paroles intelligibles. Polichinelle surtout, dont les sentences sont fort estimées des assistants, a toujours l'organe plein et un choix d'expressions digne d'un avocat en renom. Sa prononciation toscane était toujours irréprochable ; on conçoit que cela convenait fort à un Français qui voulait apprendre la langue du pays ailleurs que dans les livres ; car il faut ajouter que polichinelle avait toujours un langage convenablement accentué. Dans les représentations qui l'exigeaient, on faisait intervenir des personnages qui parlaient le patois ou dialecte bolonais, le milanais, le vénitien, etc.] J'étais logé à Bologne chez un brave curé qui demeurait sur la place où s'élèvent les tours Asinelli et Garizenda.
Mantoue. Nous sommes partis de Bologne le premier jour de brumaire an XIV, et sommes arrivés à Mantoue en trois jours, après avoir repassé par Cinto et Mirandola. Nous étions restés à Bologne à peu près trois mois, pendant lesquels j'avais repris mes recherches pour la seconde édition de mon livre.
Mantoue est, militairement parlant, la plus forte ville de l'Italie.
Aussitôt arrivés à Mantoue, on délivre des cartouches à la troupe, et l'on nous envoie le lendemain cantonner à Goïto 1.
Après six jours, nous recevons l'ordre de nous rendre à Legnago 2 (1er vendémiaire an XIV). Nous y arrivons en deux jours de marche, passant par Castagnero 3 (où nous couchons) et Sanguinetto 4.
Legnago est à 25 milles (8 lieues) de Mantoue.
Je trouve à Legnago le collègue Bellon attaché au 22e de ligne, et qui fait, avec moi, le service de l'hôpital militaire, sous un aide-major, ancien praticien, excellent homme nommé Duriot.
Le 26 vendémiaire an XIV (18 octobre 1805), les hostilités doivent commencer, mais on reste calme de part et d'autre. Seulement, on lève les ponts-levis et les Autrichiens détruisent la partie du pont qui leur appartient. Un mois après, ils feignent d'investir la ville , mais c'est une ruse, car ils battent en retraite le lendemain de cette démonstration ; on les laisse partir sans les poursuivre.
Notre garnison, composée de deux bataillons de notre régiment (le 3e étant détaché à Peschiera 5, sur la pointe
Goito, bourg de la province de Mantoue, en Lombardie, sur le Mincio, affluent gauche du Pô.
* Legnago, ville de Vénétie, à 40 kilomètres S.-E. de Vérone, située sur l'Adige.
3 Castegnero, village de la province de Vicence, à 11 kilomètres E. de Barbarano, sur le Bacchiglione, affluent droit de la Brenta.
* Sanguinetto, bourg de Vénétie, à 32 kilomètres S.-S.-E. de Vérone.
5 Peschiera. ville de la province de Vérone, en Vénétie, à 12 kilomètres S.-S.-O. de Bardolino, sur le lac de Garde, à la sortie du Mincio.
méridionale du lac de Guarda) ne peut s'exposer à les suivre. Elle se borne à la simple occupation de la ville de Porto où l'on ordonne de suite le rétablissement des fortifications sur l'ancien plan, avec cette différence pourtant que les bastions doivent être plus saillants et les courtines qui les séparent moins étendues, corrections que les ingénieurs modernes ont jugé à propos de faire aux fortifications de San Michello 2.
En attendant l'issue de la campagne, dont les plus grandes opérations ont lieu en Autriche, on élève provisoirement une tête de pont, en terre, afin de se ménager une retraite plus sûre et plus facile en cas de revers.
Je fais successivement le service à Porto-Legnago, sous les confrères Pitrou, Joufroy (de Dôle) et Duriot.
Ce dernier, homme de cinquante ans, avait résidé en Turquie, où il s'était habitué à l'usage de l'opium, qu'il mangeait et suçait, comme nous le faisons d'un morceau de suc de réglisse noir. Il en avait presque toujours un morceau dans la bouche ; quand, par hasard, il n'en usait pas, il devenait lourd et peu causant. Dans le cas contraire, il était éveillé et spirituel, avec bonhomie et sans prétention.
Il était gai, aimable auprès des dames, auxquelles il plaisait fort ; il est vrai qu'il parlait déjà bien l'italien et faisait leurs portraits en miniature. En somme, notre petite société nous faisait passer le temps assez agréablement, quoique enfermés dans une place forte.
Portogruaro, ville de Vénétie, à 55 kilomètres N.-E. de Venise sur le Lemene.
* San Michele al Tagliamento, village de la province de Vénétie, à il kilomètres E. de Portogruaro.
Nous quittons Porto-Legnago les premiers jours de nivôse, après le traité de paix qui nous rend maîtres des Etats de Venise. Une grande bataille a été gagnée par Napoléon, à Austerlitz, en Moravie, contre les Autrichiens et les Russes leurs alliés.
Notre destination est pour Padoue (Padua), où nous devons attendre le prince Eugène, pour entrer à Venise.
lre étape. Este 1.
2e étape. Monselice 2 3e étape. Padoue
Arrivés à Padoue, on nous annonce, ce qui nous contriste tous, qu'il nous faut pousser jusqu'à La Mira 3, qui est à 1.0 milles au delà. A peine nous laisse-t-on le temps de nous restaurer par un assez mauvais déjeuner, fort cher. Quant à moi, je ne veux pas pourtant passer sans considérer le célèbre tombeau de saint Antoine de Padoue.
4e étape. Mira, Lamira ou la Mira Nous formons à la Mira l'aile droite des troupes qui bloquent la ville de Venise, en y comprenant toutes les lagunes.
Après quinze jours de résidence à la Mira, nous partons (notre bataillon, le 1er) pour San Donato di Piava 4, au nord-est de Venise, où nous arrivons après deux jours de marche, le 8 janvier 1806.
C'est un petit bourg ou très grand village, sur la rive
« 1 Este, ville de Vénétie, à 23 kilomètres S.-O. de Padoue.
1 Monselice, ville de Vénétie, à 20 kilomètres S.-S.-O. de Padoue.
8 Mira, bourg de Vénétie, à 7 kilomètres E.-N.-E. de Dolo, sur la Brenta.
4 San Dona di Piave, bourg à 29 kilomètres N.-E. de Venise.
gauche de la Piave. Nous y restons huit jours et nous en partons le 17, pour Mestre, en revenant sur nos pas, pour nous rapprocher de Venise où nous devions entrer de suite, mais les Autrichiens, qui sont obligés d'évacuer la ville, en vertu du traité de paix qui a été signé à Vienne, après la victoire d'Austerlitz, ayant beaucoup de troupes à évacuer, tant par mer que par terre, ne veulent pas être trop pressés.
Venise, le 21 janvier 1806. Nous nous embarquons sur le canal de Mestre l, qui aboutit aux lagunes, que nous traversons ensuite l'espace de cinq milles. On entre ensuite dans le grand canal (il canalasso) et nous débarquons à la Piazetta di San Marco. C'est le 1er de ce mois de janvier 1806, qu'en vertu d'un décret impérial on a rétabli l'usage du calendrier grégorien; ainsi l'an XIV de la République n'a compté avec le calendrier républicain que pour les trois premiers mois, vendémiaire, brumaire et frimaire.
Nous débarquons sur la petite place de San Marco, (la Piazetta) qui est baignée par les lagunes. On y débarque par deux ou trois marches. Nous y trouvons encore des troupes autrichiennes, qui, devant se retirer par Mestre, attendent notre arrivée pour s'embarquer sur les bateaux qui nous ont amenés, les autres troupes se sont déjà embarquées pour Trieste.
On nous livre aussitôt tous les postes de la ville et les forts des lagunes et des embouchures sur l'Adriatique 2.
1 Mestre, ville de Vénétie, à 10 kilomètres N.-O. de Venise.
1 Percy répondait en ces termes à une lettre qu'il venait de recevoir de Lagneau.
Le 25 janvier 1806, nous recevons subitement l'ordre de quitter Venise, après trois jours seulement de résiAu quartier général de Linz, le 23 janvier 1806 P.-F. PERCY, Chirurgien-inspecteur général de la Grande Armée, chirurgien consultant de LL. MM. 11. el RR., officier de la Légion d'honneur, etc.
A Monsieur Lagneau, Docteur de l'Ecole de médecine de Paris et chirurgien au 9e régiment d'infanterie de ligne. Armée d'Italie.
J'ai envoyé, mon cher Lagneau. à S. E. le Directeur-ministre, la lettre que vous m'avez écrite de Lagnano et j'y ai ajouté ces mots : « On a fait commettre à S. E. une injustice criante et scandaleuse en lui faisant nommer chirurgien major le sieur Fondreton", le plus médiocre des chirurgiens aides-majors, ci-devantgarçon chapelier, etc., etc., et on l'a trompée indignement en affectant de ne pas lui présenter, pour avancement, M. Lagneau, l'un des chirurgiens les plus distingués de nos armées, l'un des docteurs dont l'Ecole de Paris se glorifie le plus, etc. »
Je n'achève pas ma note parce qu'elle tourmenterait votre modestie.
Je me rappelle que j'y ai ajouté que M. Corvisart vous affectionnait et vous estimait beaucoup et qu'en mon particulier je faisais plus de cas de vous que d'aucun de mes collaborateurs, quoique j'en aie de très intéressants et qui me sont chers.
J'ignore ce que produira mon annotation, mais je suis sûr que le tort et l'injure qu'on vous a faits, peut-être sans le vouloir, seront réparés. Le ministre est un homme équitable, mes collègues restés à Paris auront eu la main forcée par Fondrcton, sur le compte de qui je me suis quelquefois expliqué en leur présence; ils vous connaissent et par conséquent vous apprécient. Tout s'arrangera et je vous réponds que votre marche vers le grade de chirurgien-major ne sera point ralentie par le retard que l'on a mis à vous nommer aide-major.
Adieu, mon cher Lagneau, rassurez-vous et comptez sur mon attachement bien sincère.
PERCY.
1 Fondreton (Joseph-Antoine), né à Vézelise (Meurthe) le 16 décembre 1776, fils d'un avocat et notaire royal, entra au service le 26 nivôse an II, comme chirurgien de 38 classe à l'hôpital militaire de Strasbourg.
Dix ans après, il fut reçu docteur par l'Ecole de médecine de Strasbourg après avoir soutenu une thèse sur « l'abus de la saignée dans le cas de plaie de poitrine pénétrante ». Il passa à l'armée de Naples .oon}tn chirurgien-major et y resta trois ans. ,Chirurgien.-major d.
98 tirailleurs en 1813 (Jeune Garde), chirurgien-major à - Givet en 1825, il fut nommé la même année membre correspondant de l'Académie 4e médecine. Retraité en 1835.
Pour son mariage, ses papiers furent établis sous la première Restauration, avec la mention : Autorisé de rester dans ses foyers avec le traitement de demi.solde en attendant sa retraite.
Il fut replacé au retour de l'Empereur, ne crut pas devoir solliciter
dence, dont heureusement j'ai bien profité pour visiter tout au moins l'essentiel en fait de monuments et de curiosités de cette cité. On disperse notre ge régiment dans les îles et les forts des lagunes, pour les garder, diton, mais surtout pour jouer pièce à notre chef, le colonel Pépin, qui a eu la maladresse de se brouiller avec le général de notre division. J'en suis bien. fâché pour mon compte particulier.
Nous nous embarquons sur les lagunes, dans de grandes barques, qui nous conduisent en longeant la côte de l'île Longue, nommée le Lido de Pellestrina1 Pellestrina, le 3 février. Après huit jours seulement de résidence à Chioggia 2, je suis envoyé avec le bataillon à Pellestrina, île longue et extrêmement étroite, aboutissant, au nord, à la passe ou port de Malamocco 3 et de l'autre extrémité à celui de Chioggia.
A Pellestrina *, nous sommes logés (l'état-major) dans un couvent de franciscains, assez beau, mais pauvre, si nous en jugeons par le régime maigre qu'on y observe.
Il est vrai que nous mêlons en certaine proportion, le bœuf, le mouton, la volaille, etc., à la pitance modeste des moines : le poisson et les légumes.
l'autorisation du ministre et se maria le 9 mai 1815. On s'en aperçut en 1841 : aussi toute retraite fut refusée à sa veuve.
Les notes ne concordent pas avec l'appréciation de Percy.
An XIII : « Zélé, actif, belle tenue, bonne conduite. »
Le général Levai dit de lui la même année : « Homme d'un grand mérite, qui promet beaucoup, a l'estime de ses chefs ».
1 Lagneau intercale ici une très longue description de Venise et de ses monuments.
2 Chioggia, à 24 kilomètres S. de Venise, sur les lagunes, à 4 kilomètres N. de l'embouchure de la Brenta.
3 Malamocco, bourg de Vénétie, à 6 kilomètres S. de Venise.
4 Pellestrina, bourg de la province de Venise, à 6 kilomètres N.-N.-E. de Chioggia.
Pendant les quinze jours que nous passons à Pellestrina, je fais, en bateau bien entendu, des visites fréquentes dans les forts en forme de pâtés, semés dans les lagunes, pour y voir si les petites garnisons que nous y avons placées ont ou non des malades.
Le 11 février 1806, nous retournons à Chioggia et, le lendemain 12, nous nous dirigeons sur Vérone.
Il fait un temps affreux, une pluie battante, qui délaye la boue de la route, belle d'ailleurs, et en emplit les fossés. Plusieurs soldats ont failli se noyer, car le pays est bas et les fossés larges et profonds comme de petites rivières. Un capitaine de mon régiment y a laissé une de ses bottes, tant on entre profondément dans la terre délayée. En quittant les lagunes, nous voyons les nombreux travaux de défense qu'ont exécutés les Autrichiens, tant à Brondolo 1 que le long de la Branta.
La marche longue et pénible, surtout par le temps qu'il fait, a désorganisé nos bataillons. On se tire difficilement de ces marais de boue, les uns s'y étalant, les autres glissant au fond du liquide sans avancer, de sorte que nous ne sommes, nous, arrivés à Padoue qu'à dix heures du soir, presque tout le régiment étant resté en arrière, en traînards.
Une fois arrivé, je n'ai pas demandé de billet de logement au podestat. Nous sommes entrés dans une auberge (hosteria), un capitaine et moi, le capitaine de Boisthiéry 2. Nous nous sommes séchés auprès d'un grand
1 Brondolo, port situé à 28 kilomèlres S. de Venise, à l'extrémité sud de la lagune de Venise.
2 Boisthierry (Charles-Juste de), né en 1777 à Gerberoy (Oise). Il entra le 1er fructidor an VII (18 août 1799) comme soldat au 1er bataillon
feu et après un excellent dîner, dont nous avions, l'un et l'autre, le plus grand besoin, nous avons dormi jusqu'au lendemain.
Le régiment étant à peu près au complet, les traînards ayant rejoint pendant la nuit, nous partons pour continuer notre route pour Vicence (Vicenza).
Le troisième jour, nous couchons à Montebello l, célèbre par un combat où s'est illustré le général Lannes, auquel on a conféré depuis le titre de duc de Montebello.
Le quatrième jour, nous arrivons à Vérone, le 16 février 2
Vérone a été, pendant les premières guerres d'Italie, le théâtre d'un complot, avec commencement d'exécution, pour assassiner la garnison française. Les habitants étaient excités par les émissaires du Sénat de Venise.
Ils en ont été bien punis et ceux des conspirateurs qui n'ont pas été fusillés ont, en grand nombre, été exilés et transportés en France. Un détachement de ces gens-là, qui étaient presque tous jeunes, avait pour résidence Chalon lorsque je commençais mes premières études dans l'hôpital.
C'est même de l'un de ces jeunes gens, qui y occupait un lit depuis longtemps, que j'ai reçu les premières, mais bien faibles notions de langue italienne.
de l'Oise (qui devint 98e demi-brigade). Sergent le mois suivant, sergentmajor au bout de quelques jours et sous-lieutenant après deux ans.
Lieutenant aux grenadiers à pied. Prisonnier en Russie. Capitaine (chef de bataillon) avec Lagneau, au 3° grenadiers pendant les CentJours. Licencié avec ce corps, il réclama sa réintégration jusqu'en 1843.
1 Montebello, bourg de la province de Vicence, à 8 kilomètres N. de Lonigo, sur le Chiampo, affluent gauche de l'Adige.
1 Suit une longue description de la ville de Vérone.
Le 2 avril, nous quittons Vérone après un mois et demi de résidence, pour nous rendre à Palma-nova 1, dans le Frioul Vénitien, où nous devons recevoir de nouveaux ordres. Nous suivons, en ligne droite, le penchant de la montagne jusqu'à Caldiera ; puis la route entre dans les montagnes et des gorges qui conduisent jusqu'à Montebello, à 20 milles de Vérone. C'est le lieu ordinaire de l'étape ; mais on nous fait continuer 5 milles de pl- s jusqu'à Monteggio, qui est située à gauche de la route, au pied d'une montagne, couronnée par un vieux château semblable à un que nous avons déjà remarqué à Montebello.
Ces dernières villes, Montebello et Galdiera2, viennent d'être les témoins de combats très vifs, lors du dernier passage de l'Adige.
3 avril 1806. De Monteggio Maggiore à Vicenza (Vicence), il y a 8 milles ; nous arrivons à neuf heures du matin. C'est une grande et jolie ville de 30.000 habitants, située entre deux montagnes, ou plutôt entre plusieurs montagnes, qui la couvrent, au nord du côté du Tyrol et au sud du côté de Padoue 3 Le 4 avril 1806, nous partons de Vicenza pour Castel Franco., lieu ordinaire d'étape ; mais comme il est occupé par d'autres troupes, nous sommes envoyés sur la gauche, direction de Bassano, au pied des montagnes,
1 Palma-nova, ville de Vénétie, à 18 kilomètres S.-S.-E. d'Udine.
Caldiero, bourg de la province de Vérone, à 8 kilomètres O. de San Bonifacio.
3 Suit la description de Padoue.
1 Castelfranco, ville de la province deTrévtSe, en Vénétie, à 28 kilomètres 0. de Trévise.
à Codego l, où je suis logé chez un riche molinaro (meunier), qui a pour compagne une très jolie molinera Castelfranco. Nous devons coucher à Trévise, et passons à Castelfranco Trévise, 5 avril. Trévise est une assez grande ville, chef-lieu de la province « le Trévison ».
Je n'ai vu de remarquable dans cette ville que quelques jolies femmes et de beaux cafés. Nous logeons dans un village nommé San Artino, lieu fort plaisant sur la route de Conegliano.
De San Artino nous partons le 7 avril pour Conegliano, nous passons la Piava (Piave) en bateau, un mille au-dessus d'un superbe pont construit par les Autrichiens.
Conegliano z, 7 avril 1806.
Pordenone 3, 8 avril
Pordenone est une petite ville, que nous dépassons pour pousser jusqu'à Codroïpo, village à 3 milles plus loin. Pays pauvre, où nous vivons et couchons fort mal, sans matelas et sans lit de plumes.
Codroïpo 4 9 avril. Il y a, de Pordenove à Codroïpo, 12 milles (3 lieues) et nous allons coucher, 10 milles plus loin, à Fiambro, à droite sur la route de Palmanova.
10 avril 1806. Nous partons pour Palma. Nous voyons
1 Codevigo, village de la province de Padoue, en Vénélie, sur la Brenta.
! Conegliano, ville de la province de Trévise, en Vénétie, à 27 kilomètres N. de Trévise.
3 Pordenone, ville de Vénétie, à 46 kilomètres O.-S.-O. d'Udine.
4 Codroipo, ville de la province d'Udine, en Vénétie, à 22 kilomètres S.-O. d'Udine.
sur la route, dans les fossés surtout, beaucoup de carcasses de chevaux tués dans les dernières affaires.
Le sexe est assez beau à Palma-nova, et il paraît justifier l'axiome qui dit que, dans les villes de garnison, il y a peu de cruelles.
Après trois jours de repos à Palma-nova, je suis envoyé avec mon bataillon en cantonnement à Mortegliano 1, village à 8 milles en retournant du côté de Codroïpo. Tout le régiment, excepté un seul bataillon, qui reste en garnison à Palma, se trouve ainsi cantonné dans les pays circonvoisins.
A dater de notre arrivée à Palma-nova, nous faisons partie de la division du général Marmont, sous les ordres immédiats du général dé brigade Boudet, qui réside à Udine, capitale du Frioul, à 8 milles de Palma-nova.
Il y a un usage établi à Mortegliano, qui l'est probablement aussi dans tout le Frioul, et qui consiste à payer une ou deux pleureuses et quelquefois plus encore, pour accompagner les morts jusqu'à leur tombe. Ces femmes, lorsque le cercueil est encore dans l'église, se courbent vers le défunt, qui est ordinairement découvert et habillé, comme dans toutes les autres régions de l'Italie, et chantent en pleurant certaines psalmodies fort discordantes.
Elles en font autant jusqu'au cimetière et ne finissent que lorsque la fosse est complètement remplie de terre, ce qu'on ne fait qu'après avoir placé une planche qui recouvre la bière. De temps à autre, pendant la cérémonie, elles appellent le mort par son nom, comme pour le réveiller et lui disent de ne pas les abandonner.
Mortegliano, bourg de Vénétie, à 14 kilomètres S. d'Udine.
Cet usage est très primitif et pratiqué parmi les sauvages d'Afrique et du Nouveau-Monde.
25 avril 1806. Voyage de curiosité à Udine. J'ai peu le temps d'y voir ce qu'il y a d'intéressant. Ce sera pour une autre fois.
30 avril. Je reçois une lettre de ma sœur cadette, qui m'envoie aussi un gilet brodé de sa main et de celle de ma sœur Simone. Il est en casimir blanc, la broderie est en or.
Le même jour, 30 avril 1806, je reçois l'ordre de M. Gonel (en date du 25 avril), chirurgien principal, pour faire le service à l'hôpital n° 1, à Udine 1.
Je m'y rends le 1er mai, jour d'une fête donnée par le général Marmont, commandant notre corps d'armée 2 C'est à Udine qu'a été signé le traité de paix de CampoFormio, du nom d'un petit village situé à 4 milles d'Udine, sur la route de Codroïpo. Dans un mauvais réduit les deux généraux, le prince Charles d'Autriche et notre Empereur actuel, se réunirent pour en signer les préliminaires. Les articles furent ensuite discutés et enfin rédigés par les plénipotentiaires, dans le magnifique château du Doge, à Passeriano, et la paix définitivement signée à Udine, dans le palais où loge actuellement le général Marmont, sur le grand balcon de pierre qui donne sur la rue, le 17 octobre 1797 (26 vendémiaire an VI).
[Pendant six mois de séjour à Udine, je suis resté atta-
Udine, chef-lieu de province en Vénétie, à 97 kilomètres N.-E. de Venise.
s Suit la description d'Udine.
ché à l'hôpital n° 1, où Broussais que j'ai trouvé là avec bien de la joie, comme un de mes anciens condisciples, était chargé du service comme médecin ordinaire. C'est dans cet établissement que j'ai fait, avec Treille 2, du 74e régiment de ligne, en réquisition comme moi, presque toutes les autopsies qui ont servi de base au traité des phlegmasies chroniques.] Après notre service, nous nous réunissons chez Broussais pour y étudier entre nous, et sans maître, l'italien, en comparant les traductions des auteurs latins principalement. Nous repassons ainsi nos auteurs classiques en apprenant la langue toscane.
[Sortant de ces réunions, qui nous intéressaient fort, nous allions nous promener en conversant sur des sujets de médecine, de littérature ou de politique, comme des philosophes péripatéticiens. Nous avions souvent pour compagnon, dans nos promenades, le général Foy 3 qui
1 Broussais (François-Joseph-Victor) , né à Saint-Malo en 1772, mort en 1838. Une des plus grandes figures du corps de santé. Il débuta en 1792, dans la marine, comme officier de santé de 3° classe, licencié au bout d'un an. Il continua ses études à Paris en 1804, fut nommé médecin ordinaire à l'armée des Côtes. Fit les campagnes d'Italie et d'Espagne.
Médecin adjointau Val-de-Gràce en 1814, 2° professeur l'année suivante et médecin principal, premier professeur en 1826, il entra comme membre adjoint au conseil de santé tout en conservant sa chaire. Il devint médecin inspecteur en 1836 et commandeur de la Légion d'honneur l'année de sa mort. Sa statue est au Val-de-Gràce.
2 Jean-François-Bernard-Maurice Treille, né en 1783 dans le département du Gers, était médecin militaire en 1808, et en 1816 chirurgien en chef de l'hôpital militaire établi temporairement à Toulouse.
3 Foy (Sébastien-Maximilien), né à Ham en 1775, mort à Paris en 1825 dans la maison qu'il habitait, rue de la Chaussée-d'Antin, près de celle de Lagneau.
Il entra dans l'armée comme sous-lieutenant au 3e d'artillerie en 1792.
Adjudantgénéral en 1799, général de brigade en 1808, général de division en 1810. Il reçut de l'Empereur une rente de 8.500 francs sur le mont de Milan, sur Rome et sur le Hanovre. Baron de l'Empire en 1810. Comte de l'Empire en 1815. Il fit les campagnes de Belgique, d'Italie, d'Allemagne,
n'était alors que le colonel commandant l'artillerie du corps du général Marmont, avec lequel nous devions aller en Dalmatie. Le général Foy était très lié avec Broussais, et c'était un homme d'un grand savoir, dont l'Empereur négligeait l'avancement parce qu'il avait son franc parler, au point qu'on ne le croyait pas assez dévoué.]
défendit les Dardanelles contre la flotte anglaise, combattit en Portugal, et en Espagne, fut blessé à Toulouse et à Waterloo. Député de la Somme en 1819, il se révéla comme orateur et protesta contre l'intervention en Espagne et le milliard des émigrés.
Ses obsèques eurent un caractère national, et une souscription en faveur de sa famille produisit un million.
Il fut remplacé comme député par le général Sébastiani, qui devint pair de France en 1840.
CHAPITRE V
Nommé aide-major au 12e dragons. Départ pour l'Allemagne à la recherche du régiment. — Traversée du Tyrol. — Anachronismes des peintres. — Munich. — Le roi de Saxe. —
Leipzig. — Dépôt de la Garde à Potsdam. — Berlin. — Rencontre du 12e dragons près de Willenberg. — Nous suivons l'ennemi. - Petits engagements. — Bataille d'Eylau. — Les Cosaques. — Le corps des dragons, essais fâcheux du général Baraguey d'Hilliers.
28 octobre 1806. Je reçois une lettre ministérielle par laquelle j'apprends ma nomination au grade d'aidemajor au 12e régiment de dragons, depuis le 3 du même mois. (La lettre ministérielle est datée du 9.) Le 30 octobre je vais à Cividale faire mes adieux au colonel, ainsi qu'aux autres officiers du ge régiment, que je n'ai pas vus depuis qu'on m'a requis pour le service de l'hôpital militaire de la division à Udine. Je règle avec le quartier-maître qui me redevait vingt-un louis.
Cividale 1 est une ville fermée et très ancienne. Les rues y sont étroites et les femmes jolies et assez disposées à la galanterie Je suis logé chez le comte Atymis, riche et pourvu d'une jeune gouvernante de dix-sept ans, qui n'aurait sans
1 Cividale del Friuli, ville de la province d'Udine, en Vénétie, à 17 kilomètres E.-N.-E. d'Udine.
doute pas été fidèle au comte sans une vieille mégère qui a, depuis quarante ans, le titre et les fonctions de cuisinière ; elle devrait bien, la bonne femme, s'en tenir à goûter ses sauces, qui d'ailleurs sont exquises.
Le 31 octobre, je vais rendre une visite d'adieu au bon Dr Welker, mon brave chirurgien-major, qui me recommande, si je passe près de Leipzig, de voir sa sœur, mariée au bourgmestre d'une petite ville.
Cormons Je quitte Udine le 9 novembre.
D'abord j'avais projeté de traverser la Styrie, la Carinthie et l'Autriche, pour aller rejoindre mon nouveau régiment, le 12e de dragons, qui fait partie de la Grande Armée.
Je pouvais à la rigueur suivre cet itinéraire, puisque les Français occupaient Vienne depuis, et même avant la bataille d'Austerlitz. Mais on me fait entrevoir les difficultés et même quelques dangers à entreprendre un pareil voyage, dans un pays ennemi il y a quinze jours, et peut-être assez mal réconcilié avec le nom français. Je me décide donc à passer par le Tyrol et la Bavière, ne sachant pas au juste où trouver mon nouveau corps.
A dater de ce moment, je suis obligé de recourir à mes seuls souvenirs, pour trouver la route que j'ai parcourue, parce que mes notes de cette partie de mes pérégrinations ont été laissées en 1812 à Vilna, lors de notre bataille de Moscou 1.
Je pars d'Udine le 3 novembre 1806, je couche à Pordenove (32 milles). Je voyage avec le Dr Wally,
1 J'ai retrouvé une partie de mes notes et je mentionne ce que j'avais omis. (Noie de Lagneau.)
médecin militaire italien, qui s'est inoculé la peste à Constantinople, il y a quelques années.
Il a observé les affections inflammatoires de l'estomac et des intestins à Mantoue (où il est médecin de l'hôpital civil). Il traite ces maladies par le cautère actuel ou potentiel, sur le point le plus douloureux quand elles sont fortes. Il s'en tient aux vésicatoires quand elles sont légères, mais toujours avec le régime délayant et antiphlogistique.
10 novembre. Trévise (35 milles). J'arrive tard et suis obligé de remettre au lendemain, jour de la SaintMartin, pour chercher une voiture.
11 novembre. Course de chevaux barbes, grande affluence de gens arrivant des lieux circonvoisins. Je trouve là M. Jouffroy, sa femme et son neveu. (Voiture, 38 lieues, dépense de la route : 19 francs.) Les femmes de Trévise sont jolies et les grisettes me rappellent celles de Venise, car elles portent, comme elles, un grand châle blanc sur la tête, qui en fait des espèces de vierges assez gentilles (séjour).
Le 12 novembre 1806. Je quitte Trévise, en compagnie d'un honnête Italien, porteur, selon la coutume locale, d'un long poignard, qu'il place, revêtu de son étui, le long de sa cuisse droite, dans une longue pochette à ce destinée. Cet instrument lui sert pour couper les fruits, comme si c'eût été un simple eustache de six liards; du reste, c'est un bon homme, qui me dit qu'on est obligé, dans ce pays, d'aller ainsi armé pour imposer à la canaglia.
Nous voyageons en très bonne harmonie jusqu'à Bassano, dont on a donné le titre à M. Maret, en le faisant duc.
Borgo, 13 novembre.
14 novembre 1806. Trente. La ville de Trente est célèbre par le fameux concile, qui a mis fin au mariage des clercs. Il s'est tenu dans Santa Maria Maggiore, qui est une église assez petite et sombre.
Je suis hébergé et nourri aux dépens de l'Etat, ainsi qu'il est d'usage en Allemagne. J'ai payé 63 francs pour la voiture de Bassano à Trente.
Bozen1, 15 novembre. C'est la première ville où je trouve un commandant bavarois. Il me fait, encore suivant l'usage, donner un logement et une voiture.
Les femmes portent ici, et surtout dans les campagnes environnantes, des bonnets de forme conique, dont la base leur descend jusqu'aux yeux et couvre les oreilles.
Ces coiffures sont de coton, mais fort épaisses, comme les bonnets que portent ordinairement en France les courriers et conducteurs de diligences. Je les croyais d'abord faits en peaux d'agneaux. Cela suppose que la température est très variable dans ces montagnes.
Cependant, dans les villes principalement, il y a d'autres femmes qui ont, pour seule coiffure, des espèces de papillons en gaze noire, formant trois ailes, une verticale au sommet de la tête et une horizontale derrière chaque oreille s'appliquant à l'occiput. De manière que ces bonnes femmes ont assez l'air de moulins à vent. Des jeunes dames riches se mettent à la française, mais il y en a encore peu.
Les Tyroliens portent beaucoup de chapeaux verts,
à grands bords et ornés de rubans; ils font usage, comme 1 1 l
1 Bozen ou Botzen,,# ~)$ "l' \H ¡' i ~-IdionaI, à 38 kilomètres S.- O de * Bozen ou Botzen, - à 38 kilomètres S.-O. de Brixen, à 55 kilom N. de TrentéÇ
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les paysans d'Alsace, de bretelles larges, avec une traverse sur la poitrine, pour porter leurs culottes ; ces bretelles sont en fort taffetas, de couleur verte et doublées de peau, ou d'une forte toile. Elles ont au moins cinq pouces de large, ainsi que les traverses du devant et du derrière de la poitrine.
Ils sont presque tous chaussés avec des brodequins et ont l'habitude de porter des stylets, qu'ils ne cachent pas comme les Italiens, car ils s'en servent comme de couteaux.
Brixen 1. Le prince évêque de Brixen y fait toujours sa résidence, quoique n'ayant plus que le gouvernement de ses ouailles, en qualité de simple prêtre.
Steinbach, 17 novembre. Je croyais pouvoir faire trois étapes pour me rendre à Inspruck ; mais les chevaux n'ont pas été assez lestes. Je m'arrête à la seconde station.
Je n'ai fait aucune dépense.
Le commissaire des guerres, qui se nomme ici simplement le march-commissaire (et non le kriegs-commissaire) m'a, de motu proprio, donné un billet ou bon de rafraîchissement pour Stergzine, première poste.
18 novembre, Inspruck. Capitale du Tyrol, très bien située, nombreuses et belles églises que j'ai visitées très en détail et où j'ai admiré de riches peintures et sculptures.
19 novembre, Mittenwald1. Route fatigante, quoique les chemins soient beaux. Il fait bien froid ! Je suis logé
1 Brixen, ville du Tyrol, dans le cercle d'Inspruck.
* Mittenwald. bourg de la Haute-Bavière, à 15 kilomètres E. -S.-E. de Garmisch, sur l'Isar, affluent droit du Danube.
dans une maison où les peintures ne manquent pas, comme dans tout ce pays et comme j'ai les pieds au chaud, ce qui dispose à réfléchir, je me rappelle ici, à l'occasion d'un cadre représentant une descente de croix assez bien faite, que j'ai vu dans une auberge du Tyrol, aux environs de Brixen, un tableau qui n'était pas d'une main trop mauvaise, mais celle-ci était guidée par une bien pauvre tête. Cette peinture représentait la Fuite en Egypte. Le bon Joseph, qui conduit l'humble monture à longues oreilles sur laquelle sont bien posés la Sainte Vierge et le petit Jésus, est assez singulièrement vêtu et porte, entre autres choses curieuses, un chapeau vert orné de rubans, comme ceux des Tyroliens, ce qui donne à ce grave personnage la tournure d'un Colin. Ceci cependant ne me surprend pas encore trop, puisqu'on voit, en Italie même, de semblables contre-sens (vrais anachronismes). Des peintres, en représentant la multiplication des pains, leur donnent la forme et l'aspect des pains italiens qu'on nomme des pagnotes (ou parnotes) ; de même quand ils représentent la Cène.
Chacun juge des anciens et des choses qu'il ne connaît pas, par ce qu'il croit voir d'analogue parmi les objets dont il a connaissance.
Ainsi en Flandre, les artistes peignent le pain qu'un corbeau ou autre oiseau portait quotidiennement à certain saint, vivant dans le désert, absolument comme ceux dont on fait usage dans leur propre pays, c'est-àdire ronds dans quelques endroits, longs dans d'autres, plats comme des galettes ailleurs, etc. Un peintre flamand, représentant le sacrifice d'Abraham, met dans
les mains du père un mousquet, avec lequel il se prépare à tuer son fils.
On voit relativement, en Tyrol, plus de madones, de chapelles et de crucifix sur les routes qu'en Italie même. Ce peuple est vraiment sage, religieux, convaincu et honnête par caractère.
A une demi-heure de Mittenwald, on rencontre, sur la gauche, les restes d'une forteresse fraîchement détruite. Elle se trouve sur les confins du Tyrol et de la Bavière, dont Mittenwald est la première ville.
20 novembre 1806. Wenedigbarn, fort village à 8 petites lieues de Mittenwald. Je suis logé dans un couvent dont le gouvernement bavarois a pris les biens, en vertu des derniers arrangements qui ont modifié la constitution de l'Empire.
Il est d'une grandeur et d'une magnificence rares et digne en tout des Bénédictins qui le possédaient.
Il a été acheté au roi par M. Rangschneider, référendaire royal et grand amateur de sciences, qu'il cultive avec succès. Il y a établi deux verreries, où il a appelé de bons ouvriers, entre autres un Suisse nommé Bonau, qui a trouvé la manière de faire des verres pour l'optique, beaucoup meilleurs que le fluidglas des Anglais.
L'académie de Munich a eu beaucoup de peine à déterminer M. Bonau à s'établir en Bavière. On lui a fait de grands avantages. Il a aussi sous sa direction immédiate des fourneaux pour les verres à vitres, les bouteilles, etc.
C'est un bien excellent homme, qui m'a fait voir avec beaucoup de complaisance tous ses ateliers et les produits de ses fournées.
J'ai aussi beaucoup à me louer du bon accueil que m'a fait M. Rangschneider, pendant mon court séjour sur sa propriété.
Wolfratshausen 1 (21 novembre).
Je me suis mis en route ce matin avec la pluie, pour la première fois depuis mon départ d'Udine et je l'ai eue pendant les trois quarts du chemin. Heureusement que M. Rangschneider a eu la bonté de me prêter sa chaise de poste, dans laquelle j'ai été bien garanti de la pluie. Le malheureux bourgmestre n'avait pu trouver dans toute sa juridiction qu'une voiture découverte.
Ici je me rappelle, à l'occasion d'un cimetière près duquel j'ai été logé, que, dans le Tyrol, surtout dans le village où j'ai la première fois entendu parler allemand, ce qui est du reste général en Bavière, que, dis-je, on a l'usage d'embellir les sépultures, sinon d'une manière agréable, au moins beaucoup moins triste qu'ailleurs.
D'abord je l'avais observé pour les cimetières protestants et je croyais que cela tenait à un usage qui leur fût particulier. Je me trompais ; il est aussi commun aux catholiques qui sont plus nombreux en Bavière que les dissidents. Ce sont des croix de bois noircies pour les pauvres gens, des croix en fer plus ou moins ouvragées et dorées, pour les personnes riches. Plusieurs de ces dernières ont aussi sur leur tombe un bénitier en marbre ou en airain, afin que les passants puissent asperger le monument ; on y voit aussi des madones, des saints et des inscriptions allemandes indiquant le nom et les qua-
Wolfratshausen, bourg du cercle de Haute-Bavière, à 27 kilomètres S.-S.-O. de Munich.
lités des défunts. Il y a de ces pierres tumulaires qui sont couvertes de feuillages entremêlés de bandes de papier doré ou de lames de cuivre également dorées. C'est comme ce qu'on appelle en France du clinquant.
22 novembre 1806. Munich. Capitale du royaume de Bavière, à 8 petites lieues de Wolfratshausen. La pluie nous a accompagnés toute la route, qui est percée à travers des bois étendus, qui viennent jusqu'au bord du grand chemin, ce qui fait croire qu'on ne craint pas, dans ce pays, d'être détroussés par les voleurs. Effectivement, de pareils événements sont rares, il faut le dire à l'éloge du peuple bavarois.
23 novembre (séjour). J'assiste comme curieux, dans l'église de l'Ordre de Malte, iyûn Te Deum chanté en action de grâces pour la victoire remportée à Iéna sur les armées prussiennes. Le roj Maximilien et toute sa cour y assistent avec un grand appareil. Sa Majesté a l'air d'une bonne personne, d'une taille avantageuse et d'à peu près cinquante-cinq à soixante ans. Elle est un peu corpulente. L'affection que lui portent ses sujets est une preuve de la douceur de son gouvernement.
Le roi Maximilien a été autrefois au service de la France, comme colonel. Sa résidence était Strasbourg, où il était connu sous le nom de Prince Max, par abréviation de Maximilien.
J'ai été par hasard, à ce Te Deum, l'objet d'une légère attention du roi lui-même, probablement parce que j'étais alors le seul militaire français à Munich, toute l'armée, cantonnée depuis huit mois dans ce royaume, étant partie pour atteindre les Prussiens. J'étais mo-
destement placé au centre d'un grand cercle d'assistants, bourgeois et autres.
Ma cocarde française fixa probablement l'attention du roi, qui m'envoya un chambellan pour m'engager à entrer dans l'enceinte, ce que je fis en saluant profondément Sa Majesté et j'y restai jusqu'à la fin de la cérémonie. J'ai encore vu le roi et la reine au théâtre. La salle est celle de la cour, que le roi a cédée au public parce que l'ancienne menaçait ruine. J'admire beaucoup la belle galerie de tableaux.
Pendant mon court séjour à Munich, j'ai fait connaissance, à la table d'hôte, avec un petit baron dont le nom ne me revient pas en mémoire et qui a mis beaucoup de grâce à me faire connaître la ville et les lieux de distraction qu'on y trouve.
24 novembre 1806. Freysing]. Je suis parti de Munich à une heure et arrivé ici à 6 heures et demie.
Abensberg2 (25 novembre). Petite ville qui a eu autrefois des souverains avec le titre de comte.
Douze lieues de Freysing à Abensberg, mauvaise route pendant deux étapes, surtout depuis Freysing.
A la première station, qui se nomme Au, petit village, j'ai trouvé un commissaire qui ne m'a pas paru sot pour un commissaire. Il m'a galamment invité à prendre ma part d'un bon dîner qu'il se disposait à expédier à lui tout seul.
Comme j'avais bien déjeuné, d'assez bonne heure il
1 Freisingen, ville du cercle de Haute-Bavière, à 35 kilomètres N.-N.-E.
de Munich, sur l'Isar, affluent droit du Danube.
1 Abensberg, ville du cercle de la Basse-Bavière, sur l'Abens, affluent droit du Danube.
est vrai, je me suis tant soit peu fait prier ; mais j'ai fini par céder, pour ne pas lui causer du chagrin. Il a ensuite mis le comble à ses bons procédés en me donnant une belle chaise, attelée de bons petits chevaux.
Nous avons traversé d'énormes forêts, Stadt-am-Hof i. 26 novembre. A moitié chemin, j'ai joint le Danube qui n'est pas plus large que la Seine en cet endroit. Stadt-am-Hof est un faubourg de Ratisbonne.
Ratisbonne (26 novembre 1806) est une très ancienne ville, qui avait le titre de libre ou hanséatique et où se tenait la diète de l'Empire germanique.
Le beau sexe me paraît ici assez joli, mais aussi passablement dévergondé.
27 novembre. Burglegenfeld 2 (5 lieues). Mauvais chemin, pluie continuelle. Arrivé à midi, j'étais déjà en voiture pour passer outre lorsqu'il a fallu en descendre, un des ressorts étant cassé.
28 novembre 1806. Amberg 3. Station à 9 lieues de Burglegenfeld ; petite ville, autrefois capitale du duché du Haut-Palatinat.
Ici je fais connaissance avec le général Deyunger.
29 novembre. Greyring, à 12 lieues d'Amberg. La première station est à Tumbach, mais comme on ne peut
Stadt-am-Hol, ville de Bavière, cercle du Haut-Palatinat, sur la rive gauche du Danube, en face de Ratisbonne.
* Burglengenfeld, ville du cercle du Haut-Palatinat, en Bavière, à 24 kilomètres N. de Ratisboqne, sur la Naab, affluent gauche du Danube.
3 Amberg, ville de Bavière, chef-lieu de district du cercle du HautPalatinat, sur la Vils, affluent droit de la Naab, à 67 kilomètres N.-N.-O. de Ratisbonne.
me promettre une chaise de poste pour le lendemain, je double avec celle qui m'amène d'Amberg.
A mon arrivée ici, il m'est survenu une assez désagréable aventure. Au moment où je descendais au Grosshaùs (grande maison), qu'on nomme aussi le Rothhaùs (maison rouge), le cocher qui m'a amené s'est sauvé avec ma malle, mon porte-manteau et celui d'un jeune allemand que j'avais pour compagnon de voyage, et nous n'avons pu le retrouver. Tous les renseignements que nous avons pu recueillir, c'est qu'il était retourné chez lui. Mon jeune compagnon s'est mis à ses trousses et j'attends le résultat.
Le 30. Nos effets sont retrouvés. Notre homme, le « fuhrmann », s'était sauvé, dans la crainte d'être contraint de nous conduire plus loin, ce qui arrive malheureusement dans le pays où l'on fait la guerre, et de fait nous en approchons. Il était d'autant plus autorisé à redouter que nous puissions en agir ainsi avec lui, d'abord parce que c'est chose très ordinaire dans les grands mouvements de troupes, surtout en Allemagne où l'on abuse souvent de la simplicité des paysans, et aussi parce que déjà je lui avais fait doubler une étape.
Il pouvait donc croire que nous l'emmènerions plus loin encore. Ce n'était sûrement pas mon intention. Je croyais faire séjour, mais j'ai le temps de pousser jusqu'à Bayreuth.
1er décembre 1806. Hoff 1, petite ville assez jolie, à 11 lieues de Bayreuth.
2 décembre. Séjour forcé, faute de chevaux. Les
1 Hof, ville du cercle de Haute-Franconie, en Bavière, à 49 kilomètres N.-N.-E. de Baireuth, sur la Saale, affluent gauche de l'Elbe, à quelques kilomètres des frontières de Saxe et de Bohême.
femmes portent ici des bottes ; il est vrai qu'il fait assez mauvais temps. C'est la première fois que j'en vois avec de pareilles chaussures. Elles ont aussi une coiffure assez singulière, qui consiste en un petit bonnet de mousseline, avec une garniture pareille, en guise de dentelle. Cette garniture est très étroite sur le front et autour de la face, mais elle est très haute sous le menton, de sorte que, descendant très bas sur la gorge, elle donne à ces femmes l'aspect des vieilles tourières des couvents, et cela d'autant mieux qu'elles mettent par là-dessus un large ruban noir.
3 décembre. Schleitz 1 C'est à Schleitz, ou pour mieux dire aux environs, que les hostilités ont commencé entre les Français et les Prussiens, dans cette dernière campagne. Le premier coup de fusil a été tiré sur le pont qui est au sortir de la ville, en allant à Auma 2 Géra3 (4 décembre 1806).
Nous avons eu de la neige toute la matinée et une route extraordinairement mauvaise tout le jour.
J'ai cru plusieurs fois, surtout dans le trajet d'Auma à Géra, que les chevaux ne pourraient pas nous tirer du bourbier, et si je n'ai pas versé dans la neige et dans la boue, ça été un vrai miracle.
Zeitz, petite ville. Route horriblement détériorée. Je voyage avec deux officiers de santé, qui reviennent des
Schleiz, ville de la principauté de Reuss, en Allemagne centrale, à 39 kilomètres S.-S.-O. de Géra, sur un affluent droit de la Saale.
1 Auma, ville du grand duché de Saxe-Weimar, à 14 kilomètres E.-S.-E. de Neustadt, sur l'Auma, rivière du bassin de l'Elbe.
3 Géra, ville de la principauté de Reuss, en Allemagne centrale, à 55 kilomètres E.-S.-E. de Weimar, sur la rive droite de l'Elster, affluent droit de la Saale.
hôpitaux français en Autriche et se rendent comme moi à la Grande Armée. Nous sommes transportés par une voiture fort propre, qui appartient au prince, car il est impossible de mettre en réquisition des voitures de particuliers, toutes étant déjà parties à la suite de l'armée
Pégau 1. 6 décembre 1806. Très petite ville, où, si l'on en juge par l'extérieur des maisons, les habitants doivent être pauvres.
C'est là où je vois pour la première fois des troupes saxonnes. Ce sont des cavaliers à uniformes blancs, chapeau tricorne, etc. La tenue est propre et tout à fait militaire ; mais ces hommes ont l'air si lourds, si pesants dans leur démarche, qu'on y reconnaît tout de suite le sang allemand.
Les habitants de la classe modeste sont presque tous vêtus, dans la saison froide, d'une redingote de peau de mouton, dont la laine est en dedans, l'extérieur présentant la peau bien chamoisée, mais qui, après un peu d'usage, devient bientôt, de blanche qu'elle était, tout à fait sale et grasse. C'est du reste, le vêtement d'hiver dans tout le nord, soit en Prusse, soit en Pologne, en Russie ou en Suède.
- Pour la première fois je fais attention, ici, à un usage très répandu en Allemagne, c'est celui de placer en vedette, sur le plus haut clocher de la ville, un homme qui y habite continuellement et doit veiller au feu, ce qu'il annonce, quand il survient un incendie, par le moyen d'une grosse trompe. Il est aussi chargé de signa-
1 Pegau, ville du cercle de Leipzig, en Saxe, à 20 kilomètres O.-N.-O. de Borna, sur la rive gauche de l'Elster blanche, affluent droit de la Saale.
1er les heures pendant toutes les nuits, comme les klapermans de Hollande.
Leipzig. 7 décembre 1806. Depuis deux jours nous marchons dans un pays absolument plat ; aussi ne vois-je plus, comme au Tyrol ou en Bavière, des bois de sapins. Ce sont des chênes et des bouleaux qui ornent cette contrée.
Leipzig est une grande, belle et riche ville, très renommée par son université et surtout par ses foires auxquelles arrivent des négociants, non seulement de toute l'Europe, mais encore de l'Asie la plus orientale.
Il y en a trois : une le 1er d'octobre (c'est la moins importante), la deuxième au premier de l'an et la troisième et dernière à Pâques. Elles attirent un si grand nombre d'étrangers qu'on assure qu'il y' en a quelquefois jusqu'à cent mille. On ne sait où se loger ; les cours, les greniers, les rues en fourmillent.
Les femmes de Leipzig sont médiocrement jolies, mais aimables et faciles à aborder. Elles s'habillent à la française.
Diibeni, 9 décembre, à 8 lieues de Leipzig. Petite ville de maigre apparence, rien de curieux.
10 décembre. Wittenberge2 (8 lieues). La route a été on ne peut plus mauvaise, et comme nous étions en chariot découvert (quoique conduits par la poste et à nos frais) nous avons reçu la pluie pendant tout le temps, de 9 heures du matin jusqu'à 4 heures du soir.
1 Düben, ville de Saxe, à 18 kilomètres S.-E. de Bitterfeld, sur la Mulde, affluent gauche de l'Elbe.
2 Wittenberge, ville de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, à 13 kilomètres S.-O. de Perleberg, au confluent de la Stepenitz dans la rive droite de l'Elbe.
Potsdam. 16 lieues de Wittenberge.
12 décembre. Comme je ne pars qu'à midi, j'ai le temps de voir la ville.
Il y a près de Potsdam le fameux château de SansSouci, où Frédéric le Grand a son tombeau, que je ne puis aller voir. C'est là où notre Empereur a fait prendre l'épée de ce grand guerrier.
Je trouve à Potsdam, où sont réunis des dépôts de cavalerie de notre Grande Armée, un capitaine du régiment que je vais rejoindre, le 12e dragons, nommé M. Fidel ; sur sa proposition, je lui laisse ma malle, qui suivra les mouvements des équipages du corps, quand le dépôt, dont il est le chef, en recevra l'ordre.
De cette manière, je voyagerai plus commodément, ne conservant avec moi que mon porte-manteau.
Berlin, 12 décembre 1806. A 8 lieues de Potsdam, que j'ai faites en diligence, pour la somme d'un écu de Prusse (4 francs moins quelque chose). La chaussée est belle, le pays, depuis Wittemberge, est toujours bas, sablonneux et marécageux, par conséquent fort pauvre.
C'est sur un large et très beau boulevard planté d'arbres que se passent les revues. J'y ai vu réunis les
Fidel (Jean-Nicolas), né à Vel (Meurthe) en 1762. Incorporé au 12. dragons en 1784, brigadier après sept ans de services et deux ans après maréchal des logis. Il fut nommé sous-lieutenant le 23 germinal an II (12 avril 1794). Capitaine le 3 décembre 1803, il fut blessé à Maestrick, puis à Austerlitz, d'un coup de feu qui lui traversa le corps et d'un coup de baïonnette à l'épaule droite ; à Iéna il reçoit plusieurs coups de sabre à la main gauche. Membre de la Légion d'honneur en 1808, il passa l'année suivante dans la gendarmerie comme lieutenant. En 1815, on le retraita comme lieutenant, sans tenir compte de son ancien grade de capitaine et il se retira à Angers, avec une maigre retraite de 698 francs.
dix mille hommes d'élite connus sous le nom de grenadiers Oudinot.
15 décembre. Je quitte. Berlin à 2 heures de l'aprèsmidi à mes frais, car il est impossible par le grand mouvement de troupes de trouver des voitures de réquisition.
16 décembre. Nous avons voyagé toute la nuit et arrivons à 7 heures du matin à Francfort-sur-l'Oder et poussons jusqu'à Zilenzig qui n'a rien de remarquable. Les routes sont horriblement défoncées.
Meseritzi, 17 décembre. Petite ville d'à peu près quatre mille âmes. C'est la première ville polonaise ; nous avons passé la frontière à moitié chemin, à un village du nom de Neindorf. Ce pays est aussi extrêmement j maigre, on n'y voit que du sable.
Je suis logé chez un médecin, qui peu auparavant avait eu pour hôtes MM. Boyer2 (chirurgien de l'Empereur) et Coste3, notre inspecteur général (médecin).
1 Meseritz, ville de la Prusse orientale, à 93 kilomètres O.-N.-O. de Posen.
* Alexis Boyer, né à Uzerches le 1er mars 1757, mort à Paris le 25 novembre 1833. Ses commencements furent des plus humbles et des plus laborieux. A la Révolution, il était chirurgien en second de l'hôpital de la Charité, et devint en l'an III professeur de médecine opératoire à l'école de santé, puis professeur de clinique externe. Il publia, de 1797 à 1799, son Traité d'anatomie, en quatre volumes. En l'an XII, l'Empereur le nomma son premier chirurgien et, après la campagne de 1806-1807, lui donna la croix de la Légion d'honneur, les titres d'officier de sa maison et de baron de l'Empire, et une dotation de 25.000 francs. En 1814, il fit paraître les premiers volumes de son Traité des maladies chirurgicales, qui obtinrent un très grand succès.
En 1823, il fut nommé chirurgien consultant de Louis XVIII et garda ce titre sous Charles X et Louis-Philippe. En 1825, il devint chirurgien en chef de la Charité et membre de l'Institut.
3 Jean-François Coste, né à Ville (Ain) le 14 juin 1741, mort le 8 novembre 1819. Il était fils d'un médecin, et après sa belle conduite au cours d'une épidémie, Voltaire le fit nommer en 1769 médecin de
Cette ville, comme presque toutes celles de Pologne, offre au moins un quart de Juifs parmi ses habitants. |y 1 On se croirait en Palestine.
Pinne 1, 18 décembre. Petite ville que je n'ai pu voir, car nous n'y sommes arrivés qu'à 11 heures du soir, après une route de 10 lieues. Ici j'ai couché sur la table de l'auberge où descend la poste, et quelle auberge !
Nous n'y trouvons à manger que des pommes de terre, >, qu'on fait cuire à l'eau, faute de beurre et de lard.
Toute la maison, composée d'une seule grande pièce commune dans laquelle on a pratiqué une loge, pour le maître de poste et sa femme, est occupée par un peuple de paysans, couchés à terre (tout habillés) comme des moutons et se prêtant mutuellement le derrière pour servir d'oreiller.
J'ai eu une grande peur d'y attraper des poux. Dieu sait si je ne m'en apercevrai pas plus tard !
Les habitants de ce pays commencent à parler polonais. Jusque-là, je n'ai entendu que l'allemand.
Ces paysans sont vêtus de paletots ou touloupes en
l'hôpital militaire de Versoy. En 1772, il était médecin de l'hôpital de Nancy. Lors de la guerre d'Amérique, il eut à diriger le service médical de l'armée envoyée aux Etats-Unis. A son retour en France, en 1782, il devint médecin de l'hôpital de Calais; l'année suivante, il fut nommé premier médecin consultant des camps. Inspecteur des hôpitaux de l'Ouest en 1785, il alla au camp de Saint-Omer en 1788 en qualité de premier médecin, et fut nommé peu après premier médecin des armées et membre du conseil de santé. Il fut maire de Versailles de 1790 à 1792, et remplit ce poste avec courage. De 1796 à 1803, il fut médecin en chef de l'hôpital des Invalides, et de 1803 à 1807 médecin en chef de l'armée des Côtes, puis de la Grande Armée, avec laquelle il fit les campagnes d'Austerlitz, d'Iéna et d'Eylau. Il mourut médecin en chef des Invalides; Napoléon l'avait fait commandeur de la Légion d'honneur, et Louis XVIII le nomma chevalier de Saint-Louis.
1 Pinne, ville de la province de Posen, en Prusse orientale, à 25 kilomètres S.-O. de Samter. Le nom polonais est Pniewy.
peau de mouton, la laine du côté de la chemise. Chemins on ne peut plus mauvais.
Bithin, village sale et dégoûtant à 5 lieues de Pinne.
Nous y trouvons, par bonne fortune, un tailleur, cantinier français, qui nous fait bien vivre.
Posen (70 lieues de Berlin), 20 décembre 1806.
Ville assez grande, capitale de la Posnanie, pas mal bâtie, qu'on est agréablement surpris de trouver dans une contrée où tout annonce la misère la plus profonde.
Elle a été presque toute brûlée, il y a trois ans, et les Prussiens l'ont rebâtie dans le goût moderne, ce qui explique l'agréable coup d'oeil qu'elle offre aujourd'hui.
Population à moitié juive.
Nous avons rencontré, avant d'entrer en ville, trois arcs de triomphe, dressés lors de l'entrée de l'Empereur.
Le territoire de Posen est meilleur de beaucoup que celui que nous avons traversé pour y arriver ; il est moins sablonneux.
21, 22, 23, 24 décembre. Repos forcé par le manque d'occasions pour Varsovie. La ville de Posen fourmille de militaires de toutes armes, qui vont et viennent de l'armée et de France. J'ai remarqué surtout un grand nombre de jeunes officiers venant de Fontainebleau.
L'aspect de ce pays est aujourd'hui tout militaire, tout à la guerre ; car on y voit, se préparant à prendre part à la lutte, les Polonais en grand nombre, c'est-à dire les nobles, grands et petits, les roturiers, citadins, les domestiques et beaucoup de paysans, avec leurs maîtres, tous en armes et enrégimentés.
Le plus grand nombre consiste en cavalerie (lanciers).
25 décembre. Jour fixé pour mon départ, la diligence
est arrêtée jusqu'à demain, et peut-être plus, en attendant celle de Berlin, avec laquelle elle doit correspondre.
Ce retard me contrarie bien, car je crains que le grand quartier général ne quitte Varsovie avant mon arrivée.
Autre retard, les 26, 27 et 28 décembre , et pour le même motif. Le temps est toujours très doux, malgré que nous ayons déjà passé Noël depuis trois jours.
Tout ce qui est juif, ici, c'est-à-dire la moitié du peuple t de Posen, est crasseux et d'une malpropreté extrême.
Les Polonais, au contraire, sont tout différents ; les femmes particulièrement sont très propres, jolies et bien élevées. La langue française leur est familière.
La manière de saluer, en Pologne, est un peu différente de la nôtre : les nobles, les bourgeois et gens d'un certain ton s'embrassent en s'abordant et lorsqu'ils se quittent. Les paysans, les artisans et tous ceux d'une classe inférieure se baissent humblement et touchent de la ) main le genou de celui à qui ils doivent du respect, puis portent cette main quelquefois à la bouche.
Quand vous payez un ouvrier de quelque facture, il se comporte de même. Les enfants de famille embrassent également les genoux de leurs parents et je me rappelle, à cette occasion, qu'un jeune homme de seize ans, qui partait comme cadet dans un corps d'infanterie, qu'on formait aussi à Posen, venant prendre congé de sa tante, jeune, belle et aimable femme, chez laquelle j'étais logé, lui pressa et embrassa les genoux, de manière à me donner envie d'en faire autant ; mais je n'étais pas son neveu.
Les hommes de qualité saluent communément les dames à l'italienne, c'est-à-dire en leur baisant la main, mais
c'est tantôt le dedans et tantôt le dos, tandis que les Italiens ne baisent que ce dernier.
29 décembre 1806. Départ pour Varsovie, à 3 heures et demie de l'après-midi, par la diligence, espèce de long fourgon couvert, tout à fait primitif. A trois heures du matin, nous avons fait deux stations : Schwersenzl, mauvais village, à 5 lieues et demie ; et Wrezchen 2, à 7 lieues.
30 décembre 1806, à Slupca3, 7 lieues et demie.
31 décembre, à Kleczew4, Sempolno, 13 lieues.
1er janvier 1807, à Babiack, Klodowa8 et Grabow6 ; trois stations, 16 lieues.
Le froid a commencé le 31 décembre, brusque comme un coup de foudre, et, en congelant la superficie de boue profonde où nous pataugions depuis Posen, nous a arrêtés, bon gré mal gré, à 8 heures du soir, au beau milieu d'une forêt où nous avons été forcés de bivouaquer jusqu'à 6 heures du matin.
Il fait un froid très vif et, pour rendre la position un peu plus tenable, nous avons fait un grand feu de bois de sapin, ramassé autour de nous, après quoi nous nous sommes réfugiés dans la voiture.
i Schwersenz, ville de la Prusse orientale, à 10 kilomètres E. de Posen, sur un sous-affluent droit de l'Oder.
* Wreschen, ville de la Prusse orientale, à 44 kilomètres E.-S.-E. de Posen, sur un sous-affluent droit de l'Oder.
3 Slupca, ville de Pologne, à 60 kilomètres N.-N.-O. de Kalisz, dans le bassin de l'Oder.
* Kleczewo, en Pologne, village du gouvernement de Kalisz, à 20 kilomètres N.-N.-O. de Konin.
s Klodawa, ville du gouvernement de Kalisz, à 30 kilomètres N.-O.
de Leczyca, sur un affluent droit de la Warta, dans le bassin de l'Oder.
8 Grabow, ville de la province de Posen. dans la Prusse orientale, à 2 kilomètres de Stettin, sur la rive gauche de l'Oder.
Le 1er janvier 1807, à 6 heures du matin, nous laissons la diligence embourbée et allons, à pied, toute la caravane, au village de Grabow.
2 janvier. Nous attendons la voiture.
3 janvier. Elle arrive ; mais comme il manque des chevaux pour la conduire et que la couche de glace qui couvre la boue n'est pas encore suffisamment épaisse et forte pour supporter ce lourd wagon, nous entreprenons le voyage à pied jusqu'à Varsovie, confiant nos bagages au conducteur, qui est un bon et honnête homme.
Nous avons pour compagnons de voyage le Dr de la Boujardière et un commissaire des guerres.
3 janvier 1807. Kutno
La résolution de voyager pédestrement se trouve rompue, parce que le dégel a de nouveau, mais par une cause contraire, rendu la route impraticable.
Ce pays, qu'on décore du titre de ville, n'est autre chose, ainsi que tous ceux que nous avons traversés depuis Posen, qu'un amas de maisons de bois, couvertes de paille, au milieu desquelles on en voit une, un peu plus apparente, bâtie en briques et terre-pie. C'est la résidence du Dodwora, le seigneur.
Les habitations de nos fermiers de France ont beaucoup plus d'extérieur que ces châteaux, qu'on nomme le « Schloss ». Il est vrai que l'intérieur offre quelquefois des ameublements assez recherchés. (C'est ce que j'ai vu depuis dans toute la Pologne.) Kutno n'a pas le dixième de catholiques parmi ses habitants. Ils sont presque tous israélites.
Kutno, à 116 kilomètres 0. de Varsovie, sur un affluent gauche de la Vistule.
4 janvier 1807. Pniwie, petit village, où tout annonce une profonde misère. Pas une seule maison de pierre ou de briques. Celle du seigneur elle-même est en bois.
Nous y sommes entrés pour demander l'hospitalité en crachant quelques mots de latin (car on n'y parle ni le français, ni l'allemand) : on nous a accueillis de fort bonne grâce.
Le propriétaire est à la guerre, mais son factotum l'a bien représenté. Ces espèces d'intendants parlent assez couramment le latin, comme leurs seigneurs eux-mêmes, étant ordinairement nobles, mais des nobles ruinés qui se mettent au service de ceux qui conservent de l'aisance.
Nous sommes venus ici à pied, car la gelée a de nouveau repris.
5 janvier 1807. Lowitz l. Ville assez grande, à 6 lieues de Pniwie. Il y a des maisons en pierre et plusieurs églises.
On y voit une assez jolie place. Elle est pleine de militaires polonais, qui partiront demain pour Thorn. Nous sommes logés, par fortune, chez un bon prêtre qui a beaucoup de soin de nous.
Chose extraordinaire en Pologne, il n'y a pas un seul juif dans cette ville. Aussi tout y paraît plus propre.
Blonie2, 6 janvier. A 13 lieues de Lowitz ; petite ville consistant en une seule place, dont les maisons sont en pierre, et deux ou trois rues qui y aboutissent.
Nous sommes venus en voiture, que nous avons louée à Lowitz, pour neuf écus, entre quatre personnes. Nous
1 Lowicz, à 75 kilomètres O.-S.-O. de Varsovie, sur la Bzura, affluent gauche de la Vistule.
1 Blonié, à 22 kilomètres E. de Varsovie, sur l'Ourzof, affluent gauche de la Vistule.
ne sommes plus qu'à 7 lieues de Varsovie (Warschau).
Cette ville loge aujourd'hui 800 Russes prisonniers, que conduisent 250 Polonais et des militaires français jusqu'à Berlin.
7 janvier 1807. Varsovie.
22 janvier 1807. Séjour pour attendre mon portemanteau, que je viens enfin de recevoir. Il était resté dans les boues, avec la diligence, entre Posen et Varsovie.
Je rencontre heureusement ici mon nouveau colonel, M. Giraud, de Chalon, cousin et ami du colonel Brunet-Denon Il me laisse la liberté de rester ici, ou de rejoindre quand il me conviendra. Je partirai néanmoins bientôt.
23 janvier. J'achète un cheval de prise,' d'un Monsieur Godefroy, moyennant 207 francs: il est allemand et tout équipé.
28 janvier. Départ de Varsovie, avec Moizin, mon ancien condisciple et camarade des hôpitaux. Il va rejoindre son régiment, le 61e. Nous couchons à 6 lieues, à Serock2, sur la Bug.
1 Brunet-Denon (Vivant-Jean), né à Givry (S.-et.-L.) en 1778, mort en 1866. Secrétaire général de l'armée d'Orient, revint en France avec Bonaparte. Après Brumaire, il fut engagé volontaire au 9° dragons le 9 novembre 1799, il fut sous-lieutenant sept mois après, devint aide de camp de Murât, colonel en 1807. Baron en 1808. Il perdit un bras à Essling et devint directeur de l'école spéciale de cavalerie de SaintGermain où il resta jusqu'à 1814. Maréchal de camp, fut à Waterloo et se retira sur la Loire. Retraité en 1815, il fut député de Chalon-surSaône en 1842. Il mourut membre du Corps législatif où il était entré en 1852. Grand-officier de la Légion d'honneur.
* Serock, place forte du gouvernement de Lomza, en Pologne, à 21 kilomètres S.-S.-O. de Pultusk, dans le bassin de la Vistule.
29 janvier. Makow1. En passant par Pultu.sk2, qui est aussi une petite ville (10 lieues).
30 janvier. Ulatoezinitz. Village au delà de Przasnysz 3, petite ville (8 lieues).
31 janvier. Willemberg*. A 3 lieues de cette ville, nous entrons sur le territoire de la vieille Prusse. Le pays est beaucoup meilleur.
1er février 1807. Je trouve mon régiment à 5 lieues de Willemberg. Il est prêt à partir. A dater de cet instant, je ne le quitte plus.
Nous allons encore à 5 lieues plus loin, voyageant avec toute la division des dragons Milhaud réunie.
2 février. Nous suivons l'ennemi.
3 février. La division perd du monde par l'artillerie de l'ennemi, qui tient bon.
Nous étions placés sur un terrain en pente, entre deux forêts. Les canonniers russes avaient un beau point de mire.
4 février. Petit engagement.
5 février. Petit engagement, toujours dans l'aprèsmidi.
6 février. L'armée se bat à Landberg, ville que nous laissons à droite.
7 février 1807. Encore un petit combat, c'est la règle quand on poursuit l'ennemi.
1 Makow, ville de Pologne, à 75 kilomètres S.-O. de Lomza, dans le bassin de la Vistule.
4 Pultusk, ville de Pologn à 88 kilomètres S.-O. de Lomza, dans le même bassin.
3 Przasnysz, ville de Pologne, à 98 kilomètres N.-E. de Plock, dans le même bassin.
* Willenberg, ville de la Prusse orientale, présidence de KÕnigsberg, à 19 kilomètres S.-S.-O.. d'Ortelsburg, dans le même bassin.
8 février. Preussisch-Eylau. Petite ville où les Russes s'étaient préparés à une vigoureuse résistance. Ils sont opiniâtres à défendre surtout le cimetière, qui est un peu élevé.
Toute l'infanterie a été engagée dans cette bataille, ainsi que notre artillerie.
Quant à nous, les dragons Milhaud, nous étions à l'aile droite, observant la cavalerie russe qui menaçait de tourner cette aile.
Nous manœuvrions et recevions des coups de canon.
Toute la terre était couverte de neige très dure, de sorte que dans nos mouvements nos chevaux étaient obligés de descendre les nombreux talus que présentait le terrain, en glissant sur leur derrière. Enfin, les Russes se retirent sur Kônigsberg après s'être bien défendus et avoir perdu, ainsi que nous, beaucoup de monde.
Nous couchons tous au bivouac, les villages étant pleins de nos blessés.
Ceux de mon régiment, après que je les eus pansés, ont été réunis aux autres pour être évacués sur Varsovie.
9 février. Nous passons aux avant-postes.
10 février. Nous arrivons à 11 heures du soir dans une petite ville, ou plutôt gros village, où nous sommes bien traités, parce que nous sommes les premiers Français qu'ils voient et qu'ils ne sont pas ruinés par le passage de troupes ennemies.
Les Russes l'occupaient encore à midi.
11 février. De nouveau aux avant-postes, à une lieue de notre coucher.
1 Kônigsberg, port et place forte, chef-lieu de la province de Prusse orientale.
12-13 février. Wachenstein. Village.
Les Cosaques nous donnent à chaque instant des alertes, soit de jour, soit de nuit. De sorte que nous sommes toujours en selle ou la bride au bras, prêts à brider.
14 février. Nous tentons de prendre le village de Bochersdorf, qui est à un quart de lieue en avant, adossé à un bois, formant un demi-cercle. On réussit d'abord, mais l'ennemi revient en force et oblige les six régiments de dragons à la retraite, ce qui ne s'exécute pas sans un peu de confusion, nos cavaliers étant presque tous des recrues et nos grands chevaux normands n'étant pas fermes sur la glace. Et il faut le dire, je crois qu'on n'a pas pris toutes les précautions d'usage, dans de telles positions. Un petit défilé, qui était sur nos derrières, n'a pas été gardé par des fantassins. C'était facile en mettant une ou deux compagnies de nos dragons à pied.
Nos hommes, en se retirant, ont été forcés de passer le ruisseau gelé partout où ils ont pu, ce qui les a éparpillés et isolés les uns des autres ; aussi ils n'ont pu résister, comme ils l'auraient fait s'ils fussent restés en masse.
Les Cosaques sont des cavaliers très lestes et très experts. Leurs chevaux, de petite taille, passent partout.
Ils ont un simple filet dans la bouche et on les conduit sans éperons à l'aide d'un petit fouet et d'un petit cri.
L'arme principale des Cosaques est une très longue lance, qu'ils envoient avec beaucoup de célérité et d'adresse. Ils ont chacun un sabre, rarement un pistolet ; ce ne sont pas des soldats bien dangereux ! Ils sont
parfaits pour explorer un pays (exploratores) ; mais en ligne ce sont de tristes militaires.
Les 15 et 16 février 1807. Toujours sur le qui-vive, nos chevaux restent bridés toutes les nuits.
17 février. Nous nous retirons, ainsi que toute l'armée, sur la Vistule, notre gauche restant comme pivot de notre mouvement aux environs de Dantzig. Nous ne sommes pourtant qu'à 4 lieues de Konigsberg.
Nous passons à Domnau nous y trouvons le maréchal Davoust, commandant le 3e corps d'armée. Couché dans un petit village à gauche de la route, après avoir traversé la petite ville de Bartenstein 2. Nous avons un bon gîte.
18 février, Bischofstein3, assez grande ville où l'on est bien. C'est la première fois que je me couche, depuis mon passage de la Vistule. Encore n'ai-je pas osé me déshabiller. Jusque-là, je n'avais pas encore quitté mes bottes pour dormir.
19 et 20 février. Nous attendons des ordres et sommes à chaque instant tenus en alerte; mais nous tenons bon, quoique nous ayons des cuirassiers prussiens à une demi-lieue de nous.
21 février. Les cuirassiers prussiens ramènent une de nos patrouilles jusqu'aux portes de la ville, ils sont repoussés.
1 Domnau, village de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 12 kilomètres 0. de Friedland.
1 Bartenstein, ville du N.-E. de la Prusse, chef-lieu du cercle de Friedland, à 55 kilomètres S.-S.-E. de Kônigsberg.
3 Bischofstein, village de Prusse, présidence de Kônigsberg, à 16 kilomètres O.-N .-O. de Rôssel.
22 février. Départ pour Seeburg1, petite ville.
23 février. Bischofsburg 2, petite ville aussi, où nous n'avons rien trouvé pour vivre, des fourrageurs sont envoyés dans les villages environnants.
24 février. Passenheim 3, petite ville. Ici aussi, nous n'avons pas eu de vivres. Nous n'avons fait que passer à Bischofsburg ; on y a bien vécu.
25 février. Malscheiwen. Village désigné pour notre cantonnement, mais on y est toujours sur le qui-vive.
Nous n'y mangeons que des pommes de terre. Heureux quand on peut y ajouter quelques petits morceaux de lard !
26 février. Repos.
27 février. Nous quittons notre mauvais cantonnement et prenons route dans la direction de Thorn. Nous traversons Neidenburg *, petite ville, assez jolie, mais presque ruinée par le passage des troupes. Nous couchons à 3 lieues plus loin, en nous rapprochant de la Vistule.
Ici je dois dire ce que je sais des causes qui avaient fait perdre à l'arme des dragons la bonne renommée qu'ils avaient depuis si longtemps et si justement acquise.
Le général Baraguey d'Hilliers 5, grand manœuvrier
1 Seeburg, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 28 kilomètres O.-S.-O. de Rôssel, dans le bassin de la Pregel.
* Bischofsburg, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, cercle de Rôssel, à 100 kilomètres S. de Kônigsberg.
3 Passenheim, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 17 kilomètres O.-N.-O. d'Okelsburg.
* Neidenburg, ville de la Prusse orientale, à 150 kilomètres S. de Kônigsberg, dans le bassin de la Vistule.
Il Baraguey d'Hilliers (Louis), né à Paris en 1764, mort à Berlin en 1813.
Cadet au régiment d'Alsace en 1783, nommé sous-lieutenant en 1784,
comme général d'infanterie, avait persuadé à l'Empereur, après la campagne d'Austerlitz et pendant les sept ou huit mois que notre armée est restée en Bavière, de ramener les dragons à leur institution première, qui était de servir comme infanterie mobile et qu'on pouvait, pour un coup de main, une découverte, ou pour arrêter l'ennemi dans un défilé, une gorge, un pont, etc.
monter sur des chevaux de paysans, ou derrière les gros cavaliers, pour leur faire tenir ferme sur un point quelconque.
Notre division de dragons fut organisée d'après ce plan, vraie désorganisation qui découragea de vieux soldats habitués à combattre à cheval et qui ne se consolaient pas de se voir forcés à porter des guêtres.
Il en résulta que les recrues qui leur furent envoyées, ne sachant pas l'autre genre de service, furent élevées et exercées aux manœuvres de l'infanterie.
Ils entrèrent en campagne (celle de Prusse), mais les vieux dragons, n'étant pas habitués à marcher, restèrent sur les derrières et dans les dépôts qui furent formés plus tard à Potsdam et les jeunes gens qui étaient à la bataille d'Iéna furent montés avec les chevaux de la cavalerie saxonne. Mais ils n'étaient pas exercés à l'équitation, ni à manœuvrer, de sorte que dans la campagne d'Eylau, ils eurent souvent le dessous avec les cavaliers russes ou prussiens, même avec les Cosaques.
et démissionnaire comme lieutenant en 1791. Réintégré en 1795 comme capitaine, il fut général de brigade au bout d'un an, devint général de division, inspecteur général de l'infanterie, inspecteur général des dragons, dont il eut le commandement à la Grande Armée.
Comte de l'Empire en 1808, il reçut une dotation de 20.000 francs de rente sur la Westphalie. Sa fille épousa plus tard le général Damrémont et sa nièce et fille adoptive se maria avec le général Foy.
Dès lors, nos dragons sont exercés et ils deviennent excellents cavaliers et comme les régiments se recrutent de tous les vieux dragons qui étaient restés en arrière pour cause de blessures, bobos ou mauvaise humeur, ils infusent les goûts et les habitudes militaires à ces jeunes conscrits.
A dater du jour où l'on reprit les hostilités pour la campagne de Friedland, les dragons n'étaient plus les mêmes. Les Russes furent obligés de le reconnaître à leurs dépens, notamment à Friedland, le jour de la grande bataille. Ils n'ont pas dégénéré depuis, ainsi qu'on l'a pu voir en Espagne, où ils étaient devenus la terreur des troupes espagnoles et des guérillas.
Ils étaient devenus excellents et comme cavaliers et comme fantassins. Ce dont j'ai vu plus tard une bonne preuve à la Puente de l'Arzobispo, près Talavera de la Reina, et comme on les a revus plus tard en Andalousie et plus tard encore à la bataille de Toulouse.
Je dois rendre justice, ici, en particulier, au 12e dragons, auquel j'étais attaché. C'était assurément un de ceux qui s'étaient le mieux conservés, même dans la première campagne de Pologne. Brave, discipliné et commandé par un homme excellent, le colonel Girault de Martigny le ge régiment et un petit nombre
1 Girault (François-Félix), né à Chalon-sur-Saône en 1771, tué à Ocana en 1809. Sous-lieutenant en 1791, il était capitaine l'an IV et réformé pour ses blessures. Il reprit du service comme aide de camp de Clarke avec lequel, autrefois, il avait rejoint le régiment de Chartres, lui comme sous-lieutenant, Clarke comme capitaine. Ses notes sont, d'un bout à l'autre, un concert d'éloges, il fut blessé un grand nombre de fois. Le cheval qui fut tué sous lui était un présent du roi Murât.
Baron de l'Empire sous le nom de Martigny (qui était celui de sa première femme), il reçut une dotation de 4.000 francs sur le Trasimène. Il
d'autres s'étaient aussi fort bien maintenus et parfaitement montrés, dans cette phase où l'arme des dragons avait un peu pâli, par suite du malheureux essai provoqué, dans leur organisation et leur manière de combattre, par le général Baraguey d'Hilliers, qui était d'ailleurs un militaire plein d'honneur, de bravoure et de patriotisme. Seulement, il s'était trompé dans cette occasion.
fut enterré dans l'église paroissiale de Sainte-Marie d'Ocana et on distribua aux pauvres 300 réaux le jour de ses obsèques.
1 Il faut rapprocher des remarques que fait ici Lagneau au sujet de la désorganisation des dragons un brillant article du général Bonnal, publié dans Le Gaulois du 18 mars 1911, sous le titre Les dragons au début de la campagne d'Austerlitz. Le général cite une lettre de Murât à l'Empereur, du 20 septembre 1805, dans laquelle le hardi cavalier se plaint en termes énergiques que les innovations proposées entraîneront la ruine totale de l'arme des dragons.
CHAPITRE VI
Marches et cantonnements. — Reprise des hostilités. — Bataille d'Heilsberg. — Bataille de Friedland. — Divers cantonnements. — Mœurs et religion des habitants. — Curieux instruments de musique des Cosaques, leurs danses. — Berlin.
— M. Percy. — Le royaume de Westphalie. — La musique allemande. — Hoya. — Curieux orage. Épidémie de fièvre quarte. — Hanovre. — Départ après un séjour de sept mois.
— Grand-duché de Berg. — Département de la Dyle, cheflieu Bruxelles.
Notre Empereur a passé une revue de 18.000 hommes de cavalerie, il a été émerveillé et projette, dit-on, de reprendre les hostilités le 10 mai.
28 février. Nous passons par Soldau ', petite ville nouvellement bâtie sur l'emplacement de Dialskow; nous couchons à Borschersdorf, une lieue plus loin.
1er mars. Nous changeons de cantonnement pour un autre, qui est à une lieue de là : c'est Willensdorf. Le 6 mars, nous quittons cette résidence, où nous étions assez bien, pour retourner du côté de KÕnigsberg et, je pense, recommencer les hostilités. Nous couchons à Hohenstein 2, petite ville à 10 lieues de Soldau et 8 de
Soldau, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 21 kilomètres S.-O. de Neidenburg, sur la Soldau.
* Hohenstein, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 22 kilomètres S.-E. d'Osterode.
Willensdorf. Brûlée en totalité il y a quatre ans, elle se compose aujourd'hui de maisons absolument neuves, dont bon nombre cependant ne sont pas encore tout à fait achevées.
Pendant les trois mois qui se sont écoulés entre Eylau et la reprise des hostilités qui ont amené la bataille de Friedland et la paix, l'Empereur avait son quartier général, d'abord à Osterode, où il était fort mal, puis au château de Finkenstein, où il était beaucoup mieux. Il voulait toujours être au milieu de ses cantonnements.
7 mars. Ganglau. Château au milieu des bois, où nous pensons d'abord rester en cantonnement ; mais il n'en sera rien. La propriétaire est une jeune et jolie petite veuve, qu'on doit avoir de la peine à quitter.
8 mars. Séjour.
9 mars. Dirigés sur Passenheim, nous couchons au delà, dans un village.
10 mars. Malga.
11 mars. Dans un village près de Passenheim.
12 mars. Nous traversons Wartenburg1 et allons jusqu'à un village situé entre cette ville et Seeburg.
13 mars. Couché entre Wartenburg et Allenstein 2, petite ville. Nous rétrogradons.
14 mars. Schuteld, entre Allenstein et Hohenstein.
15 mars. Entre Hohenstein et Soldau.
16 mars. Willensdorf. Nous sommes de retour dans nos cantonnements, que nous n'avons quittés qu'acciden-
4 Wartenburg, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 15 kilomètres N.-E. d'Allenstein.
* Allenstein, ville de la Prusse orientale, à 126 kilomètres S. de Kônigsberg.
tellement pour éclairer le pays. Une partie de nos troupes est allée jusqu'à 5 lieues de Kônigsberg. Tout le reste de l'armée est resté tranquille pendant ce mouvement que nous avions d'abord considéré comme général.
(C'était le prince Murat qui nous dirigeait.) 20 mars 1807. Nous changeons notre cantonnement pour aller à Gros-Koschlau. Nous sommes dans un bon et beau château appartenant à un baron prussien qui, en bon patriote, ne nous aime pas, non plus que son fils, qui est dans ses foyers prisonnier sur parole. D'ailleurs nous vivons assez bien et jouissons de quelques moyens de distraction, les dames nous faisant souvent de la musique.
24 mars. Nous retournons à Willensdorf.
31 mars. Nous nous rapprochons de la Vistule, dans la direction de Plock.
1er avril 1807. Arrivée du chirurgien-major, que je remplaçais provisoirement à l'état-major, depuis le 14 février.
2 avril. Je rejoins mon escadron à Usdau.
3 avril. Pierlufken. Village à une demi-lieue de Soldau.
L'état-major est à Bochersdorf. Reçu, le 16 avril, une lettre de Broussais, en italien ; il est touj ours à Udine. Sa lettre a un mois de date.
L'ami Cullerier est à Marienwerder 1, avec son 22e de chasseurs à cheval.
24 avril. Kozinski (jious changeons de cantonnement).
Village à 6 lieues sud de Pierlufken et à une lieue et
Marienwerder, ville de la Prusse occidentale, à 70 kilomètres S. de Dantzig.
demie de Mlavai, petite ville polonaise. (Du 27 avril au 7 mai, je fus arrêté par une petite fièvre gastrique continue. Un émétique et un purgatif ont supprimé les redoublements, excepté le jour de ce dernier, où il a été assez violent. J'ai eu plusieurs hémorrhagies nasales pendant cette fièvre.) 14 mai. Ecrit à M. Cullerier, oncle.
24 mai. Le régiment se rend à Soldau, pour passer la revue du Prince Murât, grand-duc de Berg. Moi, je reste pour soigner les malades.
26 mai. Ecrit au colonel Pépin.
6 juin. Nous quittons nos cantonnements pour aller en avant, avec quatre jours de vivres. Direction sur Soldau.
Les Russes, après s'être reposés pendant quatre mois, depuis le 8 février, jour de la bataille d'Eylau, jusqu'à présent, viennent de prendre l'offensive, en attaquant à l'improviste le maréchal Ney, dans ses cantonnements de Gutstadt2, mais cinq jours avant l'instant fixé par Napoléon pour attaquer lui-même. Toute l'armée russe se jette sur le corps de Ney, qu'elle a résolu d'enlever.
Mais les Français font bonne contenance et se retirent avec le plus grand sang-froid, repoussant l'ennemi à la baïonnette, quand il est trop pressant et le faisant bravement rétrograder, pour ensuite continuer la retraite avec un grand calme, qui impose et étonne les Moscovites.
1 Mlawa, ville de Pologne, à 82 kilomètres N.-N.-E. de Plock.
* Gutstadt, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 22 kilomètres S.-O. de Heilsberg.
10 juin 1807. Heilsbergi. Bataille d'Heilsberg, où l'ennemi commandé par Benigsen 2 s'y était préparé en établissant des redoutes sur les hauteurs et par trois ponts pratiqués sur la rivière, la Alle. Nos troupes non encore en force ont attaqué 90.000 hommes russes, n'ayant, elles, que 30.000 hommes effectifs. L'Empereur n'était pas encore arrivé. L'ennemi fut battu, les positions enlevées par Soult et le Prince Murât. Il perdit de 10 à 11.000 soldats dans cette bataille et se retira sur Bartenstein, direction de Kœnigsberg. Il nous laissa 2.500 blessés, que nous avons soignés comme nos Français.
12 juin. Arrivé à Heilsberg, deux jours après la bataille.
Je trouve l'ami Cullerier, sur le terrain couvert de morts et de blessés. Il se porte bien et nous partageons quelques-unes de nos provisions de bouche, dont il est un peu plus dépourvu que moi.
13 juin. Preuss-Eylau. Nous traversons cette ville.
Elle est petite, malpropre et toute bouleversée depuis
1 Heilsberg, ville de la Prusse orientale, présidence de Kônigsberg, à 67 kilomètres S. de Kônigsberg.
* Levin-Auguste-Théophile Benningsen, né à Brunswick le 10 février 1743, mort près de Hanovre le 3 octobre 1826. En 1773, après s'être ruiné dans son pays, il entra dans l'armée russe, servit contre les Turcs, et devint colonel en 1787. Il prit part aux campagnes contre la Pologne et contre la Perse en qualité de brigadier, passa quelques années dans le Caucase et devint général de cavalerie. Il se distingua surtout pendant les années 1806 et 1807. Il fut nommé commandant en chef à la place du maréchal Kamensky et livra la bataille d'Eylau, ce qui lui valut l'ordre de Saint-André et une pension de 1:2.000 roubles.
Il remporta quelques avantages contre Ney et Napoléon lui-même, mais fut défait à Friedland, en juin 1807. Plus tard il prit part aux combats de Borodino et de Tarontino, et reçut à cette occasion l'ordre de Saint-Vladimir de première classe et une gratification de 100.000 roubles. En 1813 il fut nommé commandant en chef de l'armée de Pologne, battit Gouvion-Saint-Cyr à Dresde et prit part à la bataille de Leipzig.
Il prit sa retraite en 1818 et devint aveugle peu après.
près de quatre mois ; depuis la bataille qui porte son nom, l'aspect en est bien changé. La neige couvrait alors la terre. Aujourd'hui, toute la campagne est verte et les seigles sont superbes. Les Russes ont pris à droite la route de Friedland ; nous, la cavalerie, nous allons tout droit à Kœnigsberg.
Après avoir passé une nuit affreuse, par une pluie qui tombait à torrents, des cuirassiers ont découvert une maison dans laquelle nous dormons tranquillement.
C'est une division entière.., qui arrive au milieu de la nuit, et tombe comme une avalanche sur le camp ou bivouac, déjà plus qu'occupé par toute l'armée réunie.
On se fait difficilement une idée de cette confusion produite par des milliers d'hommes et de chevaux qui ne savent où se loger, où prendre de l'eau pour faire leur soupe, du bois, de la paille pour coucher et pour faire manger leurs montures, et surtout lorsque cela arrive par une averse abondante qui dure toute la nuit. C'est un bruit d'enfer, des cris, des luttes sans mesure et sans fin.
14 juin 1807. Kœnigsberg. Nous arrivons devant cette ville après avoir traversé un pays qui devient de plus en plus beau ; car nous approchons de la Prégel, fleuve qui marche parallèlement au Niémen, quelques lieues plus loin et qui forme la limite entre la Prusse et la Russie.
14 juin 1807. Bataille de Friedland. Ce jour-là, nous sommes arrêtés par l'artillerie ennemie. Notre adjudant Cott est blessé. (Ce sont le général Kamenski (Russe) et le général Lestocq1 (Prussien) qui commandaient à
Anton-Wilhelm de Lestocq, né à Celle le 16 août 1738, mort à
Kœnigsberg, qu'ils hésitaient à évacuer, ce qu'ils furent forcés de faire.) Les Russes, battus à Friedland, se retirent de l'autre côté du Niémen.
15 juin. Combat d'artillerie, sous les murs de cette ville qui ne veut pas nous laisser pénétrer jusqu'à elle (nous avons quelques blessés et peu de morts). Nous restons donc en observation à une demi-lieue, dans un beau village.
16 juin. L'ennemi commandé par le général russe Kamenski, livre la ville à nos troupes. Nous, les dragons, nous traversons ses faubourgs. La ville est grande. Je n'ai pu juger de son intérieur. Les rues que nous traversons ne sont pas larges ; c'est une très ancienne ville.
Nous formions l'aile gauche de l'armée, pendant que, le 14 juin, l'Empereur avec 80.000 hommes battait et détruisait presqu'entièrement l'armée russe de Benigsen, la culbutant dans l'Aile. Il leur a pris 80 pièces de canon et pousse jusqu'au Niémen.
Nous appuyons à droite sur Wehlau 4, dont les Russes ont brûlé le pont pour s'échapper plus librement, beaucoup se sont noyés. Notre cavalerie, les dragons, va successivement dans divers cantonnements et un peu au bivouac.
23 juin 1807. Le 12e régiment se fixe sur les bords du
Berlin le 1er janvier 1818. Sa famille était d'origine française. Il prit part à la guerre de Sept ans, à la campagne de Hollande de 1787 et aux campagnes contre la France de 1792 à 1795. Il était lieutenant général et commandait le corps de Kalckreuth en 1807, lorsque son apparition sur le champ de bataille d'Eylau sauva Benningsen.
4 Wehlau, ville de la Prusse orientale, à 22 kilomètres E. de Kônigsberg, au confluent de l'Alle dans la rive gauche de la l'regel.
Curisch-Haff. Il a 25 lieues de long, sur 5 dans sa plus grande largeur.
D'abord nous sommes logés chez des pêcheurs et mangeons force poissons, nous ne pouvons guère obtenir autre chose. Puis nous allons au château de Labiau, sur le bord du Curisch-Haff. Il appartient à une dame de Kœnigsberg, qui nous envoie un excellent quartaut de vin de Bourgogne vieux.
27 juin. Ordre d'appuyer à droite en remontant la Prégel, sur la route d'Insterbourg 1 à Tilsitt2. Nous logeons à Vergarminen. Nous avons avec nous le commandant (chef d'escadron) Fleury3, excellent homme, qui était avant dans un régiment de chasseurs à cheval. On nous annonce que les deux. armées sont arrêtées sur les bords du Niémen et que les deux Empereurs se sont abouchés et veulent traiter de la paix.
Repos.
4 juillet. Nous venons sur les bords de la Prégel, rive droite, à Somonen, village. Notre quartier général de la division est à Salau, à une demi-lieue, à 10 lieues de Tilsitt, où sont les trois monarques.
On dit que le roi de Prusse fait piteuse mine à Tilsitt,
1 Insterburg, ville de la Prusse orientale, à 26 kilomètres 0. de Gumbinnen.
* Tilsit, ville de la Prusse orientale à 58 kilomètres N.-N.-O de Gumbinnen, sur la rive gauche du Memel, au confluent de la Tilse.
3 Fleury (Louis-Nicolas-Pascal), né à Beauvais en 1762. Embarqué à bord de l'Invincible en 1782. Dragon de la reine en 1784, brigadier fourrier en 1791, il passa dans la garde du roi. Il y devint maréchal des logis en 1792, et fut licencié le 21 juin. Arrêté après le 10 août, à Beauvais, « comme ayant fait partie de la dernière garde de Capet ».
En 93, quartier-maître au 20e chasseurs, il devint chef d'escadron au 12o dragons en 1807. En 1812, commandant du département de l'Ems occidental. En non-activité en 1814. 11 avait reçu une dotation de 2.000 francs de rente sur la Westphalie.
il est logé chez un meunier. La paix est signée le 8 juillet.
16 juillet. Départ de Somonen, nous dirigeant sur Elbing
Couché à Wehlau.
17 juillet. Friedland. C'est là que l'ennemi vient d'être vigoureusement battu (14 juin) et culbuté dans la rivière où beaucoup se sont noyés. Il avait fort mauvaise position. Sous les murs de la ville, les habitants ont enterré quatorze mille morts, dont neuf ou dix mille Russes et quatre mille Français, sans compter les noyés.
C'est cette bataille, qui a eu lieu le même jour, où nous étions occupés à Kœnigsberg, qui a déterminé l'empereur Alexandre à faire la paix en dépit des Anglais.
Elle a été signée à Tilsitt, le 8 de ce mois (juillet). Je présume que c'est par cette raison que nous rétrogradons.
Aujourd'hui les deux Empereurs se jurent bonne amitié à Tilsitt. Cela durera-t-il ?
18 juillet 1807. Nous repassons à Preuss-Eylau.
19 juillet. Mehlsack2. Petite ville où notre troupe a été assez bien, le pays n'ayant pas été ravagé.
20 juillet. Mulhausen.
21 juillet. Nous passons par Elbing, ville grande et très commerçante.
Nous couchons à trois lieues au delà, dans des villages ou plutôt dans des fermes, toutes séparées de plusieurs portées de fusil.
1 Elbing, ville de la Prusse occidentale, à 54 kilomètres S.-E. de Dantzig.
* Mehlsack, ville de la Prusse orientale, de la présidence de Kônigsberg, à 27 kilomètres S.-E. de Braunsberg.
22 juillet. Sandoff *, village sur la route d'Elbing à Marienburg, à un quart de lieue de cette dernière, près de la Vistule, qui nous sépare de l'île Nogat2.
23 juillet. Marienburg *, petite ville sur la Vistule, dont la principale rue est bordée de portiques, dans le genre italien, bien qu'avec moins de goût.
Ici on commence à parler polonais, surtout dans les campagnes. C'est la partie de la Pologne qui a été envahie par Frédéric II quand il s'est emparé de Dantzig.
2 août 1807. Nous changeons de cantonnements pour venir sur la gauche de Marienburg, à une lieue et demie, au village de Braunswald 4
1 Sandow, village de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, sur la Sprée.
2 La Nogat est une branche secondaire droite de la Vislule, qui continue la direction du fleuve vers le N.-N.-E., passe à Marienburg et tombe dans le Frische-Haff, à 10 kilomètres N.-O d'Elbing.
3 Marienburg, ville de la Prusse occidentale, à 45 kilomètres S.-E de Dantzig.
4 Percy le croyait encore à Marienburg quand il lui écrivait : A Monsieur le docteur Lagneau, chirurgien aide-major au 12e régiment de dragons à Marienbourg.
Berlin, le 20 septembre 1807.
Je viens, mon cher Lagneau, d'ouvrir votre lettre du 26 août et de la lire avec attention et plaisir. Le petit tableau que j'y ai trouvé des maladies qui règnent sporadiquement dans les environs de Marienbourg, des causes auxquelles vous les attribuez, et des moyens curatifs que vous leur opposez avec succès, m'a satisfait.
On crie de toutes parts à l'épidémie et ce fléau n'existe que dans très peu d'endroits. Encore y consiste-t-il bien plus dans l'ignorance du médecin que dans une constitution essentiellement épidémique.
II y a beaucoup de fièvres automnales, et ces fièvres offrent une grande variété de type et de caractère. On devait s'attendre, cette année, et dans le pays que nous habitons, à ce surcroît de maladies.
Aussi dès le mois de juin ai-je insisté pour qu'on fit venir 1.500 livres de kina, de Paris, en sus de la provision que nous avions déjà à l'armée. On s'est récrié, on n'a fait. qu'une petite expédition et déjà
Nous devons, dit-on, attendre dans ce mauvais pays le 20 du courant, époque à laquelle nous passerons la Vis-
tule, pour nous rapprocher de Dantzig, notre quartier général devant, à ce qu'on assure, être établi à Dirschau1.
21 septembre 1807. Je quitte nos cantonnements de Wengern pour aller, à Baldrau, près Marienwerder, avec le 2e escadron. L'Etat-major est à Weishoff.
Je regrette le séjour de Wengern, que j'habitais depuis une quinzaine.
24 septembre. Nous sommes rappelés auprès de l'Etatmajor, dans un meilleur pays : Gutstett et Patzwa, villages formant à eux deux un ensemble de treize fermes distantes entre elles d'un quart de lieue à peu près.
La religion des trois quarts des habitants est celle des Maristes ; ils n'ont ni prêtres, ni ministres, se réunissent dans une espèce de temple, n'ayant que l'apparence des autres maisons de paysans, où ils prêchent à tour de rôle et de mémoire sur les devoirs de l'homme, en s'appuyant sur un passage de la bible, dont ils ont préalablement fait lecture.
13 novembre 1807. Ordre de départ pour le lendemain 14. Nous devons nous rendre, dit-on, dans la Poméranie (Suédoise).
Couché à Mêwe 2, petite ville à quatre lieues de Marienwerder.
aujourd'hui nous sommes près de manquer de ce remède indispensable.
Soyez tranquille, mon cher Lagneau, puis-je vous oublier?
Tout à vous, PERCY.
1 Dirschau, ville de Prusse, présidence de Dantzig, à 24 kilomètres N.-É de Stargard, sur le bras occidental du delta de la Vistule.
* Mewe, ville de la Prusse occidentale, à 14 kilomètres N.-N.-O. de Marienwerder, au confluent de la Ferse et de la Vistule.
15 novembre. Jablow ', village où tout respire la Pologne.
Nous sommes bien traités au château.
16 novembre. Gora2, assez joli château de Pologne; nous sommes passablement. Le baron parle bien français et aime la musique, qu'il cultive avec succès. J'ai vu chez lui une guitare absolument ronde, ayant treize cordes et pouvant même en avoir jusqu'à dix-huit ; le manche en est très long. C'est un instrument cosaque.
Les seigneurs polonais avaient anciennement l'usage de se faire servir par des Cosaques qui leur apprenaient à jouer de cet instrument et en même temps la danse de leur pays.
Ces Cosaques dansent avec cette énorme guitare appendue à leur cou et comme ils font, en dansant, de grandes et fréquentes révérences, ils ressemblent à de grosses tortues, quand ils sont ainsi accroupis.
17 novembre. Berendti. Ville petite et laide, consistant en une place dont les trois quarts des maisons sont en bois, vraie ville de Pologne.
Il y a cependant longtemps déjà que ce pays appartient à la Prusse. Je ne pensais pas y être bien logé et pourtant je n'ai pas à me plaindre.
18 novembre. Pétersdorff Premier village de Poméranie
Jablow, bourg de Pologne, à 48 kilomètres S.-E. de Lomza.
Gora-Kalvaria, ville de Pologne, à 33 kilomètres S.-E. de Varsovie, sur la Vistule.
3 Behrent, ville du N.-E. de la Prusse, à 53 kilomètres S.-O. de Dantzig.
* Petersdorf, village de Silésie, présidence de Liegnitz, à il kilomètres O.-S.-O. de Hirschberg, dans le bassin de l'Oder.
Nous avons fait douze lieues pour y arriver. C'était le chemin le plus long.
19 Novembre. Gross-Schwirsen Il y a un beau château et de plus un temple, dont le ministre avait demandé que je fusse logé chez lui; il y a une charmante demoiselle. Cependant j'ai logé au château.
20 novembre. Séjour.
21 novembre. Cantonnement définitif à Hohenborn.
Je ne sais comment sont les autres parties de la Poméranie, mais tout ce que j'en ai vu et surtout ce pays-ci est extraordinairement sec et aride. Ce ne sont que landes sablonneuses qui ne sont nullement cultivées. Il n'y a que quelques petits carrés de ce terrain auxquelles le cultivateur demande quelque chose, parce que, il faut le dire, les villages qui sont très rares et d'un aspect misérable plus que ceux de Pologne, sont situés dans de petites vallées où la terre est un peu moins ingrate.
Notre Etat-major est à Bublitz, petite ville à deux lieues de nous.
5 décembre. Ordre de partir demain. Le rendez-vous est sur la route de Stettin, on croit que nous ne nous arrêterons pas jusqu'au Hanovre.
6 décembre. Labenz. Village à dix lieues d'Hohenborn. Nous laissons Bublitz 1 sur notre droite.
7 décembre. Borensbuck. Village. La petite ville de Ratzburg 2 est le lieu d'étape ; mais on nous disperse pour trouver plus facilement de quoi vivre, chevaux et gens.
1 Bublitz, ville de Poméranie, à 40 kilomètres S.-E. de Kôslin.
1 Ratzeburg, ville de la province de Schleswig-Holstein, au N.-O. de la Prusse, à 40 kilomètres N.-N.-E. de Lauenburg.
8 et 9 décembre. Pinow. Village où nous avons un bon séjour. La petite ville de Jastrow est le lieu de l'étape.
10 décembre. Hutow, village près de Schœnlanke t, petite ville polonaise, pleine de Juifs, qui appartient au Prince Berthier, dont la souveraineté comprend encore la ville de Sloppa, et un arrondissement d'une douzaine de villages.
11 décembre. Nous logeons avec l'État-major dans un simple village après avoir traversé le pays de Schœnlanke.
12 décembre. Filhen. Nous logeons à quatre lieues plus loin que cette ville qui se trouve située sur un marais.
13 décembre. Séjour.
14 décembre. Lomersdorf. Village à trois milles (6 lieues) sur la droite de Driesen2, ville où est la station ou l'étape.
15 décembre. Busow. Village où se trouve le château du premier écuyer du roi de Prusse.
Sa femme, dame de la cour, très aimée de la Reine, et parlant fort bien français, y est avec deux de ses nièces.
(J'ai logé chez le ministre du lieu, parce que le général Debelle 3 est venu sans façon s'emparer du château, à l'instant où nous mettions pied à terre).
1 Schônlanke, ville de la province de Posen, en Prusse orientale, à 4,7 kilomètres N.-N.-O. de Scharnikau, dans le bassin de l'Oder.
2 Driesen, ville de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, présidence de Francfort-sur-l'Oder, à 24 kilomètres E.-S.-E. de Friedeberg.
3 Debelle (César-Alexandre), né à Voreppe (Isère) en 1770. Il appartenait à une famille militaire et débuta en 1787 au régiment d'artillerie d'Auxonne où son frère Jean-François était déjà. Il passa au 1er chas-
16 décembre. Lebenow. Beau château, où nous avons été bien traités. Les paysans y sont pauvres, car tout appartient au baron, comme en Pologne. Pourtant ils ne sont pas serfs et attachés à la glèbe. Ils peuvent quitter leur village, et comme ils ont fait estimer, par expert, leurs habitations et les terres qu'ils exploitent, au moment de leur entrée en jouissance, le propriétaire est obligé, s'ils ont amélioré, de leur tenir compte de la mieux-value.
17 décembre. Zorndorf t, à un mille (2 lieues) sur la droite de Custrin.
18 décembre. Séjour. C'est aux environs de ce village que Frédéric II a battu l'armée russe qui assiégeait Custrin, et lui a tué 22.000 hommes. Il fit loger les généraux moscovites dans les casemates de la forteresse, en leur disant qu'il ne pouvait leur donner de meilleurs quartiers, puisqu'ils avaient brisé toutes les maisons de la ville dans le bombardement.
19 décembre. Didersdorff. Village. Bon château où nous sommes logés avec le commandant Fleury.
seurs à cheval en 1789 et deux ans après fut nommé sous-lieutenant et devint aide de camp de Hoche. Il était chef de brigade au 11» dragons quand en 1805 il fut nommé général de brigade. Une chute de cheval faite en Espagne en 1808 l'obligea à prendre sa retraite en 1812. Lors du passage de l'Empereur à Grenoble au retour de l'tle d'Elbe, il reçut le commandement du département de la Drôme, puis celui du Mont Blanc. Compris dans l'ordonnance du 24 juillet, le conseil de guerre permanent siégeant à Paris le condamna à la peine de mort, à la dégradation militaire et aux frais de justice. La peine fut commuée et il fut enfermé dans la citadelle de Besançon avec le général Radet, puis gracié. — Son frère, Jean-François, général de division, mourut à Saint-Domingue. Un autre fut fait général pendant les Cent-Jours, et un autre, capitaine au 17e de ligne, fut tué en Vendée.
1 Zorndorf, village de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, présidence de Francfort, à 37 kilomètres S.-S.-E. de Kônigsberg, sur un sous-affluent droit de l'Oder.
Nous traversons Custrin ville très fortifiée, bien défendue, qui s'est rendue sans coup férir, à l'approche de nos troupes après Iéna.
20 décembre. Alt-Landsberg2. Petite ville à 7 lieues de Berlin, sur la droite de la route.
Berlin, 21 décembre. Me voici de retour en cette ville à peu près à l'époque à laquelle je m'y trouvais déjà l'année dernière. Je la trouve toujours aussi encombrée de troupes qu'à ma première visite.
J'y vois M. Percy, qui est aussi aimable et aussi gai que par le passé, Béclar 3 (de Saint-Louis, ancien ami de Baraut, il est chirurgien-major des hôpitaux), qui m'annonce que Rampont, notre condisciple, est à Breslau et Charpentier à Berlin.
Je n'ai pu rejoindre le confrère Boisset1 qui se trouve à Berlin, faisant le service d'un même hôpital avec Béclar.
Je suis logé chez un fabricant de soieries, originaire de France. Son grand-père faisait partie de cette colonie française, qui sous Louis XIV émigra, comme protestants ; il y a plus du quart des habitants de Berlin qui reconnaissent la même origine.
* Küstrin, ville forte de la province de Brandebourg, présidence de Francfort-sur-l'Oder, au confluent de la Warthe et de l'Oder.
* Alt-Landsberg, ville de la province de Brandebourg, présidence de Potsdam, à 24 kilomètres E.-N -E. de Berlin, sur un affluent de la Sprée.
3 Béclar (Pierre-Auguste), né à Angers en 1785, mort à Paris en 1825.
Fut professeur d'anatomie à l'Ecole de médecine ; il était si aimé et si admiré qu'à sa mort les étudiants voulurent eux-mêmes porter son corps au cimetière.
* Jean-Guillaume Boisset, né à Laroquebron, âgé de quarante-trois ans en l'an X, reçu docteur en 1777 à Montpellier. Exerce depuis quatorze ans à Chalon-sur-Saône. (Dictionnaire des médecins, publié en l'an X )
On ne parle pas encore de l'évacuation définitive du pays de Brandebourg.
22 décembre 1807. Cestow. Village à 9 lieues de Berlin.
23 décembre 1807. Jeserik. Village à un mille et demi de Brandenburg en rétrogradant sur la route de Potsdam.
La route par Magdebourg est changée et au lieu de passer par Genthin et Burg, nous prenons à gauche par Ziesar 3 et Mackern.
24 décembre. Grüningen. Village à trois lieues en deçà de Ziesar.
25 décembre. Steiglitz. Village à six lieues de Magdeburg.
26 décembre. Klein-Osterleben. Village. Nous avons traversé Magdebourg, que nous avons dépassé d'une lieue.
Magdebourg est une ville de 33.000 habitants. Elle est grande, située sur l'Elbe et bien fortifiée ; sa citadelle est sur la rive droite du fleuve. La rive gauche commence le nouveau royaume de Westphalie, dont le Prince Jérôme-Bonaparte est reconnu roi.
27 décembre. Berneke Village excellent, où nous sommes logés chez un fermier du chapitre d'Halbers-
4 Brandenburg, ville du N.-E. de la Prusse, présidence de Kônigsberg, à 27 kilomètres N.-E. de Heiligenbeil.
! Genthin, ville de Saxe, à 48 kilomètres N.-E. de Magdebourg.
3 Ziesar, ville de Saxe, présidence de Magdebourg, à 29 kilomètres E. de Burg.
4 Berneck. bourg du cercle de Haute-Franconie, en Bavière. à
i4 kilomètres N.-N.-E. de Bayreuth, sur le Mein Blanc.
tadt 1. Son frère, baillif de Schneideling2, à un quart de lieue, nous traite magnifiquement.
28 décembre. Séjour.
29 décembre. Hélmstedt3. Gros village. Logé chez un fermier royal, qui paiera désormais 15.000 thalers par an au roi Jérôme, au lieu de leur faire passer l'Elbe.
30 décembre. Village. Logé chez le ministre luthérien, qui a de belles demoiselles.
31 décembre. Grosstockheim. Village à un quart de lieue de Wolfenbuttel *, ville assez jolie, quoique dans le genre tudesque, avec pignon sur rue, petites demitourelles au milieu et au coin de la façade, étroites croisées, etc. ; ce qui m'a le plus frappé, c'est la fraîcheur d'aspect que représentait l'ensemble de la cité. Elle était toute uniformément peinte en gris clair, ce qui lui donne la physionomie d'un immense château de cartes.
Le château du duc de Brunswick est grand, mais ressemble à peu près à un cloître. La bibliothèque qui est voisine est un bâtiment en forme de rotonde, comme le château qui existe à Ghagny 5.
1 Halberstadt, ville de Saxe, à 43 kilomètres S.-O. de Magdebourg, sur un sous-affluent de l'Elbe. Elle devint sous Charlemagne le siège d'un évêché, et fut souvent le siège des diètes de l'Empire germanique. La principauté forma de 1807 à 1814 une grande partie du département de la Saale dans le royaume de Westphalie.
1 Schneidlingen, village de Saxe, présidence de Magdebourg, à 14 kilomètres N. d'Aschersleben, dans le bassin de l'Elbe.
3 Helmstedt, ville du duché de Brunswick, à 33 kilomètres E. de Brunswick.
* Wolfenbüttel, ville du duché de Brunswick en Allemagne centrale, à 12 kilomètres S. de Brunswick, dans le bassin du Weser.
5 Chagny, chef-lieu de canton de Saône-et-Loire, à 17 kilomètres N.-N.-O. de Chalon-sur-Saône.
1er janvier 1808. Rosenthal, village à une lieue de Peine i.
2 janvier 1808. Herrenhausen. Village à trois lieues sur la droite d'Hanovre. Le pays change tout à coup, il devient sablonneux et marécageux.
Dans ce pays-ci, les maisons sont sans cheminées apparentes sur les toits, et les animaux, vaches, chevaux, cochons et moutons, habitent avec les gens, sous la même toiture.
3 janvier. Osterwald 2. Village à trois lieues et demie d'Hanovre.
4 janvier. Nimbourg 3. Petite ville, assez bien bâtie, où nous sommes définitivement cantonnés. Elle est à 10 lieues de Hanovre.
J'y suis logé, dans la grande rue, chez un brave sellierharnacheur, dont la famille est fort bien. Le jeune fils, de vingt à vingt-deux ans, est grand amateur de musique, il réunit chez lui, très souvent, quelques amis et des artistes, pour exécuter les plus beaux morceaux de musique allemande, tels que ceux de Mozart, Beethoven, Humel, etc. et ils interprètent fort bien les quintettes, quatuors et symphonies les plus difficiles et les plus remarquables et j'y prends goût d'une manière très vive, je dirai presque passionnée. Cette musique n'est pas assez appréciée en France.
Je passe, en général, mon temps d'une façon assez
4 Peine, ville de la province du Hanovre, à 27 kilomètres N.-E. de Hildesheim, dans le bassin du Weser.
* Osterwald, village du Hanovre, à 17 kilomètres E. de Hameln.
3 Nimburg, ville de Bohême, à 8 kilomètres N.-O. de Podiébrad, sur la rive droite de l'Elbe.
agréable, occupé d'ailleurs par un petit service dans l'hôpital, où nous avons de nos dragons, et le service ordinaire du régiment, qui est ici en entier.
Je passe ainsi janvier, février, jusqu'au 16 mars, époque à laquelle l'État-major quitte Nimburg, tandis que j'y reste pour soigner nos malades, après quoi, je rejoindrai l'Etat-major à Hoya 1
6 avril. Toujours à Nimburg, sur le Weser.
Ce fleuve croît subitement pendant la nuit et peu après se répand dans la campagne, sur l'une et l'autre rive, de sorte qu'on ne peut communiquer avec Hoya, où est mon colonel.
Cette crue rapide, qui se produit tous les ans d'une manière plus ou moins considérable, provient ainsi périodiquement de la fonte des neiges qui couvrent les montagnes du Hartz. Le Hartz est une chaîne de montagnes dépendant autrefois du Hanovre, mais qu'on vient de réunir au royaume de Westphalie.
Elles sont très pittoresques et, en petit, rappellent la Suisse, car elles sont encore assez élevées.
Les habitants du Hartz sont vifs et enjoués ; on dit en Allemagne qu'ils ont le caractère français. Ils portent un costume particulier et s'accompagnent, dans leurs chants, avec un instrument assez peu harmonieux, le fouet de poste, dont ils savent varier les sons assez habilement.
4 mai. Hoya. Je vais rejoindre mon régiment, dont l'Etat-major est à Hoya.
Les deux fractures de jambes et la plaie de tête, qui
1 Hoya, ville du N.-O. de la Prusse, à 62 kilomètres N.-O. de Hanovre, sur les deux rives du Weser.
m'avaient forcé de rester dans cette dernière ville', sont guéries et mes hommes sont rentrés au régiment.
J'arrive à Hoya avec la fièvre quarte, dont j'ai déjà eu trois accès. On me loge chez le hauptmann Rudolph (baillif ou sous-préfet de cet arrondissement), bon et excellent homme, parlant bien français, ainsi qu'une sœur de trente et quelques années, qui est bonne aussi et parfaitement élevée. Je suis on ne peut mieux traité chez ces excellentes gens.
Un soir je lisais dans ma chambre tout en entendant gronder l'orage avec de fréquentes détonations, lorsqu'il survint un coup si fort et si près de mon oreille, que je fis une inclination de la tête sur mon bureau. Je me redressai aussitôt en me moquant de ce mouvement involontaire.
Mon hôtesse, Mlle Rudolph, vint presque aussitôt frapper à ma porte et me témoigner sa crainte que la foudre n'eût frappé la maison. Descendus dans la cour, nous nous trouvâmes dans un nuage épais, duquel partaient de nombreuses étincelles, dont le moindre mouvement que nous faisions augmentait le nombre. C'était un vrai feu de file, nous crûmes prudent de rentrer pour ne pas être foudroyés.
Nous visitons quelquefois ensemble le château, où est logé mon colonel, et qui appartient à Mme de Ber, dont la nièce, qui n'a pas voulu, ou n'a pas pu se marier à son goût, s'est faite chanoinesse. Elle va dans le monde comme devant et semble de tout point fort aimable.
Il y a beaucoup de demoiselles nobles qui prennent ce parti, dans toute l'Allemagne.
Je vois souvent dans cette maison un M. de Stafford,
Anglais ruiné, grand et bel homme, encore bon enfant et de bonne compagnie.
Pendant mon séjour à Hoya1, je coupais ma fièvre quarte, que je devais à l'influence des eaux stagnantes laissées dans le pays par l'inondation du Weser ; mais elle me revint à plusieurs reprises, étant toujours exposé aux mêmes émanations, qui ont rendu presque tout mon régiment malade de la même affection. Je me coupai deux fois la fièvre avec 1 once de quinine dont je formai des bols avec le sirop d'absinthe, mais elle revint une troisième fois.
Voyant ce retour fébrile si obstiné, je profite de l'arrivée du chirurgien-major, qui avait eu la permission de s'absenter, pour sa santé aussi, et je demande de changer d'air pour en finir avec ma maudite fièvre, ce que
1 C'est pendant que Lagneau était à Hoya que le chirurgien en chef Poussielgue lui demanda de dresser un état du personnel et du matériel de son service.
Berlin, 23 juin 1808.
Le chirurgien en chef des réserves générales de cavalerie à M. le chirurgien-major du 12e régiment de dragons.
M. Heurteloup, inspecteur général du service de chirurgie, premier chirurgien de la Grande Armée, me demande, mon cher camarade, des détails sur le personnel et le matériel de votre service ; ma longue absence du corps d'armée et les changements survenus dans l'intervalle m'obligent à vous demander de nouveau ces détails, conformément au modèle d'état ci-joint.
Les états devront être séparés pour le personnel et le matériel, et chacun d'eux fait double.
Je vous prie, mon cher camarade, de mettre la plus grande célérité dans l'expédition de ces états, attendu que M. l'Inspecteur général est arrêté dans son travail d'organisation de la réserve de cavalerie par le défaut des renseignements qu'il exige.
Veuillez me faire passer votre réponse par l'état-major du grand quartier général ou par M. le commissaire ordonnateur en chef, en suivant cette marche pour notre correspondance ultérieure.
J'ai l'honneur de vous saluer.
POUSSIELGUE.
j'obtiens facilement, pour me rendre à Hanovre, quartier général de la division Milhau et capitale du Hanovre.
Le 7 juillet 1808, je pars pour Hanovre, en regrettant mes excellents hôtes, le baillif Rudolph et sa bonne et excellente sœur.
Hanovre est à quatorze lieues d'Hoya, dans un pays plus élevé et moins marécageux et présentant moins de tourbières.
Non loin est le château d'Hérenhausen, qui était l'habitation d'été de l'Électeur et dans lequel réside aujourd'hui le général Milhau, avec son état-major.
Ce château d'été était habité autrefois par le duc de Cambridge, fils du roi d'Angleterre, qui pendant les hivers résidait à Hanovre.
Je retrouve à Hanovre l'ancien camarade d'études, Roux, qui est médecin de l'hôpital militaire.
Les filles sont jolies.
Mon colonel vient aussi à Hanovre pour changer d'air et nous aider à le débarrasser d'une fièvre quarte comme la mienne, qui n'est plus revenue depuis que je suis ici.
18 août 1808. Départ du Hanovre, après sept mois de résidence ou de cantonnements divers dans ce pays.
Nous nous dirigeons sur Wesel avec toute la division de dragons de Milhau. Nous couchons à Stolzenau2, toute petite ville.
1 Wesel, place forte de la province du Rhin en Prusse occidentale, à. 44 kilomètres N.-N.-O. de Düsseldorf, sur la rive droite du Rhin, au confluent de la Lippe.
1 Stolzenau, bourg de Hanovre, à 17 kilomètres S.-O. de Nienburg sur la rive gauche du Weser.
19 août. Minden 1. Ancienne ville prussienne, qui appartient au nouveau roi de Westphalie.
20 août. Herford 2. Petite ville à six lieues de Minden, moins grande et moins jolie qu'elle.
21 août 1808. Bielefeld3. Nous y voyons, comme à Herford, des arcs de triomphe préparés pour le passage du Roi. A Minden, par exemple, les légendes et incriptions que portent ces monuments ne sont pas d'un français bien orthodoxe : « Innébranlable soit ton throne, Jérôme ! » est une de celles qui m'ont le plus frappé.
Ainsi qu'Herford, Minden contient beaucoup de catholiques, et l'on y voit beaucoup d'églises.
Les paysans des environs sont aussi presque tous des tisserands. On assure dans le pays que cette profession sédentaire occasionne parmi eux un nombre extraordinaire, très considérable dis-je, d'épilepsies. Ils ont mauvaise mine et passent pour de mauvais soldats. On a en effet déjà remarqué qu'en Flandre, où l'on fabrique beaucoup de toiles également, l'épilepsie est fort commune et que le ministre de la guerre s'est plusieurs fois montré très surpris de la grande quantité d'hommes réformés pour cause de semblable maladie.
22 août. Warendorf 4. Petite ville à 10 lieues de Bielefeld, dans le grand-duché de Berg.
23 août. Séj our.
1 Minden, en Westphalie, à 96 kilomètres E.-N.-E. de Munster, sur la rive gauche du Weser.
! Herford, ville de Westphalie, à 28 kilomètres S.-O. de Minden, au confluent de l'A a et du Weser.
3 Bielefeld, en Westphalie, à 45 kilomètres S.-O. de Minden.
* Warendorf, ville de Westphalie, à 26 kilomètres E. de Munster, sur la rive gauche de l'Ems.
24 août. Munster *, à six lieues de Warendorf, fait aussi partie du grand-duché de Berg. Tous les habitants sont catholiques.
25 août 1808. Dulmen 2. Depuis trois ans, elle a été donnée, ainsi que cinq lieues de territoire (5 lieues de diamètre, c'est-à-dire 15 lieues de circonférence) au duc d'Aremberg3 (ou comte) parent de l'empereur Napoléon par alliance. Auparavant, elle appartenait au duc de Croy Français dont les grands biens sont aux environs de Mons. Il a toujours ici ces terres propres, mais non les droits de souverain comme autrefois. Sa résidence est une assez jolie maison bourgeoise qui n'a rien qui annonce la demeure d'un prince régnant.
Je ne sais si les habitants sont satisfaits de ces changements, mais leurs physionomies sont renfrognées et tristes comme à la fin d'un long carême.
26 août 1808. Dorsten 5, petite ville à six lieues de Dulmen, appartenant aussi au duc d'Aremberg, qui en
1 Munster, capitale de la province de Westphalie, sur l'Aa, affluent gauche de l'Ems.
! Dulmen, ville de Westphalie, présidence de Munster, à 16 kilomètres S.-E. de Côsfeld.
3 Louis-Engilbert, duc et prince 'd'Arenberg, né à Bruxelles en 1750, mort en 1820. Un accident de chasse le rendit aveugle dès l'âge de vingt-quatre ans. Napoléon le nomma sénateur. Sa fille Pauline, épouse du prince de Schwarzenberg, périt dans l'incendie qui éclata, le 1er juillet 1810, au bal donné à l'ambassade d'Autriche à l'occasion du mariage de Napoléon et de Marie-Louise.
1 Emmanuel, prince de Meurs et de Solre, duc de Croy, né à Condé en Hainaut en 1718, mort à Paris en 1784, fit les campagnes de Westphalie, de Bohème et de Bavière, contribua à la victoire de Fontenoy, mit les côtes de la mer du Nord en état de défense, et fut nommé maréchal de France en 1783.
5 Dorsten, ville de Westphalie, présidence de Munster, sur la rive gauche de la Lippe, affluent droit du Rhin.
a encore deux ou trois autres semblables (ou à peu près) dans son territoire, dont l'étendue est de 24 lieues de long sur 17 ou 18 de largeur. Tous les habitants sont catholiques.
27 août. Wesel, ville de 10 à 12.000 âmes, sur la rive droite du Rhin, qui a été réunie à la France avant l'avènement du grand-duc de Berg (Prince Murât) au trône de Naples.
Ici cessent les avantages (logement, nourriture chez le bourgeois, etc.) dont nous jouissions dans les pays conquis, et je crois remarquer en outre que les habitants sont presque impolis avec les officiers qu'ils ont à loger ; ils veulent peut-être leur revanche.
Geldern 1, 28 août.
Il y a ici un couvent de Capucins, où les fidèles viennent en foule pour y faire leurs dévotions et recevoir une image attachée à une baguette en forme de drapeau. On y arrive de loin, et chaque village formant une théorie (ou procession) a en tête son curé et la bannière, les femmes et les enfants sont de la partie.
La plupart de ces ménages ambulants, qui doivent quelquefois être absents pendant plusieurs jours mènent avec eux un petit tombereau couvert, bien peint et contenant une cassette servant d'armoire aux provisions et de siège. La commune a acheté le couvent qu'on allait vendre nationalement pour y conserver leurs Capucins, parce que les dévots que la Madone attire chez eux y font des dépenses.
t Geldern, ville de la province du Rhin, à 47 kilomètres N.-O. de Düsseldorf, sur la Niers, affluent droit de la Meuse.
29 août. Wenlo 1. Petite ville sur la Maas ou Meuse (4 lieues).
Rôrmond2 Je suis logé chez les dames de Saint-Jerlac, qui vivent encore en communauté, ayant elles-mêmes acheté leur maison. Nous passons demain la Meuse (5 lieues).
31 août 1808. Maaseyk. Petite ville à 5 lieues de Rormond. Nous avons côtoyé la rive gauche, en remontant, pour y arriver. Les habitants parlent presque tous français, quoique le flamand y soit en usage (4 lieues).
1er septembre 1808. Màstricht3 2 septembre. Tongernh. Petite et laide ville à trois lieues de Mastricht.
J'ai visité là une église, dont toutes les chapelles ont des autels en marbre, avec de grandes et belles colonnes d'un bon style, comme en Italie. A cette occasion, je remarquerai que la Flandre et surtout la Hollande, quoique fort éloignées de la péninsule italienne, où se trouvent les plus beaux marbres, en font cependant plus usage qu'aucun autre peuple. Ici, chez les gens peu à l'aise même, on voit les cheminées, les dessus de meubles, les tables, etc., en fort beaux marbres ; ce qui tient à la facilité qu'ont ces pays-là de se procurer cet objet de
Venloo, ville forte de la province de Limbourg, dans les Pays-Bas, à 23 kilomètres N.-E. de Ruremonde, sur la rive droite de la Meuse.
8 Ruremonde, ou Roermond. place forte de la province de Limbourg, dans les Pays-Bas, à 44 kilomètres N.-N.-E. de Maestricht, sur la rive droite de la Meuse.
3 Chef-lieu de la Meuse-Inférieure. Tongelre et Saint-Trond appartenaient au même département.
* Tongelre, village du Brabant Nord, à 4 kilomètres E.-N.-E. d'Eindhoven, sur un sous-afïluent gauche de la Meuse.
luxe, avec facilité, par le moyen de leur marine commerçante qui est très prospère.
3 septembre. S aint- Tronc 1. Ville un peu plus grosse que Tongern, mais dans laquelle la troupe est fort mal logée. Il y avait autrefois beaucoup de couvents. Les femmes y sont laides et mises comme des sacs. C'est le premier endroit du Brabant, où nous commençons à trouver des faiseuses de dentelles (4 lieues).
4 septembre. Louvain 2. Grande ville assez bien bâtie, renommée par le grand commerce qu'elle fait de bière, qu'elle expédie dans toutes les Flandres. Il y en a de deux qualités : l'une légère, nommée Hougard, e, l'autre connue sous le nom de Péterman.
Les brasseurs sont les plus riches du pays. Nous arrivons précisément au moment de kermess, ou fête du pays, pendant laquelle il y a foire, ce qui attire beaucoup de monde.
De Saint-Tronc ici, il y a 9 lieues de poste. A moitié chemin, nous avons traversé la petite ville de Tirlemont3, où nous avons déjeuné.
5 septembre. Séjour.
6 septembre. Bruxelles, à six lieues de poste de Louvain, chef-lieu du département de la Dyle. Les femmes s'y voilent en noir comme des religieuses.
Les Bruxellois font travailler les chiens à traîner le charbon et autres objets. Ils les attellent comme des chevaux à de petites voitures faites ad hoc.
1 Saint-Trond, chef-lieu de canton de la province de Limbourg, en Belgique, à 16 kilomètres S.-O. de Hasselt, dans le bassin de l'Escaut.
* Chef-lieu de sous-préfecture du département de la Dyle.
3 Tirlemont, ville du Brabant, à 18 kilomètres E.-S.-E. de Louvain, dans le bassin de l'Escaut. Autrefois du département de la Dyle.
7 septembre 1808. Braine 1, laide petite ville, à 6 lieues de Bruxelles. Route magnifique, comme on en trouve ordinairement aux abords des capitales.
8 septembre. Mons, grande et vilaine ville, chef-lieu du département de Jemmapes, autrefois capitale du Hainaut autrichien. Ce département a pris son nom d'un village situé sur la route de Valenciennes, à une demi-lieue de nous, auprès duquel s'est donnée la fameuse bataille de Jemmapes, gagnée contre la coalition par le général Dumouriez.
9 septembre. Valenciennes. Le territoire français ancien commençait une lieue avant d'arriver aux portes.
10 septembre. Cambrai.
11 septembre. Péronne. Il y a bien longtemps qu'on ne répare plus ses murailles, pas plus que celles de Cambrai. Cela tient à ce qu'on ne croit plus guère en avoir besoin, nos frontières se trouvant portées sur le Rhin et même au delà.
(Péronne était nommée la Pucelle, parce qu'elle n'avait jamais été prise. Les plaisants disent que ce malheur ne lui est pas advenu, par la raison toute simple qu'elle n'a jamais été assiégée.) 13 septembre. Roye.
14 septembre. Gournay 15 septembre. Senlis, à 2 lieues d'Ermenonville, où est le tombeau de J.-J. Rousseau ; ce château appartient à M. de Girardin dont le fils est colonel du 8e régiment de dragons dans notre division.
Avant d'arriver à Senlis, nous avons vu, sur notre
1 Braine-le-Comte, en Hainaut, arrondissement de Mons, à 30 kilomètres S.-S.-O. de Bruxelles. Département de la Dyle.
gauche, un beau château, qui a appartenu au frère de l'Empereur, le sénateur Lucien.
Il y a fait ériger un monument à sa première femme ; on le voit de la route. C'est un petit temple antique auprès duquel est un sarcophage entouré de saules pleureurs.
16 septembre. Louvres. Bourg à cinq lieues de Paris, on y vit mal et chèrement. On y fabrique du bon ratafia, qui porte son nom et jouit d'une certaine réputation.
17 septembre 1808. Versailles au lieu de Paris, où nous devions directement arriver. Nous passons par Gonesse et Saint-Denis, en faisant 9 lieues dans notre journée.
CHAPITRE VII
Versailles. — Revue de l'Empereur. — Membre de la Légion d'honneur après quatre ans de service. — Départ du régiment pour l'Espagne. — Les étapes. — Arrivée de l'Empereur. — Burgos. — L'Empereur marche sur Madrid, les Anglais, le général Moore est tué. — Diverses affaires. — Le colonel Giraud de Martigny est blessé, il refuse de se laisser amputer, sa mort. — Bataille de Ciudad Real. — Bataille de Talavera.
Le 18 septembre, nous passons, avec le 8e, la revue de Sa Majesté dans le parc de Versailles ; là, pendant cette revue, l'Empereur, sur la présentation de mon colonel, me nomme Membre de la Légion d'honneur, après m'avoir adressé la parole pour s'informer, entre autres choses, si j'avais toujours mes instruments en état et si j'allais panser mes blessés sur le champ de bataille.
Il a paru satisfait de mes réponses et a ordonné au major général, le prince Alexandre Berthier, de prendre mes noms et qualités.
Mon beau-frère Simon, qui arrive depuis peu de Chalon-sur-Saône, sachant qu'au lieu de venir à Paris, nous allons à Versailles, vient me trouver là le jour même de ma nomination.
Je suis bien joyeux de le voir et de recevoir son compliment, qui n'est pas, du - reste, le premier que je reçois,
car tous les officiers du régiment se sont empressés de m'en faire, avec la plus franche cordialité.
19 septembre. Je pars pour Paris, avec une permission de six jours. J'y trouve le bon Simon, dont la femme, ma sœur, est encore à Chalon.
Quant à mon frère Lagnaau, il est parti le matin même pour la Suède. J'aurais pourtant été bien aise de l'embrasser.
23 septembre. Je reçois l'avis officiel du major-général, Prince de Neuchâtel, de ma nomination, comme légionnaire, au titre Je chevalier.
24 septembre 1808. Nous recevons l'ordre de partir pour l'Espagne et prenons cette direction sans rentrer dans Paris.
Départ de Versailles; nous nous arrêtons à Rambouillet, Chartres, Vendôme, Tours, Chatellerault, Poitiers, je suis forcé d'abandonner un cheval çtialade à l'obligeance et aux bons soins de mon compatriote Poncet, officier dans les grenadiers à cheval de la Garde, qui attendent là l'arrivée de l'Empereur, qui nous suit en Espagne.
Je lui laisse mon domestique, qui me rejoindra quand la bête sera guérie (excellent et fort aimable officier que ce M. Ponceti).
Angoulême
4 Poncet (Jean-Jacques-Eugène) né à Chalon-sur-Saône en 1783. A dix-sept ans il débuta au ter bataillon consulaire, qu'il quitta au bout d'un an, pour passer au 19* dragons, où en 1803 il fut nommé sous-lieutenant. Lieutenant au ::!o cuirassiers en 1805. Aide de camp du général Roussel en 1807, il passa aux grenadiers à cheval de la Garde, y devint capitaine, puis chef d'escadron. Aide de camp du général Mathieu Dumas en 1813, il fut fait prisonnier à Dresde avec son général et rentra avec lui en 1814. Pendant les Cent-Jours ilfut aide de camp du général Durosnel. Mis en demi-solde à la Restauration, il y resta jusqu'à ses trente ans de service.
Barbezieux.
Bordeaux Après un séjour à Bordeaux, nous continuons notre route sur Bayonne en passant par les grandes Landes, c'est-à-dire en voyageant entre Mont-de-Marsan et la mer, dans un pays inculte, à peu près couvert de sapins, dont on retire d'ailleurs un grand profit, par la résine qu'on en obtient. Le reste de la contrée n'offre que des bruyères et des broussailles, sur un terrain plat, provenant d'alluvions, souvent couvert d'eau, ce qui oblige les habitants à monter sur des échasses pour le parcourir et y surveiller leurs troupeaux.
Ces hommes sont ordinairement habillés avec une espèce de tunique de laine blanche pourvue de capuchon ; et quand ils sont assis ou appuyés sur le sommet un peu élargi du grand bâton, qui leur sert de balancier quand ils marchent vite, on les prend de loin pour des statues immobiles dans ces déserts.
Il y en a d'autres qui sont vêtus d'étoffes de laine brune formant robe courte, avec des appendices sur l'une et l'autre épaules, figurant la dalmatique, absolument coupée comme celle de nos diacres, quand ils servent d'acolytes au prêtre qui dit la messe (il n'y a rien de nouveau sous le soleil). Ce costume est porté par les hommes qui voyagent à pied, qui conduisent des voitures, etc.
8 octobre 1808. Dax, petite ville où se voit, au milieu s d'une place, un bassin, d'où sort une source d'eau minérale très chaude, dans lequel les bonnes femmes font cuire des œufs et plongent les volailles qu'elles veulent plumer.
On y voit encore d'autres sources, comme celle-ci, encaissées dans des puits, mais elles ne sont pas soignées et l'on n'en tire pour ainsi dire" aucun parti comme agent médical.
1 au 15 octobre 1808. Bayonne Nous sommes en plein pays basque. On y fait un grand commerce de liqueurs, jambons et chocolat.
15 octobre. Nous partons pour l'Espagne.
La route est variée, agréable et comme c'est le dimanche nous voyons beaucoup de gens en partie de plaisir suivant la même route, montés sur des mulets portant une espèce de bât, sur lequel se placent deux personnes, homme ou femme, l'un à droite et l'autre à gauche, se faisant contre-poids.
Nous laissons sur notre droite Hendaye.
Vers le milieu du jour, nous arrivons sur la frontière d'Espagne, qui est tracée par le cours de la Bidassoa, petite rivière que nous traversons sur un pont de pierre, sur la gauche duquel nous voyons l'île des Faisans, où se sont tenues les conférences et ont été arrêtés les préliminaires de la paix entre la France et l'Espagne, sous Louis XIV. C'est pour cela qu'on la nomme aussi : Ile des Conférences.
A l'autre bout du pont, est un poste de douaniers espagnols et de quelques soldats à uniforme brun, mais en pauvre tenue. Nous ne voyons plus, à dater de ce corps de garde, aucune vitre aux maisons, si ce n'est parfois du papier aux fenêtres.
Irun t. Son aspect est triste et les circonstances ac-
Irun, ville de l'Espagne septentrionale, à 17 kilomètres E.-N.-E. de
tuelles qui nous font regarder comme ennemis ne la rendent pas plus gaie : les hommes enveloppés dans leurs manteaux bruns (capa), ont un air assez rébarbatif.
Les femmes se cachent tant qu'elles peuvent sous un fichu sale ou une mantille en une espèce de serge noire.
Par un singulier hasard, je suis logé chez un vieux citadin, qui porte une résille (filet) noire sur sa tête, par dessous son chapeau et qu'il ne quitte pas même pour se mettre à table. (Costume, ou plutôt coiffure, que je n'ai presque plus retrouvé en avançant en Espagne, où cette mode était jadis généralement adoptée.) Il se chauffait à un brasero.
Ernani t, lieu d'étape. Petite ville au tiers du chemin d'Irun à Tolosa.
Tolosa 2. Ville plus grande (4.200 âmes).
On parle ici le biscayen.
Villafranca 3.
Ver garatoujours sur la route de Burgos, qui est aussi celle de Valladolid et de Madrid.
Mondragon 5, petite ville dans les montagnes.
Dangereuse pour les communications, les guérillas, troupes irrégulières formées par les villageois et cita-
Saint-Sébastien, à 1 kilomètre de la frontière française, sur la rive gauche de la Bidassoa.
1 Hernani, à 6 kilomètres S. de Saint-Sébastien.
: Tolosa, ville des Provinces basques, à 1§ kilomètres S.-S.-O. de Saint-Sébastien.
3 Villafranca, ville des Provinces basques, dans le district de Tolosa, à 33 kilomètres S.-S.-O. de Saint-Sébastien.
- * Vergara, ville des Provinces basques, à 44 kilomètres S..O.- de Saint-Sébastien.
5 Mondragon, ville des Provinces basques, à 50 kilomètres S.-O. de Saint-Sébastien.
dins volontaires, dirigées par les premiers venus, un prêtre, un berger, un contrebandier, etc., etc., attaquant très souvent les petits détachements servant d'escorte à nos convois, car personne des nôtres ne peut voyager isolément.
Le pays est très montagneux et présente des gorges, des défilés, où il est facile d'arrêter, avec peu d'hommes, les détachements de troupes les plus forts.
Ces guérilleros s'embusquent dans les gorges derrière des rochers et profitent de tous les accidents de terrain que présentent ces montagnes, dont les plus dangereuses sont celles de Sahuas que nous franchirons demain.
Sahuas. Nous avons passé sans encombre, parce que nous étions en force.
Villareal1. Ville assez grande.
Victoria. Plus grande encore ; capitale de la province d'Alava.
Le roi Joseph, après l'insurrection de Madrid, s'est retiré à Victoria. L'Empereur vient l'y rejoindre pour le reconduire à sa capitale, en poussant nos troupes en avant. Nous restons quelque temps à Victoria, puis nous continuons notre marche sur Miranda 2.
Burgos.
Arrivés devant Burgos, capitale de la Vieille Castille, on attaque les Espagnols, qui sont battus et se retirent en désordre. Nous entrons pêle et mêle avec eux dans la ville qui est commandée par un vieux château fort délabré, mais armé d'ailleurs d'une artillerie suffisante
1 Villareal, bourg des Provinces basques, à 38 kilomètres S.-O. de Saint-Sébastien.
1 Miranda, commune des Asturies, à 30 kilomètres 0.-S.-O. d'Oviedo
Nos régiments de dragons sont rassemblés sur la grande place et nous occupons toutes les maisons qui l'entourent.
Moi, je me trouve vis-à-vis de celle du Corrégidor, qui vient du haut de son escalier se recommander à moi et à un officier de mon régiment, pour le protéger contre des soldats du train d'artillerie, que nous chassons aussitôt, non sans quelque peine.
Le roi Joseph entre en ville peu après nous ; l'Empereur y arrive le lendemain, 11 novembre, incognito et donne ses ordres pour les opérations subséquentes de la campagne.Il ordonne la confiscation de douze à quinze millions de laine appartenant à des grands seigneurs, le duc de l'Infantado, duc de Castelfranco, duc d'Ossuna, de Médina Céli, tous grands d'Espagne de lre classe, qu'il voulait surtout frapper.
C'était pour les vendre à bas prix au commerce de Bayonne, pour favoriser les manufactures de draps françaises.
Le jour même, 11 novembre, notre division de dragons du général Milhau part et se dirige sur Valladolid.
Le général Lassalle prend la gauche, route directe de Madrid, par Lerma 1 et Aranda 2.
Le 2e corps, maréchal Soult, marche à la droite, sur Reynosa 3, à la poursuite du général Black, qui est battu
1 Lerma, ville de la Nouvelle-Castille, à 37 kilomètres S.-S.-O. de Burgos.
! Aranda de Duero, dans la province de Burgos, sur la rive droite du Duero.
3 Reinosa, ville de la Vieille-Castille, à 58 kilomètres S.-S.-O. de Santander, sur la rive gauche de l'Ebre naissant.
le jour même, 11, à Espinosa', et le lendemain, 12 novembre.
Quant à nous, nous sommes destinés, en nous dirigeant sur Valladolid, à couvrir le mouvement sur Madrid, où l'Empereur marche directement avec la Garde Impériale, le maréchal Victor et la réserve de cavalerie.
Il suit la route directe sur Aranda et arrive à Somosierra 2, passage le plus voisin des montagnes de Guadarrama, lieu très fortifié par la nature, entre d'énormes rochers, fort étroit, défendu par 13.000 hommes et de l'artillerie. Il force le défilé le 30 novembre, ce sont les Polonais avec le général Montbrun à leur tête qui enlèvent les seize pièces de canon des Espagnols. Il arrive, nous dit-on, à Madrid le 2 décembre.
L'Empereur poursuit les Anglais (général Moore) jusqu'à Benavente 3 et Ponferrada 4, route d'Astorga Õ, puis, informé des préparatifs faits par l'Autriche pour une nouvelle campagne, revient à Valladolid, et laisse à Soult le soin de suivre l'ennemi en retraite sur la Corogne, où il veut s'embarquer.
Le général Moore est tué, ainsi que le général David Baird ; l'ennemi battu dans divers combats parvient à s'embarquer le 17 et le 18 décembre à la Corogne, mais
Espinosa de los Monteros, ville de la province de Burgos, en Vieille-Castille, à 60 kilomètres S.-O. de Bilbao.
t Somosierra, village de Nouvelle-Castille, à 75 kilomètres N.-N.-E. de Madrid.
3 Benavente, dans la province de Léon, à 66 kilomètres N. de Zamora.
4 Ponferrada, ville du N.-O. de l'Espagne, à 85 kilomètres O.-S.-O. de Léon.
5 Astorga, dans la province de Léon, ancienne capitale des Asturies, à 60 kilomètres O.-&-O. de Léon.
perd beaucoup de monde, son trésor et ses immenses bagages.
Torrequemada mi-novembre 1808. De Burgos, nous suivons la route de Valladolid, en passant d'abord à Torrequemada, petite ville.
Palencia2, jolie et assez grande ville sur la droite de la grande route de Valladolid. Nous y sommes bien logés et nourris. Nous allons faire visite à l'évêque, qui paraît un homme fort respectable et de beaucoup d'esprit.
Médina de Rio-Seco 3, ville près de laquelle a eu lieu une bataille assez importante gagnée par le maréchal Bessières contre les Espagnols commandés par Black et Cuesta, le 12 juillet, avant la retraite du roi Joseph, de Madrid sur Victoria.
Je suis logé chez une petite veuve, un peu bossue, qui a une jeune et vraiment très jolie fille de quinze ans, qu'elle a eu le bon esprit d'éloigner de là, au moment de la bagarre Duenas Les Espagnols ont été vigoureusement battus, au passage du pont sur le Douro, qu'ils voulaient défendre pour couvrir Valladolid, chef-lieu de la province. De là, nous allons à Rio-Seco.
A trois quarts de lieue de Benavente, nous traversons l'Esla, petite rivière assez encaissée, sur le point même où, pendant la retraite des Anglais sur la Corogna, le
1 Torrequemada, village d'Estrémadure, à 15 kilomètres S.-O. de Cacérès, sur le Salor, affluent gauche du Tage.
2 Palencia, chef-lieu de province en Vieille-Castille, à 194 kilomètres N.-N.-O. de Madrid, sur un sous-affluent du Duero.
3 Medina de Rio Seco, ville de la province de Léon, à 35 kilomètres N.-O. de Valladolid.
4 Duenas, ville de la Vieille-Castille, à 14 kilomètres S. de Palencia.
général Lefèbvre des Nouettes 1 s'était imprudemment engagé dans une belle plaine et où, avec 300 chasseurs de la Garde, il s'est trouvé avoir sur les bras 3.000 chevaux anglais. Il s'est fait jour à travers cette masse de cavalerie, n'a perdu que peu de monde ; mais son cheval ayant été blessé, il a été pris par deux Anglais, au moment où il allait se noyer.
De là nous suivons la direction d'Astorga, puis nous rabattons sur Léon.
Nous quittons la poursuite de l'armée anglaise, laissée au maréchal Soult et nous dirigeons notre marche sur Zamora.
Décembre 1808. Zamora 2. Petite ville.
Toro 3. Moins petite ville, renommée par son bon vin; mais aussi par le caractère peu traitable de ses habitants.
Aussi les gens du pays disent-ils de cette ville-là : « toro buen vino y mala gente ».
Tordesillas 4 Médina del Campo °. D'abord nous arrivons à Médina del Campo, ancienne et grande ville réduite des neuf dixièmes au moins. Médina qui veut dire ville en arabe
Lefebvre-Desnouettes (Charles), né à Paris en 1773, mort à bord de l'Albion en mer en 1822, volontaire de 179-2. Aide de camp du Premier Consul. Général en 1808. Se couvrit de gloire, surtout en Espagne, en Russie et pendant la campagne de France. Pair des Cent-Jours. Il fut condamné à mort par contumace à la Restauration, et se retira aux Etats-Unis, où il contribua à la fondation du Champ d'asile.
2 Zamora, chef-lieu de province au N.-O. de l'Espagne, dans l'ancien royaume de Léon, à 230 kilomètres N.-O. de Madrid.
3 Toro, ville de la province de Léon, à 30 kilomètres E. de Zamora, sur la rive droite du Duero.
* Tordesillas, ville de la province de Léon, à 28 kilomètres S.-O. de Valladolid, sur la rive droite du Duero.
3 Medina del Campo, ville de la province de Léon, à 42 kilomètres S.-S.-O. de Valladolid.
a conservé ce nom depuis l'occupation de l'Espagne par les Maures et, pour la distinguer des autres Médina, telles que Médina-Céli, Médina Sidonia et tant d'autres de la même origine, on y a ajouté l'adjectif del Campo, qui signifie du champ.
Olmédo
Sêgovie Arrivé en passant par Arevalos, San Garina.
Cette ville est remarquable par un château fort, bâtisur un rocher et par l'école d'artillerie qui y existe depuis longtemps. Nous n'avons fait que longer les murs de la forteresse, sans entrer dans la ville.
Nous couchons à Pozuelo del Alarzon. Le lendemain nous franchissons la chaîne de Guadarama, par un froid très vif et descendons le versant méridional, en laissant l'Escurial, résidence royale, qui n'est autre que le couvent de San Lorenzo, bâti par Philippe II, à la suite d'un vœu, avant de gagner la bataille de Saint-Quentin.
Madrid. Le roi Joseph n'est pas encore entré dans cette capitale, l'Empereur l'ayant engagé à résider au Prado, château royal, à deux lieues, en attendant que les habitants fussent plus traitables et manifestassent le désir de l'avoir au milieu d'eux.
Aranguez 3, à 10 lieues de Madrid. C'est en cette ville qu'a eu lieu l'insurrection contre le Prince de la Paix, à la suite de laquelle Ferdinand III a été proclamé, son frère Charles IV ayant forcément abdiqué et le
1 Olmedo, ville de l'Espagne centrale, à 39 kilomètres S.-S.-E. de Valladolid.
2 Ségovie, chef-lieu de province en Vieil le-Castille, à 67 kilomètres N.-N.-O. de Madrid.
3 Aranguez, en Nouvelle-Castille, sur la rive gauche du Tage, à 49 kilomètres S. de Madrid.
Prince de la Paix (Godoy) fut obligé de se soustraire à la fureur du peuple. Son palais a été pillé par la populace.
Ocanai. Nous restons à Ocana plus de trois semaines (fin décembre 1808 et commencement janvier 1809). Je suis logé dans une honnête famille, dans la rue principale vis-à-vis la Posada (hôtel). C'est celle del Senor Don Apollinard Guyarro2, Escribano del Partido, ce qui équivaut au titre de secrétaire de préfecture en France. Il parle un peu français et, comme je commence à parler assez bien espagnol, nous nous entendons à merveille, même avec sa famille, se composant de sa femme et d'une fille de treize ans, qui promet d'être fort jolie. Je m'exerce beaucoup à parler avec eux, qui sont gens bien élevés et qui n'ont pas horreur des Français, comme tant de leurs compatriotes.
Ils sont fort gais et nous dansons ensemble et une personne (leur amie) des séguédilles, maachegas. Nous passons les soirées dans la grande cheminée de la cuisine, la seule de la maison, comme il est d'usage en Espagne, où l'on ne se chauffe qu'ainsi, si ce n'est quelquefois au brazero (espèce de grand vase de cuivre, plein de charbon de sarment de vigne, qu'on place au milieu du salon), les cheminées n'étant pas en usage dans les appartements.
Dans la seule cheminée, celle de la cuisine, il y a de droite et de gauche de grands bancs fort propres où toute
4 Ocana, ville de la Nouvelle-Castille, à 45 kilomètres E.-N.-E. de Tolède, sur un affluent gauche du Tage.
! Apolinard Francisco. Dans les papiers de Lagneau on trouve une longue lettre en langue espagnole, adressée en 1824 à Senor Apolinar Francisco. Escribano de la gobernation de Ocana, calle del Carmen, 5 (Castilla la Nueva).
la famille se place pour causer le soir, pour peu qu'il fasse froid1.
D'Ocana, nous sommes venus à Yépès, Dosbarrios2, puis de nouveau à Aranjuez, résidence royale à 10 lieues de Madrid.
Nous n'y restons pas plus d'un jour, après quoi nous prenons notre droite sur Illescas 3, puis revenons sur Yépès ; de là à Tembleque 4 et Consuegra s et à Madridejos3, allant plusieurs fois de l'une à l'autre ville, abandonnées par leurs habitants, qui se sont toujours montrés hostiles aux Français, au point qu'à Madridejos ils ont scié un aide de camp qu'ils ont pris quand il portait des ordres, lors de la campagne de Dupont7 en Andalousie
1 J'ai appris, vingt ans après, que ces braves gens avaient été fort maltraités par Ferdinand VII, comme afrancezados, (partisans des Français). Leur fille avait épousé un officier espagnol de l'armée du roi Joseph, qu'on nommait par dérision le roi Pépé. Ç'a été M. Dupuy, chirurgien militaire, qui avait fait la campagne d'Espagne, sous les Bourbons, en 1823, qui m'a obligeamment donné ces renseignements.
(Note de Lagneau.)
2 Dos Barrios, ville de la province de Tolède, en Nouvelle-Castille, à 10 kilomètres S. -S.-E. d'Ocana.
3 Illescas, ville de la Nouvelle-Castille, à 34 kilomètres N.-E. de Tolède.
* Tembleque, ville de Nouvelle-Castille, à 48 kilomètres S.-E. de Tolède.
1 Consuegra, ville de la province de Tolède en Nouvelle-Castille, à 6 kilomètres 0. de Madridejos, sur un sous-affluent du Guadiana.
6 Madridejos, ville de la Nouvelle-Castille, à 58 kilomètres S.-O. de Tolède.
7 Dupont de l'Etang (Pierre), né à Chabannais (Charente) en 1765, mort à Paris en 1840. Entra dans l'armée comme sous-lieutenant à la Légion française de Maillebois au service de Hollande. Aide de camp (capitaine) de Théobald Dillon en 1791. Général de brigade après Valmy, général de division peu avant le 18 brumaire. Comte en 1808.
Appelé au commandement d'une division de l'armée d'Espagne, il capitula à Baylen avec 17.000 hommes. Condamné par une commission militaire, il fut destitué de ses grades et rayé de la Légion d'honneur,
et l'ont ainsi martyrisé, placé qu'il était entre des planches. Ils en ont assassiné bien d'autres encore pendant toutes nos campagnes dans ce pays.
Madridejos. C'est pendant ces pérégrinations que nous sommes restés longtemps à Valdespino, qui était sans habitants. Pays renommé pour son bon vin, qui est vraiment excellent et ressemble, pour la couleur, à celui de Mercurey 1 ; mais il est très fort et contient beaucoup d'alcool. Il est presque tout acheté par les Anglais.
Nos dragons en font une effrayante consommation, surtout les Polonais !
Enfin nous quittons ces lieux et inclinons vers notre droite et prenons la foute de Ciudad Real où se trouve l'ennemi, après avoir passé par Fuente el Fresno2, Zarzuela et Malagon 3, nous prenons position le 27 mars à une demi-lieue de Ciudad Real4, sur la rive gauche du Rianzares.
Sur la rive opposée, qui est très élevée, un peu plus que celle de notre côté, les Espagnols ont de l'artillerie,
et il resta en prison jusqu'à la chute de l'Empire. Commissaire au ministère de la Guerre par le Gouvernement provisoire et confirmé par le roi. Son passage à la Guerre fut signalé par des destitutions et de si singulières nominations, que le roi fut obligé de lui retirer le ministère, mais il lui donna un commandement et le nomma commandeur de Saint-Louis. Député de la Charente, il demanda sa retraite en 1832.
1 Mercurey, en Saône-et-Loire, arrondissement de Chalon, à la source de l'Orbise, dans le bassin de la Saône. Il y a là un vignoble de 320 hectares qui produit les vins les plus estimés des coteaux chalonnais.
* Fuente del Fresno, bourg de la province de Ciudad Real en Nouvelle-Castille, à 22 kilomètres N.-O. de Daimiel.
3 Malagon, ville de la Nouvelle-Castille, à 22 kilomètres N.-N.-E. de Ciudad Real.
* Ciudad Real, capitale de la province du même nom, à 263 kilomètres S. de Madrid.
bien servie par des canonniers de l'école de Cadix, et aussi de l'infanterie. Nous sommes deux régiments de dragons seulement, commandés par mon colonel M. Giraud de Martigny.
Il fut malheureusement atteint par un boulet qui lui emporta tout le jarret gauche, avec dénudation des vaisseaux et nerfs poplités. Il était très myope et ne redoutait aucun danger. Son adjudant Ribet1 l'avait prévenu que les Espagnols pointaient une pièce sur lui, qui était en évidence sur une élévation, un premier coup était arrivé en direction, quoique trop court : ils allaient relever un peu leur pièce et pourraient l'atteindre. Il n'en tint pas compte et fut en effet touché, son cheval traversé au milieu du corps par le boulet, ce qui était d'autant plus facile, qu'il portait sur son chapeau un énorme plumet blanc, point de mire.
Nous le conduisîmes à Malagon, village où nous voulions l'amputer, ce à quoi il se refusa formellement, menaçant de ses pistolets, si on l'approchait pour cela. On le conduisit donc plus en arrière à Ocana, où il mourut du tétanos, quatre ou cinq jours après. Il était accompagné par M. de Launay 2, qui était le chirurgien-major.
Ribet (Pascal-Esprit), né à Pont-d'Esprit en 1781. Entré au 12° dragons comme cavalier le 20 septembre 1799, il passa par tous les grades et fut sous-lieutenant et légionnaire en 1807. Capitaine en 1811, il ne quitta le 12° dragons qu'en 1814, pour passer au 7e dragons (régiment d'Orléans). Licencié par la deuxième Restauration. Il était noté « d'une grande bravoure, d'une capacité particulière pour tous les devoirs de son état, excellent instructeur à cheval et bien élevé ». En demi-solde jusqu'à ses trente ans de service (1829).
En 1S12, il avait épousé à Libenau (Hanovre) Milo Justine de Hasbergen.
! De Launay, né à Poligny (Jura) en 1777. Il entra au service à quinze
Moi, je retournai au corps et le lendemain de ce combat, qui continua encore tout le jour, nous entrâmes à Ciudad Real, grande ville, où nous trouvâmes encore les habitants bien épouvantés de ce qui résulterait pour eux du combat de la veille. Nous ne leur avons demandé que les vivres et les moyens de transports pour quelques blessés.
28 mars. Bataille de Ciudad Real. Le général Sébastiani vient avec son infanterie pour nous soutenir ; nos dragons font des charges extrêmement brillantes et culbutent l'infanterie espagnole qui perd son artillerie, 2.000 morts et 4.000 prisonniers.
29 mars. Nous dépassons Almagro et allons jusqu'au pied de la Sierra Morena après avoir eu dans la plaine qui y conduit, soit à Santa Cruz de Mudela, une très belle affaire avec les dragons espagnols et les gardes Vallonnés, vieilles troupes.
Nous arrivons à Judio, puis El Viso 2, première entrée dans la gorge ou passage pour arriver à la Carolina. A El Viso, nous surprenons l'infanterie espagnole, qui avait démonté ses armes pour les nettoyer. Ils ne s'attendaient pas que nous pousserions notre pointe aussi loin.
ans, il exerçait avant « la profession d'écolier ». Ses états de service ne sont pas précis sur sa nomination de chirurgien de 3° classe, il est probable que soldat dans un régiment d'infanterie il était employé aux ambulances. Dans tous les cas, à vingt ans, il était chirurgien de 38 classe à l'armée d'Italie et, en 1804, aide-major au 12° dragons, où il devint chirurgien-major en 1806. En 1813, il passa au 10e tirailleurs de la garde, et en septembre 1815, demanda sa retraite, mettant en avant ses blessures, dont une remontait à 1793 (coup de feu à Francfort) qui lui laissa une légère claudication.
Il était noté : « Beaucoup de zèle, paraît fort instruit dans son art, moralité parfaite ».
* El Viso, bourg d'Andalousie, à 70 kilomètres N. de Cordoue.
Avril. Après plusieurs allées et venues dans la plaine accidentée qu'offre ce pays, nous arrivons à Puente de Arzobispo *, sur le Tage, l'un des points principaux, avec celui d'Almaraz 2, par où l'ennemi menace de passer le Tage.
Nous y sommes restés huit jours au moins, pendant lesquels les Espagnols sont venus pour passer le fleuve.
Le chef d'escadron 3 qui commandait le régiment fit mettre pied à terre à une compagnie de ses dragons qui gardèrent solidement le pont, et un escadron passa le Tage à un gué, l'ennemi se retira, nous laissant quelques blessés.
Pour arriver à Puente de l'Arzobispo, nous traversons Talaveira de la Reina vieille ville qui est entourée de vilaines murailles, noires et très hautes, avec des tours, le tout de construction mauresque.
Mai. Nous repassons la ligne de la Talaveira, pour nous concentrer sur la masse des troupes qui se rassemble, en vue de s'opposer aux Anglais et Espagnols, qui au nombre de 60 et quelques mille hommes, se disposaient à remonter le Tage, pour se rapprocher de Madrid. Le roi Joseph, ayant le vieux brave et expert maréchal Jourdan pour conseil et chef d'état-major, le maréchal Victor,
1 Puente del Arzobispo, ville de la Nouvelle-Castille, à 100 kilomètres 0. de Tolède, près de la rive droite du Tage.
2 Almaraz. bourg d'Estramadure, à 100 kilomètres N.-E. de Caceres, près de la rive droite du Tage.
3 Après la mort du colonel Giraud de Martigny et en attendant l'arrivée du colonel Merlhes, (le régiment était commandé par le chef d'escadron Bertrand, que le général Baraguey d'Hilliers avait noté en l'an XIII : « Propre à un grade supérieur, très zélé dans le service, d'une bonne moralité. »
* Talavera de la Reina, ville de la Nouvelle-Castille, à 64 kilomètres O.-N.-O. de Tolède, sur la rive droite du Tage.
le général Sebastiani *, qui nous commandait, le général Milhau à la tête de nos dragons, avait en tout 45.000 hommes de bonnes troupes.
Juin-Juillet. Nous nous rapprochons de Talaveira et passons l'Alberche, petite et jolie rivière guéable à une demi-lieue de la position prise par les ennemis, sur une série de mamelons formant rempart entre les montagnes très élevées, du côté d'Estramadure, dont ils ne sont séparés que par un vallon praticable, et de l'autre côté, touchant au Tage, dont les rives sont fort difficiles à parcourir étant coupées presqu'à pic.
Le 27 juillet 1809, le maréchal Victor, qui était en tête, croyant enlever les hauteurs qui couvrent Talaveira par un coup de main, s'empare, ne voulant pas attendre d'ordres du roi, du mamelon principal ; mais il ne peut le conserver.
Bataille de Talaveira de Reina, le 28 juillet 1809.
Une attaque générale et plus sérieuse a lieu. Toute l'armée presque a été engagée, et s'il n'y avait pas eu désaccord entre le maréchal Victor et le roi Joseph (maréchal Jourdan), le succès aurait été complet. Le roi était effrayé de la présence sur ses derrières du général Vénégas qui, avec 20.000 hommes, menaçait Tolède et Madrid.
1 Sôbastiani de la Porta (Horace-François-Bastien) naquit à la Porta (Corse) en 1775 et mourut à Paris en 1851. Sous-lieutenant en 1789, il devint lieutenant en 1795. Général de brigade en 1803, général de division et ambassadeur à Constantinople en 1806. Il sut détacher Sélim III de la coalition et en faire un ami de la France.
Député de la Corse en 1819 et de Vervins en 1826, il fit une vive opposition au gouvernement. Ministre de la Marine, puis des Affaires étrangères, ministre sans portefeuille, maréchal de France sous LouisPhilippe. Ses dernières années furent assombries par la mort tragique de sa fille, la duchesse de Praslin.
Ceci nous fit retirer sur l'Alberche, que mon corps, les dragons, ne repassa pas. Nous bivouaquâmes sur la rive droite à un quart de lieue.
Nous avons 6.000 blessés et un millier de morts ; les Anglais 7 à 8.000 hommes hors de combat, dont 5.000 des leurs et 3.000 Espagnols. Le 13e dragons anglais a été entièrement détruit, dans le ravin sur notre droite.
Bataille sans résultat qui aurait pu être décisive par la destruction des alliés, si le maréchal Soult fût arrivé sur les derrières de Wellington à l'instant qui lui avait été prescrit par ordre du roi.
Les Anglais ne firent aucun mouvement contre nous, ils étaient trop fatigués et assez contents de nous voir renoncer à une nouvelle tentative.
Le roi Joseph se retira pour couvrir Madrid, mais lentement et ses troupes étaient très disposées à recevoir les Anglais s'ils venaient les attaquer. Ceux-ci étaient en fâcheuse jposition si Soult arrivait sur leurs derrières ; Victor resta sur le champ de bataille. Wellington craignant son arrivée par l'Estramadure, se retira par - Puente de l'Arzobispo et longea la rive gauche du Tage, par des chemins affreux. Il nous abandonna à Talaveira et à Oropesa, quatre ou cinq mille blessés et beaucoup de matériel, ce qui nous donnait les trophées de la victoire. Nous prîmes aux Espagnols 30 canons et beaucoup de chevaux.
29 juillet. Nous traversons Oropesa 1 pour aller à Almaraz, vis-à-vis les Anglais, qui ont mis cinq jours pour faire passer leur artillerie du pont de l'Arzobispo à Almaraz,
1 Oropesa, bourg de la Nouvelle-Castille, à 97 kilomètres O.-N.-O - de Tolède. -
dont ils avaient coupé le pont. Les Anglais sont découragés par le peu de concours des Espagnols. Ils se retirent sur Trujillo 1 (Estramadura), puis sur Badajoz 2.
D'Almaraz on nous ramène sur Tolédo, en passant par Almonacid 3. (Plus tard, le 10 août, Vénégas fut battu par le général Sébastiani, qui lui mit 4.000 hommes hors de combat, lui fit 4.000 prisonniers et s'empara de 16 pièces de canon. Mon régiment se trouvait à ce combat, peu de jours après que je l'aie quitté.) Alcazar San Juan. Nous allons cantonner à Alcazar San Juan *, petite ville entre El Toboso 5 et Madrilejos.
Le général Barthélémy6 commande notre brigade.
1 Trujillo, ville de l'Estrémadure, à 40 kilomètres E. de Gacérès.
î Badajoz, capitale de la province d'Estrémadure, à 7 kilomètres de la frontière du Portugal, sur la rive gauche du Guadiana.
3 Almonacid de Toledo, village de l'Espagne centrale, à 19 kilomètres S.-E. de Tolède, sur un affluent de gauche du Tage.
1 Alcazar de San Juan, dans la Manche, à 148 kilomètres S.-S.-E. de Madrid.
5 El-Toboso, ville de la Nouvelle-Castille à 97 kilomètres S.-E. de Tolède, dans le bassin du Guadiana.
6 Barthélémy (Nicolas-Martin), fils d'un maître carrossier, né le 7 février 1765 à Gray, mort dans la même ville en 1835. Engagé volontaire le 26 août 1781 au régiment de colonel-général (plus tard 1er de cavalerie, puis 1" de cuirassiers), brigadier en 1787, brigadier-fourrier en 1791, maréchal des logis le 14 janvier 1792, maréchal des logis chef le 27 avril suivant, sous-lieutenant le 1" juin 1J93, lieutenant le 1er octobre suivant, capitaine le 4 mars 1796, chef d'escadron aux guides du général en chef Bonaparte le 20 avril 1797, chef de brigade au 15e dragons le 21 juin 1799, général de brigade le 4 avril 1807, fait la campagne d'Espagne en 1808, commande le département du Gard en novembre 1811 et la place de Spandau le 22 juillet 1812, est employé au quartier général de la Grande Armée le 3 mars 1813, commande le dépôt général de cavalerie à Metz en novembre 1813, puis à Versailles en février 1814.
Il fut retraité le 9 septembre 1815. Membre de la Légion d'honneur le 11 décembre 1803, officier le 14 juin 1804, il devint commandeur. Il était baron de l'Empire depuis 1808 avec une dotation de 10.000 francs de rente sur les biens réservés en Westphalie.
Il a fait la campagne d'Egypte. Je suis logé avec quelques autres officiers dans le couvent d'une espèce de Franciscains à robe bleu de ciel. Ils ont fui presque tous.
Ceux qui restent sont en apparence assez raisonnables.
CHAPITRE VIII
Nommé chirurgien-major de Vieille Garde, au 26 Conscrits-grenadiers. A sa recherche. — Rencontre du régiment à Strasbourg. — Retour à Paris et départ pour l'Espagne. — Interprète bénévole. — L'Hôpital de Haro, désinfection à la chaux et aération des salles. — Les guérillas. — Salamanca. — Concentration avec les troupes du général Marmont. — Le général Dorsenne, sa bravoure, sa pipe. — Retraite des Anglais à Fuente del Onoro. — Retour à Burgos. — Les cadres du régiment rappelés en France. — Revue de l'Empereur. —Vif intérêt qu'il porte au service de santé. — L'Impératrice Marie-Louise vient au quartier. — Départ.
Ordre de passer dans la Garde Impériale, avec le grade de chirurgien-major de Vieille Garde, ou 2e régiment de conscrits-grenadiers, le 28 juillet 1809, sur le champ de bataille même de Talaveira. Ce corps se compose de jeunes conscrits choisis pour la taille et la force dans toute la conscription de l'année 1. Les lieutenants et les sous-lieutenants sont sur le pied de la ligne, mais c'est un général qui commande ce régiment et tous les grades supérieurs, chefs de bataillons, capitaines, officiers de santé, sont tous de vieille garde et payés comme dans le 1er régiment de grenadiers à pied.
1 Fusiliers grenadiers. Par décret daté du palais de Saint-Cloud (9 septembre 1806), les officiers, sous-officiers et caporaux au 28 bataillon de grenadiers vélites et du 28 bataillon des chasseurs vélites devaient former les cadres d'un régiment qui prenait le nom de régiment de fusiliers de la Garde.
Ce régiment fut recruté par un contingent fourni par 104 départements.
Je ne peux me mettre en route de suite, n'ayant pas d'aide-major au régiment et surtout parce qu'en Espagne
on ne peut voyager qu'avec des convois assez nombreux, par suite de la présence de guérillas répandues sur tout le pays.
Enfin, après une huitaine de jours à Alcazar San Juan, je suis autorisé par le général Barthélémy, au grand regret du chef d'escadron commandant mon régiment, à me rendre à mon poste.
Je pars donc pour Madrid, avec un petit convoi, et j'y arrive en trois jours.
Là je suis obligé d'attendre l'organisation d'un grand convoi, se composant de blessés et de beaucoup de prisonniers anglais.
Ce rassemblement du convoi exige huit ou dix jours, pendant lesquels je loge comme tous les militaires et employés de l'armée et de la cour du roi Joseph, au palais du Buen retiro, qu'on avait préservé d'un coup de main par quelques moyens défensifs.
La population de Madrid est assez mal disposée pour nous, depuis qu'elle a appris que le général Vénégas se rapproche de Madrid. Cette panique a cessé, dès qu'on a appris la défaite des Espagnols à Almonavid et principalement après celle d'Ocana. Nous suivons la route d'Aranda jusqu'à Burgos et Victoria, jusqu'à Jean-deLuz et Bayonne.
De là, je me rends à Paris en diligence, pour arriver le plus tôt à Augsburg en Allemagne, où se trouve mon
Le chiffre le plus élevé est celui de la Seine, qui en fournit 35, les moins élevés sont l'Ardèche, la Lozère, l'Ariège et la Dordogne, qui n'en fournissent chacun que quatre. La Dyle, le Pô et l'Escaut en fournirent chacun 16. Le Mont-Tonnerre 12, la Sesia 8, etc.
régiment. (Je pensais le trouver là ; mais je le rencontre à Strasbourg, la-campagne étant finie, par suite de la bataille de Wagram.) Je reviens avec le régiment à Paris ; mais à peine y sommes-nous un peu reposés, que nous recevons l'ordre de nous diriger sur l'Espagne, où une division de Jeune garde est envoyée, sous les ordres du général Dorsenne 1, colonel général des Grenadiers. Il doit prendre le commandement des provinces du nord de la Péninsule.
Ce général est celui qui m'avait fait nommer dans la Garde, sur la proposition de mon ami, le Dr Mouton2, mon compatriote, qui était très lié avec lui. Il y avait bien en cela quelques difficultés, parce que : 1° je n'étais encore qu'aide-major et 2° parce que Larrey avait voulu faire nommer à cet emploi Fournier-Pescay3.
1 Dorsenne (Jean-Marie-Pierre-François Le Paige), né à Ardres (Pasde-Calais) en 1773, mort à Paris en 1812. Surnommé le beau Dorsenne.
Volontaire de 1792, capitaine un mois après et nommé chef de bataillon sur le champ de bataille par Bonaparte en 1797 et colonel par Kléber en 1800. Major dans la Garde en 1805, général de brigade l'année suivante et général de division en 1809. En 1811, commandant en chef de l'armée du Nord de l'Espagne. Comte de l'Empire avec dotation de 60.000 francs sur la Westphalie.
s Mouton (Philibert), né à Chalon-sur-Saône en 1776. D'abord chirurgien de 30 classe à l'armée des Pyrénées en 1792, licencié l'an IV, puis replacé au 10r bataillon de chasseurs de Paris, la même année. Après un concours public, il fut nommé à l'hôpital militaire de Paris (Val-deGràce) le 3 brumaire an VII (24 octobre 1798) et passa ensuite à l'hôpital de la Garde et de là aux Vélites de la Garde.
Chirurgien de 1ro classe au 20 grenadiers en 1812, retraité la même année.
Légionnaire en 1808, il s'était tout particulièrement distingué dans les combats qu'eurent à soutenir les bâtiments de la flotte du Havre pour se rendre à Boulogne.
3 Fournier de Pescay, né à Bordeaux en 1771. Chirurgien aide-major en 1792 et major dans la même année, devint médecin ordinaire et, en 1794, adjoint de Saucerotte, chirurgien en chef de l'armée du Nord.
Licencié à la paix, il se fixa à Bruxelles et devint professeur de pathologie interne à l'hôpital de cette ville. Il reprit du service en 1806 et
Heureusement on considérait que j'étais déjà chevalier de la Légion d'honneur, et de plus, comme on ne se souciait pas dans les hauts grades de la Garde de l'intervention de Larrey, cela a passé plus facilement ; et comme ma nomination était antérieure à celle de Fournier, qui était émanée seulement du ministre, l'Empereur auquel fut soumise la question, répondit que sa nomination devait naturellement prévaloir sur celle de son ministre.
Larrey a toujours été assez froid avec moi depuis ce temps-là quoique fort poli d'ailleurs, surtout à Dresde.
(Nous avons été longtemps dans d'assez bons termes et plus tard, quand nous nous voyions si fréquemment à l'Académie.) Nous reprenons donc la route d'Espagne. Je veux dire moi, car je n'ai plus qu'à suivre un régiment d'infanterie, le 2e tirailleurs grenadiers. Nous marchons par étapes et passons par Etampes, Orléans, Blois, Tours, Chatellerault, Poitiers, Saint-Maixent (.près Niort), Angoulême, Barbézieux, Bourg Saint-André, Bordeaux, Bazas, Mont-de-Marsan, Tartas, Dax, Bayonne et SaintJean-de-Luz. Nous entrons ensuite en Espagne par Irun, comme à mon premier voyage.
Nous suivons d'abord la même route, par Hernani, Tolosa, Villafranca, Mondragon, Salinas, Villa Réal jusqu'à Victoria. Là, au lieu de continuer sur la route de Burgos, nous prenons à gauche, dans la direction de la Province ou le Partido de Rioja.
devint chirurgien-major des gendarmes d'ordonnance. Médecin du roi d'Espagne, détenu à Valençay. Secrétaire en 1812 du Conseil de santé des armées, il produisit plusieurs ouvrages, entre autres un sur la musique envisagée sous le rapport des effets qu'elle produit sur l'homme sain et sur l'homme malade.
Nous nous arrêtons d'abord, en cantonnement, touchant la frontière de Navarre, à une demi-lieue de Viana1, dans une petite ville qu'on nomme Logrono 2.
Cette ville est assez sale, on y jette les ordures par les fenêtres, comme autrefois à Marseille. Les rues y sont étroites et tortueuses. Je suis logé chez un bon curé, qui a bien de la peine à vivre avec la dîme qu'il reçoit de ses paroissiens. Par exemple, il aurait voulu tirer un meilleur parti de ses olives en en faisant de l'huile, comme nous l'employons en France, et nécessairement pour la vendre plus cher. Mais les habitants sont habitués à une huile rance, qu'ils obtiennent avec d'excellentes olives, qu'ils laissent fermenter dans un moulin banal, où tous ils apportent leur récolte, pour faire leur huile à tour de rôle. Ils sont tellement habitués à ce goût d'onguent que les fruits contractent en s'échauffant et se pourrissant en attendant leur tour, qu'ils ne trouvent plus de goût à l'huile fine qui est faite avec plus de soin.
Haro3. Après quelques jours de repos à Logrono, nous nous établissons à Haro.
Notre séjour dans ce pays se prolonge à peu près pendant neuf mois. J'y reste avec le premier bataillon et mon colonel, le général Robert4, tandis que le 2e ba-
1 Viana, ville de la province de Pampelune, en Navarre, à 8 kilomètres N.-E. de Logrono, à 5 ou 6 kilomètres de la rive gauche de l'Kbre.
2 Logrollo. chef-lieu de la province du même nom en Vieille-Castille, à 259 kilomètres N.-N .-E. de Madrid, sur la rive droite de l'Ebre.
3 Haro, ville de la Vieille-Castille, à 50 kilomètres N.-O. de Logrofio.
À Robert (Simon), né à Nevers en 1762, mort à Paris en 1827.
Il entra au 730 régiment en 1779, et fut « congédié par grâce. » Toujours simple soldat, il avait fait la campagne sur la frégate la Tourterelle en 1781 et 1782. — Capitaine adjudant-major en 92 au
taillon est cantonné à Briones, ville plus petite, où commande notre chef de bataillon Lenoir l, avec lequel je me suis fort lié. C'est un homme instruit, laborieux et brave. Nous étudions ensemble la langue espagnole, qu'il aime, mais qu'il ne parle guère, la prononciation lui en paraissant très difficile. Il la comprend bien d'ailleurs.
Je suis logé à Haro, chez d'excellentes gens, sur la place, près la case du marquis d'Avendana ; mes hôtes se nomment Almarza. Le chef de la famille (riche propriétaire et noble, estimé dans la province), est absent à raison des insurrections dont le pays est affligé ; il réside à Madrid, où il est capitaine dans la garde civique, ce qui est assez pour faire comprendre qu'il est afrancezado, c'est-à-dire du parti du roi Joseph. C'est un homme
68 bataillon de la Côte-d'Or, il fut, le 1er vendémiaire an V (22 septembre 1796), chef de bataillon à la 2e Légion des Francs (plus tard 468 demi-brigade).
En 1809, nommé au commandement du 1" conscrits-grenadiers. Il eut plusieurs citations pour action d'éclat. — Baron de l'Empire en 1811, il - reçoit une dotation de 8.000 francs de rente sur Rome et l'illyrie.
1 Auguste-Nicolas, vicomte Lenoir, né à Paris en 1716, mort à Bourges en 1850, engagé volontaire en 1793, sous-lieutenant en 1799, lieutenant en 1801, adjudant-major en 1803, capitaine en 1804. Il combattit dans les grenadiers à pied de la Garde impériale à Ulm et à Austerlilz, prit part aux campagnes de Prusse et de Pologne, et à celle d'Espagne en 1808. Chef de bataillon en 1809, il fut décoré par l'Empereur et créé en 1812 officier de la Légion d'honneur et baron de l'Empire. Colonel en 1812, il fit la campagne de Russie, eut la jambe droite emportée au combat de Krasnoé, en chargeant à la tête de son régiment, et fut fait prisonnier. L'Empereur lui accorda une dotation de 1.000 francs de rente sur le Mont de Milan. En 1814, il fut nommé maréchal de camp et chargé en 1815 de la défense de Dunkerque. En 1819, le général Lenoir fut chef de division du personnel de l'infanterie, et admis à la retraite en 1825. Après 1830, il eut mission de réorganiser l'Ecole de Saint-Cyr, fut nommé commandant de la succursale des Invalides à Avignon et commandeur de la Légion d'honneur. Latiniste distingué, il a laissé une traduction d'Horace des plus estimées.
bien élevé et fort aimable, j'ai pu en juger dans un petit voyage qu'il a fait à Haro.
La maison est très bien tenue par ses sœurs, l'aînée, la senora Pépita (Joséphine) âgée d'à peu près trentesix ans et sa cadette, dona Estanislada, qui n'en a que dix-neuf. Toutes deux d'ailleurs fort honnêtes, tout en étant agréables comme des personnes bien élevées et qui ne partagent pas l'animosité de leurs compatriotes pour les Français.
L'aînée parle bien notre langue, qu'elle a apprise d'un prêtre émigré, ancien Jésuite, un homme parfait. La cadette ne parle pas le français, mais je commence à comprendre un peu l'espagnol, à l'aide de l'italien qui m'est assez familier.
Je fais beaucoup de progrès dans l'étude et la pratique de la langue espagnole dans la société de cette aimable famille. En assez peu de temps, je suis l'interprète et l'intermédiaire indispensable de tous les gens du pays qui ont des réclamations à faire au général Robert, mon colonel. Ce sont des paysans, qui demandent à être moins chargés de fournitures en blé, vin, viande, voitures et chevaux. C'est l'alcade qui ne sait pas un mot de français, pas plus que mon colonel qui ne se doute pas de l'espagnol ; de sorte qu'ils ne peuvent s'entendre ni finir rien sans mon intermédiaire. Je suis tout à fait l'homme nécessaire : cela me plaît d'ailleurs, car je m'exerce à parler et je suis assez content de mes progrès, chaque jour appréciables.Enfin après neuf mois, je parlais le castillan couramment et avec un accent assez pur, à ce point qu'on m'a plus tard et plusieurs fois donné à entendre que j'étais
Espagnol, mais que je le cachais aux gens du pays pour qu'on ne me prît pas. pour un afrancezado. La nièce d'un chanoine de la cathédrale de Burgos m'a fait sérieusement ce compliment. (C'était, du reste, une fille d'à peu près cinquante ans.) [Pendant neuf mois de cantonnement à Haro, nous avons fait souvent des excursions à la poursuite des guérillas de Mina et d'Amor (qui était moins capable) de sorte que nous avons parcouru tout le Partido : Santo Domingo de la Cabzada, San Assenzio 1 (bon vin), Soria2, Escaray (en passant par Viniégra de Arriba et Viniégra de Abajo), la Guardia3, Najera., Nalda5, Torrecilla de las Cameros 6, Lumbreras 7, Vinassa, El Royo, Cervera 3, Navarete 9, Casa la Reina i0, Cuscurita, Villos-lada, Belorada J1, etc. ]
1 San Asensio, bourg de Vieille-Castille, à 24 kilomètres O.-N.-O. de Logrollo.
* Soria, chef-lieu de province en Vieille-Castille, à 184 kilomètres N.-N.-E. de Madrid, sur la rive droite du Duero.
3 La Guardia, ville de la province de Tolède en Nouvelle-Castille, à 10 kilomètres N.-O. de Lillo, près d'un affluent gauche du Tage.
4 Najera, ville de la Vieille-Castille, à 25 kilomètres O.-S.-O. de Logrono, sur un affluent droit de l'Ebre.
5 Nalda, bourg de Nouvelle-Castille, à 12 kilomètres S. de Logrono, sur le rio Iregua, affluent droit de l'Ebre.
1 Torrecilla en Cameros, bourg de Vieille-Castille, à 25 kilomètres S.-O. de Logrono, sur un affluent droit de l'Ebre.
7 Lumbreras, bourg de la province de Murice, à 18 kilomètres S.-O.
de Lorca.
8 Cervera de Rio Alhama, ville de Vieille-Castille, à 75 kilomètres S.-E. de Logrono, sur un affluent droit de l'Ebre.
o Navarrete, bourg de la Vieille-Castille, à 10 kilomètres O.-S.-O. de Logrono, sur un affluent droit de l'Ebre.
Casa la Reina, bourg de la Vieille-Caetille. dans la province de Logrono, à 6 kilomètres S.-O. de Haro, sur un sous-affluent de l'Ebre.
Belorado, bourg de la Vieille-Castille, à 40 kilomètres de Burgos, sur le Tiron, sous-affluent droit de l'Ebre.
J'ai, à Haro, un hôpital dont le service m'a été remis par un confrère, ancien condisciple, attaché aux ambulances de la Garde, Gauthier de Claubrey aîné.
Cet hôpital est encombré de fiévreux et de blessés.
Il y règne une fièvre adynamique (typhoïde) des plus graves, ce qui, ajouté aux émanations des plaies à abondante suppuration dont plusieurs avec gangrène, fait de cet établissement un foyer d'infection dangereux pour nous, comme pour les habitants eux-mêmes.
Je profite donc de l'autorité que j'ai par ma position, ainsi que de celle de mon colonel, le général Robert, pour ordonner l'assainissement de ce lieu d'infection.
J'en fais part à l'alcade qui consent volontiers à ce que je désire ; je fais abattre toutes les cloisons en tabique (briques revêtues de plâtre des deux côtés) et qui font de chaque compartiment une case à placer un seul lit.
Les parois souillées par les crachats des malades, par les déjections, par les résidus des pansements, etc.
exhalaient une odeur fétide, insupportable.
J'augmente les ouvertures, pour faciliter le renouvellement de l'air. Enfin je fais de cette salle à trente compartiments, une seule grande pièce, que je fais badigeonner à la chaux, après un grattage fait avec soin, et nos pauvres malades sont ainsi sainement établis.
1 Gautier de Claubrey (Charles-Emmanuel-Simon), fils d'un chirurgien du comte d'Artois, né à Paris en 1785. Chirurgien aide-major au 300 régiment de dragons et au 43° de ligne. Aide-major au 3° tirailleurs grenadiers de la Garde et chirurgien à l'Ecole polytechnique. En 1813, décoré par l'Empereur après Dresde. Se retira après 1814, et devint chirurgien à l'Hôtel-Dieu. Membre de l'Académie de médecine en 1839 en remplacement de Laurent. Auteur de très nombreux ouvrages, mort en 1855. Son frère (Henri-François), né à Paris en 1792, fut chirurgien de la Garde impériale, puis professeur de chimie à l'Ecole polytechnique, mort en 1868.
Cette amélioration des lieux leur est promptement profitable. Nos fiévreux se rétablissent et le petit nombre de blessés, qui est là comme fond d'hôpital depuis la bataille de Sommo Sierra, s'en trouve aussi fort bien. [Un de ces braves gens, un jeune trompette du 22e chasseurs, avait les deux jambes sphacélées à moitié de leur hauteur, par suite de congélation, les tibias et les péronés étaient dépouillés, l'un des pieds même s'était entièrement détaché.
Ce jeune homme resta longtemps à l'hôpital, car il était épuisé par une abondante suppuration et de plus tourmenté par une gale ancienne, une des plus graves et des plus confluentes que j'ai jamais vues.
N Je voulais d'abord l'amputer de ses deux jambes, la gangrène étant bornée et bien délimitée ; mais sa santé générale et son affaiblissement étaient si grands, que je ne le crus pas à même de supporter ces deux grandes opérations.
Je me bornai, en conséquence, à le traiter de son affreuse maladie psorique, en rétablissant ses forces par une bonne nourriture, du bon vin et du quinquina.
Il reprit bien vite la vigueur et l'embonpoint qu'il avait auparavant. Il était à peine âgé de dix-neuf ans. Lorsqu'il fut débarrassé de son éruption, qui lui laissa des traces cuivrées sur tout le corps, comme il arrive presque toujours à la suite des éruptions de toutes natures, dont la marche a été très chronique, je lui fis l'amputation d'une jambe, au lieu d'élection. La guérison fut rapide, vu son âge et le bon état de sa constitution. Alors, je pratiquai l'amputation de l'autre jambe. Elle guérit avec la même promptitude et je fis ensuite avancer ce
trompette sur Victoria, d'où il a gagné la France].
J'ai observé cette affection psorique à Haro même, sur plusieurs soldats de mon régiment, qui étaient Piémontais, et que je traitai, dans mon infirmerie régimentaire, avec un grand nombre d'autres de nos hommes.
Ils avaient contracté la gale plus récemment, en traversant la Biscaye et l'Alava, où ils avaient été forcés, vu leur inexpérience, de coucher dans des lits dont les draps , étaient sales et qu'on n'avait pas lavés depuis le commencement du passage de nos troupes. Presque tous nos soldats étaient dans ce cas, et sur 1.600 hommes d'effectif, j'ai eu en même temps 1.200 galeux. Je les ai tous traités par le moyen de la pommade citrine (axonge et nitrate de mercure) ; chez les plus rebelles, j'y ajoutais une certaine dose de sublimé corrosif.
Ces Piémontais furent les plus longs à se guérir, parce qu'ils avaient cette maladie très anciennement, la plupart l'ayant apportée de leur pays même, et parce que cette ancienneté avait profondément altéré la peau, sa confluence ayant déterminé chez tous, par l'agglomération des boutons sur certains points, des furoncles et de vrais abcès phlegmoneux. Enfin, ils en ont été débarrassés comme les autres, mais leur peau est restée couverte de taches brunes qui subsistaient encore après plus d'une année. Ils étaient tachetés comme des tigres ou des truites.
J'ai conservé, de mon séjour assez long à Haro, un excellent souvenir d'une bonne dame qui avait été élevée à Bordeaux et qui aimait assez causer avec des Français. Elle se nommait Dona Luisa de Médinilla, et était alors âgée de quarante-cinq à cinquante ans.
C'était une femme d'esprit et d'un commerce agréable.
Nous quittons à regret, quant à moi, le Partido de.
Haro, pour Briviesca 1, en passant par Burgos; nous y restons quelques jours, car cette ville est le quartier général du général Dorsenne, notre chef de la Garde, puis nous nous dirigeons sur Fromista 2 De Fromista, nous avons parcouru le pays dans différentes .directions et nous sommes fixés pendant plusieurs semaines à Astudillo s, petite ville à deux lieues de Fromista.
Logé chez d'honnêtes gens, ayant une toute jeune nièce, jolie et espiègle, dont les grands-parents sont de la Biscaye, et qui a l'amabilité de parler avec moi, non dans son langage biscayen, que je ne comprends pas, mais en bel et bon castillan, ce qui me convient fort et contribue à me familiariser avec cette langue, pour laquelle j'ai un goût très prononcé. Indépendamment de nos leçons orales, nous lisons quelquefois ensemble leurs vieux auteurs, tels que Cervantès (Don Quichotte, Novelles), Solis (Conquista de Mexico), Padre Mariana (Histoire d'Espagne), etc., etc.
Je suis vraiment satisfait de mes progrès et les Espagnols eux-mêmes le remarquent d'autant plus facilement qu'ils ont souvent affaire à moi, en ma qualité d'interprète bénévole, et parfois même en celle de médecin.
1 Briviesca, en Vieille-Castille, à 47 kilomètres N.-E. de Burgos, sur la rive gauche de l'Oca, affluent gauche de l'Ebre.
2 Fromista, bourg de la province de Palencia, en Vieille-Castille, à 18 kilomètres E.-S.-E. de Carrion de los Condes.
3 Astudillo, en Vieille-Castille, à 30 kilomètres N.-E. de Palencia.
[D'Astudillo nous sommes allés à Orsono, petite ville un peu plus au nord, puis nous sommes revenus sur l'Ebre, à plus de 15 lieues au nord-est, à Frias 1, petite ville ou village où le duc de Frias, qui s'est rallié au roi Joseph, possède un assez beau château.] Nous nous dirigeons sur Villarcayo 2 et Médina del Pomar 3.
Nous traversons ensuite plus de 10 lieues de pays en revenant, à l'ouest, sur la Pisuerga, que nous remontons jusqu'à Aguilar de Campo Nous la quittons après quelques déplacements successifs, à Allano, Villanueva, pour nous fixer à Reynosa, près de la source de l'Ebro, c'est-à-dire encore plus au nord, mais dans d'affreuses montagnes, contreforts d'autres montagnes plus hautes et plus impraticables, connues sous le nom de Monts de Potes.
Après quelques jours de repos, notre régiment fait une expédition dans ces montagnes, contre des guérillas, qui y perdent du monde, mais nous blessent et tuent quelques-uns de nos soldats, qui me sont ramenés, car je suis resté au cantonnement pour soigner des malades.
Le général Roguet3 commande l'expédition ; il a avec lui un autre régiment de Jeune Garde.
1 Frias, bourg de la province de Burgos, en Vieille-Castille, à 25 kilomètres N.-N.-E. de Bribiesca, sur la rive droite de l'Ebre.
* Villarcayo, bourg de la Vieille-Castille, à 65 kilomètres N.-N .-E. de Burgos.
3 Medina de Pomar, bourg de la province de Burgos, en Vieille-Castille, à 7 kilomètres E. de Villarcayo.
4 Aguilar de Campos, bourg de l'Espagne septentrionale, à 103 kilomètres N.-N.-E. de Palencia.
8 Roguet (François), né à Toulouse en 1770, mort en 1846.
Il entra au service en 1789 au 210 de ligne, qu'il quitta comme capo-
Je suis logé à Reynosa, chez un vieux noble dont la fille unique a oublié ou négligé de se marier, elle tient la maison d'une manière convenable et modeste, l'hidalgo n'est pas riche. Je n'ai qu'à me louer de leurs procédés.
Notre séjour à Reynosa a été assez long; il y avait un long et sec commandant de place, qui était en délicatesse avec mon général, qui, lui, était énormément replet, de sorte que ces deux hommes étaient d'un antagonisme complet tant au physique qu'au moral. Ils se jouaient de petits tours chaque fois qu'ils le pouvaient, et j'étais souvent le confident de leurs méchantes intentions à l'endroit de l'un ou de l'autre, quoique je me montrasse toujours plus enclin à donner raison au général Robert qu'à ce commandant de place, qui était, il faut le dire, un homme fort original. Je ne me rappelle plus son nom, non plus que celui d'un jeune aide-major attaché à la place, qui était, lui, un bon et excellent jeune homme, gai et surtout bon chanteur, mérite qui nous a été souvent d'un grand secours, pour passer bien des soirées, qui, sans lui, auraient été fort ennuyeuses.
En quittant Reynosa, qui fait partie de la province de Palencia, nous revenons à Aguilar de Campo et passons dans l'est du royaume de Léon, parcourant tout le pays, dans tous les sens, et finissons par rencontrer les Espagnols, au moment où ils quittent un village, suivis de leurs rancheros (hommes de cuisine conduisant sur des
ral-fourrier pour passer adjudant-sous-officier au 1er bataillon de la Haute-Garonne en 1791. — Adjudant-major à la 32e demi-brigade en 1796. Général de brigade l'an XI. il devint général de division en 1811.
Il accomplit plusieurs actions d'éclat pendant la campagne d'Italie.
Gouverneur militaire de Paris après la paix de Tilsit, comte de l'Empire, grand officier de la Légion d'honneur. Gouverneur de Lyon en 1831.
Pair de France sous Louis-Philippe.
charrettes à bœufs, leurs grands chaudrons pleins de soupe aux garbanzos (pois chiches) qui est une nourriture fort ordinaire dans ce pays). Nous prenons les hommes et les gamelles.
Bien que nous ne fussions que 200, avec 50 hommes de gendarmerie, ils se retirèrent sur une ligne de rochers situés en avant d'une grande montagne, dont ils étaient séparés par une petite vallée, de sorte qu'ils représentaient une espèce de muraille dentelée sur les différents accidents et inégalités de laquelle ces huit cents guérillos nous tiraient des coups de fusil, même avant que nous ne fussions à portée.
Enfin nous les avons joints et, malgré leur fusillade assez meurtrière, ils ont été promptement délogés de leurs rochers, et si nous avions eu plus de cavalerie avec nous, ils auraient perdu beaucoup plus de monde. Nos cinquante gendarmes en passant entre cette espèce de grand paravent de pierre sèche et la montagne qui lui était adossée, en auraient sabré un plus grand nombre quand les fuyards ont franchi ce petit vallon pour gravir la grande hauteur.
On a cependant fait encore une soixantaine de prisonniers.
Après cette petite affaire, nous en avons une autre dans la Rioxa à Santo Domingo de la Calvada, où le résultat a été le même, quoique ce fût en plaine et que les Espagnols se défendissent derrière des murailles et des clôtures de jardin, positions qu'ils tiennent en général assez.
bien, comme les Turcs. Nous nous rendîmes à Carion de las Condes.
Carion de las Condes. Cette petite ville est presque aban-
donnée, ce qui s'explique, les habitants étant aussi craintifs de voir les guérillas, que de recevoir les Français.
Je sais même qu'ils étaient plus tourmentés par leurs compatriotes que par nous, ces guérillas étant formées de repris de justice, de contrebandiers et de fainéants attirés par le pillage. Il restait pourtant dans la ville quelques personnes et entre autres, dans la maison même où je me trouvais logé militairement, se trouvait une jeune et bien jolie personne avec sa suivante.
Elles me reçurent fort poliment et pendant huit jours que j'ai passés là, j'ai eu beaucoup à me louer de leur bon accueil.
De Carion 1, la division se porte bien loin de là, dans la province de Salamanca en passant par Duènas 2, Valladolid, Tordesillas, Zamora, plus au nord, et enfin à Salamanca même, ville renommée par son université, mais qui a perdu beaucoup comme cité et comme centre scientifique de ce qu'elle était autrefois.
20 septembre 1811. Nous quittons Salamanca, pour nous réunir au général Dorsenne, au moment où il se concentre avec 15.000 hommes de la Garde, une division de ligne et de la cavalerie, avec le maréchal Marmont, qui ont à eux deux 40.000 hommes de bonnes troupes. La Garde, elle, se détache sur Ciudad Rodrigo 3 pour les ravitailler. Nous y arrivons le 23 septembre avec un fort convoi de vivres.
J
1 Carrion de los Condes, ville de la province de Léon, à 30 kilomètres N. de Palencia, sur la rive gauche du Carrion.
! Duenas, ville de la Vieille-Castille, à 14 kilomètres S. de Palencia.
a Ciudad Rodrigo, ville du Léon, à 85 kilomètres S.-O. de Salamanque.
Nous restons quelques jours dans cette malheureuse ville, qui a été assiégée par les Anglais.
Elle était tout à fait abîmée par les bombes et les obus ; les toits enfoncés, ainsi que les planchers ; les murs percés par les projectiles, les rues encombrées de débris de poutres, de briques, de pierres et surtout d'immondices, présentaient un spectacle navrant pour nous et vraiment effrayant pour le petit nombre des habitants qui y restaient encore et que nos soldats nourrissaient sur leurs propres rations.
Enfin, nous quittons ces lieux de désolation, pour nous rapprocher de Valladolid ; puis nous retournons dans la province de Burgos, où nous séjournons longtemps, en faisant des mouvements à chaque instant, soit dans une direction, soit dans une autre ; mais sans rester jamais dans un cantonnement plus de huit ou quinze jours.
Nous étions revenus là, en laissant l'armée de Portugal sur les frontières, du côté de Ciudad Real, où elle paradait devant Wellington, qui menaçait le centre de l'Espagne et se préparait à assiéger Badajos, et cette même ville de Ciudad Real, que nous venions de ravitailler. La Garde seule, et une division attachée à l'armée du nord avait opéré ce mouvement de retraite par ordre du général Dorsenne, qu'on a beaucoup blâmé de n'avoir pas coopéré avec Marmont et Soult à une campagne plus active, qui aurait pu avoir pour résultat la défaite complète des Anglais et, selon toutes les probabilités, amené la soumission des Espagnols au roi Joseph.
Nous sommes ramenés par le général Dorsenne dans les environs de Burgos, où nous tenons garnison succes-
sivement dans une quantité considérable de villes ou villages. Nous ne tirons pas un coup de fusil et ne suivons pas les Anglais dans leur mouvement de retraite.
Je dois rappeler ici qu'immédiatement avant de quitter la frontière de Portugal, où nous étions arrivés, nos corps de la Garde, joints au maréchal Marmont, nous étions près de Fuente de Onoro, où une grande bataille avait eu lieu quelques mois avant. Nous nous trouvâmes en face des Anglais, qui furent attaqués par une division de l'armée du maréchal Marmont. Nous étions prêts à prendre part à l'action, étant en grande tenue, nos grenadiers, les plumets aux schakos, comme c'était leur usage; nous en avons été pour nos bonnes intentions, parce que les Anglais se sont retirés.
Si je parle de cette affaire, dont on a blâmé le général Dorsenne, dans Thiers et les autres histoires de nos campagnes en Espagne (où il y a un peu de confusion et certainement quelques omissions) relativement à nos opérations, c'est que je suis sûr qu'on a été injuste envers ce brave général, car je l'ai vu, là, ayant ses hommes tout prêts, et de plus, ce qui est une bien légère circonstance et bien futile en apparence, c'est qu'il me semble le voir encore' la pipe à la bouche, ainsi qu'il en avait l'habitude, toutes les fois qu'il allait au feu.
Depuis ce temps, d'autres personnes bien placées, comme moi, qui étaient à mon régiment, là comme toujours, se rappelaient très bien cette circonstance et entre autres le général Rullière 1, qui était en Espagne,
4 Rullière (Joseph-Marcellin), né à Saint-Didier-Laseaune (HauteLoire) en 1787, mort en 1864. Il partit comme vélite grenadier du Gard
lieutenant dans mon régiment et qui se trouvait détaché comme officier d'ordonnance au quartier général du général Dorsenne au moment même de cette affaire de Fuente de Onoro.
Les deux régiments de conscrits grenadiers versent leurs hommes excepté les sous-officiers dans deux régiments de l'arme des chasseurs de la Garde, commandés par le colonel Mouton-Duvernoy 2 qui reste en Castille avec le général Dorsenne.
Janvier 1812. Nous rentrons en France, nos cadres seuls, officiers et sous-officiers, en suivant la route ordinaire de Burgos à Bayonne. Une fois arrivée là, la troupe continue sa route par étapes et moi j'obtiens du général
en 1807 et deux ans après fut sous-lieutenant, sous-adjudant-major au 1er conscrits grenadiers et, en 1813, chef de bataillon au 1468 de ligne.
Licencié en 1815, replacé en 1820 et maréchal de camp en 1832. Commandant du Palais du Luxembourg en 1835, il est nommé en 1837 gouverneur général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique et, avec le grade de lieutenant général, commandant des troupes de la division d'Alger. Pair de France en 1845, représentant de la Haute-Loire en 1848, il devint député des Bouches-du-Rhône en remplacement de Changarnier qui avait opté pour la Somme. Il fut ministre de la Guerre en 1852.
1 Mouton-Duvernel (Régis-Barthélémy), né à Fayen-Valay en 1769, fusillé à Lyon en 1816. Volontaire de 92, il devint général de division en 1813. Gouverneur de Lyon aux Cent-Jours, compris dans l'ordonnance.
du 24 juillet, il resta caché pendant un an sans être découvert, malgré les recherches du maréchal de camp, comte de la Roche-Aymon et dll colonel comte de Damas, qui firent fouiller même les armoires des maisons soupçonnées. 11 se livra enfin et demanda à être jugé à Paris, mais il fut jugé et exécuté à Lyon. Les frais funéraires se montaient à 85 francs. On le poursuivit encore après sa mort pour le paiement de cette petite somme. Mme Morel, sa sœur, fit célébrer une messe dans la cathédrale du Puy pour le repos de l'âme de son frère, et de nombreux rapports au ministre de la Guerre furent faits à ce sujet. Le colonel de gendarmerie de Pehhouet dit que la cérémonie « n'avait pas la modestie convenable pour la pauvreté de la famille Mouton et la fin honteuse de l'individu ». Le préfet transmit la liste des officiers en demi-solde présents. Le clergé, pour dégager sa responsabilité, chanta le a Domine salvum fac regem », un rapport fut adressé au roi pour la mise en réforme de tous les officiers présents.
Robert la permission de me rendre à Paris, où je veux m'occuper de donner une nouvelle édition de mon ouvrage sur les maladies vénériennes.
J'ai gagné ainsi un mois sur le corps qui me suivait.
Une fois arrivé, il resta encore plus d'un mois à Courbevoie à remplir ses cadres par des conscrits d'élite, ce qui exigeait beaucoup de temps, car on fit passer à la caserne où nous étions établis plus de six mijie hommes pour en choisir seize cents.
Pendant ce temps, je travaillais à mon édition et j'allais tous les deux jours au quartier, laissant du reste le service à mon aide-major, Patuel de Cltalon, qui y résidait.
A cette époque, j'eus plusieurs fois occasion de voir l'Empereur, qui venait passer nos hommes en revue et qui m'a souvent parlé de leur santé et des moyens que j'avais de ne pas être trompé par eux sur beaucoup de cas d'infirmités qu'ils alléguaient, tels qu'épilepsie, incontinence d'urine, écoulements fétides des oreilles, etc.
Une fois, il se disposait à aller à la chasse et était, ainsi que sa suite (le prince Berthier entre autres), vêtu de vert et tout galonné d'or, l'Impératrice MarieLouise se trouvait de la partie. On lui apporta un fauteuil et elle s'assit, dans la cour du quartier, pendant tout le temps de la petite revue que passait son époux.
L'Impératrice Marie-Louise était belle femme, fraîche,
1 Patuel (Louis-Joseph), né à Chalon-sur-Saône en 1791. Chirurgien de 38 classe aux ambulances de la ligne en 1809. Il quitta Lagneau pour entrer aux ambulances de la Vieille-Garde en 1813. Il était au 3° régiment de chasseurs à pied au m'ornent des Cent-Jours et fut licencié à la deuxième Restauration.
assez en embonpoint et paraissait bonne personne, n'ayant, du reste, pas l'air très spirituelle.
Mars 1812. Nos cadres étant remplis, nos hommes exercés chaque jour, on les met en route pour Mayencei.
Je reste en arrière pour finir mon ouvrage et le faire imprimer, l'ayant vendu à Gabon père, de sorte que je ne rejoins le corps qu'au moment où il arrive sur le Rhin.
1 Chef-lieu du département du Mont-Tonnerre.
CHAPITRE IX
En route pour la Russie. — Général Friant, commandant les Grenadiers à pied de la Garde. — Divers combats. —Bataille de la Moskova. — Entrée à Moscou. — Séjour. — Bataille de Malo-Jaroslawetz. — Diverses affaires. — L'alcool et le froid. — Smolensk. - Passage de la Bérésina. — Vilna. —
Les hébétés. — Revue du roi de Naples. — Posen. — Deux jours de repos et en route pour Paris.
Avril 1812. A dater de ce moment, je ne quitte plus mon corps et marche avec lui en suivant l'itinéraire réglé par étapes, pour toute l'armée, en passant par Francfort, Magdebourg, Berlin, Marienverder1 Gumbinnen 2, Wilkowiszky 3 et Kowno 4, où nous arrivons quatre jours après le passage du Niémen par l'Empereur et le gros de l'armée, qui a eu lieu le 24 juin 1812.
Je le passe avec mon régiment le 28 juin. Quand nous atteignons Kowno,.30 juin, la Grande Armée est déjà à Wilna, car il y a à l'aile droite et à l'aile gauche un égal nombre de troupes; ces dernières passent le
Marienwerder, ville de la Prusse occidentale, à 70 kilomètres S. de Dantzig, dans le bassin de la Vistule.
* Gumbinnen, ville de la Prusse orientale, à 112 kilomètres E. de Kônigsberg.
3 Wilkowyszki, ville de Pologne, à 62 kilomètres N. de Suwalki, dans le bassin du Memel.
* Kovno, ville de la Russie occidentale, à 809 kilomètres S.-O. de Saint-Péters bourg, sur la rive droite du Niémen, au confluent de la Vilia.
fleuve à Tilsitt, Taile droite avec le contingent autrichien beaucoup plus sur notre droite, à Preny l, sous les ordres du Prince Eugène.
En arrivant à Kowno, nous apprenons que des orages répétés et violents ont refroidi subitement l'atmosphère et que nos soldats en ont prodigieusement souffert. L'armée perd en cette circonstance, autour de Wilna, plusieurs milliers de chevaux, grande perte pour une armée qui a tant de voitures et si peu de ressources dans le pays.
A l'avant-garde, Murat et Davoust suivent l'ennemi qui se retire sans tenir bon nulle part. C'est son plan de campagne.
Les Lithuaniens s'émeuvent un peu, en voyant leurs anciens compatriotes, les Polonais, dont ils sont séparés depuis à peine quarante ans. Cependant ils restent assez froids, pour organiser quelques régiments de lanciers, qu'on les engage de lever. Quatre régiments d'infanterie et cinq de lanciers sont créés. Le maréchal Davoust pousse sur la droite, jusqu'à Minsk2.
Le roi Jérôme, en retard, passe le Niémen à Grodno 3, sur notre droite et déjà un peu derrière nous.
De Wilna, nous suivons l'Empereur et nous nous arrêtons à Glubokoje v. Nous restons longtemps dans cette
1 Preny, ville du gouvernement de Suwalkien Pologne, à 39 kilomètres E.-N .-E. de Maryampol.
i Minsk, chef-lieu de gouvernement dans la Russie occidentale, à 606 kilomètres O.-S.-O. de Moscou, dans le bassin du Dnieper.
3 Grodno, chef-lieu de gouvernement dans la Russie occidentale, à 120 kilomètres S.-O. de Vilna, sur la rive droite du Niémen.
4 Gloubokoé, bourg du gouvernement de Vilna, à 67 kilomètres S.-O. de Disna.
position un peu plus sur la gauche de la route directe de Moscou, suivant la direction de Witepsk'. Nous y sommes bien entassés et mangeons force pommes de terre.
Le 25 juillet, combat d'Ostrowno2, près Witepsk, sur la Dwina.
Le 26 juillet, second combat d'Ostrowno, les Russes voulant ralentir notre marche pour pouvoir se retirer, en attendant qu'ils aient atteint une position probablement plus forte à Witepsk. Nous marchons par une chaleur excessive, 27 degrés Réaumur.
Le 28 juillet, retraite des Russes, au grand regret de l'Empereur et de toute notre armée.
Witepsk, 28 juillet. Entrée à Witepsk, capitale de la Russie blanche. On poursuit l'ennemi, par une chaleur extrême augmentée par la réverbération du soleil, sur un sol de sable très mouvant où nos soldats avaient beaucoup de peine à marcher.
Repos à Witepsk et environs.
(C'est là que le général Friant3 fut reconnu par l'Empereur comme Colonel Commandant des Grenadiers à pied de la Garde, place vacante par la mort à Paris du
1 Vitebsk, chef-lieu de gouvernement en Russie occidentale, à 520 kilomètres S. de Saint-Pétersbourg, sur les deux rives de la Duna.
* Ostrovno, bourg du gouvernement de Mohilef en Russie occidentale, à 35 kilomètres N.-N.-E. de Sienno.
3 Friant (Louis), né à Villers-Levert en 1758, mort à' Paris en 1829.
Garde française en 1781, il devint caporal et obtint un congé absolu en 1787. Caporal-fourrier dans la garde nationale de Paris en 1789, congédié en 1791, il y rentra comme chef de bataillon en 1792, général de brigade en 1794. Général de division en Egypte. Il fut fait comte de l'Empire avec une dotation de 92.216 francs sur Varsovie. Pair de France pendant les Cent-Jours, il fut blessé plusieurs fois à Waterloo. Il avait épousé en premières noces la sœur du général Leclerc.
général Dorsenne, mais il resta provisoirement avec sa division au corps du maréchal Davoust.) 1er août. Le général Oudinot, sur notre gauche, passe la Dwina, à Polosck *, le 29 juillet et bat les Russes sur la Dwina, où ils ont voulu établir un camp. Pendant que nous nous préparons à reprendre l'offensive, Macdonald avec les Prussiens veille à notre gauche jusqu'à Riga 2, et Swarzenberg et le général Leymer sur notre droite.
11 août. On quitte les cantonnements le 11 août.
Le 13 août, nous traversons le Dniéper à Lyady 3, nous dirigeant sur Smolensk
On trouve à Krasnoje 5 le général Neverotkoy, qu'on bat et auquel on prend ou détruit le tiers de sa division, qui était là pour nous barrer le passage.
Le 16 août, on arrive devant Smolensk, situé sur le Dniéper.
Les Russes la défendaient vigoureusement, on la canonna longtemps; enfin, attaquée aussi du côté des faubourgs, elle fut évacuée par l'ennemi qui y perdit 12 ou 13.000 hommes, morts ou blessés ; nous avons eu à regretter 6 à 7.000, tant blessés que tués.
1 Polotzk, ville de la Russie occidentale, à 98 kilomètres O.-N.-O. de Vitebsck.
* Riga, port de commerce au N.-O. de la Russie, chef-lieu du gouvernement de Livonie, à 486 kilomètres S.-O. de Saint-Pétersbourg.
3 Liady, bourg de la Russie occidentale, à 36 kilomètres N. de GoryGorki, sur un affluent gauche du Dnieper.
4 Smolensk, chef-lieu de gouvernement en Russie centrale, à 581 kilomètres S.-S.-E. de Saint-Pétersbourg, à 371 kilomètres O.-S.-O. de Moscou, sur le Dnieper.
Il Krasnoié-Sélo, à 26 kilomètres S.-O. de Saint-Pétersbourg, résidence impériale et camp de manœuvres de la garde.
Enfin nous entrons, elle était toute en ruines, encombrée de morts et d'hommes blessés. Les maisons, les églises étaient presque toutes brûlées par les obus ou excessivement maltraitées. Les habitants s'étaient tous enfuis.
Nous occupions seulement la ville fortifiée, que les Russes avaient encore incendiée en partant, pour nous priver des grandes ressources qu'elle offrait encore.
Le 19 août, poursuite des Russes sur la route de Moscou. C'est le Prince Bagration qui commande leur armée. Combat très meurtrier de Valantino, où le général Gudin1 est tué par un boulet qui lui emporte une cuisse.
Les Russes et les Français ont chacun 7.000 tués ou blessés.
Pendant la prise de Smolensk, le Prince de Schwarzenberg bat les Russes avec ses troupes et nos Saxons.
A notre gauche, le général Saint-Cyr livre une grande bataille à Polosk. Il remplace Oudinot, qui est blessé; belle manœuvre de ce général, qui reçoit à cette occasion le bâton de maréchal.
24 août. Départ de Smolensk. Nous quittons Smolensk avec l'Empereur qui nous suit de près. Nous allons jusqu'à Dorogobuch2, d'où les Russes, qui paraissaient
1 Gudin (César-Charles-Étienne), né à Montargis en 1768. Son père, parti comme volontaire en 1752, était major d'infanterie en 1782. Surnuméraire aux gendarmes de la garde du roi, il fut fait sous-lieutenant au régiment d'Artois en 1784. Gudin alla à SaintDomingue où il se distingua, fit les campagnes du Nord, de Sambre et de Sambre-et-Meuse et du Rhin, devint général de brigade en 1799 et général de division en 1800. Il se couvrit de gloire à la prise de Smolensk et fut tué le lendemain à l'assaut des redoutes de ValontinaGoya. 11 était comte de l'Empire avec dotation de 70.000 francs de rente sur la Westphalie, le Hanovre, la Poméranie suédoise et la Galicie.
* Dorogobouj, ville de la Russie centrale, à 88 kilomètres E. de Smolensk, sur les deux rives du Dnieper.
vouloir tenir, abandonnent la ville en la saccageant.
Le 28 août. Wyasma. Ville plus forte, que les Russes ont aussi brûlée, mais nos soldats en sauvent une portion où l'on trouve quelque peu de vivres.
1er septembre. Gshatsk, ville plus forte, où nous trouvons des ressources, surtout en grains, que l'ennemi n'a pas eu le temps de brûler.
Arrivés le 5 septembre dans la plaine de Borodino 1, à 25 lieues de Moscou et à une ou deux de Moshaisk ; là, l'ennemi a fait des retranchements de terre, et entre autres sur un mamelon à trois quarts de lieue de Borodino et de son couvent fortifié par de hautes murailles. Ce fut là cette grande redoute qui devait être le pivot de sa défense, car il avait choisi cette plaine pour champ de bataille.
Ce jour même, on s'empare, sur notre droite, le soir, d'une redoute. On y perd du monde et l'ennemi le double ; mais elle est nécessaire pour les opérations ultérieures.
Toute l'action principale de cette bataille où nous avons eu 30.000 hommes hors de combat et les Russes 60.000, se passa sur et autour de deux mamelons, sur l'un desquels les Russes avaient établi une immense redoute, qui après avoir été prise et reprise par les Français et les Russes, l'avait été définitivement par la cavalerie (cuirassiers) du général Caulaincourt ; l'autre défendu par trois redoutes en flèches, situées plus à droite, près de Semenoffskoya t, dont il était séparé par un ravin
i Borodino, village de la Russie centrale, à 110 kilomètres O. de Moscou, et à 10 kilomètres O. de Mojaïsk, sur la Kolotcha, affluent droit de la Moskova.
* Séménovskoïé, village du gouvernement de Riazan en Russie centrale, à 16 kilomètres S.-O. de Pronsk, dans le bassin du Volga.
où coule la petite rivière qui se jette sur notre gauche, près de Borodino.
C'est entre ces deux points culminants et bien fortifiés que tout s'est passé : attaques d'infanterie, charges de cavalerie, opérations prodigieuses de 400 pièces d'artillerie française et probablement autant du côté de l'ennemi, qui s'est battu avec son intrépidité ordinaire et qui l'a même dépassée.
Murat et Ney avaient eu deux fois l'idée et fait la proposition à l'Empereur de percer le centre russe, entre les deux redoutes, pour les couper en occupant sur leurs derrières un point qui les aurait tout à fait mis en déroute ; mais l'Empereur leur répondit qu'il ne pouvait pas, à 800 lieues de France, sacrifier la seule réserve qui lui restât intacte, la Garde impériale, dont l'effectif alors était de 18.000 hommes, plus la division de Jeune Garde du général Delaborde *, celle dont je faisais partie.
On voit par là que je n'ai été que spectateur de la bataille, sans que nos régiments y aient pris une part active.
1 Delaborde (Henri-François), né à Dijon en 1764, mort en 1832.
Soldat au 55° régiment en 1783, il passa caporal au bout de cinq ans, et trois ans après fut libéré. Il reprit du service comme lieutenant au bataillon des Côtes-du-Nord. Général de brigade après deux ans en 1793. Il avait alors dix ans de service, dont cinq ans comme simple soldat. Il avait donc mis le même temps pour arriver de soldat à caporal, que de caporal au grade de général de brigade. Général de division en 1795, destitué en pluviôse an III et réintégré en floréal.
Se distingua en Espagne, en Portugal et en Russie. Réformé sans traitement au début de 1816, il fut appelé à comparaître devant un conseil de guerre en septembre 1816. Le général passa à l'étranger et sa femme fit plaider l'erreur de personne, car la liste de l'ordonnance du ?4 juillet portait Laborde et l'acte de notification déposé à son domicile l'appelait Delaborde. Le conseil de guerre accepta cette thèse pour ne pas souligner une erreur commise de la main du roi et ne donna pas suite au procès. Sur ce curieux incident judiciaire, voir Ed. Bonnl, Les royalistes contre l'armée, Paris, 1906, t. II, p. 308.
Nous avons perdu à ce carnage-là : les généraux Montbrun1, Caulaincourt 2, Bessières, Dumas, etc., ont été tués sur le champ de bataille ; les généraux Grouchy, Pajol, Bruyère3, Defrance4, Guillemi-
1 Montbrun (Louis-Pierre), né à Florensac (Hérault) en 1770 ; c'est un boulet qui l'emporta en 1812.
Chasseur au 1er régiment en 1789, sous-lieutenant en 1793, chaque grade marque des actions d'éclat. Lieutenant sur le champ de bataille en 1796, chef d'escadron, aussi sur le champ de bataille, à Austerlitz.
Général de division après Sommo Sierra, où il commanda la charge des lanciers polonais.
C'est une des figures les plus glorieuses de cette époque de héros et il marche de pair avec Murât, Lassalle et d'Hautpoul. Parquin le regarde comme le plus bel homme de guerre qu'il ait vu de sa vie.
1 Caulaincourt (Auguste-Jean-Gabriel), né à Caulaincourt (Aj^ne) en 1773. Frère du duc de Vicence.
Cuirassier en 1792, sous-lieutenant en 1795, blessé à Marengo, il fut nommé chef de brigade en 1801. Aide de camp du prince Louis qu'il suivit en Hollande en 1806, comme général major, il rentra en France au bout de deux ans et fut nommé général de division, et l'année suivante gouverneur des Pages.
3 Bruyère (Jean-Pierre-Joseph), né à Sommères (Gard) en 1772, mort en 1832.
Le souvenir du général de division comte Bruyère présente ici un intérêt tout particulier, car cet officier général appartient au corps de santé par son origine. En effet il débute en Corse comme chirurgien de 3e classe. Il est nommé chirurgien de 2° classe à l'armée d'Italie en février 1793. En août 1793, il est chirurgien de 1" classe. Ces détails en figurent pas sur ses biographies, mais sont à son dossier aux Archiveshistoriques de la guerre. Soldat à la 150 demi-brigade légère le 20 pluviôse an II (8 février 1794), il est nommé adjoint aux adjudants généraux le 1er pluviôse an ur (20 janvier 1795). Il est général de brigade en 1806 et de division en 1809. Baron, puis comte de l'Empire avec dotation de 32.000 francs de rente sur la Westphalie. Il avait épousé une nièce de Berthier.
* Defrance (Jean-Marie-Antoine), né à Vassy en 1771, mort à Epinay en 1835. Fils d'un chirurgien qui fut député à la Convention et aux Cinq-Cents, et de Claude-Jeanne Chompré, auteur des « Odes d'Anacréon en vers français ».
D'abord élève à l'école royale militaire de Rebais, dont son frère était chirurgien, il fut aux dragons du Cap lors de l'insurrection de Saint-Domingue. Il refusa d'être nommé général de brigade après la prise de Zurich et ne l'accepta qu'en 1805, étant écuyer de l'Empereur.
Général de division en 1811. il commanda la 40 division de cuirassiers de la Grande Armée, et en 1814, la division de 4 régiments de la garde
not etc., ont été gravement blessés, le maréchal Davoust, moins sérieusement. Murat et Ney, qui étaient restés au feu jusqu'à la fin de la journée, n'ont pas été touchés.
8 septembre 1812. L'ennemi, acculé au fond de la plaine où s'est passée la bataille, a fait sa retraite le 8 septembre, et quoique fortement battu, Kutusoff, qui la commandait, s'annonce presque comme vainqueur en rendant compte de la journée à l'empereur Alexandre.
Les Russes donnent à cette bataille, la plus sanglante connue, puisque 80.000 Russes et 30.000 Français ou alliés y sont morts ou ont été blessés, le nom de Borodino. Napoléon, celui de : bataille de la Moscowa, du nom de la rivière qui passe à Moscou et qui était derrière les Russes, à une lieue du champ de bataille.
Pendant que Murât et sa cavalerie suit l'ennemi, accompagné du corps de Davoust, nous restons sur le terrain avec l'Empereur, qui fait établir un hôpital dans un couvent pour tous les blessés, Russes et Français, qu'il confie au zèle du baron Larrey, assisté de presque tous les chirurgiens de l'armée.
9 septembre 1812. Entrée de l'Empereur à Moshaisk, petite ville où nous trouvons encore des ressources, peu de maisons ayant été incendiées par les Russes.
Le 10 septembre, un dernier combat a lieu entre Murat
d'honneur. Il chassa de Reims un corps de cavalerie russe, commandé par l'émigré de Saint-Priest. Comte de l'Empire avec une dotation de 30.000 francs de rente sur la Westphalie.
Guilleminot (Armand-Charles), né à Dunkerque en 1774, mort à Bade en 1840.
Volontaire de 1792, général de brigade en 1805 et de division en 1813.
Baron de l'Empire en 1808, bénéliciaire de 10.000 francs de rente sur la Westphalie. Comte en 1813.
Il devint ambassadeur sous la Restauration et pair de France en 1823.
et l'arrière-garde de Miloradowitch, àKumskoya, le 12, Woronow et le 13 on arrive enfin à Vorobiewo, dernière position en avant de Moscou. L'ennemi, après quelque hésitation, se décide à se retirer encore à travers Moscou.
Moscou, le 14 septembre 1812. Nous arrivons le soir aux portes de Moscou, ou plutôt à une barrière qui n'a rien de monumental et de comparable à celles de Paris.
Les deux régiments de grenadiers et ceux de chasseurs de la Vieille Garde seuls sont envoyés dans la ville pour en aménager les ressources. Ils ont suivi de près l'avantgarde du roi Murât.
Quant à nous, la Jeune Garde, ainsi que les autres corps de l'armée, nous restons hors la ville, bivouaquant par un fort beau temps, espérant bientôt y entrer pour y jouir d'un peu de repos et de confort que nous supposons devoir y trouver. Tout y paraît assez calme, .ce qui ne peut étonner, car tous les habitants (300.000) ont reçu l'ordre de s'en aller.
(Le Gouverneur Rostop chine avait en outre ordonné d'incendier cette ville, mais nous n'en savions encore rien.).
Moscou, 14, 15 et 16 septembre. Nous sûmes bientôt à quoi nous en tenir à cet égard. La nuit du 14 septembre, nous étions au bivouac, contemplant la ville de Moscou,
lorsque nous vîmes s'élever vers notre côté droit, à l'horizon, deux chandelles romaines, que nous supposions être un jeu de quelques-uns de nos soldats qui auraient trouvé des pièces d'artifice. Mais après peu d'instants deux autres fusées du même genre s'élevèrent sur notre gauche.
C'était un signal convenu, car à dater de ce moment
on vit plusieurs points de la cité d'où s'échappaient des flammes et le nombre s'en multiplia si rapidement que toute l'immense ville ne présenta plus qu'un vaste incendie, qui se trouvait par fatalité favorisé par un vent excessivement violent, poussant successivement les flammes sur tous les quartiers.
Il y eut à peine un sixième de préservé et encore ce futprincipalement à nos soldats qu'on le dut, car le gouverneur Rostopchin avait avec intention emmené toutes les pompes à incendie de la ville en s'en allant, après avoir ordonné à tous les habitants de suivre son exemple.
Il est vrai que l'œuvre de conservation partielle fut un peu aidée par le peu d'empressement d'une partie de la population, composée surtout de négociants français et allemands, qui étaient établis depuis longtemps à Moscou.
Ceux-là n'avaient pas amassé et amoncelé dans les rez-de-chaussée et les cuisines de leurs maisons, comme l'avaient fait les Russes pur sang, de la paille, des chaises cassées, de vieilles tables et autres matières combustibles pour faciliter la tâche aux incendiaires, vagabonds et repris de justice, qu'on avait relâchés des prisons, à la condition qu'ils mettraient le feu partout.
En effet, ils se promenaient et flânaient dans les rues, comme des gens chassés de leurs maisons par le désordre d'une occupation militaire, et ils allumaient avec leurs pipes des fusées qu'ils jetaient dans les maisons, par les soupiraux et petites croisées des étages inférieurs et continuaient leur course, sans qu'on se fût pendant longtemps aperçu de leur manœuvre ; mais on en saisit
d'abord quelques-uns qui, interrogés, déclarèrent quelle était leur mission.
On en fusilla quelques-uns et on mit fin à ce désastre, mais il n'en était presque plus temps.
Cependant on obtint encore de grandes ressources des maisons les moins attaquées. On avait, du reste, mis des troupes dans tous les grands magasins publics et autres, de sorte qu'on avait préservé une immense quantité de blé, de vin, de lard, de poisson salé, de riz, de thé, de sucre, de rhum, d'eau-de-vie et de café. L'armée pouvait en avoir au besoin pour tout son hiver.
Les progrès de l'incendie forcèrent l'Empereur à quitter le Kremlin, où il était logé avec la Vieille Garde, pour se rendre, à une lieue de là, au château de Petroscowkoié, d'où il revint le 19 septembre, donnant des ordres pour ménager les ressources qui servirent à l'armée et aux Russes qui étaient restés sans provision aucune.
La Jeune Garde fut logée hors de l'enceinte dans le quartier allemand, qui était un des mieux conservés, quoique à demi brûlé et complètement saccagé par les rebuts de la populace moscovite.
Notre général s'établit dans le palais même de Rostopchin, qui était meublé avec luxe, comme un des beaux hôtels du faubourg Saint-Germain. Le reste du quartier était en assez mauvais état. Cependant nous n'avions pas de matelas, et comme j'étais casé dans un vaste établissement où se trouvaient un grand nombre de balles immenses de coton en bourre, j'en pris pour me faire un matelas, qui m'a fort bien servi pendant plus d'un mois.
Vis-à-vis de ma maison, il y avait une madone devant
laquelle tous les Moujicks qui passaient faisaient régulièrement leurs génuflexions et un mot de prière, en ôtant dévotement leur bonnet.
Tout près du Kremlin, mais en dehors, se trouvait le bazar ou marché tartare, que nos soldats nommaient le Palais royal ; il avait été pillé par les Cosaques et les habitants. Le Prince Murât, à son entrée, a été obligé de leur donner la chasse.
Les ressources reconnues, on fit des distributions aux troupes logées, tant dans les divers quartiers de la ville qu'aux environs. Nous passions souvent des revues au Kremlin, et chaque jour il y avait parade devant le palais. A gauche de cet édifice, à 50 mètres à peu près, on voyait enfouie dans la terre, presque jusqu'au couronnement, une cloche immense, qu'on assurait n'avoir pu hisser sur un clocher, parce qu'elle était trop lourde.
Nous sommes restés plus de quarante jours à Moscou, espérant toujours que l'empereur Alexandre proposerait un arrangement qui amènerait la paix ; mais les négociations traînaient en longueur. Pendant ce temps, je parcourais la ville où se trouvaient encore de belles habitations et surtout de beaux restes, qui annonçaient beaucoup de recherche et de luxe, dont l'armée profitait.
Si après quinze ou vingt jours, employés à nous reposer, à ferrer nos chevaux, à organiser nos moyens de transports fatigués et dégradés par les combats et les longues marches, on se fût décidé à retourner en Lithuanie, nous aurions pu voyager par un temps doux, très favorable et arriver sans encombre à Wilna, puis reprendre l'année suivante une autre direction, celle de Saint-
Pétersbourg, où l'on aurait forcé les Russes à se montrer plus raisonnables sur les conditions qui leur étaient posées, quelque désagréables qu'elles fussent. Au lieu de cela, nous avons perdu un temps précieux, pendant lequel on a mangé une grande partie des vivres que nous possédions à Moscou, et qui nous auraient bien été utiles dans notre retraite, nos moyens de transports nous ayant donné la facilité de les transporter avec nous sans difficulté; le temps était magnifique.
On ne se préoccupait pas assez des approches de l'hiver qui, dans ces pays, fait ordinairement une invasion brusque, et pouvait amener des désastres.
Dans les derniers temps de notre séjour, cependant, on songea à évacuer la ville pour nous retirer et on établit des fourneaux de mines, pour faire sauter le Kremlin, on abattit à niveau de terre les remparts, etc. Le colonel Guiraud 1, du génie, chargé de cette mission, reçut un éclat de pierre à l'explosion d'une de ces mines, qui lui perfora les lignes temporales du pariétal droit.
Je lui donnai des soins et j'eus le bonheur de le ramener avec nous, pendant la retraite qui s'opéra plus tard.
1 Guiraud (Raymond-Marie-Antoine), né à Limoux (Aude) le 20 janvier i780. Entra à l'Ecole polytechnique d'où il sortit en 1800 comme élève sous-lieutenant du génie. Lieutenant l'année suivante, il était capitaine au 58 bataillon de sapeurs en 1803. Il passa dans la Garde comme capitaine en 1807 et y devint en 1811 chef de bataillon, ayant rang de lieutenant-colonel. Il y était encore avec le même grade pendant les Cent-Jours. Il prit sa retraite en 1840 comme colonel directeur des fortifications de Perpignan, où il était depuis 1824. Membre de la Légion d'honneur en 1807, il fut promu officier en 1813 et commandeur en 1833.
Il mourut à Perpignan en 1857. Ses états de service mentionnent la blessure soignée par Lagneau : « à la prise de Moscou, blessé très grièvement à la tête par un éclat de mine au Kremlin ». Son frère PierreMarie-Thérèse-Alexandre (1788-1847), auteur de pièces de théâtre et de poésies, fut reçu à l'Académie française en 1826.
Il voyagea d'abord dans la voiture du colonel Robert ; plus tard, quand le temps fut au froid et à la neige et que nous fûmes obligés tie brûler nos voitures de luxe et même mon fourgon d'ambulance, il put continuer sa route et arriva guéri à Paris, où il est venu me voir en revenant de Moscou. Il avait les os perforés, comme par un clou poussé par un marteau ; c'était un fragment de pierre, présentant un petit point anguleux, qui est tombé perpendiculairement de très haut, lancé qu'il avait été par l'explosion de la mine.
L'ouverture de la seconde table avait à peine trois lignes de diamètre, mais on voyait au fond la dure-mère soulevée à chaque respiration. Il fut très mal pendant la route. Je lui fis prendre l'émétique en lavage, qui lui a même provoqué des vomissements. Il était dans les premiers temps dans la calèche de mon général, où il a fort bien passé les premiers accidents. Enfin, nous l'avons ramené.
Nous avons trouvé à Moscou quelques Français, et entre autres, le curé de l'église Saint-Louis, qui n'avait pas voulu suivre le conseil du Prince Galitzin, qui l'engageait, la veille de l'évacuation de Moscou par les Russes, de partir lui-même, afin de se soustraire aux dangers et aux horribles scènes qu'il prévoyait devoir suivre notre entrée dans la cité. Il avait persisté à rester avec ses paroissiens pour leur être utile au besoin. C'était un excellent homme, bien élevé et que nous avions souvent à dîner avec nous, chez mon colonel. Son avis était que nous ne devions pas rester trop longtemps à Moscou, dans la crainte d'être surpris par le froid.
Je crois que son avis a été connu de l'Empereur même,
qui du reste pouvait aussi être renseigné et bien averti par d'autres personnes et en particulier par mon con-
frère Métivier 1, qui avait été attaché à sa maison, pour cette campagne, parce qu'il connaissait la langue du pays, où il était resté plusieurs années, exerçant la médecine et y obtenant de grands succès.
C'était Corvisart, notre professeur, qui sur la demande de l'ambassadeur russe de cette époque, l'avait désigné et encouragé à partir. Il avait eu à s'en louer, car il avait vécu fort agréablement, magnifiquement même, et avait rapporté de la fortune. C'était un beau cavalier, tout à fait homme du monde et je ne suis pas surpris de ses succès. Du reste, il était instruit. Je l'avais fort connu pendant nos études médicales.
Pendant notre trop long séjour à Moscou, nous vivions, comme nous en avions l'habitude, avec mon général, colonel Robert, et prévoyant les dangers que nous pourrions courir pendant notre retraite, nous nous sommes heureusement avisés de faire une tente, en bon coutil rayé, dont un magasin immense était confié à la garde du commandant Roulier 2, un de nos bons amis. Nous
1 Mestivier (Etienne-Augustin), né à la Rochelle, fils d'un médecin mort en Amérique en 1787. Il suivit des cours d'anatomie à Rochefort durant trois ans. Il entra au service en mai 1792, devint capitaine adjoint aux adjudants généraux de l'armée des Côtes à Brest, fit partie de l'état-major de Kléber à Mayence et en Vendée. Il fut blessé d'un coup de feu à la têle, à Torfou près de Cholet, fut pris comme secrétaire par le général Decaen, puis demanda son congé, sa blessure selant rouverte. II désira entrer au corps de santé; mais sa demande demeura sans effet. 11 reprit alors ses études de médecine, passa son doctorat à Paris, et fut nommé médecin par quartier de l'Empereur. A Moscou, il était médecin du grand quartier général, et avait son infirmerie établie au Kremlin, où il eut à soigner une dysenterie épidémique.
s Roullier (Joseph-Alexandre), né à Chambois (Orne) en 1774, Entra
en avons prélevé une pièce et l'avons fait coudre par une vieille portière qui était restée en ville et que nous nourrissions depuis notre arrivée.
Nous fîmes en outre organiser les moyens de soutenir cette tente. C'était des piquets durcis au feu et trois perches bien ferrées par un de nos soldats, deux perpendiculaires et une transversale, qui s'adaptaient fort bien.
Cette tente nous a probablement sauvé la vie, par l'abri qu'elle nous a formé contre la violence du froid.
Les Russes avaient amoncelé leurs blessés dans des maisons et dans les hôpitaux. Comme ensuite Rostopchin a fait mettre le feu à la ville, ils ont tous été brûlés, et entre autres dans l'hôpital somptueux de Scheremetoff.
On a retiré des décombres différents objets qui avaient été préservés, mais quant aux malades, il n'était plus temps quand nous sommes entrés. Un soldat de mon régiment m'a donné quelques vieilles sondes d'argent d'un assez vieux modèle et en assez mauvais état, qu'il avait trouvées là, en y cherchant des vivres.
Le 13 octobre, une légère gelée avertit qu'il faut songer à la retraite.
Le 18 octobre, une attaque des Russes a lieu, malgré
en 1791 au 10r bataillon de l'Orne, amalgamé à la 3" demi-brigade, devenue 37" de ligne, passa dans les « Grenadiers près de la représentation nationale », et de là aux grenadiers à pied de la garde des consuls. Se trouva à Marengo et le 2 nivôse an XII (2i décembre 1803) fut nommé sous-lieutenant aux « grenadiers à pied de la garde du Gouvernement ». Capitaine (chef de bataillon) aux conscrits grenadiers en 1809, il passa en 1813 au 13e tirailleurs de la Garde comme chef de bataillon (major) et fut nommé officier de la Légion d'honneur. En demi-solde , sous la 20 Restauration (2.150 francs) il est noté : « A suivi tous les mouvements de l'armée, cet officier qui a de la capacité a servi longtemps dans l'ancienne Garde et on a lieu de penser que ses sentiments et ceux de sa famille exigent qu'on diffère de l'employer. »
un armistice, d'après lequel Murat ni Kutusof ne pourraient reprendre les hostilités qu'après en avoir prévenu deux jours à l'avance. Elle a lieu sur la route de Kuluga à Winkowo, où Murat est surpris et perd des hommes et de l'artillerie, quoiqu'il s'en soit tiré, par une bravoure extraordinaire, d'une manière fort honorable.
Les Russes avaient reçu des recrues et nos fantassins s'étaient remis de leurs fatigues ; mais notre cavalerie avait beaucoup souffert par le manque de fourrage.
Cependant Murat fut plutôt là vainqueur que vaincu, quoique se retirant de Winkowo à Woronowo.
Cette attaque inattendue décide Napoléon à courir sus aux Russes, qui sont à Valontino depuis longtemps et presque sur notre flanc droit.
[Il partit de Moscou le 19, nous laissant, la Jeune Garde (4.000 hommes) et 400 cavaliers démontés, à la garde du Kremlin, dans lequel tout le monde dut entrer. J'étais logé dans une petite maison, la première à droite en entrant par la porte faisant face au quartier allemand.
Nous y entrâmes avec nos provisions de vin de Bordeaux, riz, sucre, café, thé, etc. Le logis n'était pas vide, car nous y trouvâmes deux jeunes et assez jolies personnes, dont la mère s'était enfuie avec une partie de son mobilier, ne voulant pas exposer ses filles, sur la route, toutes seules; elle devait revenir les reprendre à un deuxième voyage, pour les emmener avec le reste de son mobilier.
Mais notre entrée eut lieu avant son retour, et les jeunes filles restèrent à la maison.
Je ne sais pas ce qui a pu leur arriver avec la Vieille Garde, qui occupait le Kremlin, mais il est certain qu'elles étaient fort bien élevées, bien aimables et que nous les
avons eues pour commensales pendant notre séjour dans la forteresse et qu'à notre départ, nous leur avons laissé des vivres et surtout une bonne pièce de bordeaux.
Elles avaient presque les larmes aux yeux lorsque nous sommes partis.] Malojaroslawez *, 24 octobre 1812. Kutusof étant en son camp de Valontino, il apprend que nos troupes suivent la nouvelle route de Kalouga et veut nous barrer le passage en prenant Malojaroslawez. Il y eut là un grand combat dans lequel le général Delzons' fut tué. Nous perdons là 4.000 Français et les Russes 6.000. Les Italiens de la division Pino se sont couverts de gloire.
Nous apprenons qu'en faisant lui-même une reconnaissance de la position prise par les Russes, l'Empereur a couru personnellement un grand danger. C'était une masse de 5.000 Cosaques du Don, qui surprirent le quartier général, où était l'Empereur à cheval. Tout son état-
major mit le sabre en main ; lui-même, dit-on, tira son épée, mais si le lieutenant Dulac3 n'était venu le dégager
1 Malo-Jaroslavetz, ville de la Russie centrale, à 58 kilomètres N.-N.-E.
de Kalouga, dans le bassin du Volga.
- Delzons (Alexis-Joseph), né à Aurillac en 1774. Fils d'un avocat qui fit partie du Conseil des anciens, puis du corps législatif. Volontaire de 1791, lieutenant l'année suivante, il fit la campagne d'Egypte et se maria à Rosette avec Milo Anne-Julie Varzy. fille d'un négociant qui y était établi. Général de division, baron de l'Empire avec dotation de 8.000 francs de rente sur la Westphalie, eut le commandement des Provinces illyriennes.
« Son frère, officier supérieur qui servait à son état-major, fut renversé près de lui à l'instant où il se précipitait pour le secourir et l'enlever du champ de bataille, et tous deux périrent dans le même moment et furent enterrés ensemble. » Mémoires du général Griois, publiés par Arthur Chuquet, membre de l'Institut, Paris, Pion, 1909.
3 Dulac (Antoine-Edouard-Philippe), né à Paris le 6 avril 1791, décédé en 1857. Cavalier au Ue dragons en 1801, il passa sous-lieutenant au
avec ses dragons de la Garde, il aurait été infailliblement pris ou sabré.
On se décide à regagner la route de Smolensk en appuyant sur la droite, ne voulant pas, quoique ce fût un peu l'avis de Napoléon, pousser sur Kalouga, au risque de perdre 15 à 20.000 hommes dans une bataille avec Kutusof.
L'Empereur, qui voulait battre les Russes, en se portant sur Kalouga 1, ne s'y décide pas, détourné par les avis de ses maréchaux et prend sur la droite, se rapprochant de la route de Smolensk, où nous le rejoignons, ayant d'après ses ordres fait sauter le Kremlin. Nous étions sortis de la ville à 8 heures du soir, du 23 au 24 octobre et nous n'entendîmes l'explosion des mines qu'à 10 heures du soir, étant arrêtés sur la côte qui est à peu de distance de Moscou. Nous arrivons avec 4.000 hommes de Jeune Garde, 4.000 cavaliers démontés et 2.000 artilleurs, du génie et quelques malades.
Retraite de Moscou, 24 octobre 1812. Nous traversons la colonne de l'Empereur à Wéréja 2, près Moshaisk.
corps en 1806. Lieutenant au 2° dragons de la Garde en 1808, il devint capitaine en 1813.
Il resta en demi-solde jusqu'en 1820, où il fut nommé chef d'escadron de la garde municipale de Paris. En 1831, il fut l'objet d'une interpellation à la Chambre des députés par M. Laboissière, auquel il avait dit : « Quand je suis à cheval pour mon service, je ne connais personne ».
Cela ne l'empêcha pas d'être fait lieutenant-colonel l'année suivante.
Colonel de la 1" légion de gendarmerie en 1839, il fut retraité en 1842.
Il était membre de la Légion d'honneur depuis 1807, officier depuis le 27 février 1814 et commandeur depuis 1841. Blessé et fait prisonnier en Russie, il eut un cheval tué sous lui à Champaubert. A Waterloo, il eut une côte fracassée.
1 Kalouga, chef-lieu du gouvernement du même nom, en Russie centrale, à 160 kilomètres S.-O. de Moscou, sur la rive gauche de l'Oka.
2 Véréïa, ville de la Russie centrale, à 104 kilomètres O.-S.-O. de Moscou, dans le bassin du Volga.
Nous traversons lentement le champ de bataille de Borodino, où 50.000 morts sont encore sans sépulture, tous les habitants, dont les maisons avaient été brûlées, s'étant éloignés autant que possible de ce lieu de carnage.
On prescrit à tout propriétaire de voitures quelconques de se charger de quelques blessés; ceux de l'abbaye de Koloskaye, qui ne peuvent être amenés, sont laissés là, recommandés par le baron Larrey à ceux des officiers russes, qui y ont été soignés par lui, et qui s'en montrent reconnaissants, promettant de les faire protéger autant qu'ils le pourraient.
Le maréchal Davoust fait l'arrière-garde.
Le froid se manifeste de plus en plus intense.
Le manque de chevaux nous force à faire sauter tous les jours quelques caissons d'artillerie, et les blessés conduits dans les voitures des officiers et employés de l'armée sont parfois abandonnés eux-mêmes, par suite de la perte des chevaux qui les conduisent.
La mauvaise nature des chemins nous en fait perdre un grand nombre.
Ils vivaient sans avoine, de paille de seigle arrachée aux toits des maisons, bien rarement de seigle non battu.
Une neige dure comme le marbre couvrait les routes ; mais à force d'y passer, il y avait une voie praticable.
Seulement, quand il s'agissait de passer un ravin, un ruisseau gelé, comme on n'avait pas fait des ponts à niveau avec les larges routes, on était obligé de descendre jusqu'au fond du ravin ou du ruisseau pour le passer, sur un ponceau formé de quelques petits sapins non dégrossis, pour ensuite remonter la berge opposée.
Là était la difficulté, car nos chevaux, la glace étant glissante, descendaient bien au fond, mais arrivés à ce point ils avaient une peine extrême pour remonter la berge opposée, surtout ayant à traîner des voitures ou de l'artillerie. Ils s'épuisaient en vains efforts.
J'ai remarqué qu'on n'avait pas assez recommandé aux chefs de corps de faire provision de fers à crampons pour la glace.
Aussi, assez promptement après notre départ de Moscou, on a brûlé, ou laissé sur la neige des chemins, d'innombrables quantités de charrettes, de petites voitures.
de luxe (drosekys) qui avaient servi à amener les vivres des compagnies de tous les corps.
Mon fourgon d'ambulance était grand et fort lourd ; nous y avions chargé du vin, du riz, du biscuit, du sucre, du café et beaucoup d'autres provisions, soit dans de petits barils de cantinière, soit dans de grands sacs, le tout pour notre viatique pendant la retraite ; nous avons été forcés de l'abandonner et d'y mettre le feu.
Pour ne pas perdre les vivres, nous les avons chargés sur le dos de nos chevaux d'ambulance, dans des sacs qui pendaient à droite et à gauche, en forme de besace et nous avons pu ainsi vivre fort bien jusqu'à Wilna, sans éprouver de sérieuses privations.
Une chose surtout nous a été très avantageuse dans cette triste occurrence, c'est que nous avons conservé notre tente, qui jusque-là était portée par mon fourgon, et que nous avons chargée, avec ses piquets, etc.,.
sur le dos d'un petit cheval cosaque, qui était fort courageux, vivant d'écorce de pins ou de bouleaux et qui passait les ravins en y descendant et remontant ensuite,
comme aurait fait un petit chien. Il n'était pas ferré et avait une large corne qui s'appliquait et s'adaptait fort bien sur la glace.
Nous marchions ainsi, avec la longue et triste caravane, formant un petit groupe de quatre personnes, mon général, M. Robert, le commandant-adjudant major Guillemin excellent homme, un vrai ami à moi, le quartier-maître ou officier-payeur Desprès 2, fils de l'acteur Desprès du Théâtre-Français, et moi.
Quand nous arrivions à un bivouac, notre premier soin était de dresser notre tente, qui était à peu près la seule de l'armée, chacun y mettait la main : le général, Guillemin, Desprès et moi. Nous avions bientôt élevé notre abri contre le maudit vent du nord qui nous cou-
1 Guillemin (Jean-Claude-Vincent), né à Vesoul en 1770. Soldat au 2' bataillon de la Haute-Saône en 1791, sous-lieutenant en 1797. Il passa lieutenant au 4e tirailleurs de la Garde en 1805, et y resta comme capitaine adjudant-major (chef de bataillon) en 1809, et comme chef de bataillon (major) en 1813. Aux Cent-Jours, il était au 3' grenadiers à pied. Mis en demi-solde à la 2° Restauration, il ne fut pas replacé.
Il avait obtenu un sabre d'honneur, était officier de la Légion d'honneur et reçut l'ordre de la Réunion le 13 novembre 1813, en même temps que Lagneau. Il perdit sa femme à la naissance de sa fille, qui fut élevée par la baronne Poret de Morvan. L'ensemble des notes de Guillemin ne contient que des éloges.
* Desprès (Jean-René Poullot dit), né à Montpellier en 1786. Il entra en 1806 aux vélites grenadiers et 3 ans après était sous-lieutenant officier payeur au 2. conscrits grenadiers et lieutenant officier payeur au 40 tirailleurs en 1811. Il rapporta de Moscou toute sa comptabilité.
Pendant les Cent-Jours, il était lieutenant en 1er (capitaine), officier payeur au 3. grenadiers. Licencié à la 20 Restauration, il sollicita sa réintégration et la légion d'honneur en s'appuyant sur sa qualité de neveu de Cléry, le valet de chambre de Louis XVI. Son père NicolasGabriel Poullot dit Desprès, qui jouait au théâtre de la République en 1792-1793, fut compris dans la réunion de ce théâtre avec le théâtre de la Nation, lors de la reconstitution de la Comédie-française et devint sociétaire en 1807. Un de ses meilleurs rôles était le maître d'armes du Bourgeois gentilhomme. Retraité en 1816, il mourut à Paris en 1829, après avoir été directeur du théâtre de Strasbourg. (Archives administratives de la Guerre et archives de la Comédie Française.)
pait la respiration quand nous ne pouvions pas nous en garantir. Cela fait, on déchargeait les provisions qui étaient déposées dans la tente. On s'occupait de faire la soupe, car nous avions des sapeurs à nos ordres et qui savaient fort bien cuisiner pour des soldats. Pendant qu'ils veillaient à leur soupe (car ils avaient toujours leur part, ainsi que des autres victuailles que nous portions avec nous), nous nous abritions sous la toile de notre tente, où nous avions bientôt chaud comme dans un stoub d'Allemagne.
Le dîner prêt, nous mangions et nous nous replacions sous la tente, devant laquelle il y avait un bon feu, dont nous pouvions nous passer, mais qui servait à nos braves soldats.
Le plus ordinairement nous pouvions avoir un peu de paille, arrachée à la toiture de quelque chaumière, pour nous coucher, un peu séparés de la neige, qui était le lit commun dans cette circonstance. Enveloppé de mon carrick et sous une bonne fourrure que j'apportais de Moscou, je me trouvais aussi bien que dans mon lit, couvert d'un édredon.
Gshatsk, 31 octobre. Nous arrivons à Gshatsk. A une lieue et demie en avant de Wyasma, l'ennemi est posté sur la route ; il veut nous arrêter à un défilé. On parvient à forcer le passage, en perdant 15 ou 1800 hommes d'infanterie (nous n'avons plus de cavalerie). L'ennemi a au moins le double de perte, si cela peut être une compensation ; mais enfin nous passons.
Le maréchal Ney passe à l'arrière-garde.
Le maréchal Davoust avait fait des prodiges de bravoure pour maintenir la discipline dans son corps.
Il était chargé de faire suivre nos traînards débandés, les blessés, les femmes et les enfants. Ces derniers étaient des habitants de Moscou, qui n'avaient pas voulu rester en ville après notre départ. Ce corps, qui avait perdu la moitié de son effectif, avait le plus grand besoin de repos, après quinze jours de cette dure corvée.
9 novembre. Froid des plus rigoureux. Jusque-là, il était supportable encore ; mais de ce moment, une épaisse neige vient à tomber, avec une abondance extraordi-- naire, le temps est sombre, le vent d'une violence extrême.
[Cependant, je me souviens très bien qu'à notre arrivée à Dorogobush, le 9 novembre, il y eut un instant de dégel, qui dura toute la nuit du 9 au 10. Nos bagages étant en retard, j'ai été obligé de coucher dans un petit bois, au pied d'un sapin.
La terre étant mouillée par le verglas, je recevais la pluie glacée sur tout le corps, j'étais enveloppé dans mon manteau (carrick) dont le collet me couvrait la tête, mon chapeau pour oreiller et grelottai toute la nuit.
Le lendemain, un beau soleil parut et nous fûmes bientôt secs, mais aussi le froid rigoureux revint. Notre armée était réduite de moitié depuis le départ de Moscou.] Dorogobush. A Dorogobush on apprend que l'armée russe, commandée en Moldavie par Tormanzof, rejointe par Tchichakoff, qui commandait 30.000 hommes, quitte les provinces turques sous le commandement de ce dernier, pour venir sur nos derrières. On apprend en même
temps la conspiration de Malet 1, à Paris. Deux mauvaises nouvelles.
Nous avons encore 50.000 hommes sous les armes et sommes à trois journées de marche de Smolensk.
Le général Régnier 2 et le Prince Schwarzenberg ne s'étaient pas cru assez en forces pour couvrir nos derrières et s'étaient retirés à Brezese, pour couvrir Varsovie.
Nous étions donc à découvert de ce côté, et dans quelle situation !
Tchitchakoff arrivait sur la Bérézina avec 35.000 hommes, les 25 autres mille étant restés devant Schwarzenberg et Régnier.
Nous n'étions pas plus rassurés du côté de Memel, le général Macdonald avec les Prussiens n'étaient pas en forces contre le général Witgenstein qui, avec 45.000 soldats, voulait chasser le général Saint-Cyr de Polozk et rejoindre Tchitchakoff sur la Bérézina. C'était un plan de campagne bien entendu !
Le comte Witgenstein est battu à Polozk par le général Saint-Cyr (les 17 et 18 octobre). Les Russes
1 Malet (Charles-François de), né à Dôle (Jura), fusillé en 1812. Entré dans l'armée à seize ans, comme mousquetaire, il était, en 1790, commandant de la garde nationale du Jura. Général de brigade l'an VII, il devint gouverneur de Pavie et de Rome, eut des démêlés avec le Pape et fut rapidement remplacé par Miolis. Il se retira se croyant méconnu et lorsqu'il fut nommé commandant de la Légion d'honneur, il répondit d'une façon déplacée à Lacépède, qui lui en faisait part.
Rayé des contrôles en 1807.
! Jean-Louis-Ebenezel. comte Reynier, né à Lausanne le 14 janvier 1771.
Adjoint à l'état-major en 1792, adjudant général en 1793, général de brigade dans la campagne de Hollande. Chef d'état-major à l'armée du Rhin, sous Moreau, il partit pour l'Egypte, où il resta jusqu'à la fin. Il commanda l'armée d'Italie en 1805, prit Naples et gouverna cette ville jusqu'en 1809. Il fit les campagnes de Wagram, de Russie, de Saxe et de France, et mourut à Paris le 27 février 1815.
perdent 3 à 4.000 hommes et nous à peine la moitié.
Notre troupe quitte après Polozk, parce qu'un nouveau corps ennemi, celui du comte Steinghel, se réunit à celui de Witgenstein.
Le Prince Eugène marche sur notre droite, il perd des hommes et des canons par le manque de chevaux et surtout de fers à crampons.
Il stationne et repose son corps à Duchowschchina.
Du 9 au 12 novembre, nous continuons la retraite de Dorogobush sur Smolensk, perdant hommes, chevaux et artillerie, faute d'attelages. Arrivés à Smolensk, nous n'y trouvons de vivres que pour huit ou dix jours.
Froid de 21 degrés Réaumur.
On fait des. distributions de vivres aux différents corps.
Nous apprenons là que la brigade d'Augereau, forte de 2.000 hommes, du corps du général Baraguey d'Hilliers, qui venait à notre rencontre, a été surprise et enlevée par les Russes. Le reste de la division Baraguey nous rejoint.
14 novembre 1812. Nous quittons Smolensk, nous attendant à trouver les Russes, nous barrant le chemin de la Bérézina avec 80.000 combattants, plus frais que nous. Il ne nous reste plus que 36 à 37.000 hommes en état de combattre.
Combat de Krasnyé. Le 15 novembre arrivée à Krasnyé, où le général Sébastiani se trouve avec son avant-garde d'hommes à pied (ses cavaliers étant sans montures).
Il y avait en cet endroit un défilé où Kutusoff, qui ne voulait pas nous barrer le passage, désirait pourtant nous prendre en queue et enlever le plus de monde
qu'il pourrait. Il avait laissé à cette fin passer Napoléon et la Garde. La route était coupée derrière nous.
Les efforts des généraux Ornano et Boursier1 ne purent forcer le passage. Le Prince Eugène, qui commandait, sacrifiant la division Boursier, restée en face de l'armée russe, fit un mouvement à droite vers Krasnyi, où il nous rejoignit. Il fallait rallier Ney et Davoust, qui étaient à l'arrière-garde.
Le 16 novembre, repos, Napoléon faisant ses dispositions pour défendre Krasnyi et recevoir Ney et Davoust.
Bataille de Krasnyi, le 17 novembre 1812. On entend le canon de Davoust, qui approche. Napoléon, à pied, fait sortir la Jeune Garde, rétrogradant d'à peu près une lieue et demie, nous place vis-à-vis les Russes, ainsi que nos vieux grognards, sous la mitraille des Russes.
[Ce fut là qu'un de nos bons amis, le colonel Lenoir, général commandant le 2e tirailleurs grenadiers, eut un pied fracassé par un boulet.J'étais à panser des blessés de mon régiment lorsqu'on l'amena à mon ambulance, première maison à droite en entrant dans le village et je me préparais à lui faire l'amputation de la jambe, lorsque Vitrac 2, mon confrère et collègue, vint m'annoncer que la Garde se retirait.
* Boursier (François-Antoine-Louis), né à Petite-Pierre (Bas-Rhin) en 1760, mort en 1828.
Fils d'un officier invalide, il entra comme dragon dans la légion royale, il était quartier-maître trésorier en 1789, adjudant général, chef de bataillon en 1793, général de brigade, puis général de division l'année suivante. Comte de l'Empire, il reçut une dotation de 50.000 francs de rente sur la Westphalie. Retraité à la 2° Restauration, il devint député de la Meurthe.
Un Vitrac fut reçu docteur en médecine à Montpellier en 1815.
En effet, je vis à la tête du corps notre maréchal Mortier, auquel je m'adressai, pour savoir ce que je devais faire de mes blessés, et entre autres du général Lenoir. Il me dit de faire tout évacuer et de suivre son mouvement. Je fis mettre le général sur un traîneau, accompagné de plusieurs de ses sapeurs. Je fis de même pour les autres blessés qui ne pouvaient pas marcher.
Je me promettais de les retrouver tous et le général Lenoir surtout, qui comptait sur moi, à la première halte, qui devait être à Lyady. Malheureusement, nous n'arrivâmes qu'à dix heures et demie de la nuit et je ne pus, dans le brouhaha des bivouacs, des feux, des cris de reconnaissance des soldats pour retrouver leurs bataillons, leurs compagnies, savoir où étaient mes blessés, ni le général, qui fut amputé, dans une chaumière, par un autre de ses amis, Jourda1 ancien chirurgien-major du 74e où il avait servi, lequel était alors attaché aux chasseurs de la Garde impériale, 1er régiment.
Il a même été soigné par lui, tout le long de la route, jusqu'à Vilna, où il a été laissé dans l'hôpital. Là, les sœurs de l'hôpital l'ont soigné et préservé du danger d'être assassiné par la canaille juive de Vilna.
Rentré en France, il a eu un commandement à Béthune, plus tard comme commandant en second des Invalides, et enfin il fut Gouverneur de l'hôtel des Invalides d'Avignon.
Il avait parfaitement réorganisé cet établissement, auparavant fort mal dirigé et dont les pensionnaires
Jourda était en 18t4 membre de l'Académie de médecine (section de pathologie chirurgicale). Il avait été reçu docteur à Paris en 1812.
troublaient la tranquillité des habitants par leur inconduite et leur vie tapageuse et désordonnée.] Nous sommes suivis de très près et accompagnés sur nos flancs par les Cosaques, munis d'artillerie de six, placée sur des patins ou traîneaux, qui nous envoyent incessamment des obus, ou de la mitraille.
Ceux qui sont gravement atteints restent presque tous sur la neige durcie, et tombent entre les mains des Russes. Les autres continuent à marcher sans s'en préoccuper beaucoup.
[Je fis surtout ce jour-là une remarque, c'est que les bruits de l'artillerie étaient moins forts, moins retentissants par l'extrême froid qu'il faisait que lorsque la température était moins basse. Un coup de canon de six ne faisait alors pas plus de détonation qu'un simple coup de fusil de munition. J'ai observé cela pendant toute la retraite.
Je dois aussi consigner ici une autre remarque, c'est que pendant les temps froids, l'homme supporte sans peine l'usage des liqueurs alcooliques, l'eau-de-vie ou le rhum. Je ne suis pas étonné que les Russes boivent avec grande abondance de ces boissons, du mauvais schnaps, eau-de-vie de grains, sans en souffrir.
Sur moi, j'ai pu faire la même observation qui m'avait déjà frappé pendant la première campagne en Pologne, en 1806. Ordinairement je ne bois aucune de ces liqueurs, qui me déplaisent et qui opèrent sur mon pharynx une contraction involontaire, qui me fait regretter le breuvage. Eh bien, en Russie, je buvais parfois de l'eau-de-vie ou du rhum, sans en éprouver aucune répugnance, et loin d'en ressentir ce resserrement du
gosier, je me serais laissé aller à en boire trop, si je n'avais cru prudent de m'arrêter ; car il me semblait ne boire que de l'eau. Dès que j'ai eu atteint un pays où nous avions moins froid, couchés dans des stoubs et mangeant à notre faim, je ne pouvais plus sentir l'eau-devie.
Une fois au froid et en marche, mon pharynx redevenait tolérant pour le breuvage ; mais je n'en usais que lorsque j'étais privé d'aliments solides.] Réminiscence de Smolensk. Je ne puis oublier de mentionner qu'avant de quitter Smolensk, un ordre avait prescrit de détruire ou abandonner toutes les voitures et équipages inutiles ou rendus tels par le manque de chevaux, et que, pour alléger les fourgons du trésor de l'armée même, on nous avait payé en écus tout ce qui nous était dû d'arriéré ; pour mon compte, j'ai tout perdu, 12 à 1500 francs à peu près, parce que ne pouvant porter cette somme sur moi, qui étais réduit à faire la route à pied, ne pouvant rester une minute en selle sans avoir les pieds engourdis et menacés de se geler, j'avais mis la somme dans le porte-manteau de cheval de mon domestique. Or ce pauvre diable étant allé chercher à trois portées de fusil, sur notre droite, avec quatre ou cinq autres domestiques et entre autres le cocher du général Robert, de la paille de seigle pour nos bêtes, entre Krasnyi et Lyady, fut pris avec ses camarades, par un petit peloton de Cosaques embusqués dans un bois de sapin voisin et emmené prisonnier à notre nez et à notre barbe, car nous n'avions plus de cavalerie pour nous protéger.
Nos écus furent ainsi la proie des Cosaques, ainsi que
le cheval, son équipement et le domestique Wilhelm, dont je n'ai plus entendu parler.
A dater de cet instant, je restai avec mon seul cheval.
de monture, un andalou, provenant des écuries de la Reine de Suède, à qui il avait été donné par le roi Joseph-Napoléon.
C'était une excellente bête, bien conservée, mangeant au besoin les écorces des sapins et des bouleaux. Je le confiai, ne pouvant plus le monter, aux sapeurs de mon colonel, qui le soignaient comme ceux de leur chef, et je le traînais par la bride, jusqu'à ce qu'un jour, je le confiai pour une étape à un brave soldat qui était trop malade pour nous suivre ; il lui fut enlevé et probablement mangé par les traînards de l'armée, et lui-même sans aucun doute dut mourir de froid dans un bivouac étranger à notre corps, n'ayant pu nous rejoindre.
Depuis lors, je n'avais plus d'équipage, j'étais plus leste et sans autre souci que celui de ma personne, ce qui ne me préoccupait guère.
Ayant perdu mes chevaux, j'avais encore quelques effets que je plaçais sur un petit cheval de prise, un cognât, comme on les appelait, qui nous appartenait en commun avec le commandant Guillemain et que nous fîmes conduire, avec un reste de provisions, par un jeune caporal piémontais, qui me servait d'aide d'ambulance.
Nous l'avons conservé jusqu'à notre rentrée en Prusse, et nous avons donné le cheval cosaque au jeune caporal, lorsqu'il ne nous a plus été nécessaire.
Du reste, nous vivions toujours en commun avec notre général, dans la tente heureusement conservée pendant toute la retraite, et qui nous a sûrement empê-
chés d'être gelés, comme tant d'autres. Nous en avons bien senti le prix, trois fois surtout, pendant cette retraite, à certains jours où nos bagages n'avaient pu nous suivre.
18 novembre. Le maréchal Davoust suit le mouvement de la Garde et de l'Empereur. Le maréchal Ney seul, qui n'est sorti de Smolensk que le 17 novembre, après avoir fait sauter les tours de la ville et enfoui les canons qu'il ne pouvait emmener, reste en arrière.
Rencontrant l'ennemi, en avant de Krasnyi, il ne peut forcer le passage et, ne voulant pas se rendre, il passe sur la rive droite du Dniéper, et se dirige sur Orscha.
Il fut, dans ce trajet, attaqué par Platow1, qui avait une nuée de Cosaques et une nombreuse artillerie sur des traîneaux. Ses attaques furent repoussées par la petite troupe formée en deux carrés, qui perdit beaucoup de monde, mais en fit beaucoup plus perdre encore aux Cosaques.
Arrivée du maréchal Ney à Orscha. Ney est reçu avec une joie extrême par le reste de l'armée. Il ramène 1.200 hommes, sur 6 ou 7.000, qu'il avait en quittant Smolensk.
A Orscha, ordre de détruire encore une grande quantité de voitures à bagages. On distribue des vivres, puis
1 Mathieu-Ivanovitch, comte Platov, lié à Azov le 17 août 1751, mort le 15 janvier 1818. Enrôlé dans les Cosaques du Don, il se distingua dans les guerres contre la Turquie en 1770-1771 et fut nommé en 1801 hetman des Cosaques. En 1805, il fit prisonnier le général turc Mahmoud Pacha. Dans la campagne de 1812, il commanda 20 régiments de Cosaques, 2 de chasseurs et 2 batteries montées et fit essuyer de grandes pertes à l'armée française. Il s'empara de Marienwerder, Marienburg, Dirschau, Elbing, battit Lefebvre à Altenburg le 28 mai 1813, et poursuivit après Leipzig les Français jusqu'au Rhin. En 1814, il s'empara de Nemours et de Versailles.
on. ouvre les magasins à tous venants, nous avons encore une centaine de pièces d'artillerie.
Nous apprenons que Schwarzenberg a laissé passer sans obstacle Tchichakoff 1, qui arrive sur la haute Bérézina.
Les Polonais de Dombrowsky2 évacuent Minsk et rejoignent à Borisow 3. Dégel momentané à Orscha et autre embarras pour nos transports et notre artillerie.
Les Russes enlèvent Borisow aux Polonais ; situation fâcheuse de notre armée. Conseil du général Dode de passer la Bérézina, en la remontant sur notre droite.
La situation rappelle celle de Charles XII à Pultava.
Le général Corbineau 4 nous arrive avec 700 chevaux
1 Paul-Vasiliévitch Tchitchagoff, amiral russe né en 1767, mort à Paris en 1849. Il se distingua en 1789 dans les combats navals contre les Suédois, commanda en 1796 l'escadre anglo-russe chargée de faire évacuer la Hollande aux Français, fut ministre de la marine en 1802. Il fut chargé en 1812 de barrer le passage de la Bérésina aux Français en retraite ; Napoléon déjoua ses mesures, et l'amiral russe tomba en disgrâce. En 1834, ses biens furent confisqués et il se fit naturaliser anglais.
* Dombrowsky (Jean-Henri), général patriote polonais et lieutenant de Kosciuszko. Ce fut lui qui organisa la première légion polonaise au service de la France en 1795. Il fut nommé général de division en 1800, fit les campagnes de 1806-1807-1809 et eut le commandement des troupes polonaises au service de la France en 1812 et 1813.
Sénateur palatin à la Diète de Pologne, il devint général de cavalerie au service de la Russie en 1815.
Né à Piezzowic (Palatinat de Cracovie) en 1755, mort à Vinna-Gora en 1818.
3 Borissof, ville située au confluent de la Skha et de la Bérésina, à 80 kilomètres N.-E. de Minsk.
4 Corbineau (Jean-Baptiste-Juvénal), né à Marchiennes en 1776, mort à Paris en 1848. Fils de l'inspecteur général des haras de la généralité de Tours et volontaire de 1792, capitaine des chasseurs de la Garde en 1806.
Chef d'escadron à Eylau, le jour où son frère fut emporté par un boulet, dans la grande charge de Murât.
Général de division et aide de camp de l'Empereur, à la suite de la découverte du gué de Westelowo, qui permit le passage de la Bérésina et que Curély prétend avoir découvert. Se couvrit de gloire pen-
en bon état, renseigné par un paysan qui traversait la Bérézina vis-à-vis de Studianka.
Le maréchal Oudinot prend Borisow, fait 600 prisonniers et s'empare de beaucoup de bagages ; mais les Russes, en se retirant, brûlent le pont.
Le 24, Oudinot fait mine de vouloir passer la rivière au-dessous de Borisow, tandis qu'on établit des ponts de chevalets, entre Studianka et Sembin. Le génie a encore 400 pontonniers, des matériaux pour établir des ponts, du charbon et une forge.
Ces soldats sont dirigés sur Borisow, où on en laisse quelques-uns pour tromper l'ennemi, et le reste, ayant à sa tête le général Eble 1 et le général Chasseloup 2, prend la droite, à travers les marécages.
dant la campagne de France et était près de l'Empereur, comme aide de camp, à Waterloo.
Baron, puis comte de l'Empire, il reçoit une dotation de 14.000 francs de rente sur la Westphalie et le département des DeuxNethes. Retraité d'office à la 2° Restauration avec interdiction de porter l'uniforme.
Pair de France en 1835.
1 Eblé (Jean-Baptiste), né à Norbach (Moselle) en 1758,.mort en 1812 à Kœnigsberg.
Entra au 6° régiment d'artillerie, où il était sergent en 1775. Lieutenant en 30 en 1785, 20 lieutenant en 1791, capitaine en 1792, il est fait, en 1793, successivement chef de bataillon, général de brigade et général de division.
Ministre de la guerre du royaume de Westphalie, il rentra au service de France en 1810 et devint baron, puis comte de l'Empire, avec 30.000 francs de rente sur la Westphalie, le Hanovre et la Styrie.
2 Chasseloup-Laubat (François de), né à Saint-Sornin (Charente-Inférieure) en 1754, mort à Paris en 1833.
Aspirant au corps d'artillerie, puis sous-lieutenant à l'école de Mézières en 1784. Capitaine en 1791, général de brigade en 1794, il commanda en shef le génie de l'armée d'Italie.
Général de division en 1799, comte de l'Empire en 1808, il était conseiller d'Etat en 1811. Sénateur en 1813, il vota la déchéance de l'Empereur.
Pair de France de la Restauration, il vota la déportation du maréchal Ney.
Il mourut aveugle, laissant trois fils, dont l'un fut général de divi-
[La Bérézina est une rivière qui ne gèle jamais. Elle est peu large pourtant (le quart de la Seine) ; au contraire les plus grands fleuves russes, tels que le Niémen, le Dniéper, le Volga, sont, chaque année, gelés à porter les plus lourdes voitures. Les bords de cette rivière sont d'ailleurs très marécageux. Le 24 au soir, on construit deux ponts, un pour les piétons, un pour les voitures.] Le général Corbineau, avec ses cavaliers, passe sur la rive droite du fleuve, pour garantir les pontonniers, qui le sont aussi par une quarantaine de pièces de canon, battant la rive opposée (droite) au risque de tuer quelques-uns des nôtres. On n'y regarde pas de si près, nous sommes tous en danger d'être prisonniers, l'Empereur avec nous.
26 novembre. Passage de la Bérézina (1812). Du 24 soir au 26 novembre, les ponts sont terminés et la troupe défile sous les yeux de l'Empereur, qui veut passer un des derniers.
Le pont des voitures (troncs de sapins recouverts de mousse) se rompt après un peu de temps ; on le répare.
Ce n'est pas facile, nos pontonniers étant obligés de se mettre dans l'eau très froide.
On passe la Bérézina le 27 novembre, et l'on s'attend à être attaqué le 28 par Tchitchakoff, amiral-général de l'armée russe de Moldavie.
Kutusoff est resté sur le Dniéper à Kasplya 3.
La lutte commence le 27 au soir. La division Partout
sion. l'autre ministre de la marine et ministre de l'Algérie, et le troisième ministre de France à Francfort.
1 Kasplia, ville du gouvernement de Smolensk en Russie centrale, sur la rivière du même nom.
neau 1 (4.000 hommes), qu'on avait laissée à Borisow, ne peut rejoindre et est obligée de se rendre après avoir perdu deux mille hommes.
Le 29, bataille gagnée par Oudinot et Ney sur Yermoloff2, où les Russes perdent 3.000 morts et 3.000 prisonniers. Ceci se passe sur la rive gauche.
Le 29 novembre, on ordonne dé brûler les ponts, le maréchal Victor traversant la rivière pendant la nuit.
(Il ne restait plus que des traînards qu'on ne put déterminer à passer, quand il était temps encore ; plus tard, il n'y avait plus moyen de passer et une immense quantité de traînards, de femmes et d'enfants, restèrent aux mains des Russes, avec beaucoup de bagages.) Le 30, nous arrivons, par Sembin et Molodetschina 3 à Plescht-Schemizy.
Le froid, de 11 à 12 degrés, descend à 19 et 20, enfm il descendit à 24 degrés.
Le dernier combat a lieu à Molodetschina, où les Russes sont encore repoussés.
1 Partouneaux (Louis), né à Romilly (Aube) en 1770, mort à Opio (Var) en 1835. Grenadier au 1er bataillon de Paris en 1791. Sous-lieutenant en 1792. Adjudant général chef de bataillon au siège de Toulon. Général de division en l'an XI.
Prisonnier de guerre à la bataille de Novi et échangé contre le général autrichien Lusignan. Comte en 1817 à titre personnel. Ce titre fut confirmé par Napoléon III.
Ermolov ou Yermoloff (Alexis-Petrowitch), né en 1772, mort en 1861.
Il servit en 1794, en Pologne, sous Souvarov, et prit part à l'expédition de Perse en 1796. Il assista à la bataille d'Austerlitz et devint commandant d'une division de la Garde. Il joua un rôle brillant pendant la guerre de 1812 et eut en 1813 le commandement en chef de l'artillerie russe. Il commandait la garde russe et prussienne devant Paris en 1814. Après la chute de Napoléon, il organisa le territoire du Caucase.
3 Molodetchno, bourg du gouvernement de Vilna, en Russie occidentale, sur un sous-affluent droit du Niémen.
5 décembre. Smorgny 1. L'Empereur nous quitte pour retourner en France, laissant le commandement de l'armée au roi Murât, ayant sous ses ordres le vice-roi Eugène Beauharnais et les autres maréchaux.
Désireux qu'il était de reparaître à Paris, en traversant l'Allemagne incognito, avant que nos derniers désastres fussent connus des Princes d'Allemagne, dont l'alliance lui était suspecte, et qui auraient pu l'arrêter au passage, comme le fut autrefois Richard Cœur-de-Lion.
[Les derniers combats, qui nous avaient été favorables, lui inspirant de la confiance pour la sûreté de nos débris qui déjà touchaient à la Pologne, il crut ne pouvoir mieux faire que d'aller en France sans retard, pour aviser à ce qu'il y aurait de mieux à faire dans la conjoncture.
Ce départ fut l'objet de bien des critiques parmi les hommes intelligents de l'armée. Mais il y avait des raisons pour et contre et d'également bonnes.] 6 décembre 1812. Nous continuons la retraite, un peu moins privés de nourriture, car on trouve en Lithuanie encore quelque p eu à manger. Malheureusement le froid arrive à 30 degrés Réaumur. C'était vraiment intolérable ; il fallait en marchant battre fortement la semelle, pour que les pieds ne se gelassent pas.
C'était principalement le matin, en levant le bivouac de la nuit, que nos hommes restaient par centaines, autour de leurs feux éteints, qu'ils avaient négligé d'entretenir, restant engourdis par un sommeil de plomb très excu-
1 Smorgony, bourg du gouvernement de Vilna en Russie occidentale, à 29 kilomètres E.-N.-E. d'Ochmiany, dans le bassin du Niémen.
sable après les fatigues qu'ils avaient supportées1. Ceux qui arrivaient le soir au bivouac en très bon état n'étaient pas sûrs de pouvoir se relever le lendemain.
Ils étaient affaiblis par la privation d'aliments réconfortants. Ils ne mangeaient souvent que de la bouillie de farine de seigle, sans addition de sel, ni de beurre.
Ils avaient le cerveau congestionné, l'air hébété, n'ayant plus qu'une espèce d'instinct qui les portait à se jeter automatiquement sur les feux des bivouacs, que les traînards débandés établissaient de cent en cent pas, tout le long de la route.
Nous n'avions pas de moyens de transport pour les enlever, ils restaient sur la neige, fort indifférents qu'on les laissât entre les mains des Russes. Ils n'avaient plus la conscience de leurs actes, ni de la gravité de leur position. J'ai perdu mon cheval de selle en désirant sauver un de ces pauvres diables que je connaissais et qui avait été attaché à un capitaine de mon régiment des conscrits de la Garde ; il n'aura pu suivre la file des chevaux de main, aura été pris par le froid, et les traînards affamés auront mangé mon pauvre cheval.
Beaucoup de soldats avaient seulement le nez gelé, f les oreilles, ou bien des orteils ou des doigts de l'une ou l'autre main. Ces derniers ne pouvant tenir leurs fusils, les jetaient là et suivaient l'armée en maraudeurs, loin de leurs corps respectifs.
Notre pauvre armée, enfin, ne présentait plus dans ces déplorables débris que misère, détérioration des forces physiques et découragement moral, porté jusqu'à
* « Quiconque se couche s'endort, disait Larrey ; quiconque s'endort ne se relève plus. »
l'indifférence la plus absolue. Un petit nombre, d'une trempe morale exceptionnelle, soutenus par la jeunesse et une constitution solide, ont résisté à toutes les causes de destruction qui nous frappaient et s'en sont bien tirés.
Heureusement je me trouvais dans les conditions désirables. J'avais trente-deux ans, ma santé était parfaite, mon habitude de la marche très grande, de sorte que j'ai tout supporté, sans qu'il m'en soit rien résulté de fâcheux. Je n'étais poursuivi que par la crainte d'être blessé et laissé ensuite exposé à mourir de froid ou de faim, gisant sur la neige.
Cependant je conservais encore l'espoir que, si je restais prisonnier des Russes, je pouvais me tirer d'affaire, en leur rendant des services comme médecin, dont ils n'étaient pas brillamment pourvus, et d'une autre part, je pensais pouvoir tirer parti de ma connaissance de quelques langues, telles que l'italien, l'espagnol et un peu l'allemand. Je n'ai fort heureusement pas eu occasion de me prévaloir de ce peu de mérite, étant revenu sauf et très sain de corps et d'esprit.
Arrivée à Wilna, le 9 décembre 1812. Le froid est excessif, et la neige est devenue si dure, qu'on y glisse comme sur un miroir. Jusque-là, on ne tombait pas sur cette route, dont le milieu est tellement foulé, que la glace y est transformée en poussière cristalline, sèche, criant sous le pied qui nous empêchait de glisser.
Aujourd'hui, ce n'est plus de même, le pas n'est plus ferme et l'homme le plus vigoureux a de la peine à éviter de tomber plusieurs fois dans la journée. J'ai vu de nos vieux grenadiers, si courageux, si résignés d'habi-
tude, se dépiter à la suite de pareilles chutes, au point d'être disposés à rester en route, quoiqu'il puisse advenir. Ces hommes que j'avais vus tellement saisis par le froid, qu'ils ne pouvaient, sans l'aide d'un de leurs camarades, reboutonner leurs pantalons, après avoir satisfait à certain besoin, mais qui avaient ingénieusement pris le parti de découdre le vêtement nécessaire par derrière, de manière à ne pas être obligés de le descendre pour aller à la garde-robe, ces hommes, dis-je, étaient, en arrivant à Wilna, tout à fait à bout de force et de courage.
Aux portes de Wilna, comme il y a foule pour entrer, les Russes nous suivant de près, on croit pourtant pouvoir nous faire faire une petite halte dans le faubourg de Smolensk. On s'y arrête donc un peu ; mais après une heure et demie, nos traînards étant poursuivis, les Russes lançant même sur eux de la mitraille, nous rentrons dans la ville, où tout est désordre. Quelques-uns de nos soldats du régiment ne se hâtent pas assez, se trouvant bien à l'abri, c'est-à-dire relativement au chaud et quand ils quittent les maisons, l'infanterie russe, en tirailleurs, est déjà dans la rue principale du faubourg.
Un officier de mon régiment, dont les orteils étaient gelés, étant retourné dans la maison où il avait passé la nuit, se trouva dans ce cas. Il avait vu une couverture abandonnée dont il voulait couper des morceaux pour garantir ses pieds du froid, car il ne pouvait mettre de bottes. Il se trouva au milieu des tirailleurs russes et marcha quinze ou vingt pas avec eux sans être remarqué, mais il le fut enfin et les tirailleurs qui étaient tous ivresmorts d'eau-de-vie, lui donnèrent des coups de baïonnette, lui prirent ses épaulettes, son sabre ot ne lui
firent que des blessures insignifiantes, qui ne l'empêchèrent pas de se sauver en avant des Russes, qui lui tirèrent force coups de fusil sans l'atteindre. Ils étaient si ivres ! En courant, il arriva à portée de fusil de la porte gardée par un peloton français.
Ceux-ci s'apprêtaient à tirer sur les tirailleurs russes, mais ayant remarqué un officier français, le chef de poste fit relever les fusils et attendre que le Français fût entré pour exécuter son feu. Ce lieutenant était M. Adrien Bigorgne*, qui depuis, s'étant marié avec Mlle Marianne Marin, en eut Adrien Bigorgne, qui est devenu mon gendre, en épousant ma fille Laure, dont la mère était précisément la sœur de Marianne Marin.
Il a eu les pieds gelés en cette occasion et j'ai été obligé plus tard à Paris de lui enlever les phalanges des orteils, qui étaient nécrosés (rue Pagevin, 1813). Il a fait le reste de la retraite à cheval, et même d'Ewye à la première étape, sur le dos d'un ami, officier comme lui, mais aux voltigeurs de la Garde, le lieutenant Morel2, bon et brave jeune homme, qui s'est dévoué pour le soustraire à la
1 Bigorgne (Adrien-Joseph) entra à l'Ecole spéciale militaire en 1807 et fut nommé sous-lieutenant au 2. conscrits grenadiers en 1809, fit les campagnes d'Allemagne, d'Espagne et de Russie. Sur le décompte de sa retraite de 725 francs, sa blessure « congélation des deux pieds en Russie » figure pour 500 francs.
* Morel (François), né à Paris le 5 mai 1789. Il entra à Saint-Cyr le 30 décembrel807, fut caporal le 28 juillet 1808etsergent le4 décembre suivant. Il est nommé sous-lieutenant au 40 voltigeurs de la Garde le 25 mars 1809. lieutenant le 8 avril 1813 et capitaine le 14 septembre suivant. Il passa en août 1814 au Ho de ligne et fut mis en non-activité.
Aide de camp du général Estève le 24 mars 1815, il est licencié, puis mis en demi-solde à la 20 Restauration jusqu'en 1819, où il est nommé capitaine de remplacement au 30 bataillon de la Légion d'Indre-et-Loire.
Il est mis en congé illimité en 1820, puis en solde de non-activité jusqu'à sa 30' année de service. Il mourut en 1846 à Cepoy près Montargis, laissant une veuve et quatre enfants.
captivité, car les Russes entraient dans la ville, au moment où ils se sont enfuis par la porte opposée.
A Wilna, quoique tout y fût confusion et désordre, pillage des magasins et des boutiques particulières, nous trouvons quelques provisions qui nous manquaient, en les payant chèrement.
Pendant la nuit, le roi Murat quitte la ville et nous le suivons de grand matin. (Beaucoup d'hommes blessés ou hébétés, c'était le mot employé, restèrent en ville let furent presque tous massacrés, principalement par les Juifs.) A peu de distance de la ville, on est arrêté par une hauteur, le verglas empêche les chevaux de la franchir, et nous sommes obligés d'abandonner beaucoup de voitures, même celle du trésor. (Elle fut pillée par les traînards et par les Cosaques. On les a vus, attachés à dévaliser un même wagon, sans s'occuper d'autre chose que d'emplir leurs poches. Ceux qui n'avaient pris que des écus, trop lourds pour des gens fatigués, donnaient 100 francs pour un seul napoléon en or.) Quant à nous, nous passons bien la petite montagne et notre petit cheval cosaque avec nos bagages passe sur le côté, ce que beaucoup de gens. auraient pu faire ; mais le désordre et la nuit ont empêché de reconnaître ce passage. On avait perdu la tête.
[Par une fatalité bien grande, nos gros bagages de la Garde, qui étaient restés à Dantzig, pendant notre campagne, avaient été expédiés sur Wilna et on nous les distribua dans cette dernière ville, au milieu de ce brouhaha général. Nous ne savions qu'en faire. J'ai extrait de ma malle (où j'avais beaucoup de livres, de linge,
mes uniformes brodés et mes notes des campagnes d'Espagne, etc., etc.,) quelque peu de linge, mon uniforme, quelques instruments et j'ai abandonné le resteet la malle, dans la maison où j'étais logé.
Le fils des propriétaires étudiait la médecine ; il a pu profiter de ma bibliothèque composée de bons livres.
Je n'en ai pas entendu parler depuis.] Kowno, les 11 et 12 décembre 1812.
A Kowno, même désordre, même pillage des ressources assez grandes qui avaient été réunies.
Nous avons passé à côté du pont, sur la glace, le fleuve étant tout à fait gelé ; il fait un magnifique soleil.
L'arrière-garde, faite par les maréchaux Davoust et Ney, ne peut conserver la ville, n'ayant plus de soldats à opposer aux Moscovites.
[Bigorgne, qui avait pu, à cheval, arriver avant nous, avait fait prendre au pillage des magasins de l'armée, par quelques soldats du régiment, une grande quantité de pains, sur lesquels il nous attendait ; c'était de l'excellent pain de munition.] Wilkowisky, 13 décembre, nous arrivons à Wilkowisky, petite et première ville de la vieille Prusse.
14 décembre. Insterbourg i. Revue du roi de Naples.
Pendant cette revue, passée sur la grande et seule place du pays, entourée de maisons, toutes basses, comme en Pologne, je suis surpris du froid en la traversant et j'ai le nez gelé.
[Je fus d'autant plus facilement saisi, que j'avais passé la nuit dans un stoub bien chaud, pour la première
1 Insterburg, ville de la Prusse orientale, à 26 kilomètres 0. de Gumbinnen.
fois depuis notre retraite. Je m'en aperçus aussitôt, ou plutôt un officier de mes amis me le fit remarquer et j'y remédiai en frottant fortement avec de la neige et j'en fus quitte pour la modification d'une plaque d'épiderme sur le côté droit du nez, qui avait reçu l'action du vent du nord. Cette plaque devint bientôt noire, comme si c'eût été une brûlure et elle tomba au bout de six ou sept jours.] Je suis logé avec l'ami Guillemain, chez un brave boucher, qui, ainsi que sa femme et sa bonne, nous soignent bien.
Nous passons par Welhau, pour arriver à Kœnigsberg, capitale de la vieille Prusse. Grande et populeuse, mais encombrée de troupes françaises et prussiennes.
Nous sommes regardés par les habitants d'un air assez narquois, mais les jeunes officiers prussiens nous regardent avec une impertinence, à laquelle nous n'avons pas le temps de faire grande attention.
Beaucoup de nos blessés et de nos gelés sont admis dans les hôpitaux. Mon général, le colonel Robert, est resté dans un hôtel. (J'appris plus tard qu'il en était parti avant l'entrée des Russes.) Un grand nombre de nos malades poussent jusqu'à Dantzig.
Nous recevons l'ordre de nous rendre à Posen.
Nous quittons Kœnigsberg et allons le long du FrischHaff à Heiligenbeil ', Braunsberg 2, Elbing, Marienburg,
Heiligenbeil, ville de la Prusse orientale, à 47 kilomètres S.-O. de Kônigsberg, sur la Jarfe.
Braunsberg, en Prusse orientale, à60 kilomètres S.-O. de Kônigsberg.
sur la Passarges, qui se jette dans la mer Baltique.
lieux de moi bien connus et visités, pendant notre campagne de 1806; puis à Marienwerder, Bromberg t, laissant Thorn sur notre gauche, etc. pour arriver à Posen.
21 décembre. Posen. En longeant le Frisch-Haff, la lagune étant gelée, nous faisons transporter nos blessés et nos bagages sur des traîneaux attelés de chevaux ferrés à glace et marchant avec une rapidité extraordinaire. Les habitants du pays sont très habitués à se servir de cette voie commode pendant l'hiver, pour l'approvisionnement de Dantzig et leur commerce de grains.
Nous restons deux jours à Posen, puis nous prenons la route de'France pour reprendre des hommes à Paris et reformer nos régiments.
Krossen 2. 23 décembre. Nous nous croisons avec la garde du roi de Prusse, qui quitte avec ce souverain sa résidence de Berlin, pour ne pas rester au milieu des autorités militaires françaises, dont l'alliance lui pèse depuis si longtemps. On nous fait même arrêter dans un village au delà de Krossen et de l'Oder et l'on a la précaution de nous faire partir le lendemain de grand matin, pour éviter un contact trop intime avec cette garde royale, dont les chefs ne se doutent cependant pas encore que Napoléon est arrivé à Paris, le 18 décembre.
Nous traversons Krossen au petit jour et déjà la garde royale prussienne, composée de très jeunes gens, mais
Bromberg, en Prusse orientale, à 152 kilomètres N.-E. de Posen, sur la rive droite de la Brahe, affluent gauche de la Vistule.
1 Crossen, ville de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, à 51 kilomètres S.-E. de Francfort-sur-Oder, au confluent du Bober et de l'Oder.
de haute taille, comme avaient été ceux du grand Frédéric, se réunit sur la place pour nous voir partir.
Ils nous regardent passer, mais ne bronchent pas, une collision pouvait être à craindre cependant. Nous continuons notre route en voiture de réquisition, en doublant et triplant même les étapes, laissant Berlin sur la droite et passant par Madgebourg.
Le roi de Prusse s'est retiré en Silésie avec sa garde.
Il n'est pas encore décidé à rompre avec nous, malgré la bonne envie qu'il en a.
Il est pourtant déjà entré en négociations avec le cabinet russe.
CHAPITRE X
-Nommé au régiment des Fusiliers-Grenadiers. — Permission.
Départ pour Mayence. — Dresde. — Batailles de Lutzen et de Bautzen. — Mort du grand maréchal Duroc. — Poursuite de l'ennemi. — La garde hollandaise. — Le général Tindal. — Retour à Dresde. — L'Empereur donne lui-même la direction. — La bataille. — Insuccès dans les affaires où l'Empereur n'est pas présent. — Bataille de Leipzig.
— Les artilleurs du général Drouot. — Retraite. — Adieux de l'Empereur au roi de Saxe. — Bataille de Hanau. — En retraite.
Nous continuons donc sans encombre notre marche sur Paris, où nous arrivons sains et saufs, très fatigués du reste par un voyage aussi long et aussi rapide.
Arrivant à Paris, avec les cadres de la Garde, on nous donne aussitôt une destination.
Je suis nommé au régiment de fusiliers-grenadiers, bien que j'eusse dû l'être au 1er de grenadiers à pied, comme le plus ancien du grade de chirurgien-major dans la Garde (Dudangeonqui en était titulaire étant mort en Russie. Mais je fus privé de cet avancement, assez médiocre d'ailleurs, puisque mon grade et mes prérogatives étaient absolument les mêmes, et cela par le général Friand, qui mit au 1er régiment un
Dudangeon (Cyr-Joseph). né à Paris en 1769, mort à Wilna en 1813. Avait été fait chevalier de l'Empire en 1808. Membre de la Légion d'honneur.
chirurgien-major de la ligne nommé Colasse 4, qui l'avait soigné de la blessure qu'il avait reçue à Witepsk. Je dus donc me conformer à cet ordre).
Les hommes destinés à remplir notre cadre sont déjà en partie réunis à la caserne de Courbevoie.
L'organisation de mon régiment est assez longue ; car on nous envoie beaucoup de conscrits des levées non appelées des années antérieures, mais il y a encore un choix à faire.
16 mars 1813. Je pars pour Chalon-sur-Saône, voulant voir mes parents, après une aussi grande campagne que celle de Russie et avant celle que nous allons entreprendre en Allemagne.
Mon régiment va partir et pendant qu'il fera la route de Mayence par étapes, je peux être absent du corps, ayant mon aide-major qui le suit (le jeune Patuel).
Je pars en diligence et arrive en trois jours dans ma famille, je trouve heureusement mon père, ma mère et tous mes autres parents dans un état parfait de santé.
Je suis touché jusqu'aux larmes de l'accueil que je reçois.
Ils sont tous émerveillés de ma bonne mine après la terrible campagne d'hiver à laquelle j'ai pris part2.
Le 15 avril, après être resté vingt-sept à vingt-huit
1 Ordre du 11 mars 1813. Le corps de grenadiers à pied est prévenu que l'Empereur, par décret du 28 février dernier, a fait les nominations suivantes dans les régiments qui y sont attachés, savoir : M. Colasse, chirurgien-major au 48e de ligne, à l'emploi de chirurgien-major au 1er régiment de grenadiers, etc., etc.
Pendant son séjour dans sa famille, Lagneau avait été ntJmmé aux fusiliers grenadiers.
ORDRE DU 21 MARS 1813.
Supplément à l'ordre.
M. Lagneau, chirurgien-major au 4" tirailleurs, se trouvant le plus
jours au milieu des miens, je pars pour rejoindre mon régiment, qui avait quitté Paris depuis assez longtemps déjà. Montant en diligence à midi, j'arrive à Dijon à 11 heures du soir, après avoir passé par Beaune, que je ne connaissais pas. Il y a des prisonniers espa- gnols, à une lieue et demie.
Langres. 16 avril 1813. Nous couchons à Langres.,. '17 avril. Neuf château > 18 avril. Nancy.
19 avril. Metz 20 avril 1813. Je pars en berline, de Metz, à 4 heuresdu matin, pour Mayence, où je dois arriver en trois -
jours (pour 45 francs).
Mayence, 22 avril. Arrivée à Mayence (Mainz) à 4 heu- :.- 'res de l'après-midi.
L'Empereur, qui est parti de Paris le 15, à une heure -: - du matin, y est arrivé depuis plusieurs jours. ?
Mon général colonel est M. L'Eglise1. -
ancien à l'arme, remplacera aux fusiliers grenadiers M. Charles, resté prisonnier.
M. Belloc, chirurgien-major du bataillon Bis de fusiliers, remplacera ;
au 1er tirailleurs M. Chappe admis à la retraite.
Le général de brigade.
Baron MICHEL.
1 L'Eglise (Pierre) naquit le 4 octobre 1772 à Miélan (Gers) où- il mourut en 1838.
Volontaire au 20 bataillon du Gers en 1792, il était capitaine de canonniers l'année suivante. Il passa avec son grade de capitaine aux grenadiers à pied de la Garde impériale en 1X09. Colonel major desfusiliers grenadiers en 1813. Maréchal de camp le 31 décembre 1814, il prit sa retraite en 1833. Blessé à Austerlitz, chevalier de l'Empire en 1811, avec 1.000 francs de rente sur le Mont de Milan. Baron de l'Empire en 1813.
Commandeur de la Légion d'honneur et chevalier de Saint-Louis.
24 avril. Le bataillon du régiment commandé par M. Vionet1 arrive aujourd'hui à Mayence. 1" 25 avril 1813, nous passons le Rhin.
Hier 24, j'ai dîné chez M. Tolasson, directeur des douanes. Il m'a comblé de politesses. A mon retour, il veut que je prenne mon logement chez lui, Il est frère de Mme Daillant, de Chalon.
Nous arrivons le 25 à Francfort, nous y séjournons le 26 avril. C'est l'époque de la foire, mais elle n'est pas brillante en raison des circonstances.
M. Goussin2, officier-payeur, me donne le montant de mon mois d'avril, 282 fr. 50, déduction faite de 10 fiancs de musique, de 6 francs pour les invalides et 1 fr. 50 pour le tambour-major.
27 avril. Hanau 3.
I Vionnet (Louis-Joseph), chevalier de l'Empire sous la dénomination de Maringone en 1810, baron en janvier 1814, vicomte en 1822. —
Il reçut en 1808 une dotation de 1.000 francs de rente sur le Mont de Milan. Instituteur communal à dix-sept ans, il était aspirant d'artillerie en 1789, lieutenant en 1792 et capitaine en 1794. Il devint capitaine de grenadiers à pied de la Garde en 1806, chef de bataillon de Vieille
Garde aux fusiliers grenadiers en 1809, et major du 2° tirailleurs. Maréchal de camp en 1814, il resta longtemps à Lyon, où il présida à l'exécution de Mouton-Duvernet. Général de division en 1823, il mourut en 1844. Il était commandeur de la Légion d'honneur et chevalier de la Couronne de fer depuis 1813.
Il a laissé des Souvenirs publiés par M. André Levi, 1913.
2 Goussin (Pierre-René) né a Cossé-le-Vivien (Mayenne) le 28 mars 1777.
Il entra en 1792 au 380 de ligne, devint fourrier deux ans après, rendit ses galons le 2 brumaire an VIII (24 octobre 1799) pour entrer aux grenadiers à pied de la Garde, y devint sous-lieutenant au 2° fusiliers grenadiers en mars 1807, capitaine en 1811 et officier-payeur le 1er mars 1813. Il fut retraité en 1815 au moment du licenciement. Il était membre de la Légion d'honneur depuis le 25 prairial an XII (14 juin 1804).
3 Hanau, ville de la province de Hesse-Nassau, au S,-0. de la Prusse, à 140 kilomètres S.-S.-O. de Cassel, sur la rive droite du Mein.
Assez jolie ville, belles routes bordées d'arbres fruitiers, ce qui vaut bien nos ormes et nos peupliers ; les Allemands savent mieux que personne joindre l'utile à l'agréable : c'est un vrai jardin que ce pays, aussi Hanau est-il habité par beaucoup de Français.
Mon hôte se nomme Peters Wonderts. Il est garçon, mais il couche avec sa servante ; au demeurant c'est un excellent homme.
29 avril. Gelnhausen1 30 avril. Salmunster2 (4 lieues). Petit trou où l'on nous arrête, Schuchtern3 (l'étape) n'étant pas assez grand pour nous contenir.
1er mai. Fulda4 (8 lieues). Logé chez le herr director Kochlwer, n° 333, qui a une jolie demoiselle.
2 mai. Vach3
3 mai. Eisenach6 (6 lieues).
Je vois cette ville pour la troisième fois.
4 mai. Séjour.
5 mai. Gotha 7 (6 lieues), pays charmant.
1 Gelnhausen, ville de la province de Hesse-Nassau, à 140 kilomètres S.-S.-O. de Cassel, sur un affluent droit du Mein.
1 Salmiinster, ville de la province de Hesse-Nassau en Prusse occidentale, présidence de Cassel, à 14 kilomètres O.-S.-O. de Schlüchtern, sur un affluent droit du Main.
3 Schlüchtern, ville de la province de Hesse-Nassau, en Prusse occidentale, à 105 kilomètres S. de Gassel, sur l'Elm, affluent droit du Main. -
1 Fulda, ville de Hesse-Nasau, à 87 kilomètres S. de Cassel, sur la Fulda, l'une des deux branches supérieures du Weser. Elle fut longtemps célèbre par son abbaye.
h Vacha, ville du grand-duché de Saxe-Weimar-Eisenach, à 15 kilomètres N.-N.-O. de Dermbach, dans le bassin du Weser.
6 Eisenach, ville du grand-duché de Saxe-Weimar, à 72 kilomètres 0. de Weimar.
7 Gotha, chef-lieu du duché de Saxe-Cobourg-Gotha, à 72 kilomètres N.-N.-O. de Cobourg.
6 mai. Erfurtk1 (6 lieues).
7 mai. Weimar2 (5 lieues) J'ai acheté ce matin, au moment de partir, une jument de selle de six ans, à un paysan qui l'avait à sa charrue, moyennant vingt-deux napoléons, plus un cheval plus commun pour l'ambulance du régiment (14 napoléons).
Iéna (5 lieues) 8 mai. Siège d'une des plus renommées universités. Nous faisons la route de Dresde, ce qui me contrarie, parce que nous ne verrons pas le champ de bataille de Lutzen, où les alliés viennent d'être battus et qui est déjà célèbre par la bataille où Gustave-Adolphe fut tué.
Altemburg3 (10 mai) (7 lieues), jolie petite ville.
Je loge chez le conseiller Lorentz, qui m'accompagne dans mes explorations et chez qui je reviendrai à mon retour.
Geithain4 (12 mai) (5 lieues).
Nossen 5 (13 mai).
Dresden (15 mai).
Je suis logé chez un pauvre musicien de la chapelle royale.
1 Erfurt, ville de Saxe, à 133 kilomètres S.-S.-O. de Magdebourg, sur un sous-affluent gauche de la Saale.
! Weimar, capitale du grand-duché de Saxe-Weimar, à 210 kilomètres S.-O. de Berlin, sur la rive gauche de l'Ilm, affluent gauche de la Saale.
3 Altenbourg, dans la Saxe thuringienne, à 40 kilomètres S. de Leipzig.
4 Geithain, ville de Saxe, du cercle de Leipzig, à 7 kilomètres 0. de Rochlitz.
5 Nossen, ville de Saxe, à 17 kilomètres S.-O. de Meissen, sur la Mulde, affluent gauche de l'Elbe.
16 mai 1813. Départ de Dresden, de très bonne heure, avec la Jeune Garde. Nous couchons à Grossenhain 1, l'ennemi y est depuis quelque temps.
17 mai. Départ à midi, revenant sur Dresde, à Radeberg 2 : c'était une simple reconnaissance. Nous prenons la route de Bautzen 3, laissant Kœnigsbruck 4 à gauche.
18 mai. Bivouac sur la grande route, à une demi-lieue de Bischoffeswerder 5, jolie petite ville qui vient d'être entièrement brûlée par les Russes.
18 mai. Départ de l'Empereur de Dresde pour Bautzen avec la Garde. Il se décide à livrer bataille.
19 mai. Bautzen (à une demi-lieue). L'ennemi occupe la ville et de fortes positions sur la Sprée et sur les montagnes qui séparent ces provinces de la Bohême.
20 mai. Passage de la Sprée, qui est peu large, mais difficile à franchir parce qu'elle est encaissée. Les Russes seuls se montrent.
Première bataille de Bautzen le 20. L'ennemi perd la ville et repasse la Sprée, puis se retire vers la rive droite.
21 mai. Deuxième bataille de Bautzen.
22 mai. Poursuite de l'ennemi pendant sept lieues.
Il défend toutes les positions qu'il trouve sur son chemin.
Grossenhain, ville de Saxe, à 32 kilomètres N.-N.-O. de Dresde.
* Radeberg, ville de Saxe, à 12 kilomètres E.-N.-E. de Dresde-Neustadt, sur un sous-affluent droit de l'Elbe.
3 Bautzen. en Saxe, sur la droite de la Sprée, à 55 kilomètres E.
de Dresde.
4 KÕnigsbrück, ville du cercle de Bautzen, en Saxe, dans le bassin de l'Elbe.
5 Bischofswerda, en Saxe, à 19 kilomètres O.-S.-O. de Bautzen.
Bivouac à trois quarts de lieue de Gorlitz l. Un boulet est venu, dans le village même, à la fin de cette journée, frapper dans un groupe où se trouvait Son Excellence lemaréchal Duroc2 et le général de division du génie, Kirschner 3 ; chez l'un et chez l'autre, le coup a porté sur l'hypocondre droit. C'est une très grande perte.
23 mai. On poursuit l'ennemi. Nous traversons Gorlitz. Nous bivouaquons à une demi-lieue plus loin.
24 mai. Départ du camp, pour deux lieues plus loin, à Thomasswald 4.
25 mai. Camp près de Bunzlau 5, petite ville, la première de Silésie; la rivière de Gucis sépare les États saxons des prussiens.
26 mai. Campement près d'Haynau 6, petite ville à six lieues.
4 Nieder-Gôrlitz, village de Saxe, à 5 kilomètres 0. de Dresde.
Duroc (Géraud-Christophe de Michel du Roc dit), duc de Frioul, né en 1772 à Pont-à-Mousson, tué à Reichembach (Saxe) en 1813. Elève sous-lieutenant d'artillerie. Il eut un cheval tué sous lui à Marengo, puis fut aide de camp de Bonaparte en Egypte, Syrie et Italie.
Blessé à Saint-Jean-d'Acre. Monta à la brèche à Jaffa en tête des troupes.
Général de division en l'an X, grand maréchal du Palais.
3 Kirgener (François-Joseph), né à Paris en 1766.
Lieutenant du génie en 1792, colonel en 1800. Général de brigade en 1805 et de division en 1813. Baron de l'Empire sous le nom de Planta, avec dotation de 12.000 francs de rente sur la Weslphalie et sur Erfurt. Mari de Louise-Henriette Guéheneuc, sœur de la maréchale Lannes.
4 Thomaswaldau, commune de Silésie, présidence de Liegnitz, à 8 kilomètres E. de Bunzlau, sur un affluent de la Bober.
s Bunzlau, dans la Prusse orientale, province de Silésie, à 48 kilomètres O. de Liegnitz, sur la rive droite de la Bober, affluent gauche de l'Oder.
6 Hainau, ville de Silésie, présidence de Liegnitz, à 20 kilomètres N.
de Goldberg.
27 mai. Liegnitzà 12 lieues de Breslau et à 14 de Gloglau 2.
28 mai. Repos.
29 mai. Bivouac, en avant de Liegnitz, route de Breslau.
30 mai. Bivouac auprès de Neumarckt3, petite ville à sept lieues de Breslau, et à 2 seulement du bivouac d'hiver.
31 mai, 1er, 2, 3 et 4 juin. Repos. J'écris à mon ami Mouton.
5 juin 1813. Départ de Neumarckt. Nous couchons à Marwitz 4 6 juin. Arrivée à Brodlavitz, village à un quart de lieue de Raudden 5, petite ville où se trouve le quartier général (8 lieues).
7 juin. Départ le soir pour Kanowitz, avec le premier bataillon. L'état-major est à Weissig 6, à une demi-lieue de nous, qui sommes à trois petites lieues de Glogau et à deux de Raudden.
10 juin. Départ de Kanowitz, où nous avons commencé de traiter nos galeux (69), nous arrivons à Guaritz.
1 Liegnitz, en Silésie, à 62 kilomètres O.-N.-O. de Breslau, au confluent de la Schnelle Drichsel et du Katzbach, affluent gauche de l'Oder.
* Gross-Glogau, place forte de Silésie, à 50 kilomètres N. de Liegnitz, sur l'Oder.
3 Neumarkt, ville de Silésie, à 30 kilomètres O.-N.-O. de Breslau, sur un petit affluent gauche de l'Oder.
4 Marwitz, village de la province de Brandebourg, en Prusse centrale, à 16 kilomètres N.-N.-O. de Spandau.
5 Rauden, village de Silésie, présidence d'Oppeln, à 12 kilomètres N.-O. de Rybnik, sur un affluent droit de l'Oder.
6 Weissig, village de Saxe, à 10 kilomètres E. de Dresden-Neustadt.
11 juin. Arrivée à Beuthen'
Les Cosaques qui y étaient hier au soir se sont retirés sur la rive droite. A Beuthen, nous établissons nos cantonnements pour quelques jours.
Ce 11 juin, j'engage comme domestique le nommé Antoine Maréchal, de Barisen-la-Côte, Meurthe, pour 20 francs par mois. Il en aura 40 quand nous serons en France ; car alors il se nourrira lui-même, puisqu'il n'aura plus mes rations de campagne.
17 juin. Reçu de l'officier-payeur 222 fr. 55, pour le traitement des galeux, plus 200 francs pour première mise de médicaments, linge, etc., pour les cantines d'ambulance. Je retire mes reçus en donnant ceux de l'apothicaire.
Le 13 juin. Reçu le mois de mai et les indemnités, 403 fr. 37. Etant à Beuthen, l'apothicaire du lieu m'annonça le premier, ce que j'hésitais à croire, que Bernadotte 2, le Prince royal de Suède, était allé en Bohême, en passant non loin de nous, pour une entrevue avec les empereurs de Russie et d'Autriche et le roi de Prusse.
Plus tard, cette démarche d'un ancien général de la République française ne nous a été que trop confirmée.
C'était le général hollandais Tendal3 qui commandait notre brigade de la Garde à Beuthen.
1 Beuthen, en Silésie, à 82 kilomètres S.-E. d'Oppeln, sur un sousaffluent de l'Oder, près de la frontière de Pologne.
1 Bernadotte se joignit aux alliés sous Berlin. Il repoussa le corps d'armée de Ney. Aussi, après Leipzig, le roi de Prusse l'embrassa en l'appelant son libérateur.
3 Tindal (Ralph-Dundas), né à Dewenter en 1773, mort à Zeïst en 1834.
Il était colonel en Hollande, lorsqu'il passa au service de la France comme adjudant général de la Garde. Général de brigade en 1812,
Il était colonel général de la garde hollandaise du roi Louis, qu'on avait réunie à notre Garde française.
Ces soldats, des hommes vraiment, étaient encore en uniforme rouge cramoisi.
Le 14 juillet 1813. Départ de Beuthen pour aller cantonner à Banau, à une lieue.
15 août. Après être restés cantonnés pendant plus d'un mois, au repos le plus complet, en vertu d'un armistice, nous quittons Banau, le jour de la fête de l'Empereur (que nous avions célébrée le 10) et prenons la direction de Dresden.
A 4 heures, nous sommes à Ncustadell, petite ville à deux lieues de Banau et couchons trois lieues plus loin que Sprottau 2, autre petite ville plus grande que Neustadel.
16 août. Aux environs de Bunzlau.
17 août. Lauban3, première ville de Saxe. Ayant traversé la route de Breslau à Dresde, nous paraissons prendre la direction de la Bohême, où les Autrichiens nous menacent par nos derrières. Lauban est une ville assez gentille, dans le genre de Gorlitz. Nous logeons au village de Lichtenau, à une demi-lieue.
18 août. Repos.
l'année suivante, général de division et baron de l'Empire avec une dotation de 6.000 francs de rente sur l'Arno et le Taro. Démissionnaire en France le 28 juin 1814, il devint général en Hollande.
1 Neustadt, ville de Silésie, à 45 kilomètres S.-O. d'Oppeln, sur un sous-affluent gauche de l'Oder
* Sprottau, ville de Silésie, à 58 kilomètres N.-O. de Liegnitz, au confluent de la Sprotte dans la rive droite de la Bober.
3 Lauban, ville de Silésie, à 60 kilomètres O.-S.-O. de Liegnitz, sur un affluent gauche de la Bober.
19 août. Bivouac à une lieue de Liohtenau t, dans un bois.- Là je reçois un mot de mon père qui me dit de remettre 30 francs à François-Pierre Bourgeois, de mon régiment, dont le père lui avait remis pareille somme.
Le 20 août. Bivouac sur la hauteur occidentale près de Lauban où nous passons pour retourner aux Russes.
21 août 1813. Nous continuons sur Lœwenberg2, et couchons un quart de lieue plus loin.
22 août. Séjour.
23 août. Nous revenons sur Lauban, qu'on traverse pour venir coucher à une lieue de Gorlitz.
24 août. On passe cette ville et l'on couche à 4 lieues de Bautzen.
Le 25 août. Venons coucher à une lieue au delà, c'est-àdire à 7 lieues de Dresde.
Le 26 août 1813. Arrivée à Dresde, vers les deux heures de l'après-midi.
Les Autrichiens, Russes et Prussiens, qui sont aux environs depuis quelques jours, sont déjà dans les faubourgs.
Nous trouvons l'Empereur au bas du pont, du côté de la ville et chaque division reçoit de lui la direction qu'elle doit suivre : nous allons en hâte à la porte de Plauen. L'ennemi est embusqué dans les dernières maisons du faubourg où il tue et blesse beaucoup de monde aux deux régiments de fusiliers (grenadiers et chasseurs) ; on se bat avant la nuit.
Lichtenau, village de la province de Silésie, à 6 kilomètres S.-O. de Lauban.
* Lôwenberg, ville de Silésie, à 40 kilomètres O.-S.-O. de Liegnitz, sur la Bober, affluent gauche de l'Oder.
27 août. Bataille. Elle a lieu dans le demi-cercle occidental des environs de la ville. Les terres sont très mouil- lées et les manœuvres des troupes fort difficiles. Lorsqu'après une longue et forte canonnade, l'infanterie ennemie est mise en déroute, nos cuirassiers qui la tournaient par notre droite, la poursuivent et en prennent un nombre qu'on porte à 25.000. ,'.
Il est certain que les églises en sont pleines 1.
Pour le coup, les Autrichiens ont levé le masque.
Ce sont nos batteries de la Garde qui, bien que dans la plaine fangeuse, ayant à lutter contre une artillerie
bien postée sur les hauteurs formant un hémicycle à une demi-lieue autour de la ville, du côté du couchant, ont
1 Citons ici une lettre de Lagneau à son beau-frère, écrite de Dresde quelques jours après la bataille :
A Monsieur Simon, employé à l'Administration des droits réunis.
Rue Mêlée n° 26 (nO 21 par le boulevard), à Paris.
Dresde, le 13 septembre 1813.
Mon cher Simon, Je n'ai pas reçu de tes nouvelles, il y a déjà longtemps ; n'en sois pas aussi économe, je t'en prie, je te promets d'être exact à te répondre.
Nous avons fait beaucoup de courses depuis ma dernière, et le 26 du mois dernier nous sommes revenus tout juste ici pour y recevoir messieurs les Autrichiens, Russes et Prussiens réunis, qui venaient faire une visite aux belles Dresdoises. L'accueil a été un peu brusque, car après quelques cérémonies accompagnées d'une musique très bruyante de mousqueterie et de canon, les nouveaux hôtes ont été obligés de prendre congé de nous. Mais comme les choses devaient se passer dans toutes les formes, on leur a envoyé pour les reconduire avec plus de distinction douze ou quinze mille cavaliers qui en ont ramené coucher en ville au moins vingt mille des leurs. On ne peut pas pousser la politesse plus loin, puisque, tout bien considéré, ces braves gens en avaient grand besoin. Ils étaient mouillés jusqu'aux os et se seraient fort mal trouvés de coucher au bivouac. Cette nuit-là, nous autres fantassins en avions déjà pris un grand nombre, de sorte que la société a été très complète les 27, 28, 29 et 30. (Suit une série de compliments à l'adresse de la famille. Il demande à son beau-frère de lui envoyer un relevé de ses états de service qu'il a laissé chez lui dans un portefeuille.)
fait taire les Autrichiens, et ont tué le général Moreau4, qui était sur cette hauteur, près de l'empereur Alexandre, à l'angle d'un clos du village, la dernière maison du côté oriental, ou de la Bohême.
Ce fut un prisonnier autrichien que j'interrogeais sur ce qui se passait du côté de l'ennemi, qui me donna cette nouvelle, que j'annonçai de suite au général Demoutiers 2. Je venais de le panser d'une légère blessure, qu'il avait reçue dans cette grande affaire. Nous ne voulions pas y croire.
L'empereur Napoléon l'apprit peu après, car on lui
1 Moreau (Jean-Victor), né à Morlaix (Finistère) en 1763.
Sa veuve reçut une dotation de l'empereur de Russie et Louis XVIII lui donna le titre de maréchale.
! Dumoustier (Pierre), né à Saint-Quentin (Aisne), le 17 mars 1771.
Réquisitionnaire au 1er bataillon de Saint-Quentin en 1793, il devint deux mois après, le 27 pluviôse an II (15 février 1794), cavalier au 68 hussards, puis brigadier fourrier le 14 prairial (2 juin 1794). Il avait encore ce grade le 26 juin 1795, quand il fut pris comme aide de camp provisoire par le général Krieg, qui reçut une lettre de rappel, les généraux ne pouvant prendre que des officiers comme aides de camp.
Il riposta en demandant le grade de sous-lieutenant pour DumousLier qui, le 28 novembre 1796, fut nommé sous-lieutenant de hussards, aide de camp du général commandant en chef des grenadiers de la Garde du Directoire exécutif.
Adjoint aux adjudants généraux de la garde des consuls en 1800, il alla en Egypte.
En 1802, il fut nommé adjoint à l'Etat-major du Palais du Gouvernement; en 1804, colonel du 34° de ligne et adjudant supérieur des palais impériaux. Général de brigade à la Grande Armée, il va en Espagne comme colonel en second des chasseurs à pied de la Garde, puis commande la division de la Garde à l'armée du nord de l'Espagne et ensuite la 2° division de la Jeune Garde à la Grande Armée. Blessé à la jambe droite d'un coup de biscaïen à la bataille de Dresde, il prit sa retraite, fut élu député le 24 décembre 1815, mais dut quitter Nantes.
ainsi que le général Travot, à la suite d'une dénonciation du commissaire général de police et du préfet. Il fut créé membre de la Légion d'honneur en 1804, baron de l'Empire en 1808, comte en 1814, chevalier de la Couronne de fer en 1813, grand-croix de la Légion d'honneur aux Cent-Jours. En 1831, il fut chargé d'une inspection d'infanterie ; son cheval s'abattit sur sa jambe blessée. On dut l'amputer le 28 mai, et il mourut le 15 juin.
amena presqu'aussitôt le chien du général, qui portait un collier sur lequel était gravé le nom de son propriétaire.
Après les batailles des 26 et 27 août, l'ennemi, en retraite précipitée sur la Bohême, est poursuivi de près par nos corps d'armée, pendant que Vandame 1 a pour mission de leur couper la retraite en se portant avec 40.000 hommes sur Kulm 2 et Teplitz 3.
Malheureusement, forcé de s'arrêter à Kulm par les alliés réunis en très grand nombre, il attend des secours qui ne lui arrivent pas, du général Saint-Cyr surtout, qui en avait reçu l'ordre et était à portée de le faire.
Au moment où Vandame croyait le voir arriver, il était attaqué sur ses derrières par le général prussien Kleist", qui venait de s'échapper, comme par miracle, d'une position fort dangereuse, et qui, au risque de ren-
1 Vandamme (Dominique-Joseph-René), né à Cassel en 1770, mort dans la même ville en 1830.
Fils d'un chirurgien, il débuta au régiment colonial de la Martinique en 1788, il était sergent en 1790 et général de brigade trois ans après, puis général de division en 1799.
Fait prisonnier avec Haxo, il ne rentra en France qu'à la première Restauration. Pair de France des Cent-Jours, il fut compris dans l'ordonnance du 24 juillet et se retira aux Etats-Unis.
Kulm, village de Bohême, à 18 kilomètres N.-E. de Teplitz.
3 Teplitz, en Bohême, à 25 kilomètres O.-N.-O. de Leitmeritz, sur un sous-affluent gauche de l'Elbe.
1 Friedrich-Heinrich-Ferdinand-Emil Kleist, comte de Nollendorf, né à Berlin le 9 avril 1762, mort à Berlin le 17 février 1823. Officier en 1778, il devint aide de camp du roi en 1803 ; c'est lui qui porta à Napoléon la réponse aux propositions de paix faites par le général Bertrand.
Commandant de Berlin en 1809, il reçut en 1813 le commandement du 28 corps qui opéra en Bohême, et par un coup d'audace, défit le corps de Vandamme à Kulm, le 30 août 1813, après l'avoir tourné par Nollendorf. Il commandait l'aile gauche de l'armée de Bohême à Leipzig et suivit l'armée de Silésie dans la campagne de 1814, où il se signala à Laon.
contrer Van dame sur sa route, aimait mieux tenter de faire une trouée à travers le corps français, que de se laisser prendre dans les plaines de la Saxe. Par bonheur pour lui, Vandame ne pouvait plus avancer sur Teplitz, la grande armée de Bohême s'y opposant, et lui, Kleist, le prit en queue pendant que les alliés l'attaquaient de front. Il fallut que Vandame se retirât, mais il perdit de 6 à 7.000 prisonniers et son artillerie.
Lui-même, avec le général Haxo ', resta entre les mains des alliés. Grand désastre, qui fut suivi d'autres batailles que nous perdîmes : 1° à Katzbach 2, entre Dresde et l'Oder, 2° Dennewitz 3, 3° Grossberm du côté de Berlin, tous endroits où Napoléon n'était pas en personne.
Ces insuccès avaient rassuré les coalisés. Ils songèrent à reprendre l'offensive, avec plus de vigueur que jamais et, s'il se pouvait, avec plus d'ensemble.
Pendant qu'ils faisaient de vaines démonstrations d'attaques sur Dresde, ils descendirent 250.000 hommes
I Haxo (François-Nicolas-Benott), né à Lunéville en 1774, mort à Paris en 1838.
Neveu du général Haxo, mort en Vendée en 1794. Il mérita le surnom de Vauban du xix° siècle.
Entré à l'école de Chàlons en 1793, le siège de Saragosse le mit en lumière. Général de brigade en 1810. Général de division en 1813, il improvisa en quelques semaines de formidables retranchements à Hambourg.
Commandant du génie de la Garde, il fut fait prisonnier à Kulm et ne revint en France qu'en 1814. Aux Cent-Jours, il décida l'Empereur à transformer Paris en camp retranché. Il commandait le génie de la Garde à Waterloo.
Il transforma les fortifications de la plupart des places fortes; mais ses idées ne triomphèrent qu'en 1830.
Pair de France en 1832. Chargé de diriger les attaques sur Anvers réputée imprenable, il réduisit cette ville en vingt-quatre jours.
! Katzbach, rivière de Silésie, affluent gauche de l'Oder.
3 Dennewitz, village de la province de Brandebourg, présidence de Postdam, à 4 kilomètres S.-O. de Jüterbogk.
de Bohême, tandis que Blücher passait le bas Elbe avec 100.000 hommes, se dirigeant tous sur Leipzig, sur nos derrières. Ce plan était exécuté sur la proposition de Blûcher lui-même.
Nous allions donc être obligés de nous retirer pour les combattre. Notre effectif s'était beaucoup réduit, nos hommes, généraux et soldats, étaient harassés. Nous avions des déserteurs, surtout parmi nos alliés de la Confédération du Rhin, Bavarois, Wurtemburgeois, Saxons, etc. La position devenait grave.
6 octobre. L'Empereur, certain du plan adopté par l'ennemi de se réunir sur Leipzig, rétrograde sur Meyssen l, se proposant d'attaquer d'abord sur notre droite Blücher et Bernadotte, avant l'arrivée de l'armée de Bohême, qui arrivait sur notre gauche (nous faisions alors face à Leipzig et par conséquent au Rhin).
S'il battait ces deux généraux, qui commandaient l'armée du nord, il pouvait espérer ensuite se jeter, avec chance de succès, sur l'armée de Bohême, qui débouchait de l'Erz-Gebirge sous le commandement de Swarzenberg.
En effet, nous allions être resserrés entre ces deux armées d'un effectif de 300.000 au moins, ne pouvant que lui opposer 200.000 au plus, braves, mais bien jeunes et très fatigués.
Reynier, Dombrowsky et Marmont font éprouver des pertes aux Prussiens du côté du nord (bas Elbe).
Augereau ne traite pas mieux les Autrichiens dans plusieurs combats, lorsqu'il les voit approcher de
1 Meissen, ville de Saxe à 23 kilomètres N. -O. de Dresde, au confluent de la Triebsche, affluent gauche de l'Elbe.
Leipzig, en descendant de Bohême par Chemnitz 1.
Murat lui-même se conduit admirablement dans plusieurs rencontres.
Cependant de tristes nouvelles nous arrivent. Le royaume de Westphalie s'écroule par l'arrivée, près de Cassel, d'une masse de Cosaques et quelque peu d'infanterie lancés par Bernadotte, qui faisait partie de l'armée alliée du nord, avec les Prussiens commandés par Blücher.
Au même temps arrive la nouvelle de la défection de la Bavière, qui a signé un traité d'alliance avec les coalisés.
Nous sommes donc réduits à nos seules et propres forces, et il s'agit de savoir comment le grand conflit qui se prépare se terminera.
Bataille de Leipzig, 16 octobre, ou plutôt de Wachau.
Nous perdons 20.000 hommes et les alliés 30.000 ! ! !
Pendant cette bataille, deux autres moins importantes, mais aussi honorables et aussi meurtrières à proportion, se livraient sur notre droite, chemin de Halle, par le général Margeron 2, et par les derrières de Leipzig, par Marmont avec Compan 3, la première à Lindenau, qui voulait se réunir aux Autrichiens de Schwarzenberg
1 Chemnitz. en Saxe, à 46 kilomètres E.-N.-E de Zwickau, sur un affluent de la Mulde, dans le bassin de l'Elbe.
1 Margeron (Pierre), né à Lyon en 1765, décédé à Paris en 1824. Capitaine de la garde nationale en 1792, adjudant général de cavalerie, chef de brigade en 1795. Général de brigade en 1803. Général de division en 1813. Inspecteur général de la gendarmerie pendant les CentJours.
Auteur d'un ouvrage surla cavalerie (1824). Baron del'Empire en 1809.
Donataire de 10.000 francs de rente en Westphalie en 1808.
3 Compans (Jean-Dominique), né à Salies-du-Salat (Haute-Garonne), en 1769, mort à Blagnac près Toulouse en 1845. Napoléon l'avait qualifié de « général de bataille de premier ordre)J. Voir l'intéressant ouvrage « Le général Compans », par M. Ternaux-Compans (Pion, 1912).
auxquels nous venions de gagner le champ de bataille de Wachau.
[Dans la principale bataille, le général Drouot ', qui commandait l'artillerie de la Garde, était chargé de foudroyer le centre des Autrichiens, avec 32 pièces de douze, qu'il commandait en personne, ayant le colonel Griois 2 sous ses ordres. Chargé par toute la cavalerie de réserve des Autrichiens, il forma son artillerie en carré et fit subir aux assaillants des pertes énormes par la mitraille.
Nous avions conservé le champ de bataille et même repoussé l'ennemi ; mais pendant ce temps, ce dernier devenait plus fort, particulièrement par l'arrivée sur le terrain de Bernadotte avec 60.000 hommes et Benigsen avec 45.000 ; nous, nous n'attendions que 15.000 hommes de Reynier et encore sur ce nombre 10.000 étaient des Saxons, c'est-à-dire peu dévoués pour notre cause.
Nous nous trouvions d'ailleurs réduits à un effectif de 150.000 hommes, contre 300.000 ennemis.] 18 octobre. Retraite après la bataille de Leipzig.
Cette retraite, qui aurait pu se faire, d'après les usages reçus, la nuit du 17 au 18, ne s'opère que dans la journée du 18, en plein jour, pour ne pas avoir l'air d'y être forcés, mais comme pour aller prendre une meilleure position.
1 Drouot (Antoine), né à Nancy en 1774, mort en 1847.
Surnommé le « sage de la Grande Armée ». Gouverneur de l'Ile d'Elbe pendant le séjour de l'Empereur. Pair de France des Cent-Jours et de Louis-Philippe. A la deuxième Restauration, il passa devant un conseil de guerre et, après une détention préventive de huit mois, il fut absous, avec trois voix contre lui et quatre en sa faveur.
s Griois. né à Besançon en 1772, décédé en 1832. Voir les curieux Mémoires du général Griois, publiés par Arthur Chuquet, déjà cités.
On nous avait envoyé les deux divisions de Jeune Garde, pour assurer la liberté de la route de Mayence, sous les ordres du maréchal Mortier et du général Bertrand, dans la direction de Weissenfels l. Nous étions 18.000 hommes, ce qui réduisait la force de notre armée principale à 130.000, contre 300.000 ennemis.
18 octobre. Deuxième bataille de Leipzig, plus meurtrière encore. Les corps d'armée divers se rapprochent de Napoléon et, suivis de fortes arrière-gardes, ne cèdent le terrain que pied à pied et après avoir fait subir aux alliés des pertes très sensibles. C'est dans une de ces affaires très chaudes que le Prince de Hcsse-Hombourg est blessé à Dcilzig 2.
A Probstheide 3, l'ennemi perd dans de furieuses et nombreuses attaques 12.000 hommes, foudroyés presque tous par l'artillerie de la Garde (Drouot) qui les repousse trois fois de suite, aidée pourtant par l'infanterie, trop réduite, hélas ! ! !
A droite Blûchor et Bernadotte, à gauche Schwartzenberg avec les Autrichiens et les Russes. L'ennemi nous attaque de tous côtés, nous resserrant progressivement et cette deuxième journée de bataille de Leipzig, nommée la bataille des géants, se termine le soir un peu tard encore, par une effroyable canonnade de 2.000 pièces d'artillerie, tant françaises qu'étrangères.
On n'y voyait plus clair qu'on tirait encore sans faire perdre un pouce de terrain à nos braves soldats.
Weissenfels, ville de Saxe, à 18 kilomètres S. de Merseburg, sur la rive droite de la Saale.
* Dülzig, village de la province de Brandebourg, présidence de Francfort-sur-Oder à 17 kilomètres S. de Soldin.
Probstheida, village de Saxe, à ii kilomètres S.-E. de Leipzig.
Les deux armées étaient harassées et dans un état d'épuisement prodigieux, bien facile à comprendre.
Retraite à travers Leipzig, du 18 au 19 octobre. Ma brigade, qui était restée avec le quartier général, eut beaucoup de peine à franchir la ville. D'abord suivant la promenade qui la borde au dehors, j'eus l'imprudence d'entrer pour essayer de traverser la cité, mais l'encombrement était le même qu'hors les remparts.
Nous vîmes là, sur la place, Napoléon dire adieu au bon et vénérable roi de Saxe, qui resta là avec sa garde (elle avait des uniformes rouges) qui lui était restée fidèle, ce que n'avait pas fait sa division attachée au corps de Reynier, car elle avait déserté pendant cette dernière bataille et avait immédiatement retourné ses canons contre nous. C'était le général Tilman qui la commandait.
Je ressortis de la ville par où j'étais entré, avec mon collègue Mondon, chirurgien de la Garde.
Dieu sait comment j'ai pu m'en tirer, à travers des troupes de différentes nations, de différentes armes, de nombreux bagages, cantinières, etc.
Enfin j'arrive, non sans grande. peine, au pont de pierre, situé un peu au bas de la ville et le passe heureusement, pendant que les Russes, qui sont en amont, tirent sur le pont et sur ceux qui passent l'Elster, très encaissée sur ce point, à bords taillés à pic.
Ce fut là que le brave Poniatowski, qui s'était si bien conduit pendant cette triste campagne, étant blessé au bras gauche, se noya en voulant passer cette fatale rivière, qui n'est pourtant presque pas plus large que la Nièvre.
Nos troupes résistent tant qu'elles peuvent avec une
bravoure extraordinaire et font subir d'énormes pertes au corps de Sacken 1 et de Langeron 2, dans le faubourg de Halle.
Napoléon traverse le pont et va plus loin assister au défilé de l'armée.
Schwarzenberg et Bulow sont aussi fort maltraités à l'est et au sud de Leipzig.
Tout allait encore passablement pour l'exécution de notre retraite, malgré ce grand désordre, lorsque le pont, qu'avait fait miner le colonel Montfort sauta
1 Fabian-Gottlieb Osten-Sacken, né en 1752, mort à Kiev le 19 avril 1837, se distingua sous Souvarov contre les Turcs et les Polonais, commanda en 1807 le 28 corps sous Bennigsen et fut remarqué à Pultusk et à Eylau. En 1813-1814, il coopéra avec Blücher à toute la campagne et fut nommé gouverneur militaire de Paris. En 1815, le tsar le nomma feld-maréchal, puis prince en 1832.
! Andrault, comte de Langeron, général russe d'origine française, né à Paris le 13 janvier 1763, mort à Saint-Pétersbourg le 4 juillet 1831. Il prit part à la guerre d'Amérique en 1782-1783 et était colonel français en 1789. Il émigra et alla prendre du service en Russie en mai 1790, fit campagne contre les Turcs, et devint général en 1799. La division qu'il commandait à Austerlitz fut écrasée. En 1812, il marcha sous.
Tchitchagoff jusqu'à la Bérésina et jusqu'à Vilna, commanda un corps de 50.000 Russes en Allemagne en 1813, prit part à la bataillle de Leipzig, et entra à Paris avec Blücher en 1814. Plus tard il fut nommé gouverneur d'Odessa, puis de la Petite-Russie.
3 Monfort (Joseph Puniet de), né à Moncuq (Lot) le 6 avril 1774, fils d'un officier de cavalerie,
Il débuta à quinze ans comme cadet-gentilhomme à l'école de Brienne (1789). fut lieutenant à Mézières en 1792 et l'année suivante entra à l'état-major du génie de l'armée du Nord, devint capitaine quatre mois après et chef de bataillon en 1794. Directeur des fortifications de Paris en 1808, il commanda en 1812 le génie du 8° corps de la Grande Armée et fut chef d'état-major du génie en novembre 1813. Il fut arrêté et conduit à Mayence pour y être traduit devant une commission d'enquête. Au moment du siège de Mayence, on le requiert de prendre le commandement supérieur des troupes du génie renfermées dans la place. Il fut ensuite commandant du génie de la maison militaire du Roi, puis maréchal de camp et inspecteur du génie. Retraité en 1848, il mourut en 1855. Membre de la Légion d'honneur en 1804, officier en 1812, il devint grand-officier en 1834. En 1808, il avait reçu une dotation de 1.000 francs de rente sur les biens réservés en Westphalie.
avec fracas, par l'erreur d'un caporal de sapeurs qui en était chargé, il est vrai, mais qui ne devait mettre le feu à la mine que lorsqu'il verrait l'ennemi se présenter pour passer ce pont. Il avait vu des Prussiens de Blücher mêlés à nos soldats qui étaient en retraite et il avait mis le feu aux poudres.
Cette explosion prématurée de la mine préparée pour la destruction du pont de Leipzig me rappelle que j'y ai couru quelque danger d'être pris encore, car si je n'étais parvenu, en me poussant à travers les troupes qui en prenaient la direction dans le plus grand désordre et qui juraient et résistaient à la pression qu'exerçaient nos chevaux sur cette masse, si je n'avais pas un peu brusqué tout ce qui m'entourait, sans aucun doute je serais resté sur la promenade où toutes les troupes étaient si entassées, et j'aurais été fait prisonnier comme tant d'autres.
Heureusement je passai le pont, un petit quart d'heure avant qu'on le fît sauter. J'avais, bien entendu, mis pied à terre et conduisais mon cheval par la bride sur le côté droit, très près du parapet, le milieu étant embarrassé par l'artillerie et de l'infanterie.
J'arrivai sain et sauf à l'autre rive, malgré la fusillade des tirailleurs russes, qui nous canardaient des hauteurs où ils étaient sur notre gauche. Il y avait encore 20.000 hommes en arrière. Beaucoup passèrent la rivière en se jetant à l'eau où bon nombre périrent, comme le maréchal Poniatowski, le reste fut pris et entre autres les généraux Reynier et Lauriston
1 Jacques-Alexandre-Bernard Law, marquis de Lauriston, né à Pondichéry le 1er février 1768. 3" des six fils de Law de Lauriston, comte
Ces jours d'horribles batailles coûtent à notre armée 60.000 hommes, y compris les prisonniers. L'ennemi en a perdu autant, mais par la fusillade et le canon.
19 et 20 octobre. Nous nous retirons en passant autour de Lutzen1.
Le 21, nous passons la Saale à Weissenfeld. Nos soldats se débandent comme en Russie, la cavalerie ennemie en prend beaucoup, dont elle fait trophée comme des hommes pris sur le champ de bataille.
Mon corps et notre division de Jeune Garde sont sous les ordres du maréchal Oudinot. Le général Bertrand force le passage à Kossen, où les Autrichiens l'attendaient.
Le 23 octobre, nous sommes à Erfurt. Il fait froid et la terre est couverte de neige. Nous nous y reposons
de Tancarville, brigadier d'infanterie, commandant alors les troupes françaises dans l'Inde, et qui était l'alné des deux neveux du célèbre financier de la Régence. A l'école militaire, en 1784, Lauriston fut l'ami de Bonaparte : il en sortit le 10r septembre 17So, avec le grade de lieutenant en second au régiment de Toul, il combattit jusqu'à l'an IV dans les armées du Nord, de la Moselle et de Sambre-et-Meuse, fut mis à l'ordre du jour de l'armée au siège de Maëstricht, et fut nommé en l'an III chef de brigade du 40 régiment d'artillerie à cheval. Il était aide de camp du premier Consul à Marengo, fut envoyé à Copenhague en 1801, puis à Londres, où il fut reçu avec enthousiasme par la population. Nommé ensuite général de brigade et commandeur de la Légion d'honneur, il reçut en brumaire an XIII le commandement des troupes de l'expédition préparée pour Batavia, sous les ordres de l'amiral Villeneuve, et fut nommé général de division en pluviôse de la même année. Il fut nommé gouverneur général de Venise le 19 décembre 1807.
Il commandait l'artillerie de la Garde à Wagram. M accompagna en France l'archiduchesse Marie-Louise, qui venait épouser l'Empereur, fut nommé ambassadeur en Russie le 5 février 1811. Pendant la retraite, il commanda l'arrière-garde, assista aux batailles de Lutzen et de Bautzen, et commanda le 50 et le 11° corps à Leipzig, où il fut fait prisonnier.
En 1816, il présida le conseil de guerre qui devait juger le général Delaborde. Le 6 juin 1823, il fut créé maréchal de France. Il mourut à Paris d'une apoplexie foudroyante, le 11 juin 1828. Son nom est inscrit sur l'arc de triomphe de l'Etoile.
* Lützen, ville de Saxe, à 16 kilomètres S.-E. de Merseburg, dans le bassin de l'Elbe.
pendant trois jours. On se réorganise un peu, mais l'ennemi avançant en masses profondes, il faut songer à suivre notre chemin.
Départ de Murat pour Naples.
L'armée bavaroise, dont les alliés ont enfin obtenu la défection, se trouve placée à cheval sur la route de Mayence, avec 60.000 hommes, tant Bavarois qu'Autrichiens.
Oudinot, Mortier et nos divisions de Jeune Garde soutiennent les efforts de Blücher à notre arrière-garde.
Nous traversons heureusement les défilés de Thuringe.
Nous n'avons plus que 70.000 hommes armés, tout le reste nous suit en traînards et nous gêne fort.
Le 26 octobre, nous sommes à Vacha, le 27 à Hunnfeld ', le 28 à Schlüchtern. j 30 octobre. On avait appris dès la veille que les Austro-Hongrois nous barraient le passage.
Nous sommes réduits alors, par la désertion croissant à chaque instant, à 45.000 combattants.
Nous partons de Pansclbold, sur la route d'Hanau, avec le tiers de nos soldats, Napoléon ne voulant pas attendre les corps éloignés. Vu le danger de la position, il faut forcer le passage.
De Wrede a 52.000 hommes présents, le reste de son armée s'étant dirigé sur Wurzbourg.
Les Austro-Bavarois sont mis en une grande déroute par nos troupes et surtout par la Garde et son artillerie, qui, un moment attaquée de front par toute la cavalerie ennemie, est préservée par les canonniers eux-mêmes,
1 Iliinfeld, ville de la province de Hesse-Nassau, à 75 kilomètres S. de Cassel, sur un affluent droit de la Fulda.
que Drouot, le brave, a postés en avant de son front, faisant feu avec leurs carabines, ce qui donne le temps à notre infanterie de venir la dégager.
1er novembre. L'ennemi nous attaque de nouveau, désireux de prendre sa revanche (car il a perdu de 10 à 11.000 hommes) et nous 3.000, mais il perd encore 1.500 à 2.000 hommes.
De Wrede s'était mal placé, il avait à dos la rivière de Kinzig1, qui se réunit au Mein à Hanau. Nous, nous avions en avant de cette ville une belle et grande plaine qui rendait nos manœuvres faciles, et nos tirailleurs avaient chassé l'ennemi à mesure que notre formidable artillerie avançait en foudroyant les masses qui nous étaient opposées.
Pendant la bataille de Hanau, nous suivions la direction qui nous était donnée, lorsque vinrent nous traverser au grand trot les dragons de notre Garde, qui paraissaient aller à une chose plus pressée et, contrariés de l'obstacle que leur présentait notre division, qui défilait, ils éloignèrent nos baïonnettes avec leurs bottes, de sorte que je reçus, dans cette mêlée, un coup de sabre à plat sur mon chapeau. (J'avais bien envie de me fâcher contre l'officier, un peu étourdi, qui me l'avait lancé, sûrement sans intention qui me fût personnelle. Mais ce n'était pas le cas, vu l'utilité de la charge, qui fut en effet des plus brillantes et des plus efficaces.) Après ces belles affaires, dans des circonstances bien tristes d'ailleurs, la retraite n'est plus entravée. Napoléon suit la route de Mayence, nous la Jeune Garde
Kinzig, rivière de la province de Hesse-Nassau, en Prusse occidentale, affluent droit du Main.
passons un peu à droite, vu les embarras des chemins et nous traversons Francfort, où je reconnais parmi les curieux plusieurs officiers de Hesse-Darmstadt, qui avaient servi avec nous dans la campagne. Ils étaient alors commandés par un de leurs princes, Emile d'Auerstaedt, qui était un excellent jeune homme. A Francfort, ces officiers sont en bourgeois et en curieux.
Mayence est encombré de traînards, de dépôts de divers régiments et les hôpitaux pleins de malades, attaqués du typhus, qui y fait de grands ravages, et qui n'épargne pas les habitants eux-mêmes.
[Là je perdis, d'une affection de poitrine, un bon et beau cheval que j'avais acheté au début de la campagne.
Cette perte me fut très sensible. C'était un cheval hanovrien, que j'avais acheté à un paysan qui l'employait à son labour, car on voit communément là des chevaux magnifiques, attelés à la charrue.
Malheureusement, ce pauvre animal était fatigué de notre retraite. Ce qui a pu contribuer à ce qu'il fût pris de la fluxion de poitrine qui l'a tué, c'est que je n'avais pu, dans Mayence, lui trouver une écurie et que j'avais été forcé de le mettre très mal à l'abri, sous un auvent, où il aura été saisi par le froid très rigoureux que nous éprouvions alors.] 7 novembre. Napoléon part pour Paris.[Il avait malheureusement laissé dans les places de la Vistule, de l'Oder et de l'Elbe 190.000 hommes de garnison : Dantzig, Thorn, Dresde, Torgan, Hambourg, Magdebourg, etc.
Si nous avions eu ces hommes à Leipzig, la chance nous eût été sûrement favorable, surtout avec la coopé-
ration de généraux éprouvés comme Davoust, SaintCyr, etc. dont l'expérience consommée et la résolution nous eussent assuré la victoire à Leipzig et plus tard une paix honorable.] 17 novembre, nous reprenons la route de Paris, en passant par Trèves. Thionville, Verdun, Châlons-surMarne, etc.
Dans un village, aux environs de Kreuznach1, première étape après Mayence, je laissai, en quittant mon logement, ma bourse assez bien garnie de pièces d'or, frédérics et napoléons. M'en étant aperçu lorsque j'étais déjà en route, je retournai au moins trois lieues, mais je ne retrouvai rien. Je laissai une note au maire de l'endroit, avec prière de m'envoyer la bourse si on la trouvait. Mais je n'ai pas reçu de nouvelles.
Arrivés à Paris le 22 novembre, on s'occupe de nous compléter le régiment avec des hommes tirés des conscriptions très anciennes et qui n'ont pas été demandés avant. De beaux hommes, forts, bien développés et intelligents. On y a versé aussi des soldats de différents bataillons de dépôts. Somme toute, c'est une bonne et rassurante organisation.
1 Kreuznach, ville de la province du Rhin, à 60 kilomètres S.-S.-E. de Coblentz, sur la Nahe, affluent gauche du Hhin.
CHAPITRE XI
Campagne de France. — Marches. — Bataille de Montmirail.
Attaques de Soissons et de Laon. -Bataille de La Fère-Champenoise. — Blessé. — Brillante conduite des Fusiliers-Grenadiers. — Le grand-duc Constantin félicite les blessés de leur imperturbable courage. — Combats sous Paris. — Les ambulances. —Dupuytren..— L'Empereur. — Trahison de Marmont. — Le général Lucotte.
[Entrée de l'ennemi en France. Le 21 décembre, Blücher passa le Rhin avec son armée, entre Coblentz 1 et Mayence, tandis que Schwarzenberg, qu'il avait attendu pour cela, entrait aussi en France, en violant le territoire neutre de la Suisse, en traversant le pont de Bâle, malgré la protestation du général suisse de Watteville 2, qui était là avec 10.000 hommes seulement.] Après un mois passé dans ma famille, je pars le 5 jan-
1 Coblentz était chef-lieu du département de Rhin-et-Moselle.
2 Watteville (Nicolas-Rodolphe), né à Berne en i 760, mort dans la même ville en 1832. Il servit d'abord comme enseigne au régiment de Goumoëns au service de Hollande, fut délégué de Berne à la Consulta et vint à Paris en 1803. Avoyer de Berne l'année suivante et général landamann suisse en 1810. Il adressa une protestation en 1813 à Schwarzenberg qui commandait les alliés. Son fils, Albert-Rodolphe, entra en 1805 au service de la Prusse, y resta un an et passa au service de la France. Aide de camp du maréchal Lannes, officier d'ordonnance de l'Empereur, baron de l'Empire avec dotation de 5.000 francs de rente sur le Hanovre. 11 était chef d'escadron aux lanciers de la Garde, lorsqu'il disparut sur la route de Vilna, après le passage de la Bérésina.
vier 1814 pour Luxembourg 1, où nous devrons rester jusqu'à nouvel ordre.
; Le 9 janvier. Départ de Luxembourg, l'ennemi a passé le Rhin à Coblcntz, le 1er janvier. Nous couchons à un quart de lieue de Thionville 2, que nous traverserons le lendemain.
Le 11 janvier 1814. Metz (7 lieues). Séjour le 12. Le 13 janvier, départ, pour nous diriger sur Langres. Couché à Pont-à-Mousson.
Le 14 janvier. Nous devions aller à Toul ou à Nancy, mais nous appuyons plus à droite.
Saint-Mihiel. Il y fait aujourd'hui 180 de froid. Plusieurs de nos fusiliers ont les oreilles gelées.
15 janvier. Repos.
16 janvier. Bar-le-Duc (7 lieues). Pays du maréchal Oudinot. Pays de bon vin, mais léger et qui ne s'exporte pas.
17 janvier. Saint-Dizier, petite ville (5 lieues).
18 janvier. Doulevant. Bourg à 6 lieues de pays. Nous avons déjeuné à mi-chemin à Vassy. Pluie tout le jour.
Mauvais chemin.
19 janvier. Brienne.
C'est ici où l'Empereur a fait ses études, à l'école militaire. M. le comte de Brienne, ami de M. de Marbouf, son protecteur, l'avait souvent avec lui. Ce seigneur était gouverneur de l'école.
20 janvier. Mote, gros village à une lieue de Bar-surAube (4 lieues).
1 Luxembourg était chef-lieu du département des Forêts.
4 Chef-lieu de sous-préfecture du département de la Moselle.
21 janvier. A lCJille, village à un quart de lieue de Barsur-Aube.
22 et 23, séjour.
24 janvier 1814. Nous allons, comme les deux jours précédents, prendre position au delà de Bar, avant le jour, ainsi qu'il est d'usage quand on se trouve très près de l'ennemi. On rentre à 10 heures, mais à 11 heures, il débouche sur plusieurs points à la fois. Il est cependant repoussé avec perte considérable à la fin du jour. On dit qu'il a 1.500 blessés. Nous en avons bien eu 300 de notre côté.
25 janvier. Vandœuvre 26 janvier. Repos.
27 janvier. Sainte-Maure, gros village à une lieue au delà de Troyes, route de Châlons-sur-Marne, un peu à gauche, passant à Troyes.
Troyes, 28 janvier. Logé faubourg de Crousé, route de Bar-sur-Seine. Cette ville paraît facile à défendre, surtout du côté de Bar, car il y a trois ponts, près les uns des autres, et beaucoup de marais tout autour.
29 janvier. Repos.
30 janvier. Mouvement sur Arcis-sur-Aube. Nous couchons sur la gauche, à Saint-Méry.
31 janvier. Retour à Troyes.
1er février 1814. Repos ; le 2, repos.
3 février. Départ de Troyes, couché à Bréviande.
4 février. On va jusqu'au delà de Saint-Thibau 1. On revient coucher à Saint-Thibau. Il y a eu des pourparlers entre le maréchal et le Prince de Hesse-Hombourg,
1 Saint-Thibault-des-Vigoes. commune de Seine-et-Marne, arrondissement de Meaux, à 1 kilomètre S.-O. de Lagny.
auprès duquel je me suis trouvé, aux avant-postes. Ils conviennent d'une suspension d'armes jusqu'à demain ; cependant l'ennemi attaque sur notre gauche et il est battu, à 9 heures du soir.
Le 5 février 1814. On revient aux maisons blanches, où l'on barricade le pont (3 quarts de lieue).
6 février. Attaque de l'ennemi, sur le soir et à notre droite. Il est repoussé.
7 février. A minuit un quart, départ pour la route de Nogent-sur-Seine, c'est-à-dire dans la direction de Melun et de Paris (retraite).
8 février. Nogent-sur-Seine (6 lieues), où est tout le quartier impérial.
A deux lieues de Nogent est le château de Pont, à Pont-sur-Seine. Superbe propriété appartenant à Madame, mère de l'Empereur.
9 février. Villenauxe-la- Grande
10 février. Sézanne1. Petite ville que l'ennemi vient de piller horriblement. Les chemins sont affreux.
11 février. Montmirail. Nous arrivons à une demi-lieue de cette petite ville, que nous laissons sur notre droite, pour attaquer l'ennemi, qu'on bat complètement (6 lieues au milieu des boues et des terres détrempées).
12 février. Bivouac près de Château-Thierry, que les Russes et Prussiens occupent. Ils en ont coupé le pont et nous les regardons de la rive gauche de la Marne.
13 février. Nous traversons la ville, dont on a rétabli le pont et allons coucher à 3 lieues, sur la route de Soissons, où l'ennemi paraît se retirer.
1 Sézanne, chef-lieu de canton de la Marne, à 39 kilomètres S.-S.-O.
d'Epernay. -
14 février. Nous allons sur la droite, direction de La Fère et Reims, où l'on présume l'ennemi en retraite ; mais le soir on revient à Oulchy-le-Grand, bourg sur la route de Soissons (3 lieues). Logé chez le doyen Lefèvre, au prieuré, c'est un ancien château.
15. Repos jusqu'à 4 heures du soir.
On marche dès lors à travers champs et l'on arrive le 16 à Villers-Cotterets, ville que l'ennemi occupe depuis deux jours ; nous sommes à 18 lieues de poste de Paris.
Nous restons là, jusqu'au 20 février, attendant des ordres.
Le 24 février 1814. Départ. Couché à La Ferté-sousJouare.
Nous nous réunissons là, avec le corps du duc de Raguse. Mon corps est commandé par le maréchal Mortier.
Meaux. 27 février. Nous arrivons à Meaux. L'ennemi s'y présente presque en même temps.
On coupe le pont et l'on se bat assez sérieusement.
Je croyais voir là Volon, mon compatriote, sous-préfet du lieu, mais il est parti pour Paris. Départ à une heure après-midi, nous dirigeant sur le gué de Trine (à 4 lieues), où on rencontre l'ennemi.
L'affaire n'est pas très chaude.
28. Repos. En observation.
1er mars. Repos. On se bat à une demi-lieue plus loin, près de l'Ourcq.
2 mars. Vorinfroy 3 mars. Neuilly-Saint-Front t, en passant par la Ferté-Milon
1 Neuilly-Saint-Feont, chef-lieu de canton du département de l'Aisne,
4 mars. Village à trois lieues de Soissons.
5 mars. Attaque de Soissons où l'ennemi a son arrièregarde, qui est très forte.
Soissons. 5 mars. Nous couchons à deux lieues sur la route de Reims (5 lieues).
6 mars 1814. Couché à un quart de lieue de Berzy, bourg où nous sommes assez bien.
Nous avons suivi la route de Reims, jusqu'à Fimes, là on a pris à gauche celle de Berzy 1. Nous arrivons devant Fimes, traversons Braines 2 où l'Empereur était hier.
7 mars. Village à deux lieues de Laon.
8 mars. Etouvelle, village à un quart de lieue de Laon.
9 mars. Attaque de Laon. Bivouac au pied de la hauteur, sur laquelle cette ville est bâtie.
Les Russes l'ont hérissée de canons et la défendent très vigoureusement, et au point qu'on renonce à cette entreprise après avoir perdu du monde. Pour ajouter à notre déconvenue, le maréchal Marmont, qui était sur notre droite avec son corps, s'étant placé en l'air (comme disent les militaires) et de plus s'étant mal gardé, l'ennemi, qui l'observait de haut, l'a surpris et il lui a laissé son parc d'artillerie. C'est là un grand malheur et une grande faute.
10 mars. Retour à Etouvelle.
11 mars. Crouy. Gros village à un quart de lieue de Soissons. Longue course.
à 17 kilomètres N.-N.-O. de Château-Thierry sur un petit affluent gauche de l'Ourcq.
1 Berzy-le-Sec, dans l'Aisne, à 6 kilomètres S. de Soissons.
* Braisne-sur-Vesle. chef-lieu de canton de l'Aisne, à 19 kilomètres E. de Soissons.
12 mars. Abbaye Saint-Paul. Demi-quart de lieue de cette ville. La troupe est bivouaquée et contient l'ennemi qui est sur les hauteurs.
13 et 14 mars. Idem.
15 mars. Entrée dans Soissons
Nous venons coucher à Fimes (7 lieues).
17 mars. Départ de Soissons, qui est encore en état' de se défendre quelque temps. En venant coucher à Fimes, nous avons fait 7 lieues.
18 mars. Reims.
Bien logé, chez un ancien capitaine de cavalerie, rue
de Cères, n° 16.
19 mars 1814. Retour sur Fimes. Couché à la Ville Savoie, petit village à une demi-lieue.
20 mars. Bivouac près de ce village.
21 mars. Château-Thierry.
22 mars. Montmirail.
23 mars. Fère-Brillant. Village à une demi-lieue d'Etoga (6 lieues).
Nous avons passé par Fromentières et Champaubert, où l'Empereur a encore battu l'ennemi, après notre belle affaire de Montmirail, et cela pendant que nous étions à Villers-Cotterets.
24 mars. L'ennemi occupe Châlons et nous prenons à droite, dans la direction de Vitry. Nous couchons à Vatry, village.
25 mars 1814. Les alliés occupant aussi Vitry et l'Empereur étant fort loin de nous, on appuie encore à droite, en quittant (imprudemment je crois), les hauteurs de la Marne, pour descendre dans la plaine de la Champagne
pouilleuse, où il n'y a pas un bois, pas un arbre, pas un buisson.
Nous étions là, une division de Jeune Garde, dans laquelle était mon régiment de fusiliers-grenadiers et plusieurs régiments de tirailleurs, mais si réduits en nombre, que nous ne formions pas un total de 2.000 baïonnettes.
Nous avions avec nous un régiment de marche de dragons, avec quatre pièces de 4. Le maréchal Marmont nous commandait, ainsi que le maréchal Mortier, qui avait réuni le peu d'hommes qui lui restait à notre faible corps.
A peine avions-nous quitté les bords de la Marne et avancé en plaine d'une lieue, que nous voyons poindre à l'horizon et tout autour de nous d'immenses colonnes de cavalerie. C'était toute la cavalerie réunie des alliés, qui se dirigeait sur Paris, peut-être sans avoir prévu que nous serions sur la route. On l'évalue à 20.000 sabres.
Le danger était des plus grands.
Nous nous formons en carrés et l'ennemi nous charge aussitôt.
Nos mille dragons ne peuvent résister à de semblables masses, ils se retirent précipitamment et laissant nos quatre bouches à feu au pouvoir des attaquants, qui dès lors se ruent sur nos carrés, dont ils peuvent s'approcher d'assez près, n'ayant plus de canon pour les tenir à distance.
Dès la première charge, ils furent repoussés avec perte et ils firent jouer leurs canons, et peut-être les nôtres eux-mêmes, pour écorner par les angles, après ils fournissaient une nouvelle charge avec de nouveaux escadrons. Une fois c'était de dragcr.s russes, une de dra-
gons saxons, des cuirassiers bavarois, des Cosaques, enfin, toutes les armes dont ils pouvaient disposer et toujours après avoir tenté avec leur artillerie de disloquer ou rompre nos carrés, ce à quoi ils ne réussirent pas du tout. Leur mitraille nous blessa quelques hommes.
J'eus mon cheval mis hors d'état de continuer à marcher, par un biscayen qui lui pénétra par le haut de la cuisse droite et alla jusque dans le ventre. Il alla cependant encore quelque quinze ou vingt pas, mais je fus obligé de mettre pied à terre, sur l'avis de mes voisins, les officiers, qui croyaient que la pauvre bête allait tomber sous moi et me blesser peut-être gravement. Je laissai donc ma monture toute sellée sur le champ de bataille, n'enlevant que mes fontes de pistolets où étaient mes instruments et quelques autres petits objets.
Je montai alors le cheval de mon domestique, car je venais d'être blessé moi-même au talon droit, par un biscayen de la même charge de mitraille, qui avait atteint mon pauvre cheval, mais ayant été préservé par le fort éperon de fer plaqué qui nous serrait les bottes, ce ne fut qu'une violente contusion, dont les suites ne furent pas graves.
Il est bon de rappeler que pendant toutes ces charges de cavalerie toujours avec de nouvelles troupes, alternant avec des mitraillades très vives, nos carrés marchaient toujours, à travers la plaine, ne s'arrêtant que pour recevoir les charges, par un feu de deux rangs bien nourri.
Seulement bien souvent, dès qu'une charge avait fait volte-face, nos soldats et surfout nos sous-officiers qui étaient tous de vieux grognards, sortaient des rangs, les
poursuivaient et en atteignaient encore quelques-uns et même quelquefois les artilleurs qui préparaient une nouvelle charge de leur mitraille.
Notre carré des fusiliers-grenadiers était heureusement bien solide, car il était le dernier faisant l'arrièregarde et par cela même exposé aux charges et à l'artillerie, par la droite, où le terrain était un peu élevé et où l'ennemi avait placé des canons, mais encore en queue, parce qu'il ne craignait pas de se placer entre deux carrés où il y aurait eu plus de danger pour lui.
Le maréchal Marmont s'était réfugié dans notre carré et c'est près de lui que j'ai été blessé. Il y avait plus de chance de là d'être atteint, parce que nos chevaux offraient un point de mire plus facile pour les pointeurs.
Enfin après une heure d'une position si dangereuse, nous arrivons à un fort ruisseau, dont nous avions, par bonheur, fait couper le petit pont, la cavalerie ennemie nous quitta pour chercher un gué ou un autre pont, en remontant le cours de l'eau. Cela nous donna le temps de traverser la petite rivière, d'où je dus quitter nos gens, pour continuer le plus lestement possible, avec tous nos blessés, notre route sur Sézanne, où nous arrivâmes à bon port.
Là nous ne craignions plus rien de la cavalerie, la ville étant sur une hauteur.
Au moment où je quittais mon carré, nous avions essuyé de quinze à seize charges de cavalerie et autant de volées de mitraille. L'une suivait immédiatement l'autre, en alternant d'une manière très régulière.
Les mêmes attaques continuèrent après mon départ,
mais nos fantassins tinrent bon et arrivèrent à la nuit à Sézanne.
Ainsi finit cette vilaine affaire de La Fère-Champenoise, dont nous nous sommes vaillamment tirés, grâce au sangfroid de tout le monde, chefs et soldats. Leur conduite dans cette affaire a beaucoup surpris les chefs ennemis, et j'ai appris, dans notre hôpital de la Garde, au GrosCaillou, que le grand-duc Constantin, en venant visiter ses blessés qu'on avait placés là, pêle-mêle avec les nôtres, remarqua sur les lits de nos soldats les capotes bleues de nos fusiliers; il leur demanda s'ils étaient à La Fère-Champenoise et il leur fit compliment de leur imperturbable courage, ne tarissant pas en leur faisant des éloges de leur conduite.
Il était lui-même sur le champ de bataille, et il avait pu les juger, dans une position aussi critique.
26 mars. Nos colonnes traversent Sézanne, elles ont passé la nuit sur la hauteur, dans un petit village, qui est à une petite lieue de cette ville.
L'ennemi occupe déjà Sézanne, mais il en est débusqué. On prend sur la gauche, allant à La FertéGaucher l'ennemi s'y trouve déjà, nous reprenons encore sur la gauche, où l'on se canonne jusqu'à la nuit.
Nous couchons au milieu des champs.
Les alliés se rapprochent de Paris et nous faisons de même, tout en les évitant.
27. Provins. On marche sur Provins, par un détour encore plus grand sur notre gauche. Nous y arrivons à 10 heures du matin. L'ennemi nous y joint à une heure
1 La Ferté-Gaucher, chef-lieu de canton de Seine-et-Marne, à 16 kilomètres E.-S.-E. de Coulommiers, sur le Grand-Morin.
après-midi. On tiraille assez vivement, mais nous tenons bon. Notre troupe bivouaque sur la promenade.
29 mars. Charenton. Là, je fais prévenir Simon, mon beau-frère, de mon arrivée et il vient me voir le soir même.
30 mars 1814. De Charenton, nous allons, en longeant les boulevards extérieurs, à la Villette, où l'ennemi commence son attaque, tant à notre barrière que nous protégeons en nous portant au pont de Flandre, que sur les hauteurs de Belleville, sur notre droite, où étant parvenu à s'emparer de ces hauteurs-là, nous nous trouvons dans la nécessité de nous retirer dans la crainte d'être tournés et pris à dos.
Nous rentrons dans le faubourg, pourchassés par obus et autres projectiles.
J'avais d'abord établi mon ambulance dans une auberge de rouliers, à la Croix-Blanche. Nos blessés y étaient bien installés dans de grandes remises et des hangars, lorsque l'ordre vint de quitter la place qui devenait de plus en plus dangereuse.
Je rentrai donc avec nos éclopés plus avant dans le faubourg et crus pouvoir me placer dans une autre auberge dite « Chaudron d'or ». J'y étais aussi bien. Là, des confrères de Paris vinrent pour nous aider, et entre autres Dupuytren, avec plusieurs aides. Mais à peine étions-nous en mesure de faire nos pansements et nos opérations qu'il fallut encore nous retirer. Je fis évacuer tous les blessés transportables sur l'hospice de la vieillesse (hommes) où je les installai avec recommandation aux sœurs et employés et je fus obligé de suivre mon régiment.
Les autres blessés plus graves furent laissés au « Chaudron d'or», où ils ont reçu les soins des ambulances de la division et ont été transportés dans les hôpitaux de l'intérieur, où je les ai revus plus tard, mais pour le moment je suis forcé de suivre mon corps, qui, après une halte de quelques heures, eut l'ordra de traverser Paris par la barrière d3 Fontainableau.
Une convention avait été conclue, à notre grand étonnement et profond chagrin, entre les maréchaux Mortier et Marmont d'une part, et les généraux alliés de l'autre, en vertu de laquelle, pour éviter à Paris les désastres dont elle était menacée, toute notre armée évacuerait la ville, que les alliés occuperaient aussitôt. Toutes les hauteurs de Belleville, Ménilmontant et Montmartre étaient déjà occupées par les troupes étrangères.
Nous étions pourtant persuadés qu'on aurait pu tenir assez de temps, vingt-quatre ou quarante-huit heures peut-être, pendant lesquelles l'Empereur, qui avait quitté Troyes pour se rendre sur Fontainebleau, aurait pu prendre de nouvelles dispositions et éviter l'occupation de la capitale, ce qui nous semblait fort dangereux, avec un ennemi aussi exalté que les alliés. Le roi Joseph céda comme les maréchaux ; il avait fait partir l'Impératrice pour la direction de Chartres et d'Orléans et la suivit peu après.
Nous étions tous fort affligés de cet arrangement étrange, qui était peut-être inévitable ; mais nos grognards n'entraient pas dans toutes les raisons qu'on pouvait apporter pour en expliquer ou en justifier la nécessité.
Nous évacuons Paris dans la nuit du 30, car les barrières doivent être livrées demain 31 mars 1814.
Chailly, village à deux lieues et demie de Fontainebleau.
Nous avions rencontré, près de Villejuif, l'Empereur, avec quelques officiers de sa suite. Il ne s'attendait pas à une évacuation si prompte de Paris, et en a paru fort contrarié. La Vieille Garde était déjà à Fontainebleau et même déjà à Ponthierry et près d'Essonne et il aurait pu, si nous fussions restés encore un ou deux jours dans la capitale, changer l'état des choses, en soutenant, par sa présence et les vieux soldats qu'il amenait de Troyes, les efforts qu'auraient pu faire nos troupes, qui se retiraient à présent, et les Parisiens armés et encouragés par le renfort qu'il avait avec lui. Il est vrai qu'il avait commis une grande faute en ne donnant pas des armes aux ouvriers des faubourgs qui en demandaient à grands cris. Le peu de gardes nationaux, qui avaient, eux; des fusils, s'en sont fort bien servis, mais ils n'étaient pas assez nombreux.
Beaucoup ont été tués ou blessés en se conduisant en braves soldats. On peut juger de ce qu'ils auraient fait, s'ils eussent été soutenus par 100 ou 200.000 ouvriers, presque tous anciens militaires et animés contre les étrangers, comme l'était du reste toute la population de Paris, à peu d'exceptions près.
Mais malheureusement Napoléon, qui avait vu le peuple se livrer à de déplorables excès dans les premiers temps de la Révolution. avait toujours eu, depuis qu'il était au pouvoir, une grande répugnance pour armer les masses populaires.
Et cependant, dans la position critique où il se trouvait ainsi que nous tous, c'était le seul et efficace moyen
à employer, si l'on voulait se ménager quelque chance pour repousser l'ennemi, qui avait bien aussi lui-même quelque embarras sur les derrières, où des corps francs, levés par le colonel Brice 1, ancien officier de la Garde, interceptaient les communications avec les réserves et le grand parc de l'immense armée.
L'Empereur n'avait pas, dans son plan de cam-
pagne, fait entrer la possibilité de l'évacuation de Paris avant son arrivée. Il n'avait fait faire sur les hauteurs de Montmartre et de Ménilmontant que des ouvrages en terre, de peu d'importance et défendus par une artillerie insuffisante et de courte portée.
1er avril 1814. De Chailly, nous revenons sur Paris et nous nous arrêtons au Plessis.
2 avril. Mennecy, petite villette sur la gauche de la route allant à Paris, sur la rivière l'Essonne, où toutes nos forces vont s'arrêter pour le moment. Nous sommes sur la gauche de la ville d'Essonne, il y a une poudrière où depuis cette campagne on fabrique 10.000 livres de
1 Joseph-Nicolas-Noël Brice, lié dans la Meurthe le 24 décembre 1783, fils d'un instituteur. Il s'engagea, le 9 mars 1803, au 14e régiment de chasseurs à cheval/et était déjà maréchal des logis chef le 29 juillet 1804.
En 1809, il était lieutenant en second et décoré : il avait reçu deux blessures graves, à Eylau et à Wagram. Il fit les campagnes d'Autriche et de Russie comme lieutenant en premier et porte-étendard, celles de 1814 et 1815 comme adjudant-major, capitaine et chef d'escadron. Au retour de l'ile d'Elbe, l'Empereur lui donna le commandement du 28 corps des chasseurs volontaires de la Moselle et il y fit tant de mal aux alliés qu'il fut mis hors la loi par un ordre du feld-maréchal prince de Wrede. A Sarrebourg, il faillit enlever les empereurs de Russie et d'Autriche, ainsi que le roi de Prusse. A la Restauration, il fut condamné à mort, se réfugia à Bruxelles, puis en Allemagne, revint en France en 1819 et fut mis à la réforme comme chef d'escadron. Le 2 août 1830, il fut nommé colonel du 3" régiment de cuirassiers à Lille ; le 28 février 1848, il fut nommé général de brigade par le gouvernement provisoire, puis commanda la 48 subdivision de la 38 division militaire.
poudre ; on n'a cessé d'en faire depuis que nous avons quitté Paris.
3 avril. Repos.
4 avril. Nous sommes éveillés ce matin, avec la persuasion que nous retournons avec l'Empereur sur Paris, d'après le bruit répandu dès hier au soir dans notre étatmajor, et nous nous mettons effectivement en route avant le jour, pour nous rendre au chemin de Fontainebleau.
Quand nous y arrivons, il était à peine le petit jour, nous apprenons que le maréchal Marmont, qui commandait notre avant-garde à Essonne et auquel l'Empereur avait confié un nouveau parc d'artillerie, en remplacement de celui qu'il s'était laissé prendre à Soissons, venait de déserter à l'ennemi, en traitant avec Schwarzenberg et les autres généraux ennemis et en trompant ses généraux et ses soldats, sur la nature des mouvements qu'il leur faisait exécuter.
Ces derniers surtout pensaient aller combattre contre ceux qui occupaient Paris.
La division du général Lucotte 1, seule, du 6e corps
I Lucotte (Edme-Aimé), né à Créancy (Côte-d'Or) le 8 octobre 1770, décédé à Porto-sur-Saône en 1825. Volontaire au 8e bataillon de la Côte-d'Or en 1793, sergent le même jour. Lieutenant et capitaine en l'an II, chef de bataillon l'année suivante. Général de brigade en 1800.
Autorisé à passer en 1807 au service de Joseph, roi de Naples, il le suit en Espagne en 1808.
Il fut nommé lieutenant général, aide de camp du roi et marquis de Sopétrano en 1811.
Rentré au service de la France, il fut nommé général de division le 5 avril 1814 à la dernière promotion de Napoléon.
Le 18 février 1814, il reçut l'ordre de se rendre à Villeneuve-SaintGeorges pour prendre le commandement de la 1" division de réserve.
Le 4 avril il écrivit à l'Empereur : « Sire je n'ai plus à qui m'adresser, la division que je commande me suivra. Daignez m'indiquer mon chemin, je suivrai toujours celui de l'honneur et de la fidélité. » (Archives Nationales A F I, 670.) Dans son ordre du jour de Corbeil du 5 avril, il dit : « Les braves
d'armée, prévoyant une trahison, se refusa de se conformer au mouvement du corps d'armée, et resta seule sur la ligne d'Essonne à Corbeil.
Cette fidélité est bien honorable pour le général Lucotte, dont l'histoire rappellera la glorieuse conduite.
Après cette défection de Marmont, dont la troupe fut dirigée sur Versailles, pendant l'obscurité de la nuit et le long d'une route bordée à distance par les légions ennemies, il n'était plus possible de songer à reprendre l'offensive. Nous fûmes renvoyés dans nos cantonnements de Mennecy, attendant avec anxiété ce qui adviendrait.
Nous avons appris là que les troupes de Raguse, quand elles se sont aperçues, à l'aube du jour, qu'elles faisaient fausse route, se mutinèrent ; mais elles étaient entourées d'ennemis de manière à ne pas pouvoir bouger.
Elles se révoltèrent même encore une fois arrivées à Versailles, où l'on parvint enfin à les apaiser.
Le 5, 6, 7 et 8 avril 1814. Repos.
9 avril. Corbeil, où nous communiquons librement avec les avant-postes ennemis.
10 avril. Repos.
11 avril. Départ pour Ponthierry, village à deux lieues de Corbeil, sur la route de Fontainebleau.
12 avril. Chailly, où nous étions déjà le 31 mars.
13 avril. Bourron. Village à une demi-lieue de Fontainebleau, route d'Orléans, où l'Empereur est à présent.
On l'y dit malade et il y a bien de quoi, après tous nos malheurs.
ne désertent jamais, ils doivent mourir à leur poste. » (Moniteur du 7 avril 1814). Comte de l'Empire en 1815.
14 avril 1814. Arrivée dans nos cantonnements. Nous nous établissons à Auxy, gros village à une demi-lieue de Beaumont, petite ville sur la route d'Orléans, à 7 lieues de Fontainebleau et à 5 lieues de Nemours, petite ville assez laide où notre 2e régiment de grenadiers reste cantonné.
23 avril. Départ d'Auxy, bon vin et excellent miel.
Nous couchons à Lorrisse, petite ville, ayant passé par Bellegarde, remarquable par un ancien et vaste château.
24 avril. Arrivée à Gien. Cantonnement. (Nous y sommes restés pendant tout le mois de mai et jusqu'au 22 juin.) Je suis logé chez un confrère, le docteur Chartier de Bergeville, qui me prodigue toutes sortes de bons traitements et chez lequel je suis comme un membre de la famille. Homme bon et des plus respectables.
Le 22 juin 1814. Nogent-sur- Vernisson, à 4 lieues de Gien, route de Fontainebleau.
23 juin. Couché à Nemours (13 lieues de pays), après avoir fait une halte à cinq lieues de Nogent à Montargis.
CHAPITRE XII
Fontainebleau. — Défiance des Bourbons envers l'armée. Passage de la duchesse d'Angoulême. — Revue du duc de Berry, sa cour militaire. — Berthier en capitaine de mousquetaires. — Dislocation de la Garde. — Retour à Paris, propositions flatteuses, refus. - Pension de 500 francs. — Médecine civile. — Interdiction du séjour de Paris aux officiers de la Garde Impériale. — Retour de l'Empereur. — Chirurgien-major au 3e régiment de Grenadiers de la Vieille Garde.
Courbevoie. — Soissons. — Laon. — Bataille de Ligny. —
Waterloo. — Larrey. — Ambulance de la Belle Alliance. —
Retraite sur Paris. — Général Poret de Morvan. — Armée de la Loire. — Licenciement.
Nous formons avec les restes de nos armées, qu'on se propose de licencier, car on a peur aux Tuileries, ce qu'on nomme l'armée de la Loire.
Les royalistes n'épargnent pas les épithètes les plus choquantes. Ils nous nomment les brigands de la Loire !
Ils ont cependant bien tort, nos vieux soldats se comportent admirablement et comme de vraies demoiselles et si les Bourbons avaient le moindre bon sens, ils conserveraient ces excellents cadres, au lieu de former des régiments nouveaux où ils appellent comme officiers des jeunes gens de famille, sans connaissances militaires, ou d'anciens officiers d'avant la Révolution, qui n'ont pas servi depuis 89, n'ont jamais fait la guerre et sont pleins de morgue et de préjugés qui les rendent insupportables aux soldats.
24 juin 1814. Fontainebleau, où nous devons rester quelque temps, en attendant de décider ce qu'on fera de nous.
27 juin. Arrivée de la duchesse d'Angoulême, fille de Louis XVI, mariée à son cousin, fils du comte d'Artois.
Elle va à Vichy, espérant que l'usage de ces eaux la disposera à devenir mère.
Le corps des officiers de la Garde lui est présente.
Elle nous reçoit poliment, mais froidement. Elle continue sa route le lendemain.
Le 3 juillet 1814. Je rentre à Paris, avec une permission du général Friant.
Je retourne à Fontainebleau le 14 juillet, et repars encore pour Paris le lendemain, 15 juillet, d'où étant revenu, j'y retourne le 23. Rentré définitivement le 24 à Fontainebleau.
Le 25 juillet, le duc de Berry, second fils du comte d'Artois, qu'on nomme « Monsieur », passe la revue de notre Garde, grenadiers et chasseurs à pied. Il y eut, à cette occasion, une grande fête, après laquelle le corps d'officiers fut présenté au Prince. Il nous reçut avec politesse, mais me parut un peu embarrassé de sa personne.
C'était un homme, sans la tenue qui allait à sa position, d'une taille fort ordinaire, il était assez gros et sans grâces.
Il était peut-être plus embarrassé dans le nouveau milieu où il se trouvait qu'il ne l'aurait été dans d'autres circonstances, parce que son entourage de courtisans avait persuadé à sa famille qu'on avait tout à craindre de cette Garde impériale, qu'ils croyaient capable de tout.
Heureusement il n'en était rien. Il fut reçu avec tous les égards et le respect possibles, mais sans enthousiasme.
Il avait amené de Paris une petite cour militaire, composée en grande partie de nouveaux officiers de la nouvelle armée qui se formait alors, mais ce qui nous frappa tous d'une manière désagréable, ce fut de voir à son côté le prince de Neufchâtel, Alexandre Berthier, l'ancien ami et chef d'état-major de notre Vieille Garde, en même temps que de toute la Grande Armée. Il avait été métamorphosé en capitaine d'une compagnie de gardes du corps et en portait l'uniforme à brandebourgs d'argent sur toutes les coutures ; cela nous fit horreur à voir 1.
Il avait été envoyé avec le Prince pour lui servir de mentor (ou de cornac), c'était une pauvre recommandation auprès de nos vieux grognards ; mais ces braves gens ne firent rien paraître de leur chagrin.
La Vieille Garde s'était flattée qu'on la conserverait comme garde du souverain nouveau ; mais il y avait trop de rancune dans l'émigration dont se composait presque exclusivement la cour nouvelle, pour que cela eût lieu.
Le 26 juillet, départ des chasseurs de la Vieille Garde pour Nancy, où ils doivent tenir garnison, sous le nom de grenadiers royaux.
Le 27 juillet, départ de nos vieux grenadiers pour Metz, garnison qui leur est assignée, comme aux chasseurs celle de Nancy, et où ils doivent rester, comme ces der-
4 Le général Rapp raconte dans ses Mémoires que l'Empereur lui dit en 1815 : « Je ne veux d'autre vengeance de cetimbécile de Berthier que de le voir dans son uniforme de garde du corps. »
niers, sous la désignation de grenadiers royaux. (Ils s'en allaient tous mécontents et plus tard on s'en est aperçu, lorsqu'au 2 mars 1815, Napoléon est revenu de l'île d'Elbe.) Je retourne à Paris, pour prendre mes arrangements particuliers, en attendant de savoir ce qu'on fera de nos dépôts de la Garde, qui restent à Fontainebleau.
Je me logeai chez ma sœur Simon, rue Meslay, 26, et je commençai à faire de la médecine civile.
Le 31 novembre 1814. Je retourne à Fontainebleau, où je suis rappelé à l'occasion de la dissolution du dépôt de la Garde, qui n'existe plus comme corps, à dater de demain 1er décembre.
Je reviens donc à Paris, libéré de tout engagement militaire. Je vais me livrer à mes études, n'ayant aucune.
envie de reprendre du service sous les Bourbons.
[Plus tard, on m'avait fait proposer, par l'intermédiaire de M. Cullerier oncle, mon ancien chef de service de l'Hôpital du Midi, d'être chirurgien-major des grenadiers à cheval de la Garde royale, commandés par M. de Talhouet 1. Semblable proposition me fut faite aussi par M. de Ganay 2, colonel de la Légion de l'Yonne, ce que je refusai à bien plus forte raison.]
1 Marquis de Talhouet (1788-1842), officier d'ordonnance de Napoléon, colonel et baron de l'Empire, commandant des grenadiers de la garde royale.
2 Ganay (Antoine-Charles, marquis de) naquit à Lucenay, près Autun, le 10r février 1769, et y mourut en 1849.
Il entra à treize ans dans la compagnie des cadets-gentilshommes de l'Ecole militaire. Sous-lieutenant dans Royal-Vaisseau en 1784, lieutenant en 1791, il émigra la même année. D'abord à l'armée des princes, il passe ensuite à la brigade hollandaise au service d'Angleterre, puis à la brigade allemande au même service (1793-1801) ; il y devient major de cavalerie.
Rentré en France, il devint député et reçut de l'Empereur en 1811 la
Je paye à ma sœur une pension suffisante, à laquelle m'aide un modeste traitement de réforme de 500 francs par an, n'ayant qu'onze ans de service. Il m'en faudrait quinze pour avoir le maximum qui est de 15 à 1800 francs, comme retraite.
Le 9 février 1815, j'adresse au général Christiani, mon ancien général de brigade, mes états de pertes de chevaux 1 et d'effets pour être transmis à qui de droit, au nouveau ministre de la guerre (je n'ai jamais pu rien obtenir de ce qui m'était dû).
J'avais travaillé depuis décembre jusqu'en mars 1815 à une nouvelle édition de mon traité, tout en faisant un peu la clientèle. Je me trouvais fort heureux de cette vie paisible, lorsque je craignis un moment qu'on ne m'appliquât une mesure qu'on avait prise contre tous les militaires sortant de la Garde impériale, auxquels il était enjoint de ne pas résider à Paris, à moins qu'ils n'y fussent nés. Ils devaient se rendre dans leur pays natal.
J'obtins une exception en ma faveur, en motivant ma demande 2, sur ce que j'étais déjà à Paris, où j'exerçais la médecine, avant d'entrer au service.
croix de la Légion d'honneur comme commandant de la cohorte de la garde nationale d'Autun.
Il commanda la légion de l'Yonne en octobre 1815, puis le 3" régiment de la garde royale en 1819. Il devint maréchal de camp en 1820 et fut mis en disponibilité peu de jours après.
1 Lagneau avait perdu notamment un cheval à Leipzig, un autre à Vitry et un troisième tué sous lui à La Fère-Champenoise.
2 Les papiers de Lagneau nous ont conservé le texte de cette requête: Lagneau (Louis-Vivant), chirurgien-major de l'ex-vieille Garde, régiment de fusiliers-grenadiers, à Son Excellence Monseigneur le duc de Dalmalie, minisire de la Guerre.
MONSEIGNEUR, J'ai l'honneur de supplier Votre Excellence de vouloir bien m'auto-
On me laissa donc tranquille, et comme c'était dans ce moment-là que je faisais quelques démarches pour réclamer contre l'exiguïté de mon traitement de réforme, je m'abstins d'en faire de nouvelles, dans la crainte de fixer sur moi l'attention du ministre, qui aurait pu me forcer à retourner résider en Bourgogne.
Je préférais de beaucoup continuer la vie tranquille, et déjà quelque peu productive comme médecin, que je menais à Paris.
J'en étais là, lorsque le 15 ou 16 avril, je reçus du majorgénéral, le général Drouot, avis que par décret du 13 de ce mois, l'empereur Napoléon, qui était revenu de l'île d'Elbe et arrivé à Paris le 20 mars, m'avait nommé chirurgien-major du 3e régiment de grenadiers de la Vieille Garde, qu'il réorganisait ainsi que toute l'armée.
Je fus un peu surpris de cette nomination, non que je ne fusse très partisan de l'ordre de choses qui allait
riser à jouir, dans la ville de Paris, ma résidence depuis le mois de fructidor an VI, c'est-à-dire depuis près de dix-huit ans, du traitement de réforme, ou de non-activité, auquel j'ai droit comme officier de santé de plus de dix ans de service et actuellement sans emploi. J'étais déjà docteur en médecine, exerçant dans la capitale, et particulièrement attaché à l'hôpital des vénériens comme chirurgien salarié (ainsi que l'attestent les certificats joints à la présente demande), lorsque je partis, en l'an XII, pour l'armée des Côtes, en vertu des ordres de Son Excellence leministre Directeur de l'administration de la Guerre. Rendujusqu'à nouvel ordre à la carrière civile, j'ose espérer, Monseigneur, que Votre Excellence daignera permettre que je la continue à Paris, mon dernier domicile.
J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, de Votre Excellence le très humble et très respectueux subordonné.
E.-V. LAGNEAU, chirurgien-major, rue Mêlée, no 26.
Paris, le 7 mars 1815.
Cette demande a été accordée par une décision du 10 mars suivant, qui fixe le traitement de réforme à 900 francs pendant cinq années.
Lagneau fut payé du 1er décembre 1814 au 13 avril 1815, époque de sa réintégration dans le corps des grenadiers.
renaître, mais parce que je me trouvais fort satisfait de ma position, depuis que j'avais quitté le service et que j'avais toute raison de croire qu'elle s'améliorerait de jour en jour.
Je repris donc mon service, mon régiment étant à Courbevoie, comme l'année précédente, tout en restant à Paris, me contentant d'y aller chaque matin 1.
Le 6 juin, l'organisation de mon régiment est terminée, il part pour Soissons ; je reste avec permission.
Après avoir acheté un bon cheval et pourvu à mon équipement, je pars le 9 juin pour Soissons, en diligence.
10 juin. Nous partons pour Laon, à 3 heures aprèsmidi. Nous arrivons à minuit (8 lieues). Logé chez M. Duchange, maître de pension.
11 juin. Thierme.
12 juin. Clairefontaine 13 juin. Cartigny Le 14 juin, bivouac en avant de Beaumont, dernière ville de France (7 lieues).
Le 15 juin. Charleroy2, première ville de Flandre, première affaire avec les Prussiens, qui évacuent.
16 juin 1815. Bataille de Ligny, contre les Prussiens.
Elle se termine à notre avantage. Elle a lieu de l'autre côté de Fleurus, à peu près à une lieue.
17 juin. Combat sur notre gauche, dans la direction de Nivelles, où sont les Anglais, route de Bruxelles. On a encore l'avantage. (C'est là où, pour la première fois,
A cette époque, ses notes portent la mention : Physique, bien; instruction, bonne capacité ; fortune, son état. Le général Poret de Morvan ajoute : A beaucoup de réputation que sa manière de servir justifie.
! Dans le département de Sambre-et-Meuse, ainsi que Ligny.
je vis des Ecossais sur le champ de bataille.) C'est le maréchal Ney qui commande.
Le 18 juin 1815. Bataille de Waterloo, ou de MontSaint-Jean, à 40 lieues de Bruxelles. On se bat avec quelques avantages toute la journée, mais à dater de 3 ou 4 heures du soir, l'ennemi, après nous avoir pris en flanc, sur notre droite, vient (ce sont les Prussiens qu'on croyait bien loin, au pont de Vavre) sur nos derrières et menace notre ligne de retraite.
On est obligé, sur le soir, de se retirer, ce qui n'a pas, lieu sans désordre.
L'Empereur, derrière lequel j'étais à dix pas, entre son état-major et la ferme de la Belle-Alliance, d'où j'avais été chassé ainsi que mes blessés, par les tirailleurs prussiens, gui débusquaient d'un petit bois sur notre droite, eut un instant son attention fixée sur ce point, où il s'attendait à voir arriver le maréchal Grouchy, auquel des ordres avaient été expédiés; mais ils n'étaient pas arrivés au maréchal.
L'Empereur comptait bien sur lui, car il regardait souvent à sa montre et faisait dire au général Duhesme\
qui était à l'aile droite et qui demandait des secours, qu'il tînt bon et que Grouchy ne tarderait pas à lui arriver en aide.
J'étais là avec Larrey, le chirurgien en chef de la Garde et de l'armée, il y avait aussi Zinc 2, avec une
Duhesme (Guillaume-Philibert), né à Bourgneuf (Saône-et-Loire) en 1766. Capitaine des volontaires du bataillon de Saône-et-Loire en 1791, chef du bataillon franc du Hainaut, général de brigade l'an II et général de division l'année suivante. Titulaire d'une arme d'honneurau siège de Naples. Comte de l'Empire. Pair de France aux Cent-Jours, commandant la jeune Garde à la tête de laquelle il fut tué à Waterloo.
2 Zinck (Pierre-Joseph), né en 1776. Chirurgien de 3' classe, requis
ambulance. Il avait été forcé, comme nous, d'abandonner la partie et s'était rapproché, comme moi, du groupe de l'Empereur.
en l'an III. Membre de la Légion d'honneur en 18C4. Chirurgien-major aux ambulances de la Garde en 1811. Licencié en 1815, il passa alors son examen de docteur. Replacé l'année suivante, il était chirurgien principal à l'armée du Nord en 1831 et fut retraité en 1833 étant professeur à l'Ecole de Strasbourg. Son dossier des Archives administratives contient le rapport ci-après : Rapport fait au ministre le 24 mai 1822.
M. le lieutenant général comte Lion, commandant la 2e division militaire, vient de rendre compte d'un rapport qu'il a reçu de M. le maréchal de camp vicomte de Lentillac, lieutenant de roi à Givet, lequel annonce qu'il a reconnu que plusieurs employés militaires, attachés au service de santé de cette place, donnaient de grandes suspicions sur leur opinion et qu'il s'est assuré surtout que parmi eux, deux laissaient plus d'incertitude sur leurs principes démagogiques et ne mettaient nulle réserve à les démontrer à la réunion d'une table d'hôte, dont ils font partie. M. de Lentillac désigne le Dr Zinck, chirurgien major, et Athenas, pharmacièn aide-major de l'hôpital, comme deux individus qui pourraient être très dangereux et susceptibles d'exercer une grande influence en raison de leurs moyens et il ajoute qu'ils mettent si peu de modération dans le développement de leur opinion que plusieurs militaires de la garnison, des particuliers de la ville et même des voyageurs, se sont vus forcés de quitter la table d'hôte. Cet officier général pense que si les talents supérieurs en chirurgie du sieur Zinck lui méritaient d'être maintenu au service, sa séparation du sieur Athenas est devenue obligatoire.
De son côté, le lieutenant général comte Lion est d'avis qu'une mesure prise à l'égard de ces deux officiers de santé donnera un exemple suffisant pour fixer ceux qui peuvent être encore incertains dans l'opinion qu'ils doivent professer et qu'elle ne pourra qu'être utile au bien du service. Le sieur Zinck a vingt-six ans de service et le sieur Athenas quatorze ; ils ont toujours été bien notés sous tous les rapports et jusqu'à présent il n'était parvenu aucuns renseignements qui fissent mal penser de leur attachement au gouvernement.
C'est à Son Excellence à juger du parti qu'il convient de prendre à l'égard de ces deux officiers de santé.
On doit faire observer néanmoins qu'il parait, d'après la lettre de M. le général comte Lion, que c'est la première fois que M. le lieutenant de roi de Givet ait porté des plaintes sur ces deux officiers de santé. Or il est à regretter que par des avis, des réprimandes, ou même des punitions, il n'ait pas essayé de leur éviter la chance d'un châtiment plus sévère.
Quoi qu'il en soit, on rend compte à Son Excellence, dans le cas où elle voudrait se borner à ordonner leur déplacement, qu'un emploi de chirurgien-major est vacant à l'hôpital de Montmédy et qu'un autre
Il y avait là aussi le collègue Champion , qui avec Zinc avait établi l'ambulance de la Garde près de la mienne, dans une grange, sous les ordres de Larrey.
Napoléon croyait la bataille gagnée au moment où nous fûmes délogés de notre ambulance, parce qu'il croyait que les Prussiens, qui nous envoyaient des coups de fusil sur la ferme de la Belle-Alliance, étaient euxmêmes poussés par derrière par le corps de Grouchy.
Il était alors à peu près deux heures et demie ou trois heures. Malheureusement c'était bien les Prussiens et les Prussiens tout seuls, commandés par le général Bulow.
de pharmacien aide-major l'est également à l'hôpital de Montlouis.
On ne peut que la prier de vouloir bien faire connaître ses instructions.
Le chef de bureau des hôpitaux.
Note du ministre, du 27 mai : Leur donner ces destinations, afin de les séparer et leur écrire qu'étant instruit de la fausse direction de leurs principes politiques, je suis décidé à en rendre compte au Roi si j'apprends qu'ils ne sont pas rentrés dans la ligne que leur trace l'honneur et leur devoir.
1 Champion (Jean-Pierre-Joseph-Eloi), né à Bourmont le 25 juin 1783, mort en 1849, fils de Pierre-Claude, lieutenant du 1er chirurgien du Roi et chirurgien juré aux rapports au bailliage du Bassigny séant à la Marche. Son grand-père maternel était Jean-Nicolas Pauttel, chirurgien major à l'hôpital royal de Nancy, membre du Collège royal de médecine de ladite ville. Il débuta comme chirurgien sous-aide requis à l'armée d'Helvétie, hôpital militaire de Zurich le 30 mai 1799, n'ayant pas encore seize ans. Il devient sous-aide titulaire à l'armée du Danube en 1802. Deux ans après, il est cavalier au 1er cuirassiers le 6 février 1802.
brigadier le 6 fructidor an X (24 août 1802). Maréchal de logis le 13 germinal an II (3 avril 1803). Il est nommé chirurgien sous-aide au corps le 21 mars 1804, où il reste jusqu'en 1804 ; il passe aux ambulances de la Garde en 1811. Aide-major de la maison militaire du Roi en 1814. Il rentre dans la Garde aux Cent-Jours, et à Waterloo, en présence de Larrey, il est blessé de trois coups de lance et d'un coup de sabre à l'avantbras droit.
En demi-solde jusqu'en 18:16, il fut replacé à l'hôpital de Nancy et prit sa retraite en 1821, étant au 6° régiment d'infanterie de la garde royale. Il était chevalier de la Légion d'honneur depuis 1809.
Grouchy n'avait pas reçu trois messages, que lui avait adressés l'Empereur. Les aides de camp avaient été pris par l'ennemi, et lui, Grouchy, qui avait eu au début de la bataille et peut-être dès la veille, l'ordre de retenir les Prussiens au pont de Vavre, pour en finir avec les Anglais, avant qu'ils pussent se réunir à eux, s'était contenté, avec ses 25 ou 30.000 hommes d'excellentes troupes, d'observer le pont, où les Prussiens avaient laissé une seule division, tandis qu'avec tout le reste de leur armée Bulow se dirigeait sur notre champ de bataille.
Les hommes de guerre les plus autorisés, le général Gérard, entre autres, qui faisait partie des troupes de Grouchy, avaient tous pressé le maréchal, quand ils avaient entendu l'épouvantable canonnade qui s'exécutait de notre côté, de faire un mouvement vers nous, en laissant une division seule devant le pont de Vavre, disant que c'était de règle de se porter là où l'engagement est le plus vif, quels que soient les ordres qu'on ait pu recevoir de contraires. Le maréchal Grouchy résista, croyant qu'il était obligé de rester là, suivant les ordres qu'il avait reçus.
[Cette obstination nous a perdus. J'ai entendu, pendant la Restauration, le maréchal Gérard expliquer toute cette affaire, en témoignant combien il regrettait que ses avis et ses instances n'eussent pas eu de succès auprès du maréchal Grouchy.] Je voyais souvent le maréchal Gérard (car il avait été fait maréchal depuis) chez le comte de Pontécoulant 1,
1 Louis-Gustave, comte de Doulcet de Pontécoulant, né à Caen le 17 novembre 176i, fils du marquis de Pontéeoulant, major général des
sénateur, où j'ai souvent entendu ce brave général revenir sur cette triste circonstance.
Le général Pajol qui commandait la belle cavalerie du corps de Grouchy, s'était aussi fortement prononcé auprès du maréchal Grouchy. Plus tard et dans le même salon j'ai plusieurs fois entendule fils du maréchal Grouchy (colonel d'un régiment de cavalerie et plus tard passé général2) cherchera excuser la conduite de son père, mais il ne convainquait personne, et il y avait là des gens du métier, entre autres le général Exelmans, depuis devenu maréchal lui-même.
Cette conduite ou cette abstention de Grouchy nous fit perdre cette bataille, qui avait commencé d'une manière fort brillante, au point qu'on avait entendu l'Empereur dire, vers deux heures, qu'elle était gagnée.
La triste vérité fut que les Prussiens, qui n'étaient pas talonnés, comme le croyait Napoléon, par Grouchy, écrasèrent Duhesme et le corps de la Jeune Garde, qu'il
gardes du corps. Il devint président de l'administration départementale du Calvados au début de la Révolution, puis membre de la Convention, fut envoyé en mission à l'armée du Nord et contribua à la défense de Lille. Partisan des Girondins, il fut mis hors la loi le 12 vendémiaire an Il (3 octobre 1793), mais parvint à se cacher. Le 8 ventôse an III (8 mars 1795), il reprit son siège à la Convention et devint membre du comité de Salut public et du comité militaire. Il fut ensuite membre du Conseil des Cinq-Cents, qu'il présida, puis préfet de la Dyle, membre du Sénat conservateur le 12 pluviôse an X (1er février 1802), comte de l'Empire le 26 avril 1808, pair de France le 4 juin 1814. Il était grandcordon de la Légion d'honneur. Un de ses fils fut officier d'artillerie.
Pajol (Claude-Pierre), né à Besançon en 1772, mort à Paris en 1844.
Un de nos plus glorieux cavaliers. Général de division en 1812. A la Grande Armée, il commanda le 5e corps de cavalerie. En non-activité en 1815, retraité l'année suivante. Réadmis à l'activité en 1831, et placé au cadre de l'état-major général. Pair des Cent-Jours et de 1831.
* Grouchy (Alphonse-Frédéric-Emmanuel), né en 1780, mort en 1864.
Général de division, député de l'Allier en 1830-1831 et 4845. Sénateur le 31 décembre 1852.
commandait à notre aile droite, et qu'ils vinrent se placer sur nos derrières, sur la route de Charleroy, pour nous couper toute retraite. Heureusement qu'ils n'avaient d'abord que des pelotons de cavalerie. Le mouvement rétrograde se prononçant, je suis assez heureux, avec quelques blessés encore ingambes et des hommes valides, qui ne peuvent plus retourner où l'on se bat, pour me tirer de là grâce à mon excellent cheval. J'ai dans cette retraite, pour compagnon d'infortune, le capitaine (chef de bataillon) Friant1, de la Vieille Garde. Il est fils du général Friant, de la Garde.
Nous marchons toute la nuit au milieu des colonnes en retraite et des hommes isolés et nous franchissons le matin à Charleroy, où tout est en désordre, les rues encombrées de voitures de charbon et de bagages militaires.
Le 19 juin 1815, ne voyant pas de dispositions faites pour arrêter le mouvement de retraite à Charleroy, comme nous le supposions, je continue et arrive coucher à Vervins, après avoir traversé Beaumont et passé autour d'Avesnes, où l'on n'a voulu laisser entrer personne..
J'ai fait dans cette journée plus de 25 lieues de poste.
Le 20 juin 1815. Arrivée à Laon. Pendant que nous déjeunons, on nous dit que l'Empereur est à la poste, au bas de la montagne. Nous y descendons, espérant
1 Friant (Jean-François), né le 12 mars 1790, mort à Paris en 1867.
Page de l'Empereur, puis sous-lieutenant au 4° dragons en 1807, aide de camp de son père en 1809, lieutenant en 1810, capitaine en 1812, chef d'escadron le 18 juin 1813, attaché à l'état-major de la Vieille Garde dans la division de son père, en demi-solde en 1815, lieutenant-colonel du 11e chasseurs en 1832, admis au traitement de réforme de 1833, en 1840. Louis-Philippe l'avait nommé maréchal de camp au tilre de la garde nationale de Paris et son aide de camp.
que des mesures seraient prises pour rallier notre armée.
Il était au milieu de la cour, entouré de son état-major et de gendarmes.
Rien ne fut ordonné dans le sens de nos prévisions.
Nous partons de Laon à minuit, pour Soissons.
Le 21 juin. Soissons, je pars à six heures du soir, pour Villers-Cotterets.
Le 22 juin. Le Ménil-Arnelot Le 23 juin. Arrivée à Paris, il est une heure de l'aprèsmidi. J'espérais y trouver mon régiment, où il était à croire qu'il se reformerait ; mais ayant appris qu'il était resté à Soissons, je repars pour le rejoindre.
Le 28 juin, je me mets en route pour Soissons où j'apprends que mon régiment revient sur Paris.
Mon colonel, le général Poret de Morvan 1, revient blessé d'un coup de feu à la poitrine. Heureusement que la plaie n'est pas pénétrante, elle n'aura pas de suite grave.
Le 29 juin. C'est à 4 heures du matin que le régiment
1 Poret de Morvan (Paul-Jean-Baptiste) s'était fait soldat en 1793 pour sauver son père de l'échafaud. Il naquit à Saint-Etienne-sousBailleul (Eure), en 1777, débuta aux Pyrénées, assista au blocus de Gènes, combattit à Saint-Domingue, passa dans la garde consulaire avec le grade de sous-lieutenant en 1800, suivit la Grande Armée, fut capitaine en 1806 et colonel en Espagne. Il se signala à la bataille de Dresde et fut nommé général de brigade dans la Garde. Blessé dans la retraite, il continua de commander ses troupes jusqu'à Mayence. Il fut créé baron de l'Empire et commandeur de la Légion d'honneur en 1813.
Il se signala à Ligny en 1815, en traversant le village avec une brigade de grenadiers de la Vieille Garde, l'arme au bras, sans répondre au feu des Prussiens. A Waterloo, il monta sur le plateau à la tête des 38 et 4" régiments de grenadiers après la mort du général Michel et la blessure du général Friant. Il fut arrêté le 18 janvier 1815 et il fut poursuivi « pour avoir soulevé l'ex-garde impériale contre le roi et avoir été à la rencontre de Bonaparte dans son entreprise criminelle » ; mais il s'évada et bénéficia de la loi d'amnistie. 11 mourut à Chartres en 1834.
arrive à Paris. Je vois mon général dans la matinée et lui donne des soins.
Le 6 juillet, il m'annonce que son corps a l'ordre de partir pour Orléans, mais qu'il reste à Paris ; il me propose de rester pour lui continuer mes soins, mais croit devoir me laisser libre de suivre le régiment.
Je lui réponds que je ne rejoindrai le corps que lorsqu'il sera lui-même bien guéri.
Nous étions là de nos conversations lorsque dans la nuit du 6 au 7 juin, le général qui s'était ravisé et qui bien probablement avait appris qu'il pourrait peut-être être inquiété par le gouvernement des Bourbons, pour la part qu'il avait prise comme chef des chasseurs de la Garde quand ils furent abandonnés par le général comte Curiall, qui voulait les empêcher, en quittant Nancy, d'aller au-devant de l'Empereur, lorsqu'en revenant de l'île d'Elbe, il avait dépassé Auxerre et arrivait rapidement sur Paris.
Le général se décida donc à partir dans la nuit, d'autant mieux que le lendemain, 7, les Prussiens devaient, dès le matin, occuper Paris et ses faubourgs.
M'ayant fait prévenir, par son ordonnance, de cette nouvelle résolution, je partis moi-même, en compagnie
t Curial (Philibert-Jean-Baptiste-François-Joseph), né à Saint-Pierre d'Albigny, département du Mont-Blanc, en 1774. Volontaire de 92 dans la légion des Allobroges. Il fit la campagne d'Italie. Se distingua à Austerlitz et devint colonel major des fusiliers à pied de la Garde.
Général de brigade et baron de l'Empire en 1808, il devint général de division l'année suivante. Il commanda une division de la JeuneGarde en 1814, et fut nommé comte de l'Empire; peu de jours après il vota la déchéance de l'Empereur auquel il revint aux Cent-Jours.
Réintégré à la Chambre des Pairs par Louis XVIII, il vota la mort du maréchal Ney. Il mourut d'une chute de cheval en allant au sacre de Charles X.
de son aide de camp David mon ami, qui lui conduisait ses chevaux et ses bagages, à peu près à huit heures du matin. Mais arrivés à la barrière d'Enfer, on ne voulut pas nous laisser sortir, les officiers prussiens disant que nous aurions dû sortir la veille et que leur consigne était de ne laisser passer personne de notre armée, sans un ordre exprès du commandant de place allié, qui était le général Blücher, qui avait deux autres généraux adjoints, Sacken et Wellington.
Le général français Griindler2 leur avait en outre été adjoint pour faciliter le service et donner les informations nécessaires, car il était Alsacien et parlait bien l'allemand.
Nous fûmes en conséquence obligés de nous transporter au ministère de la Guerre, où les généraux susdits étaient réunis en conseil.
1 David (Gabriel-Honoré), né à Nantes en 1783. Il entre en 1809 comme capitaine de la cohorte de la garde nationale de l'Yonne, et passe comme lieutenant de grenadiers au régiment des gardes nationales de la Garde impériale en 1810. Ce régiment, qui venait d'être créé cette année-là, devint en 1813 le 7° régiment de voltigeurs.
Capitaine au 34° de ligne en 1813, il passe l'année suivante au 13' régiment d'infanterie légère ; prisonnier des Anglais à la retraite de Pampelune, il s'échappe six mois après du fort du Passage.
Poret de Morvan, qui s'était déjà occupé de lui en 1812, le demanda pour être son aide de camp aux Cent-Jours. Il fut mis en demi-solde à la 2° Restauration.
2 Gründler (Louis-Sébastien), né à Paris en 1774, mort dans son château près de Troyes en 1833.
Sous-lieutenant au bataillon des Amis de la République en 1792, capitaine au go bataillon de sapeurs en 1794, adjudant-commandant en 1807.
A la disposition du maréchal commandant à Mayence en 1808, commandant du département du Simplon l'année suivante, et général de brigade au bout d'un an. Commandant de Paris et de la Seine le lor juillet 1814. Secrétaire général du ministère de la Guerre le 13 mars 1815 et commissaire du roi auprès des généraux alliés à Soissons le 6 août 1815. Lieutenant général en 1823, il fut envoyé à Bruxelles pour l'organisation et la formation de l'armée belge. Baron de l'Empire en 1813, avec dotation de 4.000 francs de rente sur Rome. Comte en 1823.
Nous attendîmes longtemps, dans une grande salle donnant sur la Seine, et d'où nous vîmes défiler les Prussiens le long du quai de la terrasse du bord de l'eau.
Nous avions, David et moi, un bien grand crève-cœur en voyant ces troupes ennemies au cœur de la France et fûmes profondément choqués de voir leurs colonnes précédées par une foule de lâches Français, hommes et femmes, agitant des mouchoirs blancs, en signe d'allégresse 1.
Nous attendîmes fort longtemps la réponse des généraux commandants de la place, qui firent d'abord des difficultés, mais enfin remirent au général Gründler, auquel nous avions confié notre réclamation, un laissezpasser en allemand, qu'il nous donna, avec toute sorte de bonne grâce, accompagné de vœux pour un bon voyage.
Pendant notre corvée auprès des commandants de la place, nous avions laissé nos domestiques, chevaux et bagages près du Luxembourg, rue d'Enfer et les bêtes
1 « Aussitôt qu'on eut la certitude que le lion était enchaîné et que les souverains entraient à Paris, il n'y eut pas assez de cris pour maudire celui qu'on avait encensé; chacun, en allant au-devant des étrangers, semblait venir de Coblentz. » (Mme de Chateaubriand.) De nombreuses chansons furent répandues dans le public, une d'elles commençait ainsi : Honneur au brave Wellington, Dont les grands exploits étonnent le monde, Honneur au brave Wellington Qui met bientôt les fous à la raison.
Une autre chanson Sur Ventrée en France des armées anglaises et alliées, des potentats du Nord, de l'ancienne et auguste dynastie des Bourbons et des émigrés français, contient les vers suivants : Déjà l'invincible Bellone Pour rendre à Louis sa couronne, Vient d'armer tous les potentats Contre de lâches scélérats.
La ville de Paris y est désignée sous la périphrase : Capitale de cannibales.
étaient attachées aux grilles du jardin. Lorsque nous les avons rejoints, ils étaient aux prises avec des soldats prussiens, qui voulaient tout au moins s'emparer de nos chevaux, qu'ils considéraient comme d'assez bonne prise. Nous arrivâmes tout juste pour les dégager et nous ne tardâmes guère à franchir la barrière, nous dirigeant sur Longjumeau.
7 juillet. Longjumeau. Les Cosaques des avant-postes ennemis y bivouaquent sous mes fenêtres, dans une belle prairie.
8 juillet 1815. Etampes, nous quittons les avant-postes russes.
9 juillet. Arthenay. Nous nous sommes arrêtés à Angerville, à 6 lieues d'Etampes. [Tout près d'Angerville, je me trouvais, montant une côte assez peu rude, près d'un convoi d'artillerie qui était en retraite aussi. Tout à coup une explosion eut lieu, avec un grand fracas, enlevant tout le derrière d'un caisson contenant des obus. Je m'éloignai de là, engageant le soldat du train qui conduisait le caisson, à quitter la route où il y avait beaucoup de militaires à pied et à cheval et à dételer ensuite ses chevaux. Ce qu'il fit, mais avant de quitter la chaussée et longtemps après son entrée dans le champ, à droite, il y eut encore de nouveaux obus qui éclatèrent.
Quant à moi, je ne fus pas atteint par les éclats de ces obus ; mais après cette panique, bien motivée d'ailleurs, mon compagnon de route, le capitaine David, me fit remarquer que mon porte-manteau allait se détacher du derrière de ma selle, et qu'il était tout déchiré du côté droit. Nous nous arrêtâmes un instant et reconnûmes qu'un biscaïen provenant de l'explosion d'un obus
avait pénétré dans le porte-manteau, où il avait été amorti par mes vêtements et mon linge, après avoir coupé l'une des courroies qui le fixaient derrière moi; ce peu de bagages a suffi pour me préserver d'une blessure très grave à la région des lombes.
Ces obus avaient pris feu par le fait des frottements et des chocs qu'ils éprouvaient dans le caisson au quart plein. Ils avaient été en partie vidés pendant la bataille de Paris et comme ils étaient entourés d'étoupe, ainsi qu'il est d'usage pour les empêcher de s'entre-choquer dans les manœuvres d'un point à un autre, ces projectiles étaient trop peu nombreux pour être bien serrés entre eux ; ils se heurtaient et il en est résulté des étincelles qui ont mis le feu aux étoupes, lesquelles ont fait éclater successivement tous ceux qui étaient contenus dans le fourgon.] 10 juillet. J'arrive à Orléans, ainsi que notre suite.
Le général Poret de Morvan, étant déjà parti avec sa troupe, nous le suivons de l'autre côté de la Loire, jusqu'à la Ferté-Saint-Aubin1 (4 lieues), où nous quittons la grande route pour aller à Yvoi2, sur notre droite.
Nous logeons dans un beau château.
Le 11 juillet. La Ferté-Saint-Aubin. Très vieux château qui appartenait à Mme de Belmont, dont le mari, colonel d'un régiment de gardes d'honneur, a été tué à Graonne 3
1 La Ferté-Saint-Aubin, chef-lieu de canton du Loiret, à 20 kilomètres S. d'Orléans, en Sologne.
2 Yvoy-le-Pré, village du département du Cher, arrondissement de Sancerre, à 4 kilomètres S.-E. de La Chapelle-d'Angillon.
3 Belmont (César-Marie-François-Rodolphe de Briançon de Vachon de), né le 2 mars 1770, tué par une balle dans le faubourg de Reims à
Logé chez le curé (10 lieues), étant arrivé à minuit.
Le 13 juillet, Solangis, 5 lieues de La Chapelle d'AngilIon. Nous sommes en Sologne où le terrain est mauvais et sablonneux comme en Pologne. Il y a beaucoup de bruyère, abondance de gibier, lièvre, lapin, perdrix rouge comme en Espagne.
Le 14 juillet. Changement de cantonnement, on se fixe à Sainte-Solange, village à 3 lieues de Bourges. Cet endroit est réputé dans la contrée pour la guérison de toutes sortes de maladies, opérées, dit-on, par l'intervention de sa patronne, qui, comme saint Denis, a porté sa tête sur ses mains et a marché sans se tromper de route.
Je loge chez le curé de la paroisse, respectable vieillard qui est bien le père de ses ouailles, pour lesquelles il se donne une peine infinie. Il se nomme M. Tisserat.
Le 25 juillet 1815. Départ de Sainte-Solange pour Bourges. Très belle ville. On disait autrefois qu'elle n'était habitée que par des prêtres et des perruquiers; il y avait bien aussi une grande quantité de nobles, ce qui tenait à ce que Charles VI avait accordé la noblesse à tous les maires et échevins de la ville et qu'on les renouvelait tous les ans.
Ecrit le 30 juillet à mon père.
5 heures du soir le 13 mai 1814, étant à la tête du 30 régiment de gardes d'honneur. Il avait débuté à l'Ecole militaire de Paris le 1" novembre 1185.
Garde du corps à la suite de la compagnie de Luxembourg en 1788, il est nommé sous-lieutenant de remplacement au 13" régiment de cavalerie ci-devant Orléans en avril 1789. Il devient lieutenant et aide de camp de sou père qui était lieutenant général commandant en chef la 3° division militaire en juin 1791. Capitaine au 1" hussards, il abandonne le jour même. 11 émigre et devient aide de camp du maréchal de Broglie. Après le licenciement de l'armée des princes, il passe à Malte près du bailli de Belmont, son oncle, et y reste jusqu'à sa rentrée en France. Il devint chambellan de l'Empereur et chevalier de la Réunion.
Ecrit le même jour à Simon, mon beau-frère, lui recommandant M. le capitaine David et lui demandant de m'envoyer des vêtements bourgeois.
Le 5 août 1815. Départ pour Châteauroux, nous couchons le premier jour à Issoudun, petite ville où habite le confrère Heurtault l, un de mes condisciples, élève particulier d'Antoine Dubois.
Le 6 août. Arrivée à Châteauroux, ville intéressante par ses manufactures de drap.
Le 20 septembre. Je touche la première qùinzaine de ce mois, en qualité de chirurgien-major des grenadiers royaux, dont je fais partie comme Vieille Garde impériale. J'avais reçu, huit jours avant, le mois d'août intégralement, mais sur l'ancien pied.
Licenciement de mon corps, les fusiliers-grenadiers et de toute la division de la Garde, qui se trouvait sur la rive gauche de la Loire, le 23 septembre 1815 2.
Je reçois enfin les appointements jusqu'au 23 septembre inclus, époque du licenciement. Me voilà libre de mes mouvements à dater de ce jour.
En 1825, Heurtault fut nommé membre adjoint, correspondant de la section médicale de l'Académie de médecine. 11 faisait de la médecine gratuite et laissa une fille unique, qui épousa le contre-amiral Duquesne.
2 Citons ici, comme un des plus beaux titres de gloire de Lagneau et comme une preuve de la sympathie universelle que lui valaient son noble caractère et son zèle dévoué, le certificat que signèrent, avant de se séparer pour toujours, les officiers de son régiment.
Les officiers du 3° régiment de grenadiers, ex-vieille-Garde.
1 A Monsieur Lagneau, chirurgien-major au dit régiment.
Désirant au moment du licenciement du corps, et avant de nous séparer, donner à Monsieur Lagneau une preuve authentique du regret que nous éprouvons de le quitter, et en même temps rendre hommage aux qualités que nous avons reconnues en lui, déclarons que
Le 27 septembre. Départ de Châteauroux, où j'étais logé chez un juge, fort honnête homme.
Je me dirige sur Paris, avec mon général, Poret de Morvan. Nous couchons à Vatan, petite ville à 7 lieues de Châteauroux. Nous voyageons à cheval, munis pour tout passeport de nos certificats de licenciement et, après avoir passé par Gien, Montargis, Nemours et Essonne, nous rentrons à Paris le 4 octobre 1815.
A mon arrivée, je m'établis comme devant, chez mon beau-frère Simon où je pris pension, ainsi que je l'avais fait avant les Cent-Jours, c'est-à-dire pendant la première Restauration des Bourbons. A dater de ce moment, je me remis à voir des malades et à travailler à une troisième édition de mon ouvrage.
J'avais encore quelques anciens clients et j'en trouvai parmi les familles de nos connaissances de la Garde et de l'armée. Il m'en vint aussi du civil, car ayant été onze ans absent, je me mis à faire, outre la médecine, la chirurgie et même des accouchements et, somme toute, j'eus assez d'occupation pour ne pas m'ennuyer et subvenir grandement à mes dépenses.
Je me fis recevoir de la Société de médecine de Paris, patronné par nos vieux amis, Cullerier et Emenot, ce
Monsieur Lagneau est recommandable par un dévouement dont nous avons tous été témoins dans les occasions les plus périlleuses, qu'il a toujours avec le même zèle prodigué les secours de son art et que sa conduite morale ne laisse rien à désirer.
C'est pourquoi nous désirons qu'il reçoive cette déclaration comme une marque d'amitié et de justice que nous lui devons.
Châteauroux, le 22 septembre 1815.
La pièce originale, conservée dans les papiers de la famille Lagneau, porte les signatures de 23 officiers du régiment et est contresignée, pour légalisation, par les membres du conseil d'administration et le maréchal de camp baron Poret de Morvan.
qui me mit de nouveau en rapport avec d'anciens confrères qui avaient été mes condisciples.
Cette société, la seule s'occupant de médecine, qui alors existât à Paris, comptait parmi ses membres toutes les notabilités médicales et chirurgicales. C'était Portai, Dubois, Andry 1, Roux, Fouquier, Cullerier, Emenot, Larrey, Corvisart, Leroux, Naquart, Sédillot2, Desgenettes, Longer, Villarmé, Cloquet fils 3..
Quelques-uns d'entre eux qui connaissaient la direction que j'avais donnée à mes études et à mes travaux m'appelaient parfois en consultation pour des cas un peu graves ou m'adressaient même des malades dans mon cabinet.
De mon côté je les appelais en consultation pour les affections d'autre nature, mais d'une certaine gravité.
1 Charles-Louis-François Andry, né à Paris en 1741, mort le 8 avril 1829.
Il fut médecin des hôpitaux, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, membre de la Société royale de médecine, médecin consultant de Napoléon et propagateur zélé de la vaccine. Il a publié divers ouvrages sur les maladies.
! Charles-Emmanuel Sédillot, chirurgien français, né à Paris le 14 septembre 1804, mort à Sainte-Menehould le 29 janvier 1883. Il appartenait à une ancienne famille de médecins. Il entra d'abord au service de santé militaire, fut reçu docteur en 1829, prit part en 1831 à la guerre de Pologne en qualité de médecin de l'armée nationale, fut reçu en 1835 agrégé de la Faculté de Paris et nommé en 1836 professeur de médecine opératoire du Val-de-Gràce. En 1837, il assista à la campagne de Constantine, fut nommé au concours en 1841 professeur de chirurgie et de clinique chirurgicale à Strasbourg, devint en 185u médecin principal de 1" classe et en 1860 médecin inspecteur des armées et directeur de l'Ecole de médecine militaire de Strasbourg.
Son ouvrage capital est Traité de médecine opératoire, bandages et appareils, Paris, 1839-1846, 2 vol. in-8°.
3 Louis-André-Ernest Cloquet, anatomiste et chirurgien, fils de l'anatomisle Hippolyte Cloquet (1787-1840). 11 naquit à Paris le 11 octobre 1818.
débuta avec succès dans les hôpitaux de la capitale, puis fut désigné en 1846 comme premier médecin du roi de Perse. Il organisa à Téhéran une école de médecine et s'y livra à des études suivies sur le climat de la Perse et le choléra, mais mourut empoisonné en 1856.
Ma clientèle se formait ainsi et s'augmentait progressivement. En avril 1816, je fis part à mon père du désir, que j'avais de me marier avec Mlle Marie-Barbe Marin, la plus jeune nièce de mes propriétaires, MM. Louis et Nicolas Henrion. Elle avait 19 ans.
Voici comment cette idée m'était venue : ma sœur Simon voyait quelquefois cette demoiselle. Elle m'en parla souvent. Ayant eu l'occasion de lui donner des soins pour un léger panaris, je la trouvai fort de mon goût, mais j'hésitais à en faire la demande à ses oncles, qui étaient riches et qui pouvaient se montrer difficiles dans le choix d'un époux pour cette jeune personne.
J'étais pourtant en très bons termes avec M. Louis Henrion, l'aîné des deux frères, qui seul s'occupait des affaires, aussi bien de celles de famille que des intérêts.
Il m'avait même, gracieusement et sans loyer, offert son écurie pour y loger mes chevaux quand j'étais au service.
J'attendais donc, ayant à peu près l'assurance, par ma sœur, que Mlle Marin n'aurait pas de répugnance pour cette union. Une circonstance, bien triste d'ailleurs, détermina et amena l'affaire à bien.
M. Henrion Louis fut pris d'une pneumonie très grave.
Je fus appelé ; mais j'obtins qu'on convoquerait aussi son ancien médecin, M. le Dr Pinch, l'un de nos plus anciens et plus instruits praticiens de Paris, mon ancien professeur à l'École de médecine. Le malade avait soixante-dix ans.
Son état s'aggrava et bientôt nous n'eûmes plus aucun espoir de le conserver, malgré tous nos efforts, joints à ceux de sa jeune nièce. La veille de sa mort, comme
j'étais avec elle au pied de son lit, il m'appela à lui, pour lui donner une cuillerée de potion et, après l'avoir prise, il me demanda à assez haute voix pour être entendu de sa nièce, qui était en pleurs, quels étaient mes sentiments pour elle et si j'étais disposé à me marier avec elle.
Je fus surpris autant que charmé de cette agréable proposition et lui répondis, avec des remerciements partant du cœur, que je me regarderais comme très honoré et très satisfait d'entrer dans sa famille. Je demandais en même temps l'assentiment de Mlle Marie-Barbe, qui voulut bien ne pas s'y montrer contraire et nous regardâmes la chose comme convenue et définitivement arrêtée.
Après avoir passé le contrat chez maître Glatigny, rue de Richelieu, le mariage se fit à la mairie du IIe arrondissement, le 7 novembre 1816, et le 9 à l'église SaintSulpice.
J'avais loué un appartement dans la rue du Helder n° 12 et 7 rue Taibout, dans une maison appartenant à M. Azambre. Il était de onze cents francs par an, et mon bail commençait du 1er octobre 1816. Nous nous y installâmes aussitôt.
J'avais confiance en l'avenir, me réservant de travailler avec ardeur à augmenter ma clientèle. J'y réussis assez bien, et dès la première année elle me produisit 2.500 francs au moins, indépendamment de petites sommes arriérées. Elle augmenta dès lors progressivement et bien qu'assez promptement, c'est-à-dire après cinq ans, j'eusse renoncé à faire des accouchements, qui me rapportaient beaucoup.
J'arrivai à recevoir, tant de mes consultations du cabi-
net que de mes visites au dehors, chaque année, dix-huit mille francs au moins.
Je n'avais donc qu'à me louer de ma situation, chaque jour apportant plus de travail et aussi plus de prospérité.
J'ai passé de longues années auprès de ceux qui me sont chers et qui font la joie de ma vieillesse. C'est tou-
jours avec fierté que je pense à mes courses à travers l'Europe avec mes chérs compagnons d'armes à la suite de l'Empereur.
--- ïflvS NOMS DE PERSONNES ,l¡JE NOMS DE PERSONNES
-?/ ADENOT - ALEXANDR. de Russie, 134, 206, 210, 258.
ALIN, médecin. 25, 26.
ALLART (Mu.), 75.
ALMARZA, 182.
ALMARZA (Estanislada), 183.
ALMARZA (Pepita), 183.
AMÉDÉE VI, duc de Savoie, 60.
ANDRY (Charles-Louis-François) , médecin, 313.
ANGOULÊME (duchesse d'), 291, 292.
ANTOINE DE PADOUE (saint), 82.
ARENBERG (Louis-Engilbert, duc d'), 150.
ARENBERG (Pauline d'), 150.
ARTOIS (comte d'), 292.
ASTRUC, médecin, 31.
ATHENAS, pharmacien, 299.
ATYMIS (comte), 94.
AUERSTAEDT (Emile d'), 271.
AUGEREAU, général, 224,261.
AVENDANA (marquis d'), 182.
AZAMBRE, 315.
BAGRATION (prince), 202.
BAIRD (David), général, 163.
BANTI (Georgina-Brigida), 75.
BARAGUEY D'HILLIERS (Louis), général, 94, 122,125, 172, 224.
BARAUT, médecin, 141.
BARBARIN, médecin, 40, 46.
BARTHÉLEMY (Nicolas-Martin), général, 175, 178.
BAUDELOCQUE, médecin, 22.
BAUDRY (Jacques-Frédéric-Hippolyte), chirurgien, 76.
BAYARD, 72.
BAYLE (Gaspard-Laurent), médecin, 25.
BÉCLAR (Pierre-Auguste), chirurgien, 32, 141.
BEETHOVEN. 144.
BELLOC, chirurgien, 247.
BELLON, médecin, 80.
BELMONT (bailli de). 310.
BELMONT (César-Marie-François-Rodolphe de Briançon de Vachon de), colonel, 309.
BELMONT (Mme de), 309.
BENNINGSEN (Levin-Auguste-Théophile), général, 130, 132, 263, 266.
BER (Mm8 de), 146.
BÉRENGER, 77.
BERNADOTTE, 13, 254, 261 à 264.
BERRY (duc de), 291, 292.
BERTAUD, chirurgien, 55.
BERTHIER (Alexandre), prince de Neufchàtel, 139, 156, 157, 196, 205, 291, 293.
BERTHOLLET (Claude-Louis), chimiste, 41.
BERTIN (Exupère-Joseph), médecin, 13, 30, 31.
BERTIN (René-Joseph-Hyacinthe), médecin, 30.
BERTRAND (Henri-Gratien), général, 239, 264, 268.
BERTRAND, chef d'escadron, 172.
BERTRAND (veuve), 1, 2, 7.
BESSIÈRES, maréchal, 164, 205.
BICHAT (Marie-François-Xavier), médecin, 13, 18 à 22, 27, 32, 58.
BIGORGNE (Adrien), 8, 239.
BIGORGNE (Adrien-Joseph), 239, 240.
BLACK, général, 162, 164.
BLÜCHER, 261, 262, 264, 266, 267, 269, 273, 306.
BOISSELET (Eléonore), 13.
BoisspT (Jean-Guillaume), médecin, 141.
BOISTHIERRY (Charles-Juste de), commandant, 86.
BONAU, 100.
BONNAL (Ed.), 204.
BONNAL, général, 125.
BOUDET (Jean-Jeanti), général, 90.
BOUDET (Jean-Pierre), pharmacien, 41.
BOURGEOIS (François-Pierre), 256.
BOURSIER (François-Antoine-Louis), général, 225.
BOUSIGUES (Jean), médecin, 16, 17.
BOUSSIN (Claude-Christophe), général, 49.
BOUVENOT (Louis-Pierre), médecin, 19, 57.
BOUVENOT (Pierre), avocat, 19.
BOYER (Alexis), chirurgien, 19, 22, 53, 110.
BRA YER (Michel-Silvestre), général, 48.
BRICE (Joseph-Nicolas-Noël), général, 287.
BRIENNE (comte de), 274.
BRIOTET (Jacques), 14.
BROCA (Paul), médecin, 9.
BROGLIE (maréchal de), 310.
BROUSSAIS (François-Joseph-Victor), médecin, 32, 92, 93,128.
BRUNE, maréchal, 73.
BRUNET-DENON (Vivant-Jean), colonel, 117.
BRUNSWICK (duc de), 143.
BRUYÈRE (Jean-Pierre-Joseph), général, 205.
BUISSON (Mathieu-François Régis), médecin, 19, 20.
BÜLOW, général, 266, 300, 301.
CAILLOT, médecin, 32, 53.
CAMBRIDGE (duc de), 148.
CAMUS, médecin, 42.
CARNOT (Claude-Marie), général, 35.
CARNOT (Lazare), 13.
CASTELFRANCO (duc de), 162.
CAULAINCOURT (Auguste-Jean-Gabriel), général, 203, 205.
CERVANTES, 188.
CHAMBON, médecin, 41.
CHAMPION (Jean-Pierre-Joseph-Eloi), chirurgien, 300.
CHAMPION (Pierre-Claude), chirurgien, 300.
CHANGARNIER, général, 195.
CHAPPE, chirurgien, 247.
CHARETTE (François-Athanase), 73.
CHARLEMAGNE, 143.
CHARLES, chirurgien, 247.
CHARLES D'AUTRICHE (prince), 91.
CHARLES IV D'ESPAGNE, 166.
CHARLES VI, 310.
CHARLES X, 110, 305.
CHARLES XII, 231.
CHARPETNIER, médecin, 141.
CHARTIER DE BERGEVILLE, médecin, 290.
CHASSELOUp-LAUBAT (François de), général, 232.
CHATEAUBRIAND (Mm" de), 307.
CHOMPRÉ (Claude-Jeanne), 205.
CHRISTIANI (Charles-Joseph), général, 295.
CHUQUET (Arthur), 216, 263.
CLAIRIN, 29.
CLARE, médecin, 31.
CLARKE, duc de Feltre, maréchal, 46, 124.
CLÉRY,220.
CLOQUET (Hippolyte), médecin, 313.
CLOQUET (Louis-André-Ernest), chirurgien, 313.
COLASSE, chirurgien, 246.
COMPANS (Jean-Dominique), général, 262.
CONDÉ (prince de), 19.
CONSTANTIN (grand-duc), 273, 283.
CORBEL (Jules), 13.
CORBINEAU (Jean-Baptiste-Juvénal), général, 231, 233.
CORVISART, médecin, 19, 21, 25, 28, 84, 213, 313.
COSTE (Jean-François), médecin, 2, 37, 110.
COTT, adjudant, 131.
COTTREAJ (Gabriel), 17.
COZE (Jean-Baptiste-Rozier), médecin, 53.
COZE (Pierre), chirurgien, 53.
CROY (Emmanuel, duc de), 150.
CUESTA, général. 164.
CULLERIER (François-GuillaumeAimé), chirurgien, 33, 40, 42, 46, 128,130.
CULLERIER (Michel), chirurgien, 13, 29 à 31. 33, 36, 37, 129, 294, 312, 313.
CURÉLY (Jean-Nicolas), 231.
CURIAL(Philibert-Jean-Baptiste-François-Joseph, comte), général, 305.
DAILLANT (Mm8), 248.
DAMAS (comte de), 195.
DAMRÉMONT (Denis, comte de), général, 123.
DARU (Pierre-Antoine-Noël Bruno, comte), 22.
DAVID (Gabriel-Honoré), capitaine, 306 à 308, 311.
DAVOUT, maréchal, 2, 39, 121, 199, 201.206,218,221,225,230,241,272.
DEBELLE (César-Alexandre), général, 139.
DEBELLE (Jean-François), général, 139,140.
DECAEN (Charles - Mathieu- Isidore).
général, 213.
DEFRANCE (Jean-Marie-Antoine), général, 205.
DE HORNE, 51.
DEJEAN (Jean-François-Aimé), général, 43.
DELABORDE (Henri-François), général, 204, 268.
DELAGRANGE DESBOIS (baronne Heurteloup, née), 37.
DE LAUNAY, chirurgien, 170.
DELZONS (Alexis-Joseph), général, 216.
DENIS (saint), 310.
DESAULT (Pierre-Joseph), chirurgien, 20, 27, 32, 50, 53.
DESGENETTES (Nicolas-René Dufriche, baron), médecin, 2, 25, 43, 313.
DESPRÈS (Jean-René Poullot, dil), lieutenant, 220.
DESPRÈS (Nicolas-Gabriel Poullot, dit), acteur, 220.DEVILLIERS, médecin, 46.
DEYEUX (Nicolas), pharmacien, 21.
DEYUNGER, général, 104.
DIGONET (Antoine), général, 73.
DILLON (Théobald), général, 168.
DIONIS (Charles), médecin, 15.
DIONIS (Pierre), chirurgien, 15.
DODE DE LA BUUNERIE (Guillaume), général, puis maréchal de France, 231.
DOMBROWSKY (Jean-Henri), général, 231, 261.
DORSENNE (Jean-Marie Le Paige), général, 177,179, 188,192 à 195,201.
DROUOT (Antoine), général; 245, 263, 264, 270, 296.
DUBOIS (Antoine), médecin, 22, 311, 313.
DUBOIS (baron), colonel, 42.
DUBOR (François), chirurgien, 51.
DUCHANGE, 297.
DUCHANOY (Claude-François), médecin, 28.
DUDANGEON (Cyr-Joseph), chirurgien, 245.
DUHESME (Guillaume-Philibert), général, 298, 302.
DUJARDIN-BEAUMETZ, médecin, 17.
DULAC (Anloine-Edouard-Philippe), colonel, 216.
DUMAS (Mathieu), général, 157, 205.
DUMOURIEZ (Charles-François), général, 154.
DUMOUSTIER (Pierre), général, 258.
DUPONT DE L'ETANG (Pierre), général, 168.
Dupuy, chirurgien, 168.
DUPUYTREN (Guillaume, baron), chirurgien, 19, 273, 284.
DUQUESNE, amiral, 311.
DURI, chirurgien, 41, 43.
DURIOT, médecin, 80, 81.
DUROC (Géraud-Christophe de Michel), maréchal, 245, 252.
DUROSNEL, général, 157.
EBLÉ (Jean-Baptiste), général, 232.
ECHASSERIAU, 64.
ELISA BONAPARTE (princesse), 76.
ESTÈVE, général, 239.
EUGÈNE DE BEAUHARNAIS (prince), 82, 199, 224, 225, 235.
EMENOT, médecin, 312, 313.
EXELMANS (Henri-Joseph-Isidore) , maréchal, 302.
FAUVEL (Anne-Armand-Fidèle), 17.
FERDINAND III de Toscane, 166.
FERDINAND VII d'Espagne, 168.
FIDEL (Jean-Nicolas), capitaine, 109.
FLEURY (Louis-Nicolas-Pascal), commandant, 133, 140.
FLORIAN, 72.
Foy (Sébastien-Maximilien), général, 68, 92, 93, 123.
FOUDRETON (Joseph-Antoine), chirurgien, 84.
FOUQUIER, médecin, 32. 313.
FOURIRON, chimiste, 21.
FOURNIER DE PRSCAY, chirurgien, 179, 180.
FRANCO DE LA SELVA (Don Lucio), 3.
FRÉDÉRIC II, roi de Prusse, 109, 135, 140, 244.
FRIANT (Jean-François), colonel. 303.
FRIANT (Louis), général, 198, 200, 244, 303, 304.
FRIAS (duc de), 189.
GABON, 197.
GAION (MUo), 13.
GALITZIN (prince), 212.
GANAY (Antoine-Charles, marquis de), général, 294.
GARDIEU (Claude-Martin), médecin, 22.
GAUTHEY, chirurgien, 15, 24.
GAUTHIER DE CLAUBREY (Charles-Emmanuel-Simon), chirurgien, 185.
GAUTIER DE CLAUBREY (Henri-François), chirurgien, 185.
GÉRARD, maréchal, 301.
GIRARDIN (de), 154.
GIRAUD (Bruno), chirurgien, 27.
GIRAULT DE MARTIGNY (François-Félix), colonel, 117, 1*4, 156,170,172.
GLATIGNY, 315.
GOBERT (Marguerite), 50.
GODEFROY, 117.
GODOY, 167.
GOLDONX (Charles), 72.
GONEL, chirurgien, 91.
GOURAUD (Vincent-Olivier), chirurgien, 41, 43.
GOUSSIN (Pierre-René), capitaine, 248.
GOUVION-SAINT-CYR, maréchal, 130, 202, 223, 259, 272.
GRASSI (Magdalena), 75.
GRÉGOIRE XIII, 75.
GRIOIS, général, 216, 263.
GROUCHY (Emmanuel), maréchal, 205, 298, 300 à 302.
GROUCHY (Alphonse-Frédéric-Emmanuel), général, 302.
GRÜNDLER (Louis-Sébastien), général, 306, 307.
GUDIN (César-Charles-Etienne), 202.
GUÉHENEUC (Louise-Henriette), 252.
GUÉNAU DE MUSSY, médecin, 23.
GUILLEMIN (Jean-Claude-Vincent), commandant, 220, 229, 242.
GUILLEMINOT (Armand-Charles), général, 206.
GUI R A U D ( Pierre. Marie - ThérèseAlexandre), académicien, 211.
GUIRAUD (Raymond-Marie-Antoine), colonel, 211.
GUSTAVE-ADOLPHE, 250.
GUTENBERG,54.
GUYARRO (Apolinard-Francisco), 167.
HALLÉ (Jean-Noël), médecin, 23.
HASBERGEN (Justine de), 170.
HAUTPOUL (Jean-Joseph d'), général, 205.
HAXO (François-Nicolas-Benoit), général, 259, 260.
HAY, médecin, 19, 26.
HENDELETS, médecin, 58.
HENRION (Louis), 8, 314.
HENRION (Nicolas), 314.
HERPIN. chirurgien, 41.
HESSE-HOMBOURG (prince de), 264, 275.
HKURTAULT, médecin, 311.
HEURTELOUP (Nicolas), chirurgien, 2, 17, 36, 37, 147.
HEURTELOUP (Mme, née Delagrange Desbois), 37.
HOCHE, 73, 140.
HOUSSAYE (Henri), 12.
HULMAN, 40.
HUMEL, 144.
HUNTER, médecin, 31, 53.
HUSSON (Henri-Marie), chirurgien, 32, 76.
INFANTADO (duc de 1'), 162.
JERÓMB BONAPARTE, roi de Westphalie, 142, 143, 149, 199.
JOSEPH BONAPARTE, 161,162,164, 166, 168. 172 à 174, 178, 182, 189, 193, 229, 285, 288.
JOSÉPHINE, impératrice, 74.
JOUFROY, médecin, 81, 96.
JOURDA, chirurgien, 226.
JOURDAN, maréchal, 73, 172, 173.
KAMENSKY, maréchal, 130 à 132.
KIRGENER (François-Joseph), baron di Planta, général, 252.
KLÉBER, 45, 179. 213.
KLEIST (Friedrich- Heinrich - Ferdinand-Emil), général, 259, 260.
KOCHLWER, 249.
KOSCIUSZKO (Thadé), 73, 231.
KRIEG, général, 258.
KUTUSOF, 206, 215, 217, 224, 233.
LABOISSIÈRE, 217.
LA BOCJARDIÈRE (de), médecin, 115.
LACÉPÈDE (Etienne de Laville, comte de), 43. 223.
LACOSTE, chirurgien, 41, 42.
LAENNEC (René - Théophile - Hyacinthe), médecin, 25.
LAFAYE (Georges de), chirurgien, 15.
LAGNEAU (Antoine-Simon), 13, 157.
LAGNEAU (Aubry), 14.
LAGNEAU (Claude), 14.
LAGNEAU (François), 13.
LAGNEAU (Gustave-Simon), 8, 13.
LAGNEAU (Didier), ingénieur, 5.
LAGNEAU (Laure), 239.
LAGNEAU (Louis-Vivant), 1 à 11, 13, 14, 16, 26, 36, 38, 43, 46, 47, 51, 52, 54, 55, 59, 75, 76, 83 à 85, 87, 92, 125, 135, 136, 147, 167, 168, 196,211, 220, 229, 246, 257, 295, 296, 311, 312, 315.
LAGNEAU (Nanon), 14.
LAGNEAU (Simon), 13.
LAGNEAU (Simone), 91.
LALLEMENT (André-Marie), chirurgien, 53.
LANGERON (Andrault, comte de), général, 266.
LANNES, maréchal, 87, 273.
LANNES (maréchale), 252.
LAPOYPE, général. 73.
LA ROCHE-AYMON (comte de), 195.
LA ROCHEFOUCAULD (Mme de), 74.
LARREY (baron), chirurgien, 2, 36, 41, 43, 179,180, 206, 218, 236, 291, 298, 300, 313.
LASSALLE, général, 162, 205.
LA TOUR-MAUBOURG (Marie-VictorNicolas de Fay, marquis de), général, 46.
LAURENT, médecin, 185.
LAURISTON (Jacques-Alexandre-Bernard Law, marquis de), général, 268.
LAUTH (Ernest-Alexandre), médecin, 53.
LAUTH (Gustave), médecin, 53.
LAUTH (Thomas), médecin, 53.
LAVEVILLE, médecin, 42, 43.
LAVOISIER, 23.
LAW DE LAURISTON, comte de Tancarville. 268.
LEBON (Joseph), 14.
LECLERC (Victor-Emmanuel), général, 56, 200.
LEFEBVRE, maréchal, 230.
LEFEBVRE-DESNOUETTES (Charles), général, 165.
LEFÈVRE, curé, 277.
L'EGLISE (Pierre), général. 247.
LENOIR (Auguste-Nicolas, vicomte), général, 182, 225, 226.
LENTILLAC (vicomte de), général, 299.
LEPREUX, médecin, 27, 29.
LEROUX, médecin, 25, 28, 43, 313.
LESTocQ (Anton-Wilhelm de), général, 131.
LEVAL (Jean-François), général, 55, 85.
LEVI (André), 248.
LEYMER, général, 201.
LION (comte), général, 299.
LOBSTEIN (Jean-Frédéric), médecin, 53.
LOBSTEIN (Jean-Georges), chirurgien, 53.
LOMBARD (Claude-Antoine), chirurgien, 31, 47, 51.
LONGER, médecin, 313.
LORENTZ, 250.
Louis, chirurgien, 29.
Louis XIV, 59,141, 159.
Louis XVI, 220, 292.
Louis XVII, 22.
Louis XVIII, 110, 111, 258, 305, 307.
LOUIS-NAPOLÉON, roi de Hollande, 27, 46, 205, 255.
LOUIS-PHILIPPE, 110, 173, 190, 263, 303.
LOUISET (Jean-François-Marie), chirurgien, 56.
LOZES (Mme), 42.
LOZBS (Pierre), chirurgien, 42, 76.
LUCIEN BONAPARTE, 155.
LUCOTTE (Edme-Aimé), général, 273, 288, 289.
LUSIGNAN, général, 234.
MACDONALIJ, duc de Tarente, maréchal de France, 201. 223.
MAGGI (Pietro), 3.
MAHMOUD PACHA, général, 230.
MALET (Charles-François de), général, 223.
MALGAIGNE (Joseph-François), médecin, 19.
MARBEUF (de), 274.
MARBOT (Jean-Antoine), général, 73.
MARCHESI (Luigi), 75.
MARÉCHAL (Antoine), 254.
MARET, duc de Bassano, 96.
MARGERON (Pierre), général, 262.
MARIANA (Padre), 188.
MARIE-LOUISE, impératrice, 150, 177, 196, 268, 285.
MARIN (Marianne), 239. MARIN (Marie-Barbe), 8, 314, 315.
MARMONT, maréchal, 90, 91,93, 177, 192 à 194, 261, 262, 273, 277, 278, 280, 282, 285, 288, 289.
MARTIN aîné, médecin, 52, 54.
MASSON (Frédéric), 4, 12.
MAXIMILIEN, roi de Saxe, 102, 265.
MÉDINA CÉLI (duc de), 162.
MEDINILLA (Luisa de), 187.
MERLHES, colonel, 172.
MESTIVIElt (Etienne-Augustin), médecin, 213.
MICHEL (baron), général, 247, 304.
MILBAU (Edouard-Jean-Baptiste), général, 118, 119, 148,162, 173.
MILORADOWITCH, général, 207.
MIOLIS (Sextius-Alexandre-François), général, 223.
MIRABEAU, 59.
MOIZIN (Claude-Joseph), médecin, 40, 41, 117.
MONDON, chirurgien, 265.
MONNEAU, médecin, 43.
MONTBRUN (Louis-Pierre), général, 163, 205.
MONFORT (Joseph Puniet de), général, 266.
MOORE, général, 156, 163.
MOREAU DE CHALON, 14.
MOREAU, éditeur, 27.
MOREAU (Jean-Victor), général. 73, 22'3, 258.
MOREL (François), capitaine, 239.
MOREL (Mmo), 195.
MORNY (duc de), 22.
MORTIER, maréchal, 226, 264,269,277, 280, 285.
MOUTON (Philibert), chirurgien, 179.
MOUTON-DUVERNET (Régis-Barthélemy), général, 195, 248.
MOZART, 144.
MURAT 45, 117, 124, 125, 128 à 130, 151, 199, 204 à 207, 210, 215, 231, 235, 240, 262, 269.
NAPOLÉON Ior, 2, 5, 7, 11, 36, 38, 45,
56, 74, 75, 82, 111, 417, 129. 130, 150, 206. 215. 217, 21b, 231, 234, 252, 258 à 260, 262, 264 à 266, 268, 269, 271, 286, 288, 294, 296, 300, 302,304, 313.
NAPOLÉON 111, 32, 234.
NAQUART, médecin. 313.
NECKER (Jacques), 59.
NEVEROTKOY, général, 201.
NEY, maréchal, 129, 130, 204, 206.
221, 225, 230, 232, 234, 241, 25i, 298, 305.
NOEL, médecin, 32.
NOLLENDORF (comte de), 259.
NOTHING, 18.
ORLÉANS (duc d'), 6.
ORNANO (Philippe-Antoine), général, puis maréchal de France, 225.
OSSDNA (duc d'), 162.
OSTEN-SACKEN (Fabian-Gottlieb), général, 266, 306.
OSTERTAG, médecin, 53.
OUDINOT, maréchal, 48, 110, 201, 202, 232, 234, 268, 269, 274.
PAJOL (Claude-Pierre), général, 205.
302.
PALLAVICINI (marquis), 70.
PARLAMAGNI, 75.
PARMENTIER (Antoine-Augustin), pharmacien, 2, 8.
PARQUIN, commandant, 205.
PARTOUNEAUX (Louis), général, 234.
PATUEL (Louis-Joseph), chirurgien, 196, 246.
PAULINE (princesse), 23.
PAUTTEL (Jean-Nicolas), chirurgien, 300.
PELHOUET (de), colonel, 195.
PELLETAN (Philippe-Jean), chirurgien, 22,27.
PÉPIN (Joseph), général, 48, 55, 57, 71, 85,129,261.
PERCY (Pierre-François), chirurgien, 2, 10, 13,19, 36, 37, 42, 43, 46, 76, 77, 83 à 8b, 126, 135, 136, 141.
PÉRIER (Joseph), 8.
PETIET, 41.
PETIT, 13.
PETRONIUS (saint), 75.
PHILIPPE II, 166.
PILATRE DES ROZIERS, 41.
PINCH, médecin, 314.
PINEL (Philippe), médecin, 21.
PINO, général, 216.
PITROU, médecin, 81.
PLANTA (baron de), 252.
PLATOV (Mathieu-Ivanovitch), général, 230.
PLIXE LE JEUXE, 70.
PLON, éditeur, 216, 262.
POINSOT, général, 13.
PONCET (Jpan-Jacques-Eugène), commandant, 157.
POXIATOWSKJ, maréchal, 265, 268.
PONTÉCOULANT (Louis-Gustave, comte de Doulcet de), 301.
PONTÉCOULANT (marquis de) 301.
PORET DE MORVAN (baronne), 220.
PORET DE MORVAN (Paul-Jean-Baptiste), général, 291, 297, 304 à 306, 309, 312.
PORTAL (baron Antoine), médecin, 313.
POUSSIELGUE, chirurgien, 147.
PRASLIN (duchesse de), 173.
RADET, général, 140.
RAMPONT, médecin, 41, 141.
RAKGSCHNEIDER. 100, 101.
RAPP (Jean), général, 293.
REBORA, général, 73.
REYNIER (comte), général, 223, 261, 263, 265, 268.
RIBET (Pascal-Esprit), capitaine, 170.
RICHARD COEUR DE LION. 235.
RICHERAND (Anthelme- Balthazar), chirurgien, 32.
ROBERT, chirurgien, 15.
ROBERT (Simon), général, 181, 183, 185, 190, 196, 212, 213, 220, 228, 242.
ROBIN, 53.
ROCHAMBEAU, général, 51, 73.
ROEDERER, médecin, 53.
ROGUET (François), général, 189.
ROHAN (cardinal de), 49.
ROME (roi de), 32.
ROSPIGLIOSO (Giulio), 70.
ROSTOPCHINE, 207 à 209, 214.
ROULLIER (Joseph-Alexandre), commandant, 213.
ROUSSEAU (Jean-Jacques), 154.
ROUSSEL, général, 157.
ROUST (Benoît-Alexis), commandant, 65.
Roux (Joseph-Philibert), médecin.
18, 19, 21, 32, 148, 313.
RUDOLPH, 146, 148.
RUDOLPH (Mlle), 146.
RULLIÈBE (Joseph-Marcellin), général, 194.
SACKEN (Voir OSTEN-SACKEX).
SAINT-PRIEST (de), 206.
SAUCEROTTE, chirurgien, 179.
SAXE (maréchal de), 55.
SAXE-WEIMAR (duc de), 6.
SCHWARZENBERG (prince de), 150,201, 202, 223, 231, 261, 262, 264. 266, 273, 288.
SÉBASTIANI DE LAPORTA (Horace-François-Bastien), général, 93, 171, 173, 175, 224.
SÉDILLOT (Charles-Emmanuel), médecin, 313, SÉLIM III, 173.
SIMON, 156, 157, 257,284, 311, 312.
SIMON (Mmo, née Lagneau), 294, 314.
Sous, 188.
SOTIRA (Gaétan), médecin, 41.
SOULT (Nicolas-Jean de Dieu), duc de Dalmatie, maréchal, 130, 162, 163, 165, 174, 193, 295.
SonvAROv, général, 234, 266.
STAFFORD (de), 146.
STAHL, médecin. 52.
STEINGHEL, général. 224.
STOFFLET, 73.
SUE, chirurgien, 22.
SUÈDE (reine de), 13.
SWIDIANER, médecin, 31.
TALHOUET (marquis de), 294.
TARRAIRE (Jean-Joseph), colonel, 42, 46.
TCHITCHAGOFF ( Paul - Vasiliévitch), amiral, 222, 223, 231, 233, 26 TERNAUX-COMPANS, 262. <<., ¡" /%>
THIERS, 194.
TILMAN, général. 265.
TINDAL (Ralph-Dundas), général, 245, 254.
TISSERAT, curé, 310.
TISSEYRE, médecin, 18, 23.
TOLASSON, 248.
TORMANZOF, général, 222.
TOUSSAINT-LOUVERTURE, 56.
TRAVOT, (Jean-Pierre), général, 258.
TREILLE (Jean-François), chirurgien, 92.
VANDAMME, général, 259, 260.
VAN HUS, 110.
VARZY (Anne-Julie), 216.
VAUBAN, 260.
VÉNÉGAS, général, 173, 175, 178.
VERNANT (Ernest), 13.
VESTRIS (Marie-Auguste), 75.
VICENCE (Armand-Augustin-Louis de Caulaincourt, duc de), 205.
VICTOR, maréchal, 163, 172 à 174, 234.
VILLARMÉ, médecin, 313.
VILLENEUVE, amiral, 268.
VIONNET (Louis-Joseph), général, 248.
VITRAC, médecin, 225.
VOLON, 277.
VOLTAIRE, 110.
WALLY, médecin, 95.
WATTEVILLE (Albert-Rodolphe de), 273.
WATTEVILLE (Nicolas-Rodolphe de), général, 273.
WELCKER (Jean-Chrétien-Danckegott), chirurgien, 47, 50, 65, 95.
WELLINGTON, 174, 193, 306, 307.
WILHELM, 229.
WITGENSTEIN, général, 223, 224.
WONDERTS (Peters), 249.
WREDE (prince de), général, 270, 287.
YERMOLOFF (Alexis-Petrowich), général, 234.
ZAYOUCHEK (Joseph), général, 73.
R^TZiitQK (Pierre-Joseph), chirurgien, 00.
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T'A ES CHAPITRES
PatTAC -.-, 'j PRÉFACEh_Jll'fn'\7
i
CHAPITRE PREMIER
Enfance. Etudes. Les Joséphistes de Chalon-sur-Saône. Les grammairiens. L'hôpital de Chalon-sur-Saône. Paris. Les études médicales. Les professeurs. Bienveillance, puis amitié de Bichat. Premier concours d'internat, reçu troisième. Les internes sous l'ancien régime. L'hôpital des Capucins. Michel Cullerier. Certificat de capacité et doctorat. Docteur à vingt ans. La conscription. Les questions du conseil de santé. Le général Carnot. Percy.
Départ pour l'armée des Côtes. 13 CHAPITRE II
L'hôpital. 218 léger au camp d'Ostende. Physionomie du camp.
Les Egyptiens. Les Coptes au 21° léger. Organisation d'une société d'instruction mMicale., 38
CHAPITRE III
98 de ligne. Strasbourg. Étapes de Strasbourg à Genève. Le Valais.
Le ~m~M. 47 CHAPITRE IV
Italie. Revue de l'Empereur ; l'Impératrice, le théâtre. Mœurs de la population. Venise. Udine 6S „ CHAPITRE V
128 dragons. Départ d'Udine. Traversée du Tyrol. Munich. Le roi de Saxe. Potsdam. Berlin. Rencontre du 18 dragons. Eylau 94
CHAPITRE VI
Marches et cantonnements. Reprise des hostilités. Friedland.
Mœurs des habitants. Berlin. Royaume de Westphalie. Hanovre.
Séjour de quinze mois. Grand-duché de Berg 126 CHAPITRE VII Versailles. Revue de l'Empereur qui questionne Lagneau et lui donne la croix après quatre ans de services. Départ pour l'Espagne. Les étapes. Arrivée de l'Empereur. Burgos. Madrid.
Talavera 156 CHAPITRE VIII
Chirurgien-major de Vieille Garde au 2° conscrits grenadiers. Rencontre du régiment à Strasbourg. Retour à Paris et nouveau départ pour l'Espagne. Premiers essais d'antisepsie. Les guérillas.
Salamanca. Concentration avec les troupes de Marmont. Dorsenne. Retraite des Anglais. Burgos. Les cadres du régiment retournent en France. Revue de l'Empereur, vif intérêt qu'il porte au service de santé. L'impératrice Marie-Louise au quartier. Départ. 177 CHAPITRE IX
En-route pour la Russie. Général Friant. Bataille de la Moskova.
Entrée à Moscou. Séjour. Retraite. L'alcool et le froid. Les hébétés. Wilna. Posen. Deux jours de repos et en route pour Paris. 198
CHAPITRE X Nommé au régiment de fusiliers-grenadiers. Mayence. Dresde.
L'Empereur et le roi de Saxe. Lutzen et Bautzen. Mort du général Duroc. La garde hollandaise. Retour à Dresde. La bataille de Leipzig. Hanovre. En retraite 245 CHAPITRE XI Campagne de France. Montmirail. Soissons et Laon. La FèreChampenoise, il est blessé dans le carré des fusiliers-grenadiers.
Le grand-duc Constantin félicite les blessés de leur courage.
Les ambulances. L'Empereur. Marmont. Lucotto 273 CHAPITRE XII Fontainebleau. Passage de la duchesse d'Angoulême. Revue du duc de Berry. Berthier en capitaine de mousquetaires. Retour A
Paris. Propositions flatteuses d'entrer dans la garde royale. Refus.
Médecine civile. Retour de l'Empereur. Chirurgien-major au 30 grenadiers de la Vieille Garde. Courbevoie. Ligny. Waterloo.
Larrey. Retraite sur Paris. Poret de Morvan. Armée de la Loire. Licenciement. 291
TABLE DES NOMS DE PERSONN -.: r''}" 317 TABLE DES NOMS DE Zvï.Qi 317 jX TABLE DES CHAPITRES ■/y^\ 325
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